In Bed With Marietta
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In Bed With Marietta

L'ex-Feeling Of Love est de retour avec « La Passagère », deuxième album magnétique et luxuriant. Interview et écoute intégrale.

« Il n'y a que de grandes peines et de petits gains pour ceux qui demandent au monde de leur donner l'explication de tout ». Inoxydable assertion d'Herman Melville plus que jamais d'actualité à l'heure où des légions de perdus palpitent tel le coeur de Saint Atoine d'Antioche devant les épisodes de la troisième saison de Twin Peaks, tentant désespérément de décoder un problème qui ne demande aucune solution. La troisième saison de Twin Peaks a, assez logiquement, été l'un des premiers sujets abordés avec Guillaume Marietta, au moment de démarrer notre interview. Comme on a tous les deux a grandi dans l'Est de la France, sur l'axe du Mal qui va des Vosges à la Moselle, ce pays épais et suffocant, où même les arbres paraissent chercher en vain une explication, des éclaircissements, la série de David Lynch et Mark Frost a toujours eu pour nous une résonance particulière - les pénibles qui tentent de la réduire à leur logique d'universitaires besogneux représentant, de fait, un agacement commun. Des pénibles, Guillaume Marietta risque de devoir en gérer quelques-uns avec son deuxième album, La Passagère qui sort aujourd'hui 28 août sur Born Bad. Exit la production 4-pistes, les compositions brumeuses et les confortables tics lo-fi de l'excellent Basement Dreams Are The Bedroom Cream : produit à Los Angeles par Chris Cohen et intégralement chanté en français, La Passagère déroutera forcément à la première écoute ceux qui ont suivi le parcours de l'ex-Feeling Of Love et AH Kraken. Et nombreux sont ceux qui voudront, là aussi, y trouver à tout prix une explication. Il n'y a pourtant rien à dire ni à comprendre sur ce disque, flamboyant tour de force bourré de puissantes fulgurances (« La Carte », « L'Électricité », « L'Insecte Dans Ma Bouche »), jungle magnétique et luxuriante aux innombrables ramifications, genre de Berlin (oui, l'album de Lou Reed, parfaitement) aux fenêtres grandes ouvertes, baigné de soleil, alternant fouet et caresse avec une élégante désinvolture. L'album est disponible ci-dessous en intégralité - vous y trouverez les seules explications dont vous aurez jamais besoin à son sujet. Et si vraiment ça ne suffisait pas, quelques précisions supplémentaires sont abordées dans l'entretien qui suit. Mais souvenez-vous que tout ça est totalement, absolument et rigoureusement accessoire.

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Noisey : Comme ton précédent disque, La Passagère a commencé par des démos enregistrées dans ta chambre, sur un magnéto 4 pistes. Mais le résultat est totalement différent.
Guillaume Marietta : C'était la seule et unique chose dont j'étais certain à propos de ce nouvel album : je voulais que les maquettes ne soient pas utilisées telles quelles, comme ça a été le cas sur Basement Dreams Are The Bedroom Cream. Je voulais une vraie production, bosser avec quelqu'un qui avait du matériel, un savoir-faire, qui me permette d'aller un peu plus loin - mais je ne savais pas qui. Et puis Halo Maud m'a fait découvrir Chris Cohen pendant une tournée. Ça m'a rendu complètement dingue. En lisant les notes de pochette de ses deux disques, j'ai vu qu'il enregistrait et mixait tout lui-même. Quelques temps après, j'ai appris qu'il avait également produit Front Row Seat To Earth, le dernier Weyes Blood. Du coup, je me suis dit que je tenais mon homme : il bosse en solitaire, comme moi, il est multi-instrumentiste, ses prises de son sont hyper bonnes, il fait tout chez lui… Ça me semblait être exactement ce que je recherchais. Je lui ai écrit l'été dernier et il m'a très vite répondu pour me dire qu'il était intéressé. On a fixé une date, je lui ai envoyé les démos au fur et à mesure et début janvier, je suis allé à L.A. Une fois là-bas, ça s'est passé comment ?
Pendant 10 jours, du 2 au 12 janvier, on s'est retrouvés tous les matins dans son studio, qui est aménagé dans un box de voiture. C'est minuscule. Je me suis demandé comment il pouvait enregistrer dans un endroit aussi petit avec une acoustique assez médiocre. Il n'a rien d'exceptionnel en terme de matos mais il a une vraie oreille, un vrai savoir faire, et surtout une patience, une humilité et un dévouement qui font toute la différence. Il produit peu. Il aime ça, mais ça lui prend énormément de temps. Ce n'est pas une activité qu'il cherche à développer, il ne court pas après les projets.

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Photo - William Lacalmontie pour Noisey

Dans la bio tu dis que tu avais une image en tête pour ce disque, celle d'un album de Bob Dylan qui sonnerait comme The Idiot d'Iggy Pop.
Oui, mais ce n'était pas un but à atteindre, plutôt une piste qui m'a servi de point de départ. Ce mélange de guitares folk, très chaudes et de nappes de synthés plus dark, plus 80's, c'est peut-être ce qui définit le mieux ce que je fais - ou tout du moins ce que j'essaye de faire.

Sur La Passagère, le résultat est en tout cas très particulier. Je sais que Berlin de Lou Reed fait partie des disques qui t'ont influencé, et justement cet album me fait un peu penser à un Berlin exotique, luxuriant. D'autant plus qu'il y a un aspect très narratif, au niveau des textes mais aussi musicalement, sur certains titres comme « La Carte », « L'Insecte Dans Ma Bouche » ou « La Passagère » .
C'est un truc auquel je ne réfléchis pas vraiment, mais je l'ai remarqué aussi. C'est visiblement en train de devenir ma manière de composer, c'est comme ça que mon cerveau fonctionne ou tout du moins qu'il s'est mis à fonctionner à partir d'un moment. C'était déjà le cas sur la fin de Feeling Of Love avec des morceaux plus longs, en plusieurs parties…

Ceux que vous aviez joué à un de vos derniers concerts au Café de la Danse. J'ai un souvenir incroyable de ce concert, les tires en question étaient vraiment excellents.
Oui, on en était très contents. C'est dommage qu'on n'ait pas été au bout du truc. Mais bon, c'est comme ça.

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Photo - William Lacalmontie pour Noisey

Il y a deux choses qui vont fatalement faire tiquer tout le monde avec ce disque : la production et le chant en français.
Pour ce qui est de la production, je savais qu'en bossant avec Chris Cohen j'allais vers quelque chose de différent, de plus précis, de moins lo-fi. J'ai aussi appris à faire le tri dans mes compositions, à faire respirer les chansons - s'il n'y a pas besoin de guitare sur un morceau, je n'en mets pas, c'est un des avantages quand tu enregistres seul. Pour le français, ça a été un déclic. J'ai fait un texte en français, puis deux, puis trois et à l'arrivée, tout l'album est en français. J'ai juste suivi un fil, une logique. J'avais deux titres qui dataient des sessions de l'album précédent et que j'ai essayé d'intégrer dans celui-ci mais ça n'a pas marché. Autant à cause de l'ambiance générale que de la langue, d'ailleurs. Pour toi ce disque, c'est l'aboutissement d'un truc ou le début de quelque chose de nouveau ?
Je dirais que c'est quelque chose de nouveau, dans le sens où je ne planifie jamais rien à l'avance. Je ne suis pas en quête de quelque chose de précis. Mon seul désir c'est d'arriver à une forme de fluidité dans mon travail, de trouver un langage qui me soit propre. Qu'on puisse dire un jour en l'écoutant « ah, c'est un disque de Guillaume Marietta » et pas « c'est un disque de garage-folk-psyché-whatever » . Quand tu écoutes Bob Dylan ou Lou Reed ou Neil Young tu écoutes « un disque de Bob Dylan », « un disque de Lou Reed » ou « un disque de Neil Young », pas « un disque de folk » ou « un disque de rock ». C'est à ça que j'aspire. C'est un peu déjà le cas, a fortiori avec ce nouvel album qui te place vraiment dans une case totalement à part.
Ouais, après le revers de la médaille c'est que ça risque de ne pas être très viable commercialement [Rires].

Photo - William Lacalmontie pour Noisey

Pas forcément, ça peut au contraire beaucoup plus intriguer les gens.
On verra. Pour l'instant, on m'a beaucoup parlé du son. Personne ne m'a encore parlé des paroles et du chant en français. Alors que bizarrement, je pensais que ce serait le premier sujet que les gens aborderaient. On va en parler, t'inquiètes [Rires]. « La Grande Ville Malade », par exemple. C'est un de ceux qui m'a interpellé. On a presque l'impression que le texte est improvisé.
Non, mais pas loin. C'est le premier titre que j'ai écrit en français. Ça se passe rarement comme ça mais là, le texte est venu avant la musique. Et il était beaucoup plus long au départ. Ce n'était pas censé être un texte de chanson à la base, juste un texte que j'ai écrit une nuit, comme ça, de façon très spontanée. J'écris beaucoup, tout le temps, mais là, je ne sais pas, il y a un robinet qui s'est ouvert, ça sortait non stop.

Photo - William Lacalmontie pour Noisey

Il y a un thème qui t'inspire en particulier ?
J'ai découvert un concept récemment, celui de « perturbations mentales » et je crois que c'est sur ça que j'écris depuis le début, que ce soit avec AH Kraken, Feeling Of Love ou Marietta. J'ai découvert ce terme dans des textes bouddhistes et ça m'a interpelé. La façon dont notre esprit fonctionne et s'illusionne lui-même, projette des vérités là où il n'y a que des perceptions et provoque des sentiments comme la colère, la jalousie, la frustration, l'attachement - tout ce qui nous empêtre, en fait. On s'est totalement déconnectés du spirituel. Mais j'ai l'impression qu'on y revient peu à peu, depuis quelques années. Les gens cherchent à renouer une certaine forme de magie. Tout à l'heure, avant l'interview, on parlait de la nouvelle saison de Twin Peaks et des gens qui cherchent à tout prix à tout expliquer, tout décoder - c'est exactement ça. Ça ne sert à rien. Il faut accepter de ne pas comprendre certaines choses, ne pas chercher à mettre des mots sur tout. Pour moi, Twin Peaks ou les films de Lynch en général, c'est de l'ordre du ressenti, de l'affect, ça va te toucher dans ta chair, dans ton esprit. Ce n'est pas un puzzle qu'il faut résoudre. Et ça va plus loin qu'une simple histoire d'émotions. Les émotions sont trompeuses quand on crée. La tristesse, la joie, ce sont des choses qui t'embarquent sur des fausses pistes. Une des particularités de ce disque c'est que, pour la première fois, tu lâches prise sur certaines choses : la production, la pochette aussi, qui est une photo de Søren Drastrup et pas un truc que tu as fait toi. Et c'est, je crois, le signe d'une plus grande confiance en soi.
Je l'avais déjà fait avec Feeling Of Love, mais pas de la même manière. Et je n'avais pas été pleinement satisfait à l'époque. C'est différent aujourd'hui. Je pense que je sais mieux ce que je veux. Je n'ai pas de plan. Mais je suis de plus en plus confiant dans que je fais. Et j'ai également plus confiance en moi et dans les gens avec qui je travaille. _[La Passagère sort aujourd'hui 28 août sur Born Bad. ](http://shop.bornbadrecords.net/album/la-passagere)_Marietta sur
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