Ce que ça fait de sortir avec quelqu’un de droite quand on est de gauche – et vice versa

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Ce que ça fait de sortir avec quelqu’un de droite quand on est de gauche – et vice versa

À rebours d'une certaine pensée humaniste, il y a des métissages qui ne marchent pas.
Paul Douard
Paris, FR

Je sais que pour certains d'entre vous, le monde est un magnifique microcosme peuplé d'ouverture d'esprit, de frozen yogurt et de gens qui s'aiment par-delà les divergences et les opinions. Sauf que dans le monde réel – j'entends, pas celui fantasmé par les habitants des 11e et 18e arrondissements parisiens – les gens n'espèrent qu'une chose : coïter avec quelqu'un qui partage les mêmes avis politiques et les mêmes passions. À terme, cette recherche mène à l'homogamie et à la perpétuation des opinions au fil des générations.

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Pour expliciter très rapidement ce terme à la manière de notre immémorial Larousse, il s'agit du « mariage entre individus de même statut social ». En poursuivant cette logique, on peut dire que cette recherche d'homogénéité sociale s'accompagne d'une recherche d'homogénéité politique : comme le précisait Anne Muxel dans son livre Toi, moi et la politique paru en 2008, seuls 14 % des couples sont « dissonants », à savoir que l'un des membres se situe à droite et l'autre à gauche. Et si jamais ces faits ne suffisent pas, Facebook se charge de ne vous montrer que ce qui se rapproche le plus de votre pensée. Donc, à moins d'être en mission comme Sara Forestier dans Le Nom des gens, sortir avec quelqu'un à l'opposé de vos idéaux politiques reste improbable. Mais, comme pour toute règle, il y a des exceptions.

Si les concepts abstraits d'endogamie sociale et d'atavisme jouent un rôle primordial dans la formation des couples, certaines choses prennent parfois le dessus : l'ignorance, la durée d'abstinence ou le taux d'alcoolémie à un instant t. C'est à ce moment-là que des surprises éclosent – ce qui est à la fois fabuleux et sinistre, surtout si vous vous rendez compte que vous êtes en train de vous taper un fanboy d'Hervé Mariton ou, pire, de François Bayrou.

Alors que les sites de rencontre gauche-rencontre et droite-rencontre ont fait un four lors de leur lancement en 2010, j'ai cherché à comprendre ce qui était passé par la tête de ceux qui avaient décidé plus ou moins consciemment de franchir le Rubicon – du moins, avant de rebrousser chemin face à la vision d'un monde apocalyptique où les gens de gauche et les gens de droite passeraient leur temps à s'engueuler dans la chambre conjugale.

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VALENTIN – 29 ANS

VICE : Salut Valentin. Peux-tu me raconter ton expérience avec une fille qui ne pensait pas comme toi ?
Valentin : Je me suis tapé une meuf bien friquée de Saint-Cloud. Je me suis rendu compte de son penchant à droite pendant la Coupe du monde 2014, organisée au Brésil. L'Algérie venait de gagner un match et elle m'a dit qu'elle ne se sentait plus trop en sécurité dehors.

Je vois. Tu as réagi comment face à ça ?
J'essayais de contrecarrer ses propos avec des arguments, mais quand tu viens d'une vieille famille bourgeoise de droite c'est difficile d'entendre raison. Et puis je n'avais pas la foi.

Tu voulais qu'elle pense la même chose que toi ?
Clairement. Je tentais de souligner l'incohérence de ses propos mais le dialogue était compliqué. J'avais vraiment l'impression qu'elle récitait un truc et qu'elle était totalement imperméable à mes arguments à cause de ses a priori. Je trouvais ça limite schizo, complètement en décalage avec son profil de meuf sociable qui voyage.

Après, j'avais eu quelques indices. Une fois, alors qu'on bouffait dans un restaurant chic situé dans le Marais à Paris, elle m'avait affirmé qu'elle voulait se casser de France parce qu'on ne laissait pas sa chance aux jeunes. Quand elle venait chez moi, elle avait l'impression de faire une bonne action parce que j'habitais Rive droite.

Ça a duré combien de temps ?
Je suis resté seulement un mois avec elle, donc je n'ai pas trop souffert.

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Tu en gardes quel souvenir finalement ?
C'était un peu déprimant d'être avec une jeune fille susceptible de dire des trucs aussi nauséabonds. Tu sentais qu'elle ne pigeait pas vraiment ce qu'elle disait. En fait, c'était atroce – j'étais tout le temps stressé avec elle et elle ne racontait que de la merde. Je savais que ça n'allait pas durer. D'ailleurs, elle utilisait le mot guapa avec ses copines.

JULIETTE – 21 ANS

Salut Juliette. Pourquoi t'estimes-tu de droite ?
Parce qu'en France, gauche = socialisme et c'est tout ce que je ne suis pas. Mon père est entrepreneur, gagne assez bien sa vie. Il est plutôt ouvert mais j'ai toujours évolué dans un univers assez bourgeois.

Du coup, comment tu en es arrivée à rencontrer un mec de gauche ?
Mon mec, c'est la gauche bien dure, PCF, bureau national de l'UNEF, bénévole à l'Huma et tout ça. On s'est rencontrés en vacances quand on était ados et on s'est retrouvés des années plus tard.

Vous ne vous engueulez jamais ?
Le truc sur lequel on s'engueule tout le temps, c'est le rôle de l'État. Moi je prône un retrait et lui un renforcement. Par contre, on s'entend sur le côté social. On débat intelligemment la plupart du temps, et on s'engueule vraiment quand l'un caricature les idées de l'autre, genre quand moi je le traite de stalinien et lui de représentante de la Banque mondiale.

Finalement, ça vous donne un genre d'équilibre ?
Oui parce qu'il y a plein d'autres aspects dans notre relation, et puis ça ouvre l'esprit. Aujourd'hui, je fais preuve d'assez de bonne foi pour reconnaître la pertinence d'une analyse marxiste. Et lui reconnaît de temps en temps que la liberté a ses avantages. Mais on n'a pas les mêmes priorités : sa grande obsession c'est l'égalité, la mienne c'est la liberté. Et parfois ce sont des valeurs qui entrent en contradiction.

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JOSÉPHINE – 25 ANS

Salut Joséphine. Tu as déjà fraternisé avec un ennemi politique ?
Quand j'avais 17 ans, j'ai eu une histoire avec un mec de droite. On débattait de politique, c'était chou. On était jeunes quoi.

C'était plus palpitant qu'une relation avec quelqu'un qui partage les mêmes idées que toi ?
En fait, je dirais que oui. C'était très intéressant parce que c'est dans l'adversité que tu te rends compte de la vraie nature de la personne. Sa façon d'écouter mes idées pour mieux les contredire c'était bien plus « excitant » qu'une discussion avec quelqu'un partageant les mêmes avis. Ça ajoute une petite étincelle. Après, il était vif et intelligent donc ça aide. Un mec buté et facho ne m'aurait pas du tout excitée.

Tu ne te disais jamais : « Merde, je suis train de rouler des pelles à un type de droite » ?
De manière générale, je me disais ça, oui. Mais pas particulièrement pendant les roulages de pelles. Après, j'étais jeune – aujourd'hui, je réfléchirais différemment.

Tu voudrais le convertir ?
Ahah non ! Honnêtement, je ne voulais pas en arriver là, j'aimais simplement la façon dont il défendait ce que moi je détestais. Ça lui donnait un côté solide, tu vois ? Ça engendre l'attirance, que l'autre ne se confonde pas avec tes opinions.

Pourquoi ça n'a pas duré ? Il avait l'air cool.
Il a déménagé. Quand il est revenu, j'avais un autre mec, de gauche.

LÉA – 29 ANS

Salut Léa. Quel regard portes-tu sur un mec qui ne partage pas tes convictions politiques ?
Je trouve qu'il y a un petit côté sexy dans la transgression – on parle d'une petite transgression, pas de se taper un néo-nazi. Je pense à deux mecs en particulier et je le savais dès le départ. Je me souviens de longues conversations où je n'étais pas d'accord. Après, ça arrive aussi avec des mecs de gauche. Par contre, une fois, j'ai couché avec un complotiste et ça m'a bien fait bader.

Peux-tu m'en dire plus sur cette expérience complotiste ? Ça a l'air mortel.
Écoute, en gros, c'était une histoire toute simple, qui commence comme mille histoires. Un pote de pote, une soirée. Le mec était très mignon, sympa, me faisait rire. On est partis de la soirée ensemble et on a marché deux heures dans Paris la nuit. On parlait de tout – de nos vies, de nos ex, de nos parents – sauf de politique. On a passé une super nuit ensemble et on s'est revus deux ou trois fois, jusqu'à un fameux soir où on a parlé du 11-Septembre, des attentats et là c'était fini. Selon lui, François Hollande a orchestré les attentats du 13 novembre 2015 pour grimper dans les sondages, l'attentat de Nice pour faire oublier la loi Travail, etc.

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Comment as-tu réagi ?
J'ai vite fait essayé de débattre mais il n'y avait rien à faire. Après, je ne veux pas juger les complotistes car je suis persuadée que c'est aussi la faute des médias, qui font mal leur boulot. Sauf que, franchement, c'est un tue-l'amour pour moi. On a dormi ensemble et on ne s'est jamais revus.

MÉLANIE – 30 ANS

Salut Mélanie. Tu te considères plutôt de gauche ?
Non, pas vraiment. Je ne suis pas de gauche même si certaines de mes préoccupations sur le plan social m'y rattachent, j'imagine. J'ai voté Hollande à la dernière présidentielle plus pour dégager Sarkozy que par conviction.

Malgré ton côté peu politisé, as-tu déjà rencontré un mec qui t'a choquée par ses opinions politiques ?
Oui, je me souviens d'un mec de droite complètement taré et parano qui s'est mis à dire des horreurs sur les musulmans.

Tu peux me raconter comment tu t'es retrouvée dans cette situation ?
Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre car il s'agissait d'un mec que j'avais vaguement connu au lycée et qui était un peu plus vieux que moi. Je ne sais plus comment, mais on s'est retrouvés dans une brasserie déprimante située vers la gare Montparnasse, à Paris. On a parlé de Sarkozy et j'ai dit tout le mal que j'en pensais, mais le mec débitait des phrases toutes faites genre : « Tu te trompes, il est pour la réussite » ou encore « il va nous débarrasser de tous les mange-merde qui vivent aux crochets de la France ». Du coup je me suis foutue de sa gueule et je l'ai poussé dans ses retranchements, il a commencé à mettre les pieds dans le plat un peu bourré en me disant sans même baisser la voix que « le problème, c'est les musulmans ». On ne s'est jamais revus.

Ça t'a dégoûtée à jamais de sortir avec quelqu'un de complètement opposé à tes convictions ?
Pas forcément. Cela ne me gênerait pas à condition qu'il s'agisse d'une personne intelligente. Après, disons la vérité : les militants de droite comme de gauche sont souvent des plaies.

Paul est sur Twitter.