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Culture

« One More Time With Feeling » et le deuil de Nick Cave

Le légendaire chanteur-compositeur-interprète retrouve Andrew Dominik pour un projet absolument dévastateur.

Qu'il s'agisse de ses collaborations avec John Hillcoat sur Ghosts…of the Civil Dead (1988) et The Proposition (2005), ou son travail de trames sonores avec Andrew Dominik ou David Mackenzie, Nick Cave a toujours entretenu une relation symbiotique avec le cinéma. Dans 20,000 Days on Earth (2014), par exemple, le duo britannique Iain Forsyth et Jane Pollard collaboraient avec Cave pour créer une docu-fiction colorée sur l'enregistrement de Push the Sky Away. Le film (coécrit par Cave lui-même) prenait la forme d'un journal exalté de la vie de l'artiste ; d'une célébration de sa vie, comme de son œuvre, et de l'importance du souvenir dans sa démarche. On pouvait y voir le chanteur en studio, dans son archive personnelle, et dans son intimité, avec ses fils.

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Le contraste ne pourrait être plus frappant. Avec One More Time with Feeling (2016), le légendaire chanteur-compositeur-interprète retrouve Dominik (The Assassination of Jesse James By the Coward Robert Ford) pour un projet absolument dévastateur : à la fois une chronique expérimentale de l'enregistrement de l'album suivant, Skeleton Tree, et une exploration multifacette du deuil d'un proche : celui du fils de Cave, Arthur, décédé accidentellement le 14 juillet 2015, à l'âge de 15 ans.

Réapprendre à chanter

Cave établit d'emblée qu'il a tout perdu : toute direction, tout sens à sa démarche artistique. Il ne joue plus un personnage ; il peine, au contraire, à se reconnaitre lui-même dans ses actions, ses paroles, ses émotions. Un trajet de voiture devient, pour l'occasion, un confessionnal. Puis, lors de l'enregistrement de « Jesus Alone », Cave n'arrive plus à se souvenir de ses accords. « Just file it under lost things: my voice, my iPhone, my judgement, my memory… » nous dit-il en voix-off. Plus tard, c'est pendant que Dominik et son équipe chorégraphient les mouvements élaborés des performances filmées de « I Need You », « Girl In Amber » et « Magneto » que Cave semble le plus désemparé, effrayé que le mojo se dissipe, que l'énergie le quitte et qu'il ne puisse pas performer.

Après la mort de son fils, Cave note que ses chansons ont perdu de leurs qualités narratives et linéaires, au profit d'une poésie de plus en plus abstraite. Cave s'explique : il s'agit d'une tentative de capturer ce qu'il perçoit comme l'élasticité du temps – cette impression qu'avec le deuil, les réalités et les expériences s'empilent sans queue ni tête, sans trajectoire définie. « Life is not a story », nous rappelle-t-il (contredisant l'approche docu-fictionnelle de 20,000 Days, où le quotidien devient fiction). De même, Dominik et son équipe construisent leur film sur plusieurs dimensions à la fois, tournant en 3D et brisant le 4e mur à même leurs multiples problèmes techniques (la longue préparation des séquences susmentionnées, le recalibrage des caméras, et ainsi de suite).

Les multiples dimensions du deuil

Entre les mains de Dominik et de Benoît Debie à la direction photo (mieux connu pour Spring Breakers et la DP des films de Gaspar Noé), cette dimension additionnelle devient vite une magnifique métaphore. S'il est impossible de comprendre ou même de réduire le deuil à une image deux-dimensionnelle, à une phrase simpliste (« People tell me he lives in my heart, but he's not alive at all », nous confie douloureusement Cave), il en découle conséquemment l'impossibilité de capturer une telle situation en 2 dimensions. La 3D, plus qu'une fioriture stylistique, devient ici un outil essentiel : ce qui confère au film son réalisme déchirant, tout comme la qualité en alternance surréaliste, oppressante et aliénante d'un deuil, ou d'une peine immense.

Émerge ainsi un portrait de l'artiste aux antipodes de 20,000 Days : celui de Nick Cave à son plus vulnérable. Paradoxalement, on constate que la musique des Bad Seeds a rarement été aussi majestueuse, aussi intense. Au lieu d'épouser la persona du musicien, comme Forsyth et Pollard le faisaient en 2014, Dominik suggère que malgré la dissolution de son personnage, Cave arrive néanmoins à la plus transcendante et ténébreuse des communions – la possibilité d'exorciser quelque peu la peine par l'art.

One More Time With Feeling reprend l'affiche au Cinéma du Parc, à Montréal, pour un temps limité, du 2 au 8 décembre. Détails et billets ici.