Indonésie : avec Lia Eden, la prophétesse de la fin du monde
Collage de Firman Dicho Rivan, images tirées de YouTube et Wikimedia Common

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Société

Indonésie : avec Lia Eden, la prophétesse de la fin du monde

La fin du monde est proche. Seules les personnes « pures » pourront monter à bord de la soucoupe volante de l'archange Gabriel et partir avant qu’il ne soit trop tard.

Cet article a été initialement publié sur VICE Indonésie.

Le jardin d'Éden biblique se trouvait probablement quelque part dans l’Irak actuelle. Mais ce que beaucoup de gens ignorent, c'est qu'il existe un autre Éden – un endroit secret où des gens se préparent pour la fin du monde, au beau milieu de la capitale indonésienne.

Il y a deux semaines, je me suis retrouvée aux portes de l’Éden. J'avais trop peur de sonner la cloche. En grandissant, j’ai entendu tout un tas d’histoires au sujet de l’Éden de Djakarta, un mystérieux culte dirigé par une certaine Lia Eden qui prétend être en lien direct avec Dieu. Selon elle, Dieu est en colère contre l'humanité pour avoir laissé la religion corrompre la Terre. La situation est apparemment si grave que le seul moyen pour l’humanité de survivre est de sauver les quelques « purifiés » en les faisant embarquer sur une soucoupe volante pilotée par l'archange Gabriel afin de les emmener sur une autre Terre, dans une autre galaxie – un endroit où nous pourrons donner lieu à une nouvelle civilisation, sans les méfaits de la religion.

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C'est une déclaration assez osée dans un pays où le blasphème est illégal, et Lia Éden – de son vrai nom Lia Aminuddin – a été emprisonnée à deux reprises pour insulte à la religion. C'est en 2005, lors de sa première arrestation, que j'ai entendu parler d’elle et de son culte. Pour beaucoup de gens, c’est une personne « égarée » qui se prend pour une prophétesse ou un ange. Pour d'autres, c’est une folle.

Les peines de prison qu’elle a purgées en 2006 et 2009 ont décimé son organisation. Éden se vantait autrefois d'avoir plus de 100 membres, mais aujourd'hui, son affaire tourne à plus petit régime. Surtout, elle opère désormais en secret. Le groupe a fermé ses portes et coupé les ponts avec la presse à la suite du célèbre incident de Monas (nous y reviendrons plus tard). Leur engagement est maintenant porté sur la « purification » et non plus sur la prédication.

Je ne sais pas quelle sera leur réaction en voyant une journaliste planter devant leur porte d'entrée. Bien sûr, j'ai déjà côtoyé des sectes – notamment les adeptes du culte Swissindo – mais il n’y en a pas deux pareilles. Vont-ils au moins me laisser entrer ?

Un voisin me voit sortir et me propose de l’aide. Soudain, une voix retentit dans le haut-parleur de la caméra de surveillance : « D'où viens-tu et que veux-tu ? » Quelques minutes plus tard, une femme âgée de la soixantaine vient m’ouvrir et m'invite à entrer. Elle m’explique qu'elle est aux côtés de Lia Éden depuis 21 ans, et qu'elle ne peut pas me dire son nom parce que Dieu interdit aux disciples de se distinguer de quelque manière que ce soit. Appelons-la Ève. (Ils ont également refusé d'être photographiés, c'est pourquoi vous ne verrez que des photos de moi dans cet article.)

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Ève m'emmène sur une petite terrasse zen devant la maison. Je ne vais pas mentir, le jardin d'Éden est un petit coin de paradis. Ce n'est pas tous les jours qu’on voit un endroit aussi fleuri à Djakarta. Une petite cascade se jette dans un étang de poissons. À part les sons apaisants de l'eau qui ruisselle, le silence règne. Je me détends et oublie presque la chaleur étouffante.

Je m’assois et Ève me propose un verre de ce qu'elle appelle « l'eau d'Éden ». Elle provient d’une source que Lia Éden aurait découverte elle-même il y a plusieurs décennies. L'eau sort directement d’un robinet et, selon Ève, il n’y a même pas besoin de la filtrer. « Bois ça, s’il te plaît », m’intime-t-elle. « Il y a trois sources dans cette maison. Celle de devant a un goût saumâtre, celle-ci est un peu sucrée, celle à l'arrière de la maison est un peu salée, on s’en sert surtout comme remède. »

En temps normal, je ne bois jamais l’eau du robinet. À Djakarta, l’eau est pleine de bactéries et de toutes sortes de choses qui peuvent rendre malade. Je bois tout de même une gorgée par politesse. Elle a un goût normal, un peu plus sucré, peut-être, comme du sirop de coco.

Eve m’explique que leur leader, une femme qu'ils appellent « Paduka Bunda Lia », n’accorde plus d'interviews, ni à la presse ni aux chercheurs, depuis sa deuxième libération de prison. Il en va de même pour sa vingtaine de disciples.

Une autre femme entre dans la pièce et se prosterne devant moi. Elle non plus n'a pas de nom. Appelons-la Ève 2. Ève 2 a une bonne nouvelle : Paduka Bunda Lia vient tout juste de discuter avec Dieu et ils ont décidé, d’un commun accord, de renouer avec la presse.

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Ève 2 m’explique qu'elle serait ravie de discuter avec moi, du moment que l’on aborde qu’un seul sujet – la fin du monde. Car Éden est obsédée par la fin du monde. Le site Internet du groupe, qui s’est vu bloqué à plusieurs reprises par le gouvernement indonésien, dresse des listes de choses qui présagent, selon eux, une apocalypse imminente. Parmi ces signes, on retrouve les gouffres (causés par les bombes nucléaires), la disparition de l’avion de la Malaysia Airlines MH370 (les pôles magnétiques se sont inversés), et quelque chose qu’ils appellent le trou du museau (c'est-à-dire un minuscule trou noir en Louisiane).

Et bien d’autres, mais le fait est que la fin du monde est proche et que seules les personnes « pures » pourront monter à bord de la soucoupe volante de l'archange Gabriel et s'enfuir d'ici avant qu'il ne soit trop tard.

L’interview se déroule difficilement. Dès que mes questions s'éloignent du sujet, les deux femmes m’arrêtent : « Oh, mais ne parlons pas de ça, vous n'êtes là que pour en savoir plus sur la fin du monde, n’est-ce pas ? »

La seule autre question à laquelle elles veulent bien répondre est celle de savoir si Éden est un culte. Non, bien sûr que non. « Paduka Bunda Lia Éden est simplement une figure qui reçoit des messages de Dieu », m’explique l’une d’entre elles.

OK, on est donc reparties sur la fin du monde. Ève m'explique que c'est lors des derniers jours que l'a Gabriel apparaîtra pour les sauver des jours sombres à venir. Elles l’accompagneront pour commencer une nouvelle vie sur une nouvelle Terre, un endroit libéré des effets destructeurs de la religion organisée.

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« Cela s'appelle la civilisation du paradis », m’explique Ève. « Il y aura des catégories de personnes, celles qui ne seront pas choisies seront laissées pour compte et devront passer par le jugement dernier. D'autres verront leur nature changée. Tout le monde sera catégorisé selon son karma. »

J'ai tellement de questions, mais la première qui m’échappe est la suivante : « Mais Comment ? » Comment vont-ils se rendre sur cette nouvelle Terre ?

« En avion, bien sûr ! » s’exclame Ève.

« Une soucoupe volante ! » clarifie Ève 2, « Une sorte de soucoupe volante ! »

Les membres d’Éden ont été ridiculisés par le passé pour avoir parlé de cette soucoupe. En mai 2015, ils ont envoyé une lettre au président Joko Widodo pour lui demander la permission de faire atterrir la soucoupe sur les terrains du Monument National (Monas), au beau milieu de la ville. C’est Lia Éden elle-même qui l’a envoyée dans une boîte bleue avec six autres enveloppes et quelques DVD.

Dans sa lettre, Lia Éden expliquait au président que l'archange Gabriel allait venir les chercher avant que l'apocalypse ne frappe, et que tout ce dont ils ont besoin était sa permission de laisser atterrir le vaisseau spatial.

Le président n'a jamais répondu et l'OVNI n'est jamais arrivé.

« On savait que Dieu nous testait », me dit Ève 2. « On a été humiliés. Mais nous sommes plus forts maintenant. Après l'incident de Monas, Dieu nous a envoyé tant de révélations étonnantes et de nouvelles connaissances, dont son apparence et le fonctionnement de la Terre. Ces connaissances sont venues à nous après l'incident de Monas. »

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Les femmes me conseillent de consulter leur site pour en savoir plus sur ces révélations. Parmi leurs découvertes, Dieu est un énorme ballon (« Dieu est sphérique comme la plus énorme des balles ») et, contrairement à ce que disent la NASA et l'ESA, l'univers n'est pas du tout un cube. (« LA LETTRE DU SAINT ESPRIT adressée à la NASA et à l'ESA, suite à l'hypothèse, relayée par certains scientifiques, que l'univers soit dans un cube. »)

Mais ce sont leurs découvertes sur l’apocalypse qui sont les plus importantes. Les signes sont partout : le gaz méthane libéré par la fonte des glaciers, le volcan de boue de Sidoarjo et, bien sûr, la menace imminente d'une guerre nucléaire.

« C'est ce qu’on essaie d'éviter », me dit Ève 2. « Le programme de purification est censé nous aider à éviter la guerre nucléaire. »

Selon elles, c'est la religion, en particulier les religions abrahamiques, qui sont à blâmer pour la fin inévitable de l'humanité.

« La religion est une question de fierté, de pouvoir », déclare Ève 2. « Dieu compte bien les supprimer. À Éden, ce qui importe le plus est le monothéisme absolu. Si vous croyez vraiment en Dieu, il n'y aura plus de religion institutionnalisée. Seul le concept de divinité restera. »
C'est cette critique franche de la religion qui a poussé le chercheur Al Makin à étudier le groupe. Il a écrit un livre au sujet du temps qu’il a passé à Éden, Challenging Islamic Orthodoxy : Accounts of Lia Éden and Other Prophets in Indonesia, dans lequel il soutient qu’Éden est un nouveau mouvement religieux (NMR), et non un culte.

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Al Makin a suivi l'émergence de groupes comme celui-ci au début du nouveau millénaire, en réponse à la tourmente de l'époque et au fait que tant de gens étaient persuadés que la fin des temps était proche – car 99 est le nombre final et 00 est une fin, ou un nouveau départ, tout dépend à qui vous demandez.

Il a découvert que pas moins de 1 300 NMR ont pris racine en Indonésie depuis que le pays avait déclaré son indépendance en 1945. La plupart d'entre eux s’intéressaient aux effets du syncrétisme, des religions, des cultures et des écoles de pensée. Mais Éden est le seul à offrir une critique clairement formulée de la religion organisée. Les membres d'Éden ont lu tous les textes sacrés des religions abrahamiques dans le but de renforcer leurs propres croyances.

Une image rare des disciples d'Éden tirée de leur site internet. Photo de komunitaseden.com

« Éden est le seul groupe à avoir osé exposer ses critiques devant les tribunaux », poursuit Al Makin. « Lia Éden a été incarcérée deux fois, et les deux fois, elle a soutenu que le fait de critiquer l'Islam fait partie de notre tradition en tant que société. Selon elle, on doit arrêter d’être bornés et d’envisager l'Islam uniquement comme un pouvoir théologique. Cette idée me plaît. En ce moment, il est difficile de critiquer l'Islam. Il n’y a qu'en Indonésie qu’on peut le faire. Ce n’est pas possible en Arabie Saoudite, et encore moins dans un endroit comme l'Afghanistan. »

Éden a été impassible dans sa critique de l'islam fondamentaliste et des tensions conservatrices du christianisme. « Nous devons critiquer les gouvernements, car ils dépendent aussi beaucoup de la théologie », ajoute Al Makin. « Les musulmans indonésiens sont encore très théologiques, très sensibles, et le pire, c'est que nos politiciens en profitent »

Mais malgré ses opinions assez positives sur le groupe, Éden a été assez contrariée par le livre d'Al Makin. Elle lui a envoyé une réponse de 101 pages, qualifiant sa recherche d '« égarée » et rejetant ses conclusions car non pertinentes ou basées sur des idées déjà abandonnées par Éden.

Aujourd'hui, le groupe est trop fermé pour permettre à une personne comme Al Makin de revenir. Ils ont arrêté de recruter de nouveaux membres et semblent concentrer leur énergie sur leur site internet et leur chaîne YouTube.

Très vite, notre interview touche à sa fin. Les deux femmes ne souhaitent pas me parler de Lia Éden ou de ses autres croyances.

La plupart des religions parlent du paradis comme d'un lieu de plaisir sans fin, d'un paradis dans l'au-delà réservé aux plus saints d'entre nous. Mais pour Éden, le paradis n'en est pas un. C'est une chance de repartir à zéro et d'essayer de construire un monde nouveau selon leur propre vision. Et les quelque 20 adeptes restants semblent vraiment y croire, bien que cette croyance leur coûte leurs amis, leur famille et leur liberté.

En sortant, je passe devant une photo de Lia Éden debout dans ce qui semblait être une cellule de prison. « J'ai été emprisonnée pour avoir promu la liberté de la religion. », dit la légende.