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Culture

Toutes les chansons ont disparu de MySpace, et mon adolescence aussi

Il y a tout un tas de gens qui aujourd’hui vous diront que c’est MySpace qui les a sauvés au secondaire.
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Photo par Tynewijne via WikiCommons, composition par l'auteur

Il y a quelques mois, je cherchais des chansons de l’ancien groupe montréalais December Strikes First (les vrais savent) sur internet. Je n’ai malheureusement rien trouvé, sauf leur MySpace, qui n’avait pas été touché depuis des années. Le lecteur sur le côté du site montrait toujours leurs chansons, mais je n’arrivais pas à les faire jouer. Je me suis donc dit qu’il y avait un bogue, ou que le groupe avait lui-même supprimé les fichiers.

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Lundi, par contre, on apprenait que c’est en fait MySpace qui a perdu 12 ans de fichiers MP3 lors d’une migration de serveurs il y a quelques années. Cela signifie qu’il y a de bonnes chances que toutes vos chansons, photos ou vidéos téléversées sur MySpace avant 2016 soient perdues à jamais.

Comme beaucoup de gens, je me suis dit que cette situation était, au pire, un inconvénient mineur : il ne serait plus possible pour moi de retourner écouter les chansons des groupes du secondaire desquels je faisais partie avec mes amis, et on ne pourra plus en rire tous ensemble. Mais j’y ai pensé un peu plus longuement, et je me suis rendu compte que c’était en fait une bonne partie de mon enfance qui avait disparu.

J’ai l’impression, peut-être non fondée, que le phénomène MySpace n’a pas été aussi frappant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Il y a même peut-être des gens qui lisent cet article qui n’ont pas connu ce qu’on appelle « l’époque MySpace ».

Ce site était vraiment un one-stop shop. C’était le premier média social de masse : c’était à la fois notre Facebook, Spotify, SoundCloud, Tinder, Reddit, Twitter et Instagram. Par-dessus tout, c’était le foyer pour plusieurs communautés, qui a tout changé. Il était maintenant facile de trouver des gens avec les mêmes intérêts que soi, ou de nouveaux artistes. Ou même, dans certains cas, l’amour.

Moi, c’est la plateforme qui m’a aidé à me trouver. J’étais déjà intéressé par le emo et le hardcore, mais c’est sur MySpace que je me suis rendu compte qu’il existait dans ma ville toute une communauté de gens emo que je ne connaissais pas, mais qui s’habillaient comme moi, qui écoutaient la même musique que moi, qui riaient des mêmes blagues. Dès que je rentrais de l’école, chaque soir, après avoir passé la journée à socialiser avec mes camarades de classe qui trouvaient mes goûts et intérêts « bizarres », je courais jusqu’à mon ordinateur pour retrouver ma communauté en ligne.

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C’est vrai qu’on devait avoir l’air complètement fous, avec notre style éclectique, nos paroles de chansons mélodramatiques utilisées comme légendes sous nos photos soigneusement sélectionnées pour évoquer toute la tristesse et le mal-être qui nous habitaient (et notre bizarre fétichisation du self-harm, mais ça, c’est un autre sujet). Notre écosystème était si fermé, mais en même temps si accueillant qu’il y a tout un tas de gens qui aujourd’hui vous diront que c’est MySpace qui, en grande partie, les a sauvés au secondaire.

Ce qui nous ralliait avant tout était la musique, et ce n’est pas une coïncidence si toute l’industrie de la musique a changé avec l’avènement de MySpace. C’est là que se sont fait connaître beaucoup des artistes les plus populaires d’aujourd’hui, et on pouvait en temps réel suivre leur ascension. Aujourd’hui, Calvin Harris et Katy Perry remplissent des stades, mais ils n’étaient, au début, que des kids qui postaient leur musique sur MySpace. Panic! at the Disco est aujourd’hui connu de presque tout le monde, mais lorsque j’ai entendu leurs premières chansons, c’était des kids comme des autres, des emos de Las Vegas qui faisaient de bonnes chansons. Pete Wentz, de Fall Out Boy, les a remarqués sur MySpace, et leur a fait signer un contrat avec son label, avant même qu’ils n’aient joué leur premier concert.

Pour la première fois, avec MySpace, on pouvait connaître un artiste à ses débuts et assister à sa montée : c’était le premier pas de la démocratisation de la musique, où l’auditoire déterminait la tendance, après des décennies où on laissait la radio dicter nos goûts.

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C’était la porte d’entrée vers le monde de la musique, où on a dû apprendre à tout faire. Et c’était si simple : on pouvait soi-même enregistrer ses chansons et les mettre sur notre MySpace. Avec un peu de promotion et le bon auditoire, on pouvait devenir assez connu. Donc on a appris les rudiments de codage, pour personnaliser au max notre profil MySpace, à enregistrer nos chansons nous-mêmes pour les téléverser, à mettre en marché notre musique et à créer un branding.

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Pour la chanteuse montréalaise Cœur de pirate, c’était un terrain de jeu important. Ses premiers groupes, comme December Strikes First et Bonjour Brumaire se sont fait connaître sur MySpace, et c’est là qu’elle a présenté ses premières maquettes en tant que Cœur de pirate. « MySpace a perdu les premiers démos de Cœur de pirate, me confie-t-elle. Ça doit valoir quelque chose aujourd’hui, ou pas. Mais c’est quand même une partie de mon héritage qui s’envole. C’est là que j’ai connu Hollywood Undead! »

En tant que musicien sur MySpace, on pouvait trouver d’autres artistes dans le même genre qui nous plaisaient, et échanger, devenir amis, organiser des tournées ensemble. C’était véritablement une plaque tournante pour le monde de la musique DIY, et je sais que, personnellement, je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui sans MySpace, je n’aurais pas les amis que je m’y suis faits, la musique que j’y ai découverte et les choses que j’y ai apprises.

Si je m’attriste aujourd’hui de la disparition des chansons sur MySpace, et du fait que la plateforme elle-même a carrément été reléguée aux oubliettes, ce n’est pas simplement parce que j’aimerais pouvoir réécouter les tounes de mon band du secondaire. C’est que c’était des archives d’une époque au grand complet, de celle où le concept de communauté s’est numérisé, et a du même coup changé l’Histoire.

Billy Eff est sur internet ici et .