Il y a vingt ans, Oxmo Puccino déboulait avec « Opéra Puccino », pierre angulaire du hip-hop français
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Il y a vingt ans, Oxmo Puccino déboulait avec « Opéra Puccino », pierre angulaire du hip-hop français

On a disséqué l'objet avec ses principaux protagonistes, histoire de rappeler qu'avant de devenir le rappeur institutionnalisé qu'il est aujourd'hui, Oxmo Puccino était surtout l'un des plus fins limiers dans son domaine.

L’intérêt de célébrer les vingt ans d’ Opéra Puccino est double. Dans un premier temps, c’est l’occasion de se rappeler qu’Oxmo Puccino, en dépit des textes à tendance poétique qu’il disperse depuis des années sur des disques qui s’éloignent volontiers du format hip-hop, n’est pas simplement un rappeur qui tire des beaux discours, autre chose qu’une version acceptable de la « culture urbaine » qu’ont fini par saluer des médias qui, on le sait, on le sent, la méprisent en coulisses. Là, on parle quand même d'un disque qui installe l'art de la théâtralité dans le rap français (à l'image de la pochette et des différents rôles interprétés par son auteur : Black Cyrano De Bergerac, Hitman, Alias Jon Smoke), qui se révèle technique et sensé dans le même souffle, qui colle avec l’effervescence créative de l’époque (1998, c’est tout de même l’année de Suprême NTM, de Le Combat Continue ou de Quelques gouttes suffisent) et qui confirme le talent de storyteller d’un Oxmo pas encore institutionnalisé et capable d’envolées aussi mythiques que celle-ci : « Maîtrise lancinante, sentiments en ciment sinon dans six ans/On me retrouve ciseaux dans le crâne dans le sang gisant. »

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Dans un second temps, c’est donc aussi logiquement l’opportunité de prendre un peu de recul sur une œuvre majeure de l’histoire du rap français pour mieux la disséquer avec ceux qui y ont participé. Sont donc réunis au casting : Nicole Schluss (alors en charge de la promotion chez Delabel), Mamoutou (son frère), DJ Sek & DJ Mars de Time Bomb, Ricky (son manager de l’époque), Le Célèbre Bauza, Pit Baccardi, K. Reen et Oxmo en personne.

Nicole Schluss : En 1998, j’étais directrice marketing et responsable de la promotion des artistes de Delabel. J’étais la deuxième tête du label et ai donc assisté à la naissance d’Opéra Puccino. On venait de signer Oxmo. Je me souviens encore de Lucas Minchillo débarquant dans les bureaux en nous disant, à Laurence Touitou et moi, qu’il venait d’entendre un truc incroyable et qu’il nous le ferait écouter pendant notre réunion artistique hebdomadaire. On a tellement été impressionné par le résultat que la question de ne pas le signer ne s’est même pas posée…

Mamoutou : Il n’avait que 23 ans, mais il était déjà très mature pour son âge, ce dont on s’aperçoit vite à travers ses textes. Lorsqu’on écoute ses morceaux, on pense plus à un trentenaire, voire à un quarantenaire.

DJ Mars : Opéra Puccino a été réalisé dans « l’urgence », Oxmo a signé chez Delabel en décembre 1997, environ 50 % des textes et des instrus existaient déjà, le reste a été réalisé et finalisé au studio Polygone. De janvier à la mi-mars 1998, on a enregistré, mixé et masterisé l’album entre Paris, Toulouse et New-York pour une sortie commerciale le 27 avril 1998. Le quatuor que nous formions avec Oxmo, Ricky le boss et DJ Sek se devait d'être soudé et solide.

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Ricky : Il y avait une énorme attente autour de cet album. Parce qu’Oxmo avait déjà réalisé beaucoup de featurings, mais aussi parce qu’il y avait un buzz autour de lui, les médias avaient écrit de belles éloges le concernant. Le public avait donc hâte d’entendre ce premier album. Oxmo était à la fois excité (c’était son premier disque, après tout) et stressé. Comme l’équipe Time Bomb (Mars, Sek et moi), il se demandait si ça allait plaire ou pas.

Dj Sek : C’est clair que l’on avait tous la pression. La majorité des médias spécialisés qui avaient reçu la cassette promo, après écoute, nous soutenaient. Le bouche à oreille avait pris de l’ampleur, on sentait vraiment l’attente. On était donc tous très impatients.

Oxmo Puccino : Pendant l’enregistrement, j’étais fatigué, pas très serein, mais je me sentais paradoxalement assez aérien, dans le sens où j’étais dans une bulle, en studio, avec une seule idée en tête. J’étais comme dans un rêve, quelque chose de très vaporeux qui venait contraster avec l’inquiétude environnante. Il faut rappeler quand même qu’Opéra Puccino arrive deux ans après mes débuts et, bien que j’étais prêt artistiquement à le réaliser, ce n’était pas forcément le cas humainement.

Mamoutou : Il a abordé ce disque avec autant de précautions que tu prends avant d'avoir ton premier enfant. Logiquement, il s’est donc entouré des meilleurs, il a été soigneux, attentif à tout ce qui pouvait se passer avant la sortie du « bébé », que ce soit les textes, la pochette ou même les dédicaces.

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Nicole Schluss : « Mama Lova », présent sur la compilation Sad Hill de Kheops avait plutôt bien marché et avait été soutenu par Skyrock à l’époque. Ça avait créé de l’attente, surtout que l’on sentait chez lui une approche différente - tous les MC’s ne parlaient pas de leur maman dans leurs textes à la fin des années 1990. D’autant plus un mec de presque deux mètres comme lui… Ça n’a pas empêché pour autant qu’Opéra Puccino soit très dur à promouvoir. L’album n’était pas du tout dans l’ère du temps. Bon, il a été plébiscité par la presse intelligente, mais très peu soutenu par la presse rap, même si L’Affiche lui avait accordé sa Une. Globalement, l’imagerie ne passait pas. Le positionnement intellectuel du disque, le fait que « L’enfant seul » soit présent au générique de Petits frères de Jacques Doillon, un film d’auteur, a posé des problèmes sur la base du public rap. Dans leur ensemble, les médias étaient frileux. Et ça s’est ressenti au niveau des ventes : Opéra Puccino n’a été Disque d’or qu’en 2006…

Ricky : Il y a en effet eu un boycottage évident de certains médias très influents, mais on peut être fier d’avoir réalisé un album intemporel, qui fait partie du top 10 des albums de rap français. La plume d’Oxmo et les thèmes qu’il aborde continuent à parler à beaucoup de gens, à toucher toutes les générations… Ce qui a sans doute été favorisé par l’esprit de compétition qu’il y avait chez Time Bomb à l’époque. Oxmo dormait souvent chez Hill G et il y avait une vraie émulation qui se créaient entre les différents gars du crew (Hill G - Cassidy - Lunatic - HiFi - Pit Baccardi - Jedi…). C’était épique à vivre.

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DJ Mars : Il y avait un vrai esprit de compétition, mais tout était sain. Il y avait une interaction et une émulation qui se formaient entre eux, pas mal de séance d’impros, du très haut niveau… C’était mémorable !

Pit Baccardi : Cette ambiance, on l’a retrouvée par la suite en studio. C’était très brut, pas purement professionnel. Pour nous, le studio, c’était le prolongement de la cité. On était sérieux, mais c’était aussi un prétexte pour s’amuser. D’ailleurs, c’était impossible de savoir qui était réellement le DA du disque : tout le monde balançait son avis en permanence et ça donnait une tendance de l’engouement que pourrait susciter tel ou tel morceau.

Nicole Schluss : En studio, on retrouvait aussi bien DJ Cream et Le Célèbre Bauza que son entourage proche. Ça lui permettait de réfléchir et lui apportait un sentiment de sécurité. Mais il y avait bien trop de gens. Quand j’arrivais, je passais systématiquement mes premières minutes sur place à virer tout le monde.

Le Célèbre Bauza : Nicole a bien fait d’intervenir et d’ajuster un peu le truc, mais toute cette foule était nécessaire. Ce sont toutes les discussions et tous les délires du moment qui ont donné la couleur à cet album. Il y a des phrases qu’Oxmo gardait, des histoires dont il se servait pour les interludes, etc. Ça stimulait tout le monde.

Oxmo Puccino : On a fini par aller au studio Polygone à Toulouse pour éviter les débordements en studio. Mais je gardais quand même mon entourage auprès de moi. Tout simplement parce que ça crée un équilibre et qu’un album reflète l’ambiance dans laquelle il a été enregistré. J’ai besoin de vie autour de moi pour créer, d’entendre ou de sentir des réactions sur le vif. Et puis, soyons honnêtes : un « yeah » ne sonnera jamais de la même façon s’il est enregistré seul en studio ou si tu entonnes ce cri entouré de tes potes à trois heures du matin après une soirée passée à rire.

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Le Célèbre Bauza : La présence de Prince Charles Alexander a également été très importante. On sentait qu’il y avait alors un vrai fossé entre les États-Unis et la France. Le mec avait travaillé avec Biggie et nous racontait des anecdotes du temps où il enregistrait Ready To Die. Comme cette fameuse conclusion où Biggie se suicide et s’écroule par terre. Comme ils n’arrivaient pas à produire un bruit correct, Biggie s’est lui-même laissé tomber sur le sol et la prise a été parfaite. Entendre toutes ces anecdotes, ça nous encourageait. On se disait que tout était possible.

Oxmo Puccino : On ne se rend jamais compte de la puissance des hommes de l’ombre. Là, on parle quand même d’un producteur qui a connu l’époque du funk, du disco, qui a travaillé avec Biggie, Mary J. Blige ou encore Easy Mo Bee, sans jamais paraître ridicule ou dépassé. Travailler avec lui, c’était aussi l’occasion de réaliser ce disque dans des conditions qui n’existent plus : aller masteriser l’album aux États-Unis pendant une semaine, tous frais payés, c’était quand même royal. Sans parler de cette chance de pouvoir finaliser mes morceaux dans de tels studios, avec tous ces disques d’or autour de moi. Ça donne forcément envie de se surpasser.

K. Reen : Le clip de « Mensongeur » illustre bien la liberté d’Oxmo, dans le sens où il était constamment dans l’innovation, osait apparaître en tenue moyenâgeuse et s’éloignait du côté purement street. Ça prouvait aussi que son délire théâtral ne se limitait pas à la pochette et aux titres des morceaux.

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Nicole Schluss : À l’époque, mon bureau chez Delabel donnait sur l’open space et j’étais à chaque fois impressionnée lorsqu’il débarquait, toujours extrêmement chic, avec un chapeau, un long manteau noir et un cigare au coin des lèvres. Ça ne l’empêchait pas d’être très timide et de laisser Ricky s’exprimer au moment des discussions, mais il était hyper sincère dans sa démarche, sonore et visuelle. L’idée, ce n’était d’ailleurs pas de paraître pour un mafioso, c’est simplement que l’esthétique lui plaisait.

Oxmo Puccino : Je sais que je sors d’un milieu qui n’a rien à voir avec ça, mais c’est dans ma nature de me comporter ainsi. Petit, on se foutait d’ailleurs souvent de ma gueule par rapport à ma façon de m’exprimer… Ça a visiblement fini par me servir, et ça a donné des idées à Thibaut De Longeville pour cette pochette qu’il a rapidement conceptualisée de bout en bout.

Nicole Schluss : Chez Delabel, on travaillait beaucoup avec Jean-Baptiste Mondino, qui avait notamment réalisé les clips des Rita Mitsouko. On se disait qu’il pourrait sortir Oxmo des codes purement street. Il est passé au studio, on lui a suggéré l’idée et il a tout de suite eu envie de surfer sur le côté opéra. Il a fait la photo et Mode 2 a ensuite réalisé tous les masques que l’on voit sur la pochette. En rassemblant tout ça, ça donnait un côté Commedia Dell’arte très beau, tandis que Jonathan Mannion misait plus sur une esthétique mafieuse pour les photos promotionnelles.

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Pit Baccardi : Depuis que je le connais, Oxmo a toujours eu cette faculté à trouver des thèmes et à façonner des univers – d’où le titre Opéra Puccino d’ailleurs. Ici, il n’y a pas un morceau à enlever, il a été conçu et développé pour qu’il y ait une intro, une explication de textes, une conclusion et une morale. C’est ce qui lui permet de traverser le temps, parce qu’il a une consistance et une maitrise totales de l’aspect narratif.

Mamoutou : Ça a toujours été sa marque de fabrique, il est connu pour sa plume et sa capacité à rendre visibles ses écrits, à leur offrir une puissance visuelle, à l’image de ce que faisait également Notorious B.I.G.. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’on le surnommait le « French Biggie »… Ce qui est sûr, c’est qu’à l’école, il était déjà très bon en français, que ce soit dans les rédactions ou même en philo. C’est quelque chose qu’il a en lui et qu’il continue de développer aujourd’hui via beaucoup de lectures.

Le Célèbre Bauza : Oxmo, c’est l’artiste que j’ai vu le plus écrire pour un seul morceau ou simplement une phrase. Pour « L’enfant seul », par exemple : pour le refrain, il voulait qu’il y ait une phrase qui parle au plus de gens possible, que tout le monde puisse se sentir concerné. C’est pour ça qu’il a changé une des phrases pour la remplacer par « Viens-tu des bas-fonds ou des quartiers neufs ? Bref, au fond tous la même souffrance ». Tant qu’il n’était pas parvenu au résultat souhaité, il était capable de réécrire sans cesse, dans le métro ou ailleurs, et de nous faire écouter chaque nouvelle version à chaque fois.

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Oxmo Puccino : J’ai passé un temps fou à écrire « L’enfant seul », à trouver le bon texte pour cette si belle mélodie. Mais même une fois le thème trouvé, j’avais des difficultés à remplir certains trous dans le texte. Jusqu’au jour où je rentre chez mon père, passe dans ma chambre et tombe sur cette phrase : « Enlève la mer de la côte d’Azur ». Ça a tout de suite fait sens. Depuis, j’attends à chaque fois ce moment révélateur, même si ça peut parfois me prendre deux ou trois ans pour finaliser un texte ou une phrase.

Dj Mars : Durant l’enregistrement de « L’enfant seul » c’était magique… Pour l’anecdote, dans la cabine voix, la lumière était tamisée, on y avait rajouté et allumé plusieurs bougies pour qu’il puisse entrer dans une belle interprétation artistique, Prince Charles Alexander l’a aussi bien coaché durant ce grand moment, malgré la barrière de la langue.

DJ Sek : Cette instru était destinée aux X.Men pour l’album du crew Time Bomb (X.Men, Lunatic, Pit Baccardi, les Jedi, HiFi, Oxmo, Ziko de la Brigade, Diable Rouge, etc…) qui était enregistré au studio Blackdoor à Paris. Après l’éclatement du crew, Oxmo a récupéré l’instru pour son album. J’avais trouvé ce son en fouinant dans ma banque de son, dans mes disques vinyles, là où un titre comme « Mourir 1000 fois » est né de façon beaucoup plus réfléchie : à quelques jours de la fin des sessions studio à Polygone, pendant que Mars et Prince Charles Alexander peaufinaient le mix d’un titre, je travaillais un son dans une autre salle voisine. Oxmo m’avait confié son envie de s’exprimer sur un thème sensible qui est celui de la mort. Cette instru atypique est tombée à pic.

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K. Reen : Grâce à Cutee B, qui nous avait mis en contact quelques mois plus tôt, on avait déjà bossé ensemble sur un de mes titres (« Choisis »), mais c’est vraiment lorsque je me suis rendu au studio pour enregistrer « Mensongeur » et « Le jour où tu partiras » que j’ai compris la beauté de sa plume. C’était très rare à l’époque qu’un rappeur souhaite co-signer les refrains avec moi : souvent, ils n’arrivaient pas à trouver des textes adaptés à des lignes de chant, mais Ox est différent. Il a une vraie sensibilité, et c’est ce qui a permis le succès de ces deux morceaux, que l’on me réclame systématiquement en concert encore aujourd’hui.

Pit Baccardi : On commençait à avoir de grosses connexions avec les mecs de Marseille, la FF, IAM, etc. Avec Oxmo et les X-Men, on avait écouté en avant-première L’école du micro d’argent et, dans la foulée, on les avait invités à un freestyle Time Bomb chez Générations, tandis que Kheops avait réuni la plupart d’entre nous sur Sad Hill. L’idée de « 24 heures à vivre », c’était donc de collaborer à nouveau ensemble et de raconter nos dernières intentions s’il ne nous restait plus qu’une journée sur Terre. Oxmo ne voulait pas que cette réunion soit un prétexte à un enchainement de rimes égotripées comme c’était souvent le cas à l’époque, il voulait un thème précis.

Oxmo : Rencontrer Chill, Shurik’n ou encore Freeman a été l’occasion pour moi d’intégrer une nouvelle famille. C’était donc évident de partager ce thème avec des personnes si proches. Ça en est même dramatiquement beau : s’il ne nous avait resté que 24 heures à vivre à ce moment-là, on aurait au moins eu la chance de célébrer la vie ensemble.

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Pit Baccardi : Il faut aussi citer l’importance d’un titre tel que « La loi du point final ». C’est fou ce qu’il se passe entre Lino et Oxmo sur ce morceau, notamment avec ce passe-passe à la fin. J’étais en studio à Toulouse au même moment pour mon disque et assister à une telle démonstration m’a inspiré un titre.

Le Célèbre Bauza : Quand on a écouté Opéra Puccino pour la première fois chez son père avec tous les potes, j’ai tout de suite été frappé par les titres très personnels, comme « Amour & Jalousie » ou « Visions de vie ». C’était fort.

Oxmo Puccino : J’avais choisi d’ouvrir mon album avec ce titre et ce sample de Missssippi Burning en intro parce qu’il n’y avait rien, selon moi, qui puisse exprimer de façon aussi puissante ce que je pouvais ressentir à ce moment-là que cette citation. C’était une façon pour moi de dire aux auditeurs : « voilà dans quel état d’esprit se trouve la personne que vous allez écouter pendant plus d’une heure ». Ça donnait la température de l’eau, et ça faisait écho aux droits civiques en Amérique, à la lutte des blacks, etc.

Le Célèbre Bauza : Il faut préciser également que c’est un des morceaux que l’on a le moins refait sur scène, trop compliqué.

Nicole Schluss : À l’époque, Oxmo faisait très peu de concerts et se contentait surtout d’effectuer des plateaux d’artistes. Déjà, parce que les salles ne voulaient pas forcément de rap, une musique qui les emmerdait plus qu’autre chose, mais aussi parce qu’Oxmo ne voulait pas rentrer dans l’ambiance des concerts de rap de l’époque, qui dégénéraient régulièrement. Mais bon, il faut aussi préciser que les concerts étaient moins importants financièrement qu’ils peuvent l’être aujourd’hui.

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Oxmo Puccino : Après avoir reçu mon chèque du label, je suis immédiatement allé le retirer en liquide à la banque. Je me suis acheté quelques bijoux, j’ai dormi à l’hôtel, signé quelques chèques à des proches et fait en sorte de vivre mieux. De toute façon, je n’arrivais pas à me projeter. Dans les années 1990, c’était encore impossible de parler d’avenir pour les rappeurs étant donné la façon dont cette musique était traitée par le grand public et les médias.

Nicole Schluss : Après avoir fini la promotion d’ Opéra Puccino, j’ai quitté Delabel pour monter Derrière les planches et devenir la manageuse de M. Trois mois après la sortie de L’amour est mort, Oxmo est toutefois venu me voir pour me dire qu’il souhaitait arrêter la musique et qu’il voulait que je m’occupe de rompre son contrat chez Delabel alors qu’il leur devait encore un album…. Le problème, je pense, c’est que Ricky venait de prendre du recul parce que la musique ne lui rapportait pas assez, que j’étais parti et que Laurence Touitou venait de faire de même. Oxmo se sentait donc délaissé chez Delabel.

D’autant plus qu’il ne connaissait pas bien Benjamin Chulvanij, le nouveau boss, et que l’accueil réservé à L’amour est mort avait été très mitigé à cause d’une pochette et d’une promo ratées. Il n’avait plus de jus, mais je lui ai dit que je voulais bien travailler avec lui à condition qu’il continue la musique. Ce qu’il a fini par faire en revenant de Martinique. Il venait d’écrire un titre, il ne savait pas trop quoi en penser, sinon que ce n’était pas dingue ou assez abouti. C’était « Avoir des potes », l’un de ses plus gros succès, que l’on a enregistré et clippé dans la foulée. Ça l’a remotivé.

Le Célèbre Bauza : Il a eu la maladie du deuxième album. Il avait eu toute sa vie pour faire Opéra Puccino et là, il avait à peine deux ans pour en sortir un nouveau, faire mieux et proposer quelque chose de différent. C’était compliqué pour lui à gérer, surtout avec tous les changements internes au sein de son label. Mais bon, de toute façon, Oxmo est toujours lassé d’écrire et d’enregistrer après un album. Il veut toujours tout arrêter… Jusqu’au jour où un embryon d’idée émerge dans son esprit.

Mamoutou : Après Opéra Puccino, il était clairement moins optimiste qu’aujourd'hui. Ce n’était pas une période fun, même si on aurait pu croire le contraire. Ça coïncide sans doute avec des gros changements dans sa vie ou la perte d’un de ses amis (Mo), ou alors avec le « succès » qui est quelque chose de nouveau avec ses avantages et ses inconvénients… D’un coup, on te voit à la télé, les regards changent, ce qui peut engendrer méfiance et paranoïa. C’est toute une gestion, et je sais que mon frère aime la discrétion. À l’époque, il se baladait avec une casquette enfoncée jusqu’au nez à longueur de journée pour ne pas être reconnu.

Oxmo Puccino : Aujourd’hui encore, après chaque album, j’ai l’impression d’être en fin de carrière. Mais là, c’était encore différent. On avait été enregistré Opéra Puccino à Toulouse en partie pour quitter l’ambiance anxiogène liée à la fin de l’aventure Time Bomb. J’avais les impôts sur le dos après l’échec de L’amour est mort et je me confrontais pour la première fois à la notoriété. Tout était trop soudain, et ça m’a confronté illico à des réalités et des réactions très violentes. Heureusement, j’ai fini par m’en sortir en ayant eu l’intelligence de ne m’entourer que de bonnes personnes, pas du tout nocives. Je pense notamment à Mars, qui a été très exigeant en studio et avec qui j’ai appris à maitriser les respirations et les pauses entre deux phrases. Je pense également à Bauza, mon thermomètre, un des seuls partenaires fidèles de cette période, clairement en avance sur son âge à l’époque. Je pense aussi à Nicole Schluss qui a eu l’intelligence de me dire que j’allais faire du cinéma, des livres et d’autres albums à un moment où je n’y croyais plus.

Merci à Guilaine Goujon.

Maxime Delcourt est sur Noisey.