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Crime

Ce que j’ai aperçu de la France en bossant comme avocate

Horaires impossibles, crises de nerfs permanentes et harcèlement quotidien : hey, bienvenue dans mon ex-vie.
avocate française

Ce n'est pas très difficile de devenir avocat. La clé, c'est la pugnacité. Cinq années de fac, deux mois de prépa d'été pour passer le concours d'entrée, puis encore un an et demi d'école d'avocat. Et enfin, ça, tous les jours : « Alors non seulement vous le foutez en taule, mais en plus, vous n'allez jamais le voir ? » Cette personne qui me parlait comme si elle n'était pas maîtresse de l'intégralité de mon emploi du temps, c'était ma boss.

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Ce qui m'a le plus marqué pendant mes études avant de devenir avocate, c'est le plaisir avec lequel les avocats en herbe se gavent d'histoires au sujet de potentiels patrons cinglés. Les codes civils qui volent, les insultes, les licenciements la porte ouverte – et sans raison –, le stagiaire qui allait chercher des fleurs pour la femme de son boss pour la Saint Valentin, celui qui devait attendre deux heures en voiture place de l'Étoile pendant que l'associé, trop pressé pour trouver une place de parking, était en rendez-vous avec un client. Ou genre, les filles à qui on a proposé d'aller dîner avec un client « producteur de pornos italiens », en précisant que « toutes les stagiaires l'ont fait » les années précédentes. Ces histoires, je les entendais dans la bouche de tous ceux et celles auxquels c'était arrivé. Ça nous faisait marrer.

En devant moi-même avocate, je l'ai vite appris : toutes étaient vraies.

Rentrer dans cette profession, c'était intégrer ce folklore. C'était aussi se complaire dedans. Il y avait une sorte de chaîne alimentaire. Les collaborateurs étaient en bas tandis qu'en haut, il y avait une nébuleuse d'associés potentiellement tarés.

En 2012, Kevin Dutton, un chercheur d'Oxford, publiait The Wisdom of Psychopaths , dans lequel il définissait les traits caractéristiques des psychopathes : ils « sont sûrs d'eux. Ils ne procrastinent pas. Ils se focalisent sur les choses positives. Ils ne s'en veulent jamais de rien, ne se reprochent pas quoi que ce soit lorsque quelque chose se passe mal, même s'ils en sont responsables. » Il y détaille les professions qui en comptent le plus grand nombre. Les avocats arrivent en second. À cette époque, tous les étudiants en droit et jeunes avocats de mon âge partageaient joyeusement l'article sur Facebook.

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On partait tous la fleur aux fusils avec notre diplôme sous le bras, donc. Mais c'est comme pour les contrôles de police quand on roule à vélo ; j'étais intimement persuadée que ça n'arrivait qu'aux autres.

Moi, j'avais commencé à me dire que ça n'arrivait peut-être pas qu'aux malchanceux au moment où je cherchais du boulot. J'avais passé un entretien dans un cabinet spécialisé en droit des marques. L'associée avait commencé à me demander si je n'étais pas « trop susceptible » avant de me préciser qu'elle passait des entretiens pour remplacer un collaborateur « qui ne savait pas encore qu'il était viré ».

Elle m'avait fait rencontrer le senior de l'équipe (comprenez : le pauvre bougre qui n'ose pas se barrer parce qu'il a une famille et qui voit sa vie défiler sous ses yeux chaque fois qu'il reçoit un mail). Je lui avais demandé, comme on fait dans ces cas-là : « Et, vous vous plaisez au cabinet ? » Long soupir, genre la fin du monde est pour demain. « Écoutez, si vous n'avez pas beaucoup de loisirs à côté, pas un cercle social très étendu et que vous n'êtes pas trop susceptible, ça devrait être très supportable. » Je n'ai pas demandé mon reste, toute fière d'avoir échappé au piège.

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Photo via Flickr.

J'ai aussi évité un patron qui monologuait pendant tout l'entretien en regardant mes seins, le jeune loup type start-up qui proposait de me payer la moitié de mon salaire en liquide et de bosser de chez moi, et enfin le type qui m'a reçu avec 1 h 30 de retard sans s'excuser. Ça faisait 8 mois que je cherchais un job, mais je ne voulais pas me planter. Une première collaboration, c'est comme la première fois au lit. C'est souvent raté, mais on peut en garder un bon souvenir et se faire de l'expérience.

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Et puis est arrivé l'entretien providentiel. On m'a dit tout ce que j'avais toujours voulu entendre. J'avais l'impression d'être à un premier rendez-vous avec un pervers narcissique. « Vous savez ici, c'est une grande famille », « je m'occuperai personnellement de vous former », « il n'est pas rare que l'on parte à 18 heures », « on a cette liberté de ne prendre que des dossiers qui nous passionnent. » Je suis ressortie extatique. Et puis dans le cabinet, il y avait un associé particulièrement médiatique, qui était venu nous faire cours à l'école d'avocat. J'avais lu les comptes rendus de ses audiences, il s'occupait de dossiers incroyables. Quelle formidable chance j'avais.

On m'a hurlé dessus, on m'a méprisée, on m'a envoyée en taule un 24 décembre afin d'expliquer à un baron de la drogue que s'il ne nous payait pas dans les 48 heures, il irait se défendre tout seul à son audience trois jours plus tard.

Dans le cadre du bureau, c'est vrai que j'ai pu l'écouter raconter par le menu toutes ces audiences dont j'avais entendu parler à la radio. J'étais aux premières loges pour le voir badiner. Les trois premiers jours, c'était génial. Ensuite, je me suis rendu compte qu'il radotait, trébuchait, sautillait sur le trampoline de ses vieilles gloires. On était tous très impressionnés quand même. Une montagne de savoir, une éloquence, et puis, vous savez, une combativité. Si j'avais eu 750 balles par heure à lui donner, je n'aurais pas hésité.

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Bon bien sûr, il était onctueux avec les puissants et les stagiaires bonnasses, odieux avec les petites fourmis quotidiennes. Bien sûr qu'il balançait les dossiers sur le bureau des collaborateurs, comme on jette de vieux restes dans une auge, bien sûr qu'il prenait plaisir à voir la peur dans nos yeux, bien sûr qu'il aboyait ses consignes comme des évidences et hurlait quand ça n'était pas fait sur-le-champ. Mais ça, bon, on pouvait s'y attendre. Moi je regardais ça d'un œil distrait. J'étais bien trop heureuse de ne pas être dans son champ de vision.

Profession : avocat de militants

Ce que j'ai vécu cette année-là avec mes patrons n'avait rien d'extraordinaire. Le lot commun de tous les petits jeunes, je dirais. On m'a hurlé dessus, on m'a méprisée, on m'a envoyée en taule le 24 décembre afin d'expliquer à un baron de la drogue de la taille d'une montagne que s'il ne nous payait pas, en liquide, dans les 48 heures, il irait se défendre tout seul à son audience trois jours plus tard. On m'a envoyé aux quatre coins de la France plaider des dossiers donnés la veille dans des procédures dont je ne connaissais rien, avec pour seule consigne, « oh, vous faites comme vos confrères, ça ira très bien. »

Quand ça se passait bien, on m'évacuait d'un mouvement de poignet avant de se vanter auprès des clients pendant une demi-heure par téléphone. Quand ça se passait mal, on me hurlait dessus. Bon, accessoirement, quand ça se passait mal, des gens allaient en prison. Mais moi, dans l'ensemble, j'estimais que j'avais plutôt de la chance. Hormis mes crises de pleurs hebdomadaires parce que j'étais persuadée d'avoir oublié une audience / un délai / d'envoyer les éléments de procédures au tribunal, mes crises de tachycardies quand ma boss m'appelait et les 10 kg que j'avais pris, je m'en sortais pas trop mal.

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Deux ans plus tard néanmoins, je n'ai aucune confiance en moi et la peur panique de porter une robe. Mais, hé, c'est le folklore.

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Photo via Flickr.

Non, vraiment moi, ça allait. Contrairement à certains de mes confrères, on ne m'a jamais jeté un code civil au visage en me disant : « Puisqu'en le lisant ça rentre pas, on va essayer comme ça. » On ne m'a pas virée le deuxième jour de mon retour de congés maternité parce que « tu vas être moins impliqué sur le dossier, et dehors j'ai des centaines de candidats qui ne demandent que ça. » On ne m'a pas forcée, chaque matin, à 7 h 30, à aller dans le bureau de mon boss pour lui lire des extraits de son propre bouquin parce que : « Tu as besoin d'une petite remise à niveau, on va faire ça pendant quelques semaines. » On ne m'a pas ordonné non plus de ranger mon bureau au carré, tous les soirs de ma vie parce que « le bureau est le reflet de l'âme ». Mon boss n'a pas arraché sa chemise devant moi en hurlant : « Mais ils veulent quoi ? Me foutre à poil ? Voilà, je le suis, voi-là », on ne me surnommait pas « le petit citron » parce qu'on pouvait me presser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien. On ne m'imposait pas de l'alcool en réunion d'équipe pour vérifier si j'étais enceinte. Ça, c'était à mes copains que ça arrivait.

Un jour, j'ai trouvé un mail avec la facture d'un écrivain. Il demandait à être payé pour la plaidoirie qu'il avait écrite à l'un des associés, dans un gros procès d'assises qui avait fait du bruit.

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J'étais collaborateur libéral. Ce statut a été défini dans la loi du 2 août 2005 sur les PME comme tel : « le collaborateur libéral exerce son activité professionnelle en toute indépendance, sans lien de subordination. Il peut compléter sa formation et peut se constituer une clientèle personnelle. »

Pas de lien de subordination, donc. C'est marqué dans la loi. C'était marqué dans mon contrat de collaboration. Faut nous croire sur parole. On est indépendants. Vraiment faut nous croire, parce qu'on en est vachement fiers. On n'est pas salariés. Du coup, le droit du travail ne s'applique pas à nous. Ni pendant la durée de notre contrat, ni pour y mettre fin.

On est virable parce qu'on a une mauvaise coupe de cheveux, parce qu'on a une voix agaçante, parce qu'on a refusé de coucher ou parce qu'on n'a une tête qui ne revient plus à notre patron. Oh bien sûr, notre ordre a mis des pare-feux, bien sûr. On peut se plaindre, il y a toute une procédure, il y a des audiences devant un organe disciplinaire et plein de fioritures qui font jolies. On crève tous de trouille parce qu'on surestime notre adversaire. On préférerait passer notre vie avec une rage de dents plutôt que de balancer nos patrons.

En attendant, on peut appeler anonymement SOS Collaborateurs, ils sont disponibles pour nous écouter, pour nous conseiller. C'est chouette. Des confrères qui bénévolement, donnent de leur temps. Moi j'ai jamais osé parce qu'il ne m'arrivait rien de grave.

Un jour en allant à la photocopieuse de mon cabinet, j'ai trouvé un mail avec la facture d'un écrivain. Il demandait à être payé pour la plaidoirie qu'il avait écrite à l'un des associés, dans un gros procès d'assises qui avait fait du bruit. Ce jour-là, je me suis dit que si on nous traitait comme ça, c'était peut-être pour compenser un truc, une faille. Fallait pas mal manquer de confiance en soi pour envoyer un dossier d'instruction (qui est protégé par le secret de l'instruction, donc) à un écrivain pour qu'il écrive ladite plaidoirie. Plaidoirie qu'on allait apprendre par cœur et réciter aux jurés d'assises en n'accueillant chaleureusement les félicitations d'usage de ceux qui l'entendraient. Fallait pas se sentir très bien dans ses pompes. Ce jour-là, j'ai eu un peu de peine. Et puis un associé est venu gueuler que ceux qui ne feraient pas partir leur facturation aux clients dans les 24 heures seraient dégagés sans sommation. Et j'ai un peu relativisé.

Sur les 15 avocats qui étaient mes copains, 11 sont devenus juristes. La plupart ont été virés au moins une fois, ou ont été poussés à la démission à force de harcèlement.

Aucun ne s'est dirigé vers une procédure disciplinaire au sein de notre ordre. Même celle à qui l'associé a proposé un 5 à 7 discret pendant une audience en province. Aucun n'a appelé SOS COLLABORATEUR. On s'est contenté de se rendre malade. Et comme moi, de changer de travail.

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