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Music

Oizo est un gros cochon

Quentin Dupieux nous parle de Pascal Nègre, de son nouveau film, et de tous les trucs sales qu'il fait tous les jours de sa vie.

Tombé dans la musique à moitié par accident,

Quentin Dupieux/Mr. Oizo

trace depuis 17 ans un chemin qui ne ressemble à aucun autre, fait de défouraillages analogues, de scansions mongoloïdes, et de films aux non-sens assumé.

Wrong Cops

, son nouveau long-métrage, qui sortira en France le 19 mars prochain, marque un tournant dans son parcours de réalisateur. Pour la première fois, Dupieux et Oizo ne font qu'un derrière la caméra : la musique du second est au service des images du premier -ou peut-être l'inverse en fait.

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Après avoir été pesé, mesuré et juré sur la Bible, devant huissiers, que je me comporterais comme un pigiste au coeur pur, j'ai pu passer un moment avec Quentin Dupieux, avec qui j'ai parlé de Marilyn Manson, de Pascal Nègre, de Daft Punk et du bonheur de s'amuser en faisant un maximum de cochonneries.

Noisey : Tu as dit que le personnage de Duke dans Wrong Cops, était une incarnation de ta musique. C'est un personnage sociopathe, violent, immoral, agressif, et en même temps hyper attachant, car très drôle. Tu pourrais développer ce parallèle ?
Quentin Dupieux : Mais tu viens de le faire ! [Rires] C'est une réflexion qui m'est venue en tournant, c'est le genre de liens que tu fais et qui servent à rien : ça ne m'a pas aidé à faire le film. Mon idée était de faire un long-métrage comme je fais ma musique. Et ma musique je la fais vraiment comme un cochon. C'est pas un grand moment solennel où j'organise mes idées, puis je vais en mixage… Je fais pas ça moi. Mes meilleurs morceaux ont été faits en trois heures, en vrai. C'est un truc que je capture comme ça, qui est un peu mal fait. Techniquement, c'est du n'importe quoi. Un morceau comme « Positif », le flow principal du truc je l'ai enregistré en live, je m'enregistrais avec des synthés, et j'ai tout enregistré à plat, avec le rythme et tout, donc il n'y avait plus aucune possibilité de mixage. En gros quand je fais de la musique je fais n'importe quoi, et c'est ça qui me fait marrer. Je suis pas consciencieux, je suis pas un producteur. Je sais même pas comment on pourrait me définir. Et j'avais hyper envie de faire un film de cette façon là. Une idée, paf ! On y va. Filmer des trucs alors que je suis pas encore sûr que c'est des bons trucs. J'ai écrit le scénario, honnêtement je l'ai à peine relu. Tu voulais garder le côté premier jet ?
Voilà. Je voulais un truc qui soit pas mâché. C'est d'ailleurs l'inverse de mon film suivant avec Chabat, où ça a été travaillé pendant 4 ans. Mais avant ce film un peu plus construit, j'avais besoin de faire autre chose. Et c'est une chance parce qu'au cinéma, normalement, tu fais pas ça. Avant d'embarquer des gens sur un plateau, il faut que tout soit complètement préparé. Bon, je n'ai pas fait n'importe quoi, tout était écrit, on a tourné le script, j'ai pas improvisé. Mais le script était écrit en 3 semaines, je ne l'ai pas pensé, et c'est en ça que c'est un équivalent de ma musique. C'est pour ça que l'image est dégueulasse. J'ai volontairement fait un choix technique douteux, exactement comme quand je fais un morceau où, plutôt que de bosser sur le bon matos, les bons branchements, je fais n'importe quoi. Là je me suis dit « tiens, je vais mettre une vieille lentille des années 60 sur un Canon 5D ». Et la lentille rentrait pas, donc on a dû détruire l'appareil photo pour faire rentrer la lentille. Du coup l'image est floue. J'avais besoin de ce côté un peu inconscient. J'adore ça, je pense que c'est la qualité du film. Après, effectivement, pendant le tournage je me suis dit que ce personnage con, fermé, odieux et gueulard, c'était ma musique. C'est un peu vrai, ma musique est pas sympa. Pour plein de gens, c'est un gag ma musique, ils peuvent même pas en écouter 8 secondes. Pas parce qu'elle est spécialement folle : c'est pas du Aphex Twin, je fais pas des trucs tordus à ce point là. Mais juste parce que ça ressemble pas à de la musique, c'est des espèces de boucles chiantes. Moi j'adore ce mécanisme qu'est ma musique. Je la fais comme un cochon, mais je l'adore. Tu y prends plaisir.
Voilà, je suis pas là à bâcler mes trucs. Quand je dis que je fais ça n'importe comment, c'est pas que j'en ai rien à foutre, c'est juste une méthode. J'aime ma musique. Et j'aime ce personnage.

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Du coup, est-ce que le voisin qui se fait tirer dessus par Duke représente tes auditeurs ? Le personnage reste focalisé sur la musique pendant tout le film…
[Rires] J'ai pas été jusque là, mais c'est marrant comme idée. Si tu regardes bien, je suis un peu tous ces personnages : je suis l'officier Rough [Eric Judor] qui fait écouter son morceau, qui est le mien. Je suis aussi ce voisin mourant, parce que des fois je suis las et que j'en ai plein le cul. Honnêtement, je suis encore au stade où quand je rencontre un mec qui me dit qu'il adore ma musique, je suis toujours fasciné. Je suis pas blasé, je suis encore surpris. Je me dis toujours « ah y'a des mecs qui ont ça dans leur Ipod ! » Par contre, je n'ai pas de public spécifique, du coup, je ne l'ai pas encore défini. Le rendez-vous en maison de disque du personnage d'Eric ressemble beaucoup au cauchemar d'un musicien dans cette situation.
C'est quelque chose que j'ai vécu, mais pas avec ce morceau, avec « Flat Beat ». Pour la petite histoire, c'était un morceau que j'ai fait juste pour illustrer les pubs que je réalisais à l'époque. Puis on s'est aperçu que des gens adoraient, et que des mecs en Angleterre faisaient des bootlegs avec la loop de la pub. On s'est dit qu'il fallait le sortir, et comme c'était un truc de grosse envergure, vu que c'était une pub Levi's, j'ai fait cette connerie d'aller démarcher des grosses maisons de disques. Et je me suis retrouvé devant des gros cons type Pascal Nègre… Auquel le personnage de boss de major du film fait penser d'ailleurs, même physiquement.
C'était complètement la référence ! On lui a mis des Converse pour faire le côté faux jeune bedonnant. Je me suis retrouvé devant ces mecs à faire écouter ce morceau qui n'a rien d'un tube, qui est mal fait, c'est juste une boucle infernale. Les mecs m'envoyaient chier, arrêtaient le truc en plein milieu « oui c'est une pub Levi's, ok mais ça reste pas dans la tête, j'ai déjà oublié ce morceau ». J'ai fait 8 ou 10 rendez-vous comme ça avec des porcs, avant de retourner à ma petite maison de disque, F Comm, le label de Laurent Garnier et je suis très content de leur avoir fait gagner de l'argent, puisqu'ils en ont vendu 3 millions.

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J'ai rien contre ces majors : c'est juste qu'il y a un décalage. C'était pas possible, et je comprends. J'ai pas essayé de recracher ma haine envers ces mecs. Oui, ça reste une scène plutôt comique.
Mais oui, c'est ce moment absurde où le mec appuie sur play et tu sais que ça ne mènera à rien. Au bout d'un moment pourquoi on est là ? Ça n'a aucun sens. Et ça, je l'ai vécu.

Le côté plus « réaliste » du film t'a influencé au niveau du choix de la B.O. ?
Je pense que ma propre musique est super cohérente avec ce film. C'est la première fois que j'utilise à ce point mes morceaux. Contrairement aux précédents, où je me suis entouré de compositeurs pour fabriquer une B.O. qui correspondait au truc, là j'ai juste été piocher dans ma discographie… Je sais pas trop comment répondre à ta question, en fait. Je sais pas pourquoi, mais il y'a une évidence entre les deux : mon son, c'est un truc qui démarre tout de suite, frontal, sans préliminaires, direct dans ta face. Ça marchait bien avec ce film, qui est exactement pareil : le mec gueule, etc. Je savais que ce serait comme ça, donc en le tournant je me disais que sur telle scène, tel morceau marcherait bien. Depuis le début, l'idée était de profiter de ma discographie et de faire au moins une fois dans ma vie un film avec ma musique. Même si ça me coupe de nombreux spectateurs qui pourraient aimer le film mais sont hermétiques à ce son rugueux. Pour moi c'est agréable, mais je pense que c'est une torture pour plein de gens. Il y a un vrai risque dans ce film, d'utiliser cette musique un peu confidentielle, pas ouverte au monde, mais bon… Des gens me parlent parfois après les projos, bon je parle de gens un peu plus âgés que moi [Rires] Ils me disent « le morceau qu'Eric veut faire est vraiment horrible », alors que moi je l'adore ce morceau ! [Rires] Dans l'histoire, il est censé être horrible, je me moque de moi-même, mais pour moi, c'est un bon morceau ce truc. Tout va bien, j'ai beaucoup d'humour là-dessus, je me prends pas au sérieux, je sais que ma musique est complètement absurde, mais je suis content de la faire. Tu te verrais faire un projet à la Interstella 5555 ? Pas forcément le délire manga, mais l'idée d'un projet de film entièrement musical, sans dialogue ?
Pourquoi pas, oui. Bien sûr. Interstella est un bon exemple : si ça tient, c'est parce que l'album est génial. C'est une musique qui t'emmène loin et qui fait du bien. Le truc manga, je m'en fous un peu, ils auraient pu faire des images de film, ou tout un tas de trucs, parce que le disque était génial. C'était un disque positif qui t'emmenait dans un mood exceptionnel. Ils auraient pu filmer à peu près n'importe quoi, ça aurait marché. C'est moins évident avec ma musique, mais c'est un exercice qu'on peut imaginer. Après, moi je suis une machine à dialogues, mais y'a un moment où je vais peut-être me dire « c'est trop facile, essayons de changer ». Cela dit, je pense honnêtement que Wrong Cops restera mon seul film basé à ce point là sur ma musique. Déjà, parce que j'ai envie de collaborer avec des gens. Et puis c'est trop fermé : ma musique, mon script, ma réal, mon montage… Là, par exemple sur mon dernier film avec Chabat, j'ai mis un morceau de Philip Glass, et j'ai l'impression que bizarrement, ça ouvre le film, c'est moins dans mon petit monde. On verra. Au fait tu penses quoi de la razzia des Daft Punk aux Grammys ?
Je suis très admiratif de Thomas et de Guy-Man' pour une vraie bonne raison : depuis le début, ils font ce qu'ils veulent. C'est pas des putes du système qui se sont infiltrés comme des clébards et qui ont compris les mécanismes, rien à voir. C'est deux gamins, comme moi, qui font exactement ce qu'ils ont envie de faire, et qui imposent leurs règles. Ils le font avec brio, généralement dès qu'ils touchent un truc, c'est sublime. Ça me paraît normal que ces mecs soient au sommet, ça me paraît normal que des gens comme Stevie Wonder ou Pharell veuillent bosser avec eux plutôt qu'avec David Guetta. J'ai rien contre Guetta, mais il symbolise l'espèce de réussite moderne, télé-réalité, genre avec la belle coupe de cheveux, et il fait de la zic qui me parle pas et qui me dégoûte un peu. Mais j'ai rien contre lui, c'était juste pour la comparaison, parce que c'est tout l'inverse. Les Daft Punk, c'est des mecs libres. Je pense que le seul moment de leur vie où ils ont dû ressentir une réelle contrainte c'était pour la B.O. de Tron, parce qu'il y avait d'un seul coup Walt Disney, des réunions, etc. Mais globalement, les mecs sont fascinants parce que leur modèle est unique : ce sont des outsiders, mais en haut de la montagne. Ils sont brillants, moi je les adore.

Tordre l'image de Marilyn Manson dans un rôle contre-emploi [un ado un peu débile, victime de flics tarés], ça t'est venu comment ?
En fait, tout est parti de ma rencontre avec lui. Quelque part, le personnage que tu vois dans le film est bien plus proche du « vrai » Marilyn Manson que de son image dans les médias. Je m'attendais à rencontrer une rockstar, avec une attitude, et non, j'ai rencontré un mec sympa, tout normal, un peu comme ce type à casquette dans le film. Forcément j'ai décidé de le mettre en mec « trop » sympa, et il a adoré jouer ce truc, parce que c'est un mec très drôle. Wrong Cops sortira un peu partout en France le 19 mars. La B.O. du film sera disponible à partir de lundi, 24 février, sur Because. Yérim Sar est un garçon propre et consciencieux, dans un délire manga. Il est sur Twitter - @spleenter