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Société

L’histoire de Playgirl : beaucoup de pénis, pas vraiment de révolution

Playgirl n’était pas le premier magazine à faire saliver les femmes : Helen Gurley Brown, l’éditrice fonceuse de Cosmopolitan, avait réussi à persuader Burt Reynolds de s’étendre, nu, sur une peau d’ours.

Le premier numéro de Playboy date de 1953. Depuis, le magazine a provoqué plein de scandales et d'interrogations (combien de modèles ont eu l'herpès à la suite d'une baignade dans la grotte de la Playboy Mansion?), tout en publiant des auteurs renommés, comme Kurt Vonnegut et Haruki Murakami.

Près de vingt ans plus tard, Playgirl voulait s'en inspirer. Montrer des moustaches tout en guidant les lectrices dans leur divorce et leurs parties de jambes en l'air au bureau. De 1971 à l'été 1973, Douglas Lambert élabora le premier numéro de ce qui se voulait une réponse féministe à la célèbre revue de soft porn de Hugh Hefner.

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Un magazine de couilles pour femmes libérées

Au départ, Lambert, qui possédait une boîte de nuit en Californie, souhaitait concurrencer Playboy et proposer un magazine du même genre. Jenny Lambert, son épouse, l'a plutôt convaincu de suivre le courant de la révolution sexuelle et de mettre sur le marché un magazine pour les femmes libérées qui rêvent de voir des couilles poilues sur papier glacé.

Le premier numéro, dont les 6000 copies se sont vendues en quatre jours, présentait un homme nu, assis, et une femme en adoration derrière lui. Contrairement à Playboy, qui exposait seins et fesses, Playgirl montrait souvent, à ses débuts, des couples, dans l'espoir de créer une narration érotique dans la tête des lectrices. Celles-ci étaient décrites par Marin Scott Milam, l'éditeur de Playgirl, comme indépendantes, confiantes, curieuses, sensuelles et libres.

Playgirl n'était pas le premier magazine à faire saliver les femmes : Helen Gurley Brown, l'éditrice fonceuse de Cosmopolitan, avait réussi à persuader Burt Reynolds de s'étendre, nu, sur une peau d'ours, alors que Lambert développait le concept de Playgirl.

Objectifier les mollets masculins et parler de menstruations

Dès son arrivée dans les dépanneurs, le magazine de Lambert fut célébré et vu comme un réel progrès pour les femmes, qui voyaient alors les hommes se prêter à leur tour à l'objectification possible de leurs mollets, lèvres et poitrine. Des articles sur le cancer du sein, les menstruations et les agresseurs sexuels, de même que des conseils pour ne pas se faire démasquer comme prostituée, donnaient une apparence libératrice au magazine. Ira Ritter, ayant joué de multiples rôles dans l'histoire de Playgirl de 1974 à 1986, jusqu'à en devenir le président, a confié récemment à Esquire qu'une telle posture était menaçante pour certains hommes : « Notre but était de traiter les femmes comme de vraies personnes. À cette époque, elles étaient des objets sexuels, qu'on présumait uniquement intéressées par les tâches domestiques. »

Interdiction de montrer des érections

Les mannequins étaient recrutés dans les saunas et dans la rue. Ils n'avaient pas des abdos huilés et des dents plus blanches que de la coke. Leurs bourrelets étaient moins camouflés que leur sexe. Simón Cherpitel, qui a été photographe pour deux numéros en 1974, affirme que, si un pénis était visible sur une page, il se devait de ne pas être en érection ou, sinon, s'il était bien bandé, de le montrer flottant sur l'eau pour pouvoir affirmer que le pénis n'était pas en érection, que ce n'était qu'une illusion d'optique. Brian Dawson, le modèle de la page centrale pour le numéro d'avril 1978, raconte que le photographe l'a pris en photo alors qu'il débandait, donnant ainsi à l'équipe la possibilité de choisir le degré d'érection attendue.

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Dans les années 70, un malaise autre que les pénis bien durs est remarqué : les hommes posent comme les femmes des magazines pornographiques, car ils n'ont pas d'autres références que les femmes affalées sur un canapé, en nuisette transparente. En rachetant le magazine à Douglas Lambert en 1977, Ira Ritter choisit de ne faire poser en page couverture que des célébrités. Bianca Jagger, un chaton et beaucoup de fourrure accompagnent des titres comme Une médecin révèle ses diètes secrètes.

Les hommes gais aiment plus Playgirl que les femmes hétéros

Alors que les lectrices imaginées par Playgirl dans les années 70 étaient des femmes libérées à la recherche de plaisir et de loisir autre que la redéfinition de leur ligne de sourcils, les années 80 amènent le magazine à présenter des femmes tendance superwoman, selon Jessanne Collins, une éditrice de Playgirl dans les années 2000. Des femmes qui veulent tout avoir, mais qui ont de plus en plus de difficultés à concilier leur carrière, leur envie de liberté, leurs besoins matériels, leur sensualité et les sandwichs au beurre d'arachide et confiture qu'elles doivent préparer pour les lunchs de leurs enfants.

Playgirl n'était pas consommé que par les femmes. Les hommes homosexuels l'appréciaient beaucoup, demandaient des autographes aux mannequins y posant et s'abonnaient sous de faux noms. L'homosexualité, classée jusqu'en 1974 comme une maladie mentale par l'Association américaine de psychiatrie, n'était pas encouragée par Playgirl, qui refusait de croire que son lectorat n'était pas que des femmes éprises de petites fesses masculines. La première année, la direction du magazine affirmait que les femmes comptaient pour 94 % de leur lectorat. Les employés croyaient plutôt que c'était autour de 80 %, et il serait descendu sous les 50 % dans les années ultérieures.

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« Les femmes aiment les fesses poilues »

Playgirl a toujours été dirigé par des hommes hétérosexuels qui ne comprenaient pas ce que voulait vraiment son lectorat, soit les femmes qui voulaient se rebeller et ne plus souffrir de l'image de la ménagère au sexe qui ne mouille que pour son mari, et les gais.

Lorsque Ritter a vendu ses parts du magazine en 1986, celui-ci a été repris par Carl Ruderman de Drake Publishing, dont l'expérience se résumait à la publication de magazines pour hommes. Le magazine est donc déménagé de la Californie vers New York, où était basée la compagnie de Ruderman.

En 1987, dans le tumulte de la vente, la nudité frontale a été bannie pendant un an. De plus, depuis 1985, 17 000 boutiques aux États-Unis avaient retiré de leur étalage les magazines jugés trop sexuels.

Playgirl s'est dirigé peu à peu uniquement vers la soft porn, s'éloignant des sujets plus féministes. Refusant d'écouter les désirs des femmes, Ruderman, en réunion, estimait que les femmes voulaient plus de fesses poilues.

Douglas Cloutier, un photographe ayant travaillé pour Playgirl des années 80 à 2000, parle dans Esquire des difficultés à remplir les attentes du lectorat diversifié et montre aussi la force des clichés entourant la sexualité de chacun : « Les femmes, ça ne les dérange pas de ne pas voir un pénis. Elles veulent des chandelles et des fleurs, et lire des histoires érotiques. Elles ne veulent pas voir l'anus des mecs. Les gais? C'est différent. »

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Gros muscles et grosse fraude

Les années 90 et 2000 voient Playgirl se tourner plus vers la porno hardcore et les célébrités qui ont des gros muscles. Des sujets comme le viol conjugal et l'avortement se faufilent encore dans le magazine, mais jamais sur la page couverture. Poursuivi au mois d'août 2000 pour une fraude de 200 millions de dollars, Drake Publishing, alors Crescent Publishing, devient Blue Horizon Media.

L'équipe éditoriale est réduite : Nicole Caldwell, Jessanne Collins et Corrine Weiner, trois jeunes femmes, sans expérience dans la pornographie, rêvant de transformer le magazine et de le rendre plus divertissant et revendicateur, et des stagiaires travaillant bénévolement.

Afin de renouveler le lectorat et d'encourager les publicitaires à embarquer dans l'aventure, Nicole Caldwell se rappelle de célébrations où dildos, condoms, lubrifiants et gâteaux en forme de pénis étaient attendus. Toutefois, alors que la direction masculine du magazine souhaite plus de pénis, moins de mots et coupent dans le budget de la publication, Playgirl, qui se vendait à plus de 1,5 million d'exemplaires dans les années 70, perd de sa pertinence.

Un Harlequin hardcore plutôt que la révolution féministe

Dans les années 2000, la porno gratuite se trouve facilement sur internet, Cosmopolitan propose des pages de campus hunks à la rentrée scolaire et Jane offre des numéros spéciaux de Naked Celebrity. Playgirl n'a rien de plus révolutionnaire à offrir que le beau-fils de Sarah Palin en page couverture en 2010 et des conseils pour rendre son amoureux heureux et épanoui sexuellement. D'un magazine qui voulait rompre avec la tradition des femmes comme objets sexuels, Playgirl est devenu une publication embarrassante, sans intérêt, présentant aux lectrices une sexualité clichée, des pénis à toutes les pages et aucun effort sauf celui de verser de l'eau sur des mannequins au regard langoureux de romans Harlequin.

Le dernier numéro en papier date de 2016. Le site internet est toujours en ligne, mais semble dirigé essentiellement vers les homosexuels. Avant les publicités de Mark Wahlberg dans un caleçon Calvin Klein et les calendriers de pompiers vendus au Jean Coutu, Playgirl a réussi à normaliser le corps nu des hommes. Le magazine n'a toutefois pas réussi à dévoiler véritablement les désirs des femmes, s'obstinant à croire que des patrons connaissaient mieux les attentes sexuelles des femmes que les femmes elles-mêmes.