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Pour une poignée de truffes

Dans la Drôme, le trufficulteur Laurent Rambaud a été jugé pour avoir abattu un chercheur de truffes dans son champ avec un fusil de chasse.

Photo via Munchies

Les trufficulteurs de la Drôme ne sont visiblement pas là pour déconner. Dans ce département, la truffe se vend à un minimum de 500 euros le kilo et peut entraîner de violentes tensions. Pour que vous puissiez poster vos pizzas aux truffes sur Instagram, que vous diluerez plus tard dans la soirée avec des mojitos bon marché parce que vous vous êtes ruinés au resto, des agriculteurs bossent, tout en vivant dans une peur constante : celle de se faire voler.

C'est cette peur qui aurait poussé Laurent Rambaud, un trufficulteur de Grignan, à tirer sur un mec la nuit du 20 décembre 2010. A l'approche des fêtes de fin d'année, les prix des truffes grimpent naturellement afin de s'adapter aux demandes des consommateurs. Ce soir-là, Laurent Rambaud patrouillait dans son champ tel un cow-boy de la Rabasse, armé d'un gros calibre de chasse. Au détour d'une parcelle de sa truffière, il tombe sur un homme et son chien, qu'il croit armé, selon ses affirmations. Il lui tire dessus à deux reprises. Ernest Padro meurt quelques mètres plus loin.

Jugé en ce moment aux assises de la Drôme, Laurent Rambaud maintient la version de la peur. Les parties civiles plaident un acte réfléchi et violent. « Il décide se mettre en tenue de camouflage, de s'armer […] et il vient nous dire qu'il était terrorisé », s'étonne Maître Simonin, avocat de la compagne d'Ernest Pardo, interrogé par le Dauphiné Libéré. La victime était réputée dans le coin – un chercheur de truffes passionné selon certains, un voleur selon d'autres. Ernest avait même été affublé du doux surnom « Néné les grands pieds » parce que son mètre 85 et sa pointure 45 laissaient des traces profondes dans toutes les truffières. Une pioche a été retrouvée sur les lieux, et quelques grammes de truffes dans sa caisse. Il en est du ressort de la justice de déterminer s'il a été « tiré comme un chien »comme le soutient son beau-père, où si Laurent Rambaud a agi sous la panique.

Plusieurs trufficulteurs de la région sont venus témoigner le premier jour du procès, pour essayer d'expliquer le climat dégueulasse dans lequel ils vivent. Des types qui en viennent à installer des grilles électriques, des alarmes, et à se faire justice eux-mêmes devant le peu de sanctions infligées aux voleurs de truffes. Remplacez les truffes par du bétail, et le Tricastin devient le Far West. Depuis le drame, les vols de truffes continuent dans la région. Les diamants noirs feront toujours des envieux. Parfois, ce sont quelques dizaines de grammes. Parfois, la guerre devient plus sale. Comme quand un producteur dans l'Hérault a retrouvé 300 de ses chênes truffiers abattus. Certains trufficulteurs affirment s'être fait ligoter et évoquent des menaces à leur encontre. Ces méthodes musclées ne datent apparemment pas d'hier. Dans une interview au Parisien, Eric Solier, le président du Syndicat de la Truffe Noire Tricastin-Pays de Grignan déplore qu'il ait fallu attendre un drame comme l'affaire Rambaud pour que les problèmes des trufficulteurs soient entendus. « Je suis contre le fait d'abattre les voleurs de truffes. Mais il faut comprendre le stress que ça provoque. »

Les versions s'entremêlent et se contredisent, c'est une affaire tragique pour les deux parties. Même si l'adaptation en téléfilm pourrait probablement relancer la carrière de Daniel Auteuil, c'est une histoire triste et sordide avant tout. Le verdict concernant Laurent Rambaud sera rendu ce soir, et il risque jusqu'à 30 ans de prison. Au final, les trufficulteurs ne sont pas des énormes thugs, ni des desperado sans foi ni loi qui se canardent à la moindre occasion. Ce sont juste des agriculteurs excédés et sur les nerfs à cause de la nature même du produit duquel nombre d'entre eux dépendent. Du coup, si l'envie vous prend d'aller truffer, prenez au moins la peine d'enfiler un gilet pare-balles.