Si vous n'avez pas écouté Unknown Mortal Orchestra tout l'été, vous avez sacrément déconné
© Neil Krug (Jagjaguwar)

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Si vous n'avez pas écouté Unknown Mortal Orchestra tout l'été, vous avez sacrément déconné

« Sex & Food » est l'un des meilleurs albums psychédéliques de l'année, on a donc demandé à son maître d'œuvre Ruban Nielson de nous parler de la suite.
Marc-Aurèle Baly
traduit par Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Désormais, Ruban Nielson n'a qu'une chose en tête lorsqu'il enregistre sa musique : l'auditeur.

« Ces morceaux parlent de ma vie, mais je les écris pour qu'ils puissent parler de la vôtre », dit l'homme qui évolue sous le nom Unknown Mortal Orchestra. « J'ai envie que vous pensiez que ces chansons parlent de vous. Je n'ai pas du tout envie d'être présent. J'ai envie de fabriquer la chanson, et ensuite vous en faites ce que vous voulez. »

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C'est compréhensible, vu ce qu'il s'est passé ces dernières années dans la vie publique du songwriter de 38 ans. En avril, l'homme sortait Sex & Food, l'un des albums les plus agréables en bouche de 2018, un mélange psychédélique délicieux de funk lo-fi et d'indie rock ondoyant teinté de R&B. Le disque succédait à Multi-Love (2015), une plongée dans les méandres d'une relation polyamoureuse. Un storytelling que les médias n'ont pas voulu lâcher, ce qui fait qu'avec son dernier album, Ruban évite désormais de parler de lui. À la place, il compose de la musique sourde et introspective sur laquelle on peut également danser. Des morceaux comme « Everyone Acts Crazy Nowadays » et « This Doomsday » portent un regard minimal, comme baigné d'acide sur le monde - un regard avec lequel chacun peut s'identifier - tout en prenant soin de ne pas voir sa propre vie disséquée.

Cette année, Ruban - qui est originaire de Nouvelle-Zélande mais vit aux États-Unis dans l'Oregon - a tourné dans son pays d'adoption, achevant son périple à Chicago. Ce mois-ci, il entame une tournée internationale, qui passera notamment par Paris (au Pitchfork Festival) et Clermont-Ferrand en novembre. Plus tôt dans l'année, il passait une tête dans les bureaux de Noisey pour discuter de ce qu'on peut trouver dans Sex & Food, les raisons pour lesquelles il n'écrit plus à propos de lui, et pourquoi il pense qu'il n'y a pas assez de spiritualité dans le monde.

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Noisey : Une des choses que je préfère dans l'album, c'est les paroles et les titres de morceaux, très joueurs et pince-sans-rire. Comme Sex & Food, par exemple.
Ruban Nielson : L'année dernière a vraiment été très éprouvante. 2016 avait l'air d'être aussi déprimante, mais la vérité c'est juste que pas mal de mes héros sont morts. Ce qui n'est pas si grave, comparé à tous ces gens dont la vie est ruinée, ou cet irrespect flagrant pour toute dignité sociale ou civilisation. Donc avec ma musique, je fais en sorte que les choses soient fun - des petits jams que les gens peuvent écouter en allant au boulot. C'est ça, mon travail. Faire de la musique qui t'aide à traverser la journée. Je ne suis pas censé faire partie de tout ce truc pesant, ce monde si adulte. Je suis quelqu'un de dépressif, du coup j'essaie constamment de garder mon sens de l'humour intact dans ma musique et ne pas me laisser engloutir par la pesanteur du monde. Si je m'assois et que je compose, je peux facilement me laisser dériver vers la tristesse et commencer à travailler sur une chanson qui va me plomber émotionnellement. Du coup, Sex & Food est sans doute la chose la plus idiote et joyeuse que j'aurais pu faire. [Rires] J'ai vraiment le sentiment de faire de la musique fun. La vie est morne et triste de toute façon, c'est inévitable. Tout ce dont j'ai besoin pour être heureux dans la vie, c'est du sexe, de la bouffe, et de la musique. Le reste, c'est du bruit.

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Il y a quelque chose d'assez puissant dans les idées simples et un langage franc et direct.
Ces chansons parlent de ma vie, mais je les écris pour qu'elles puissent parler de la vôtre. J'ai envie que vous pensiez que ces chansons parlent de vous. Je n'ai pas du tout envie d'être présent. J'ai envie de fabriquer le morceau, et ensuite vous en faites ce que vous voulez. Donc j'essaie d'écrire des choses avec des fins assez ouvertes, parce que je n'ai absolument aucun intérêt à ce que les gens portent de l'intérêt à ma vie, justement. La meilleure chose que j'aie à offrir n'est une histoire qui me soit arrivée. La meilleure chose que j'aie à m'offrir à moi-même, c'est la musique, et les gens en font ce qu'ils veulent. C'est ça que j'aime. Les gens contactent des musiciens qui comptent pour eux et disent des trucs du genre : « cet album m'a aidé à traverser la mort de la mère », ou « cet album m'a aidé dans les moments difficiles », etc. C'est extrêmement puissant. Mais ça ne concerne que vous. C'est pour ça que je veux m'extraire de cette pesanteur, parce que c'est hors sujet. Je suis arrivé à un stade où je suis plutôt vieux pour un musicien. Je ne sais même pas si ça existe encore, l'indie rock, mais quand j'observe l'industrie de la musique autour de moi, il n'y a que des gamins, ce qui me fait encore plus dire que je suis devenu hors sujet. Si tu aimes la chanson et que tu veux t'en servir, c'est génial. Mais je n'ai rien à offrir. Tu vois ce que je veux dire ? Je suis juste un vieux mec. La chanson s'en fout de savoir d'où elle vient.

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C'est assez fucked up de vieillir. Ça me nique le cerveau de voir différentes générations apparaitre et se développer après moi.
[Rires] Tu sais, mon groupe est assez « moderne » dans un sens. La manière dont on a commencé, c'était avec Internet. Certains pensent que je suis une sorte de puriste rétro, ce qui est bizarre. Parfois j'essaie d'écrire sur une version actuelle de la vie, juste pour compenser le fait que la majorité de la musique qui me touche vient du passé, presque exclusivement des 70's, 60's, et peut-être un peu les 80's. J'ai grandi à une époque où tout le monde écoutait des cassettes - en enregistrant direct à la radio - donc ce son de boite de conserve, je ne peux pas m'en passer. Et ma guitare favorite, c'est la guitare de merde que Kurt Cobain a popularisée dans les années 90. Je m'intéresse beaucoup aux choses de mon enfance, et je n'ai aucune idée de quelle manière ça résonne aujourd'hui. C'est juste toujours là. Donc je ne le nie pas ni ne me sens embarrassé par ça, je creuse juste la même piste, toujours et encore.

On est à ce stade en musique où on est tellement éloigné des sonorités spécifiques des générations précédentes qu'on se retrouve juste avec un gros bordel entre les mains. Je pense que ta musique en est bon exemple.
Quand j'ai commencé, je jouais dans des groupes punk et tout ça. Donc je connaissais beaucoup de gens qui appartenaient à la génération d'avant - des gens qui vont sur leur cinquantaine maintenant - mais quand j'étais gosse ils présentaient des émissions à la radio, ils faisaient de la promo, des choses comme ça. Quand je suis arrivé en musique, il y avait des choses qui étaient cool et d'autres qui ne l'étaient pas. Comparé à aujourd'hui, il y avait bien plus de règles. Pendant cette période, si quelque chose n'était pas considéré comme cool, alors c'était la pire chose au monde. Puis quelqu'un comme Ariel Pink - qui a été une énorme influence sur moi et des artistes comme moi - est arrivé et a fait péter le couvercle. Et toutes ces choses qui avant étaient considérées comme impures sont devenues un terrain de jeu. Je ne suis pas sûr comment ni pourquoi, mais c'était fun. C'était revigorant.

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Ça, plus l'explosion d'Internet, ont permis de casser les codes du bon goût. N'importe quelle musique est digne d'intérêt tant que tu fournis un argumentaire solide derrière. Les dix dernières années en musique ont vraiment démonté le cliché du disquaire trou du cul.
C'est mort maintenant, hein ? Et c'est plutôt cool. Maintenant, avec l'ère du streaming et la génération qui est aux commandes, les gens n'y réfléchissent même plus. Les gens se procurent ma musique de plus en plus plutôt que de moins en moins, ce que je trouve un peu chelou. J'ai l'impression que plus je vieillis, plus je devrais être hors du coup. Mais l'idée de cool avec laquelle j'ai grandi est morte. Les gens n'en ont plus rien à foutre, maintenant. Ils écoutent juste ce qu'ils ont envie d'écouter. Cette époque me convient mieux, l'idée d'avoir une playlist de choses complètement différentes, ça correspond à la manière dont j'ai grandi.

Comment tu te sens par rapport à ta carrière ?
Je me sens juste chanceux. C'est assez dur pour les artistes de faire leur trou maintenant. Si j'avais vingt ans et que je montais un groupe aujourd'hui, je ne sais pas ce que je ferais. Sans doute un groupe de metal ou un truc comme ça. Juste en faire des caisses et faire saigner les oreilles des gens. Mettre en place une barrière de « j'en ai plus rien à foutre » pour me protéger du jugement des autres sur Internet. Donc à part ça, je n'imagine même pas ce que ça devrait être de publier un premier album. C'est intéressant d'observer les gens le faire. J'en suis reconnaissant. Je suis vraiment chanceux d'avoir mis mon pied en travers de la porte et que les gens soient assez curieux pour écouter et me permettre d'en vivre. Surtout à cette époque où la plupart enchainent les boulots de merde. J'ai une cousine qui livre le courrier. Et personne ne se soucie d'elle. Amazon met la misère à ces gens-là, les force à livrer tous ces trucs de merde en se faisant un paquet de fric derrière. On leur dit que leur itinéraire va prendre sept heures, alors qu'au final ça va leur en prendre treize à cause de tous ces cartons d'Amazon. Donc les gens qui en sont rendus à faire des boulots comme ça… et moi qui ai le droit de faire de la musique ? [Rires] Je suis super reconnaissant de pouvoir faire ça.

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À quel point es-tu conscient du récit qui entoure ton groupe ?
Toute ma vie est dans le disque. Lorsque j'enregistre, je me dis que ça sonne si psychédélique, surréaliste, bizarre. Et ensuite, un an et demi plus tard, je réalise que tout est extrêmement explicite. C'est un peu embarrassant : je viens de dire à tout le monde tout ce que je ressentais et ce qui m'était arrivé. Et souvent, des paroles qui sonnent bizarres ou extrêmes sur le moment ne le sont en fait pas. Ce sont juste des choses qui me sont arrivées, et font que la musique est plus universelle. J'ai envie que les gens se disent : « Mec, ça m'est arrivé. » Parce que c'est important. Ça rend les chansons plus puissantes si les gens pensent qu'elles parlent d'eux. Je pense que c'est à propos d'eux.

Tu reviens sans cesse à cette idée. J'ai l'impression que c'est vraiment important pour toi que les gens viennent à ta musique de leurs propres moyens.
Toute cette idée défendue par les songwriters selon laquelle la musique coule dans leurs veines - ce truc vraiment neuneu - je pense que c'est vraiment ça. C'est pour ça que c'est spécial. C'est juste un truc qu'on ne maitrise pas. C'est comme ce moment où les gens sont vraiment déçus lorsqu'un artiste dont ils apprécient le travail s'est mal comporté, et que le type en question se révèle être un gros tas de merde. Les gens sont choqués, et ont l'impression qu'ils ne peuvent plus apprécier le geste artistique. Mais je pense qu'il y a un manque de spiritualité dans notre culture. Nous ne comprenons pas et nous ne prenons pas au sérieux le fait que les gens ne soient, disons, que des conducteurs pour d'autres choses. La raison pour laquelle on pense que quelque chose est bon, ce n'est parce qu'il vient directement d'un ego. Ça vient de… je ne sais pas d'où ça vient. Tu peux appeler ça comme tu veux. Si tu es religieux, tu peux dire que c'est Dieu. Si tu es branché new age, tu auras des tas des trucs à dire par rapport à ça. Ça peut juste être un truc subconscient. Mais ça ne vient pas de l'ego, et l'ego est la partie la plus décevante des êtres humains. Donc quand quelqu'un produit quelque chose de bon, c'est comme si la comédie musicale - ou Dieu ou qui tu veux - avait fini d'utiliser cet être humain pour créer cette chose cool. Elle pourrait très bien s'en débarrasser et il ne resterait rien que l'œuvre. Donc je ne suis jamais déçu quand quelqu'un qui a fait un grand film ou autre s'est mal comporté, parce que l'album ou le film ou autre ne sait rien de la personne qui l'a créé. Là où je veux en venir, c'est que je ne veux pas spécialement parler de ce qui m'est arrivé dans ma vie, parce que ce n'est pas vraiment ce dont il s'agit.

Le dernier album d'Unkown Mortal Orchestra, Sex & Food, est sorti le 6 avril dernier sur Jagjaguwar.
À noter que le groupe passera par la France, à Clermont-Ferrand le 1er novembre (Coopérative de mai) et à Paris le 3 novembre (Pitchfork Music Festival).

Eric Sundermann est sur Noisey.

Cet article a d'abord été publié sur Noisey US.