The Jesus & Mary Chain ont réussi à faire un nouvel album sans se foutre sur la gueule

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

The Jesus & Mary Chain ont réussi à faire un nouvel album sans se foutre sur la gueule

Comment les frères Reid ont réussi à retourner en studio malgré la haine qui les oppose ? Prennent-ils toujours du whisky au petit-déjeuner ? Et quel regard portent-ils aujourd'hui sur les classiques que sont « Darklands » et « Psychocandy » ?

Le XXIe siècle ne se débrouillait pas trop mal sans The Jesus & Mary Chain. Pré-retraités culte de la vague anglaise pré-shoegaze de la deuxième moitié 80, légataires de l'attitude punk, enfants du fuzz, surfeurs écossais autodidactes et géniteurs involontaires de Black Rebel Motorcycle Club, Brian Jonestown Massacre et autres XX, les écossais ont quasiment tout donné sur leurs deux premiers albums, entrés illico dans l'Histoire du rock. Les suivants ? Pas forcément des œuvres indignes, mais des disques sans grand rapport avec Psychocandy et Darklands, étapes fondamentales dans le passage du post-punk vers la pop alternative à la fin du siècle dernier.

Publicité

Au départ de tout ça, deux frères d'East Kilbride, ville nouvelle née dans l'après-guerre en périphérie de Glasgow. Alors que l'Angleterre du début des années 80 cède aux sirènes hirsutes de la pop synthétique et du goth rock, Jim et William Reid jurent fidélité à ces guitares dont ils ne savent pourtant pas jouer. Au bout de plusieurs groupes, ils se retrouvent à la tête de The Jesus & Mary Chain, avec, dès leur deuxième single, une batterie primaire confiée à Bobbie Gillespie qui filera se consacrer à son propre groupe, Primal Scream, deux ans plus tard. Concerts chaotiques, bastons, drogues, arrestations, interdictions de salles… Tout ira très vite pour les Jesus, qui passeront rapidement de Creation aux majors - grâce à un contrat dégotté par… Alan McGee, le boss de Creation devenu manager du groupe. Trop vite, sans doute, puisqu'il entamera par la suite une longue descente ponctuée de dépressions, d'éclairs ponctuels de génie, d'autodestruction, de luttes fratricides, d'alcool et d'une séparation définitive en 1998. Rabibochés depuis 2007 pour la scène, voilà les frères Reid qui accouchent dix ans plus tard d'un inattendu nouvel album, Damage & Joy, septième de leur histoire. Une collaboration entre dDamage et Joy Orbison ? Plutôt du rock ténébreux (« Always Sad » - rien que le titre donne envie de s'envoyer un bidon d'huile de vidange) en 14 morceaux plutôt dignes dont certains déjà entendus chez le chanteur Jim Reid en solo ou avec le projet Vanilla Sister formé avec sa sœur Linda. Même pas réconciliés, voilà les frères Reid prêts à s'embarquer pour une longue série de dates. Le monde ne tourne pas plus vite mais le cœur de The Jesus & Mary Chain s'est remis à battre et ça, c'est déjà un premier miracle. Une victoire de plus sur les abrutis de Gallagher - toujours ça de pris.

Publicité

Noisey : Vu l'ambiance avec ton frère, ça a été important d'avoir une pointure de la trempe de Youth pour vous produire et faire le lien en studio ?
Jim Reid : Déjà, c'était important de revenir en studio. On ne pensait pas que ce serait possible sans quelqu'un proche de nous qui maintiendrait la paix. C'est terrible à dire mais on était plus intéressé par quelqu'un qui serait juste là pour tenir l'ensemble que pour la production. On savait, William et moi, qu'il y aurait des disputes, qu'on se battrait, et qu'il fallait quelqu'un de neutre au milieu. Quelqu'un qui dirait : « Ferme ta gueule, tu es un con. Mais toi aussi, alors faisons un disque ». C'est ce qui nous intéressait en premier lieu, avant même un producteur. Et évidemment, Youth est un producteur de classe internationale. On savait donc qu'il allait aussi apporter un truc intéressant aux morceaux. Et ça a marché. La troisième guerre mondiale qu'on craignait entre William et moi n'a pas vraiment eu lieu. Ça s'est même plutôt pas mal passé. On ne s'est pas trop gueulé dessus. On s'est regardé les yeux dans les yeux et les ego sont restés à la porte. Ça a énormément aidé.

Quand vous êtes revenus sur scène pour Coachella en 2007, vous aviez déjà en tête un nouvel album ?
On se posait effectivement la question de savoir si on pourrait rejouer ensemble. Ça s'est bien passé et on s'est dit qu'on pourrait continuer sur scène après Coachella - ce qu'on a fait. William était chaud pour un nouveau disque, moi beaucoup moins. Je me souvenais de l'enregistrement de Munki. Cet album m'a presque détruit. Je n'avais pas envie de revivre ça même si j'adore le disque, c'est l'un de mes préférés du groupe. Mais sa conception a été tellement difficile… Je n'avais pas envie de revivre ça en studio. Pour être honnête, en 2007, je ne voyais pas l'intérêt de revenir sur disque, j'avais l'impression d'avoir tout dit avec Munki après nous être améliorés à chaque disque. En tournée, on a essayé plusieurs fois d'enregistrer sans penser à un album. Et c'était comme d'hab', on n'était jamais d'accord et ça n'allait nulle part. J'ai donc résisté. En y repensant, c'était la bonne chose à faire car ça aurait été à nouveau Munki. Je ne sais pas pourquoi mais là, c'était le bon moment. Si on ne faisait rien, c'est un peu comme si on était morts. Il fallait le faire vite car nous ne sommes plus des gamins.

Publicité

C'est un disque plutôt long, mais avec pas mal d'anciens titres ré-enregistrés.
C'est pour ça qu'il est long. On aurait pu faire un dix titres mais on avait des morceaux qu'on avait enregistrés avant de savoir qu'on pourrait faire mieux.

Damage & Joy, vient d'une expression allemande qui évoque le plaisir qu'on prend au malheur des autres, ça parle de vous ?
C'est le sens original mais nous l'avons pris dans son sens anglais. On ne prend pas de plaisir dans ce malheur. Ça a plus à voir avec l'association des deux mots qui sonne bien et qui semble décrire ce qu'est The Jesus & Mary Chain.

Vous avez toujours été les rois des titres qui sonnaient bien.
On essayait de trouver les titres qui suggéraient au mieux le contenu de chaque album. Et le meilleur qu'on a trouvé reste Psychocandy. C'est une description en un mot de ce que tu vas avoir, c'est quasiment une critique du disque en un mot. On a toujours essayé de faire ça. La seule exception était Munki, un titre qui ne sonne pas très Mary Chain. On ne savait pas comment l'appeler et c'est ma sœur qui a trouvé ça.

Qu'est-ce que ça veut dire ?
Rien du tout. Elle l'a trouvé et on a aimé la façon dont ça sonnait.

Côté textes, on trouve des choses comme « Je déteste ma copine et elle me déteste », « Je déteste mon frère et il me déteste / c'est ainsi » dans « Facing Up To The Facts ». Tu es vraiment sûr que ça s'est bien passé entre vous ?
Ces formules sont très imagées. La « copine » en question représente le groupe et je chante au nom de The Jesus & Mary Chain. Alors que le frère représente ce qui fait avancer le groupe, cette tempête depuis des années entre William et moi. Si on avait été des frères proches et respectueux de l'autre, le groupe n'aurait pas duré plus de dix minutes. Si on est encore là au bout de trente ans, c'est parce que par moments, on a voulu se tuer l'un et l'autre. Et ça a été le moteur du groupe pour le meilleur comme pour le pire en même temps. Ça a permis au groupe d'exister et d'avancer.

Publicité

Vous abordez aussi votre relation avec les États-Unis qui a toujours été un truc d'amour et de haine.
C'est une chanson de William et c'est dur pour moi d'en parler. Effectivement, on a toujours aimé la culture américaine mais celle que nous aimions n'existe plus à nos yeux. Depuis longtemps. Le Velvet Underground, Warhol, les Ramones, sans parler de la musique des années 50, « Singin' In the Rain »… C'est une Amérique qui n'existe plus. Celle qui nous reste n'est plus aussi merveilleuse. William habite aux États-Unis, ça le touche donc plus. Il chante « Dieu habite en Amérique » et on sait que c'est pas vrai.

Le Brexit, tu vis ça comment en tant qu'Ecossais ?
C'est une période effrayante. Où cela va-t-il finir ? C'est terrible pour moi car je me suis toujours considéré européen. Etre éjecté de l'Europe contre ma volonté, c'est terrible.

La chanson « Simian Split » commence par les mots « I killed Kurt Cobain »
C'est encore du William et encore de la fiction. Un jour où il était stone, il a écrit cette petite histoire qui risque de bouleverser quelques personnes…

C'est aussi l'album avec le plus de chanteuses, un truc impensable à vos débuts. Comment expliques-tu cela ?
Certaines chansons ont été écrites comme des duos. D'ailleurs, on avait même pensé à un album de duos au départ. Puis on a laissé tomber pour arriver au meilleur album possible. Qui sait, si tout le monde s'en foutait, peut-être n'y en aurait-il plus d'autre ? Il nous fallait donc mettre nos meilleurs titres. On a donc laissé tomber cette histoire d'albums de duos en ne gardant que ceux qui nous paraissaient forts, en cherchant les meilleures chanteuses. Isobel Campbell a été un choix évident, une grande chanteuse, même si je ne l'ai jamais rencontrée. Alors qu'on avait rencontré plusieurs fois Sky Ferreira, c'est une énorme fan. Elle est venue nous voir plusieurs fois en tournée aux Etats-Unis. Bobby avait fait un titre avec elle et nous a dit qu'elle aimerait bien chanter avec nous. Quant à notre sœur Linda, elle signait la version originale des morceaux où elle apparait.

Publicité

La présence d'Isobel, c'est un truc important vis-à-vis de la scène écossaise ?
Pas vraiment, c'est simplement que ses albums avec Mark Lanegan sonnaient juste comme on aime.

Sur Stoned & Dethroned, vous aviez pour la première fois un vrai groupe, dirais-tu que c'est à nouveau un groupe ou c'est plus compliqué que ça ?
C'est toujours compliqué. Le groupe, c'est toujours moi et William. Avec un batteur sur certains titres, Youth à la basse sur tous les titres, et voilà. Sinon c'est principalement moi et William. A la fin, je m'en fous de savoir qui l'a fait. C'est comme il sonne et ce qui sort des enceintes qui m'intéresse.

Maintenant, tu vas te concentrer sur le groupe ou tu vas continuer tes projets solo ?
Je ne sais pas. Pour le moment, les plans sont de tourner, puis de faire un autre disque si celui-ci marche bien. Je reste ouvert à d'autres idées mais j'ai essayé des trucs en solo et tout le monde s'en foutait. Je chanterais aussi bien sur les chansons de quelqu'un d'autre mais personne ne m'a rien proposé non plus ! On ne m'a rien demandé. A part « Detroit », un titre de Primal Scream sur lequel j'ai chanté. C'était génial que ce soit le meilleur groupe de rock'n'roll qui me le demande.

Est-ce que The Jesus & Mary Chain t'a manqué ?
J'aurais bien aimé réussir en solo mais comme je te le disais, tout le monde avait l'air de s'en foutre. Non pas que je sois amer mais j'ai dû partir et panser mes plaies. J'ai des enfants et ça m'a bien occupé. Rien ne sera aussi important qu'eux. Tous ces trucs minables du rock ne sont juste rien comparés à des enfants. Ça peut sembler une banalité mais je ne peux pas placer les deux sur la même échelle. J'ai donc essayé d'être un bon père. Je me suis rendu compte que prendre un whisky à neuf heures du matin pendant qu'ils avalaient leurs corn-flakes n'était pas une super idée.

Publicité

Tu as donc arrêté l'alcool ?
Je suis constamment on et off. J'ai arrêté de boire le 4 octobre dernier. Trois mois donc que je tiens, j'ai commencé à perdre du poids. J'ai des hauts et des bas. J'avais tenu cinq ans, puis j'ai repris pendant un an et demi. Là, ça fait trois mois, on va voir ce que ça donne.

Quand as-tu senti que Jesus & Mary Chain était un groupe important ? Quand « Just Like Honey » a été pris pour la bande originale de « Lost in Translation » de Sofia Coppola ?
Ça a sûrement joué. J'étais conscient qu'au fil des ans, des groupes nous citaient, mais sans trop savoir ce que ça signifiait. Ensuite, des gens nous ont proposé de nous reformer. Le festival Coachella a essayé et réussi, mais il y en a eu plein d'autres. Je me suis dit que cet intérêt devait pouvoir s'expliquer.

Aujourd'hui, quel regard jettes-tu aux débuts chaotiques qui ont contribué à la mythologie du groupe ?
On n'était juste qu'une bande de gosses. On n'avait aucune idée de ce qu'on faisait. C'était notre premier groupe. On ne savait pas ce qu'on avait le droit ou non de faire. Les gens ne se rendent pas compte à quel point nous, et spécialement moi, suis incroyablement peu à l'aise et timide. Je voulais être une de ces stars du punk-rock mais j'étais tellement timide… La seule façon de m'en rapprocher était de me défoncer. Résultat, ça m'a rendu agressif et les gens ont cru que je l'étais vraiment. C'était vraiment terrifiant. Je ne me suis jamais senti le chanteur que je voulais être. Je ne pouvais jamais y aller cool, je devais tout le temps être saoul. Maintenant, ce n'est plus pareil, je sais que je peux y aller sobre et je ne cherche plus à être Iggy Pop. Parce que je ne le suis pas, je suis Jim Reid. Je suis un petit gars rigolo.

Publicité

En même temps, les chanteurs punks qui te servaient de modèles étaient parfois des timides qui se cachaient aussi derrière des personnages.
Oui… J'avais en tête une idée de ce que je voulais être mais je ne pouvais pas y parvenir car j'étais trop timide. Je comprends aujourd'hui que c'était de la folie, et stupide de ne pas être juste moi-même. Dans les vidéos de l'époque, j'ai l'impression de reculer tellement je suis mal à l'aise. [Il se met à chanter « Some Candy Talking »] « Sortez-moi de là, sortez-moi de là ! ». Quand je vois ça maintenant, c'en est presque charmant. J'ai l'air effrayé et fragile, et c'est ce que j'étais. Je voulais être Johnny Rotten ou Iggy mais je ne pouvais pas.

Tu étais au final plus proche de Billy McKenzie des Associates.
Oui, lui aussi était très fragile.

Et votre son, comment l'aviez-vous trouvé ?
Nous savions que notre musique se devait d'être extrême, d'un point de vue sonique. On était parti sur l'idée de pop-songs classiques, sur le modèle des Shangri-La's, mais on ne voulait pas être accessibles. On voulait que ce soit extrême autant du point de vue du son que des mélodies. Psychocandy, c'était ça. On n'avait pas planifié grand-chose à part ça, c'est juste ce qu'on a essayé de faire. L'autre truc, c'est qu'on avait une guitare depuis quelques années mais qu'on n'avait jamais appris à en jouer. On se battait avec quelques accords quand on a trouvé des pédales fuzz de la marque japonaise Shin-ei. Tu les branchais et tout explosait. Et tu t'en foutais si tu te trompais d'accord. C'était génial, tu pouvais même t'arrêter de jouer, boire une bière, et le boucan continuait. Ça jouait tout seul ! Je me souviens de plusieurs concerts à Los Angeles où j'avais une infection à la gorge et ne pouvais pas chanter. On a donc inversé : William chantait et je jouais de la guitare. Je ne connaissais pas les accords de la chanson mais personne ne les connaissait ! Peut-être même que je me trompais de chanson. Un gars en tournée nous avait vendu ces pédales en pensant qu'elles étaient cassées, on les a eues pour 5 livres. Ils pensaient nous arnaquer et ne croyait pas qu'on allait les prendre. Quand on les a branchées, ça a été l'explosion de son ! Psychocandy, c'était ça.

C'est marrant car votre plus grande évolution, soniquement parlant, s'est faite aussitôt après, pour l'album Darklands.
Après Psychocandy, nous étions terrifiés, nous ne savions pas quoi faire. Après un concert à Londres à la fin de l'année 85 ou 86, le New Musical Express avait écrit : « le groupe devrait se séparer maintenant. Ils ont fait Psychocandy et toute suite ne pourra être que décevante ». Putain, que pouvions-nous faire après ça ? On a réfléchi et le truc le plus extrême qu'on pouvait faire était de se débarrasser de tout ce feedback. Personne ne s'attendait à ça, tout le monde attendait un Psychocandy 2. On aurait pu le faire mais quel intérêt ? Faisons juste un disque où il sera question de chansons, sans feedback. Et ce fut Darklands.

Pascal Bertin s'entend bien avec son frère, il est sur Twitter.