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Music

Du rififi à Pigalle : La Rumeur sort son premier film

Avec « Les Derniers Parisiens », Hamé et Ekoué ont fait le pont entre leur expérience dans le rap et leur nouvelle casquette de réal, gardant toujours le même objectif : minimalisme et humilité.

La Rumeur est un groupe connu de tous les amateurs de rap français qui se respectent. Actifs depuis le milieu des années 90, Hamé, Ekoué, Le Bavar, Mourad et leurs deux DJ's (Kool G et Soul M) ont laissé une empreinte indélébile sur le paysage musical de ces 30 dernières années - tant au niveau des textes et de leur discours, qui mêlent descriptions du quotidien et prises de position politiques, que par leur actualité judiciaire. La Rumeur est en effet le seul groupe à avoir remporté un procès (long de presque 10 ans) contre un Ministère de l'Intérieur (qui plus est, Nicolas Sarkozy), pour avoir accusé, dans un article de presse, la police de tuer impunément. Toute ressemblance avec des événements récents, etc.

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Depuis quelques temps, La Rumeur s'était faite discrète - mais c'était pour mieux revenir en force. Ce mercredi sort Les Derniers Parisiens, le premier long-métrage de Ekoué et Hamé en tant que réalisateurs et scénaristes. L'histoire de Nas (Reda Kateb), fraîchement sorti de prison et prêt à tout pour se refaire, quitte à s'opposer à son grand frère (Slimane Dazi). Un portrait de deux frères mais aussi d'un quartier de Paris, Pigalle, qui leur tient particulièrement à cœur.

Noisey : Le premier truc qui frappe avec Les Derniers Parisiens, c'est qu'on est loin du « film de rappeurs ».
Ekoué : Le rap est une partie de notre vie, mais ce n'est pas toute notre vie non plus. On en écoute, on en fait depuis une vingtaine d'années. Là, il s'agit de montrer autre chose, d'approfondir le regard qu'on porte sur nos amis, sur un quartier… D'ailleurs, c'est quelque chose qui s'est imposé au film naturellement. C'est trempé dans Paris, c'est ça la base. Même dans la B.O., t'as de la musique africaine, de l'électro, d'autres qui renvoient à l'esthétique du titi parisien…

Hamé : C'est pas un film sur le rap, ni un « film de rappeurs ». À partir de là, il fallait que tout soit cohérent avec le sujet et les personnages. Bon, le perso de Nas aurait pu écouter du rap, à un moment donné il était écrit un peu sous cet angle, mais…

Ekoué : Ça marchait pas.

Hamé : Il fallait qu'on reste sur ce portrait de Paris, ce portrait des deux frères, ce portrait du trottoir devant le bar Le Prestige. La musique qui sort des bars du boulevard de Clichy tard le soir, c'est pas du rap. Il fallait pas être hors-sujet. Après, dans la façon d'aborder le cinéma, la direction d'acteurs, la mise en scène, il y a un geste directement lié à La Rumeur, à notre façon d'aborder la musique, d'appréhender le live… Notre première formation ça reste ça.

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Ekoué : Si les gens se disent que c'est une bonne histoire, claire, directe, et qu'ils sont touchés, on considère qu'on a atteint notre but. Dans La Rumeur, on a essayé, je dis bien essayé, de garder notre ligne depuis le début. Par rapport à certains monopoles, à l'industrie musicale ou à des institutions, on n'a pas bougé. C'est quelque chose qu'on porte avec nous, quotidiennement. J'ai presque envie de te dire que c'est comme ça qu'on élève nos enfants. La production de ce film est allée dans le même sens.

C'était comme la production d'un album ?
Ekoué : Comme la production d'un morceau. Pour moi c'est comme un gros morceau de peura. C'est comme « Blessé dans mon ego ». J'aurais pu dire « La Meilleure des polices » ou « Qui ça étonne encore » qui sont des titres forts, mais c'est autre chose. « Blessé dans mon ego » est un texte très personnel mais qu'on a écrit à deux, paradoxalement.

Hamé : Faut pas abuser, j'ai juste filé un coup de main pour le refrain…

Ekoué : J'avais pas de refrain, et Hamé avait un texte où il disait « l'Arabe du coin te parle… » Concrètement ce morceau a été une fondation pour le groupe. Hamé traînait dans les ambiances hip-hop, moi je cherchais un autre rappeur, il m'envoie un couplet, je me rappelle, on était dans ma chambre de bonne et il y avait ce passage qui correspondait à ce qui manquait à mon texte. C'est comme ça que le morceau est né. Si je le compare au film c'est parce que ce morceau à l'époque a touché des gens, alors que la mode c'était l'américanisation, le flow c'était New York ou rien, on ne voulait plus parler de rap français mais de rap en français… On a ramené la simplicité : devant mon père en boubou, tout ça n'a aucune valeur. On s'est positionnés en tant qu'Africains nés en France et on l'a suffisamment mis en forme pour que ça rentre dans la tête des gens. Après on a vu toutes les tendances que ça a affirmé, le côté blédard…

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La fameuse étiquette « rap de fils d'immigrés »…
Ekoué : Voilà. Et Les Derniers Parisiens, c'est un peu ça. On pourrait croire que c'est de l'outrance avec un côté revanchard comme « Qui ça étonne encore », après le procès où on était complètement écrasés par la pression sarkozyste, parce que plus de 8 ans de procès, faut les assumer quotidiennement, financièrement, on se savait surveillés, c'était relou, mais pas du tout. C'est un regard sur la foule. L'important, c'était l'authenticité. Excuse-moi, je me suis un peu emballé, c'était pas une réponse hyper concise [Rires].

Pas de souci ! Hamé, toi techniquement tu avais déjà bien avant le ciné une expérience en terme de clips…
Hamé : Quelques-uns, oui.

Ekoué : Depuis le début, Hamé participe aux clips, même quand on bossait avec d'autres réals.

Hamé : Il y a deux aspects. Bien avant le tournage, la question c'est comment on va gérer la production de ce film. Le naturel revient au galop : c'est indé [Sourire]. Niveau financement, vu que c'est un long-métrage, ça demande beaucoup et on a d'abord cru qu'il fallait absolument qu'on soit sous l'aile d'un producteur déjà en place. Très vite, on s'est aperçus qu'il fallait qu'on soit aux commandes. Et qu'on gère quasiment au quotidien des parti-pris, des stratégies… On s'est rendus compte qu'on était les meilleurs ambassadeurs du projet. On savait en parler et convaincre les gens du cinéma d'investir sur ce film. Parce que le métier de producteur c'est ça : monter des films avec de l'argent qui n'est pas à toi. C'était le premier parallèle avec notre expérience de rappeurs : être en indé, se rendre compte que l'apport d'une maison de disque n'est pas obligatoire, avoir besoin d'espace, concevoir la production et la création de nos disques de A à Z. Sur le plan artistique, il y a plein de portes d'entrée, plein de moments où on est retombés sur les fondamentaux de La Rumeur. On a veillé à arriver sur le tournage avec un regard vierge, et pas…

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Ekoué : Pas intellectualiser plus que nécessaire…

Hamé : Ne pas se barder de références… Il faut être intelligent. Y'a une intelligence du lieu, il faut être réactif, spontané, ne pas se départir de tes choix en amont. On a décidé de faire le film comme ça, et ça ne changera pas. Et ça, c'est hip-hop pour le coup. À la fin d'un concert, on descend de scène, on se mêle au public, on n'a pas quatre gardes du corps - pour quoi faire ?

Ekoué : Les Derniers Parisiens c'est peut-être la facette de La Rumeur qu'on a le moins montrée. Ce qu'on a mis en avant dans nos textes et dans nos interviews, c'était presque un côté tribune politique, des fois très didactiques, sans doute un peu trop par moments. Il y a eu notre combat de résistance face à l'État…

Vous étiez conditionnés par le procès.
Ekoué : Bien sûr, et son impact sur nous et notre entourage. Après on parlait beaucoup de censure, Skyrock et autres. Certains, qui se sont bien gardés de nous le dire en face, n'y voyaient que de la posture. Aujourd'hui on est là aussi pour dire qu'on ne regrette pas nos choix. Et on a bien fait. On a structuré notre identité culturelle autour de ces choix. Tourner un film à Pigalle en face de gens qui habituellement, dès qu'ils voient une caméra, disent « soit tu casques, soit ça dégage », c'est aussi la suite logique. Parce que même ceux qu'on ne connaissait pas personnellement, qui pouvaient se dire « ok c'est juste des rappeurs », dès qu'ils se renseignent un minimum et qu'ils voient un peu notre parcours, ils disent « vous vous êtes bien défendus ». Ce que disait Hamé est vrai, cette proximité avec les gens, c'est notre nature. Du coup, quoi de plus sain, logique et normal que de traiter le film en renouant avec nos fondamentaux ?

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En terme de casting, vous vous êtes faits plaisir en prenant pas mal de vos potes pour les petits rôles.
Ekoué : Voilà, Willy l'barge vient du 18ème, il y a des potes à moi d'Elancourt, des potes d'Hamé de Gennevilliers, Brahim et La Hyène du 94 Bois-l'Abbé… Ce sont des extractions de tous les gens qu'on connaît. Et pour la plupart, voire pour l'intégralité, ce ne sont jamais des gens qu'on a connus via le rap. Sauf Willy.

La Hyène aussi, non ?
Ekoué : Ah oui, lui ça a démarré par une invitation sur un morceau mais c'est devenu vraiment un proche, on n'a pas du tout des rapports de rappeurs entre nous [Rires]. On en parle pas trop d'ailleurs, c'est la famille maintenant. La Hyène et Brahim sont des amis. Bakary Keita j'en parle même pas, lui c'est presque le cinquième homme de La Rumeur, il est dans tous les clips, c'est un mec de la rue.

Du coup, le mot d'ordre c'était le côté naturel, comme pour votre musique, avec les flows très « parlés », etc.
Ekoué : Ce qui a fait qu'on a tenu 20 ans dans la musique, vendu des albums et fait des tournées, c'est que dans notre façon de rapper, il y a peu d'artifices. On vient de l'école 96. Petite parenthèse : cette année-là j'ai été à New York et j'avais traîné quelques jours avec des mecs de la clique de Biggie. Je travaillais avec un gars qui faisait des allers-retours entre Paris et New York pour le côté ingé-son, un des premiers qui a créé ce pont enter les deux villes. J'ai pas eu la chance de voir B.I.G poser, mais ses potes si. Leur rapport à la voix était complètement différent de tout ce qu'on faisait en France. Les Français sous-mixaient les voix pour gommer un peu les aspérités et rendre le truc américain, alors que les ricains, eux, montaient la voix, sans traficotage. Ils disaient que le flow, c'était presque comme ta démarche. Tout doit couler de source, être naturel. Tu rentres pas dans un studio en découpant ton truc à mort, ou en faisant que des gimmicks. Le gimmick doit se lire dans ta personnalité et en découler. Tu vas pas arriver et dire « ok je vais pomper ce flow en particulier pour sonner comme untel », c'est trop faible. On était dans cette ligne là niveau flow, le côté naturel, et ça nous a même été reproché. C'était aussi ça notre parti-pris pour nos acteurs. Il y a de la composition, c'est un métier, mais si on les a pris, c'est parce qu'on savait qu'ils avaient ce naturel sur lequel on pouvait s'appuyer.

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Bon et le nom « Nas » pour le perso de Reda Kateb, c'est un hommage assumé ?
Ekoué: Oui. On a beaucoup écouté le premier album de Nas, et sans être prétentieux on a presque voulu concevoir le film comme son disque, qui est un chef d'œuvre. « New York State Of Mind », le premier morceau, pour moi c'est la scène qui ouvre le film : Bak' qui va chercher sa crêpe, qui demande un pilon et qui déboule dans Pigalle en fendant la foule des touristes. Grosso modo c'est le même esprit : vous êtes là, on a compris que les touristes se sont appropriés la zone, mais ça reste chez nous.

L'autre gros point commun entre votre musique et le film, c'est la simplicité.
Ekoué : Faut garder une humilité dans tout ; tu ne vas pas changer la vie des gens au final. Récemment, on a fait un concert au Mans, sur une péniche, devant 100 personnes. Tu pourrais dire « attends, comment tu passes de la Cigale à un truc comme ça ? », mais c'est ce qu'on aime. On fait des tournées hors-actualité, dans des petites salles. On a le besoin vital de la scène, c'est comme ça qu'on s'est connus : les open-mics. Moi tu m'enlevais ça, c'était fini, j'aurais déconné je pense, je connais mes réflexes. C'est de là qu'on puise la forme de nos films, ce besoin de rester dans le réel.

Hamé : Il y a aussi le minimalisme, nos parti-pris musicaux : dans notre discographie, c'est beaucoup de boom-bap, puis on est allés du côté de l'électro, des sonorités avec plus d'impact et d'immédiateté. Mais on est à l'aise dans la simplicité, on n'aime pas trop les enchaînements de strates, les trucs hyper orchestrés. On est sur quelque chose qui ressemble plus à du jaillissement, de l'instantané, un assemblage d'éléments simples. Et notre boulot c'est faire oublier la simplicité pour apporter sur cette base un univers ample, plus complexe. Ce minimalisme que l'on cultive, fait que côté cinéma, on est plus attirés vers les plans longs, les prises longues, les plans-séquences, pas trop entrecoupés.

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Ekoué : On est comme ça sur scène aussi.

Hamé : Voilà, on prépare pas trop, et on a suffisamment d'expérience pour retomber sur nos pattes. On arrive à créer les choses au moment où ça se passe. Sans que ce soit du grand n'importe quoi, mais sans que ce soit trop cérébral. Sur scène, on est trois, il faut que ça vive. Je peux pas lui dire « ok, quand il va faire le scratch, tu lèves le bras, puis moi je vais là-bas, ensuite tu bouges comme ça » [Rires]. Il y en a qui fonctionnent comme ça…

On reverra prochainement Mourad à vos côtés ?
Ekoué : Mourad bosse dans les assurances maintenant. C'est toujours notre frère, on travaille sur un nouvel album, il sera peut-être là, pas de souci.

J'ai l'impression qu'il y a toujours eu une ligne de démarcation entre vous et le rap « conscient » ou « engagé » qui s'autoproclame comme ça.
Ekoué : Ah ouais, ça c'est insupportable [Il soupire]. Ça me fatigue tellement. Eux c'est une horreur. Ils sont gentils pour la plupart, mais t'as envie de leur dire, « c'est quoi votre délire ? ». L'esthétique de la rébellion, les parallèles Che Guevara ou Black Panthers super cramés, le poing levé et tout… Arrêtez vos postures. Tu veux être conscient ? Positionne-toi déjà par rapport à Skyrock au lieu d'esquiver la question ou de faire la girouette, « oui, non, peut-être, je sais pas ». C'est juste une radio, c'est pas difficile, c'est même pas de l'engagement politique ou je ne sais quoi. Mais même ça ils en sont incapables, de dire « je veux pas de cette radio ». Et pas seulement quand la radio en question te dit d'aller te faire foutre hein. Si t'attends de savoir que tu passeras jamais en playlist pour dire « ok je bosserai plus avec eux, c'est des enculés », t'es juste une victime. Faut t'imposer dès le début et rester ferme.

Il y a aussi le côté « bon élève » que tu as l'air de refuser totalement.
Ekoué : Grâce à Dieu, mon parcours dans la musique m'a permis indirectement de faire de bonnes études. Le procès nous empêchait de bouger, et même de faire des sous à côté, on était surveillés, clairement. Si j'avais pas eu tout ça, je serai peut-être pas allé si loin dans la reprise des études. Finalement, c'est une bénédiction. Mais tous ces rappeurs, qui prennent le micro et te lâchent des rédactions de collégiens, en se prétendant éclairés : eux, ils avaient le temps d'aller à l'école. Tu comprends ce que je veux dire. Ils avaient largement le temps de faire des études supérieures. Donc tous les mecs qui sont dans des postures, je suis vraiment très pressé de les retrouver en face. Parce que Hichem du bâtiment B, ou Mamadou, ou qui tu veux qui a fait des grosses conneries, trafic ou autre, ils ont pu faire leurs conneries, mais dès que tu regardes leurs petits frères ou petites sœurs, c'est très souvent des gens qui ont des BAC+4, qui s'en sortent, etc. Et on a beaucoup plus à apprendre de ce genre de profils plutôt que des mecs qui n'ont jamais fait cet effort là.

Ce qu'il faut comprendre c'est que moi ou Hamé, quand on avait le cul posé dans une fac pour pouvoir ensuite passer des concours, on était déjà connus en tant que La Rumeur, donc les gens nous regardaient comme des bêtes étranges. Toute cette nouvelle génération de « rappeurs conscients », je vois pas bien ce qui les a retenus dans leur jeunesse. Vous dites que vous n'êtes pas dans le côté trafic, c'est très bien, mais qu'est-ce que vous faites concrètement dans le rap ? Ça aussi, ça t'apprend une forme d'humilité. On n'a pas beaucoup parlé pendant cinq ans, on se concentrait sur les films, le côté organisation, prod, etc. Mais dès qu'on va commencer la promo du prochain album on va faire 2-3 interviews fleuves et on va tout remettre les pendules à l'heure. On verra qui est qui, parce que les postures ça va deux minutes. Tu nous dis que t'es conscient ? Bah t'as fait quoi ? C'est aussi simple que ça.

Les Derniers Parisiens sort aujourd'hui, mercredi 22 février. Yérim Sar ne prend aucune posture sur Twitter.