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Music

Confidence pour confidence avec Douglas McCarthy

On a discuté skate, complot, regrets et robots avec l'indestructible leader de Nitzer Ebb.

Qui n'a jamais fait des pompes sur « Control I'm Here » ? Des tractions sur « Murderous » ? Voire même des burpees sur « Let Your Body Learn » ? Le groupe anglais Nitzer Ebb a sans conteste été le maître étalon de l'EBM durant la deuxième moitié des années 80, renvoyant les deux autres membres de la sainte trinité body music (DAF et Front 242) à l'hospice. Des muscles, des synthés, de la haine, un programme simple et concret lancé par des jeunes skaters de l'Essex en l'année de grâce 1982, trio qui a rapidement atomisé tous les dancefloors d'Europe (un exemple, au hasard). 25 ans plus tard, après des étapes importantes et autant de coupes de cheveux innovantes (signatures sur Mute puis Geffen, une carrière aux USA), après avoir tenté le meilleur comme le pire, s'être essayé au rap, à l'alt-indus, à la clarinette et même à la brit-pop (!), l'héritage laissé par Nitzer Ebb reste malgré tout intact (vous entendrez « Join In The Chant » dans n'importe quelle soirée digne d'une métropole occidentale).

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Le frontman Douglas McCarthy a laissé tomber Nitzer Ebb au milieu des 90's, sacrifié sur l'autel du rêve américain. À 30 ans passés, il a alors décidé de rentrer au pays pour reprendre des études de design, eh ouais. Quelques années plus tard, la fièvre EBM l'a rattrapée et une collaboration de longue date est née entre lui et Terrence Fixmer, producteur techno lillois. (Il avait déjà collaboré avec un Français sur l'étonnant single d'Homotronic en 1998) Douglas multiplie toujours les projets (depuis Recoil et Pigface), que ce soit en solo (son premier album est sorti en 2012 et lui a permis d'ouvrir pour Depeche Mode) ou avec DJMREX, un nouveau duo 100 % analogique. On a profité de la sortie du best of de Fixmer/McCarthy sur le label Planète Rouge et de leur venue à Paris le 30 septembre pour poser quelques questions intimes au Dolph Lundgren de la new wave.

Noisey : Tes parents auraient préféré que tu choisisses quelle carrière ?
Douglas McCarthy : N'importe quoi d'autre que de faire partie d'un groupe. A leur grand désarroi, j'ai commencé à aller à des concerts à l'âge de 13 ans, soit à Londres, soit à Chelmsford, où j'ai vécu vers mes 10 ans. C'est là que j'ai rencontré Dave Gooday et ensuite, grâce à lui, Bon Harris. Nous trois et quelques autres étions à fond dans le skate et la musique. Les premiers groupes que je me souviens avoir vu sur scène, quasiment les uns après les autres, ont été Echo & The Bunnymen, Siouxsie & The Banshees et Adam & The Ants. Peu de temps après, on a commencé à remarquer tous ces groupes électroniques comme The Human League, Fad Gadget et Soft Cell, et ceux avec des sonorités plus dures, comme  Killing Joke, DAF et The Birthday Party. Tout ça nous a donné envie de monter notre propre groupe. On répétait tous les samedis dans le salon des parents de Bon avec un équipement très rudimentaire - un synthé Wasp, un Jen x1000 (que Dave avait acheté sur le catalogue Grattan), une boîte à rythmes BOSS DR55 et une batterie. C'était très bruyant et chaotique. On économisait pour acheter un séquenceur, on avait 14/15 ans, et on était pas super à l'aise quand on jouait, on n'avait pas encore donné un seul concert.

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Puis il y a eu deux concerts qui m'ont fait prendre conscience de celui que je voulais être sur scène. Premièrement, j'ai vu Southern Death Cult ouvrir pour Bauhaus. Ian Astbury hurlait à s'en dévisser la tête et courait partout le long de la scène. Deuxièmement, et ça reste peut-être les trois meilleurs groupes que j'ai vus en live, on avait tous réagi de la même façon ce soir-là, « wow, voilà comment ça se passe ! » : Malaria ouvrait pour Neubauten avant la tête d'affiche, The Birthday Party. La brutalité et l'énergie de ce concert m'ont vraiment sorti de ma coquille de performeur, et en moins d 'un an, on avait un séquenceur (le SH101 fraichement sorti) et on a cherché à faire le plus de concerts possibles.

Quel est ton souvenir d'école le plus marquant ?
Moi et quelques potes (y compris toi, Mark Ford, si tu lis ça) nous étions fait choper en train de montrer nos culs aux passants dans un parc à côté de l'école, notre directeur m'avait aussitôt qualifié de « chef de bande ».

Mes parents ont toujours eu tendance à être très mobiles. Quand j'avais 2 ans, ils ont déménagé à Canvey Island, un trou de l'est de Londres. C'était supposé être une station balnéaire, mais l'environnement était un peu trop dur pour un gosse, bien qu'amusant en même temps. Zoner autour de la digue (la ville est sous le niveau de la mer), chercher la merde dans les campings, chercher des obus de la Luftwaffe dans l'estuaire du Thames… On rendait souvent visite à la famille à Barking ou dans l'East End, donc je ne me suis jamais senti coupé du monde non plus. Mes parents ont réalisé que je tournerai mal si on restait à Canvey alors ils m'ont envoyé moi et ma sœur à Danbury, dans le nord de l'Essex. Le choc des cultures a été difficile au début, mais c'était un bel endroit pour un gosse de mon âge, beaucoup de forêts et de verdure. Je me suis bien marré là-bas, on avait même construit une rampe de skate, puis on s'est mis à la musique en lançant Nitzer Ebb.

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Ça a été quoi, ta pire phase ?
C'est délicat. Je dirais qu'elles ont toutes été - et elles sont encore - horribles. Contrairement à d'autres, mon adolescence s'est très bien passée : de la musique, de l'alcool, des filles, du skate, pas forcément dans cet ordre d'ailleurs. Comme je l'ai dit, le premier concert de Nitzer Ebb a eu lieu quand j'avais 15 ans, donc le groupe a représenté une grande partie de ma vie, dès mon adolescence. On a sorti un EP, Isn't It Funny How Your Body Works, sur ce qu'on pensait être notre premier label quand j'avais 17 ans, et quelques temps plus tard, on signait sur Mute puis sur Geffen. On a donc arrêté le skate pour se concentrer sur les tournées.

Les années 90 représentent souvent un désert artistique pour ceux qui ont connu la gloire dans les années 80. Ça a été ton cas ?
J'étais aux États-Unis à cette période. C'était une phase difficile parce que je m'étais séparé de ma femme et j'avais deux enfants en bas âge. On a commencé à enregistrer à Chicago en 1992. Le phénomène grunge avait explosé et on a passé beaucoup de temps à composer un disque (Big Hit) très compliqué, pour le finir à Los Angeles. L'album et la tournée qui ont suivi en 1995 ont vu le groupe volé en éclats. Après ça, je suis parti vivre dans une banlieue de Détroit, pour essayer de prendre du recul et repartir à zéro. Faire de la musique m'avait épuisé, donc j'ai dérivé un moment avant de décider de rentrer en Angleterre pour étudier le design. Même si j'ai fini par surtout étudier le cinéma. Culturellement, c'était une période excitante pour moi. A l'université, j'ai pu m'immerger dans les concepts et les théories sur le cinéma, l'art et la créativité toute la journée, au milieu de gens très intelligents et talentueux.

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À quel moment de ta vie as-tu réellement été submergé par la peur ?
Chaque matin.

Surtout dans les années 80 ?
Les choses pouvaient vite dégénérer à l'époque. La Grande-Bretagne de Thatcher représentait un mélange puissant d'émotions qui nourrissait un paquet de groupes. La transition s'opérait après le punk, via les Néo Romantiques, et ce que le NME, je crois, avait brièvement appelé le « positive punk ». Nous, on restait suffisamment lourds et agressifs pour s'attirer un large panel de bandes punks antagonistes sur lesquelles nous n'avions aucun contrôle. Mais le simple fait de traverser la rue était bien plus flippant. Cheveux gominés en arrière, eye liner, vêtements noirs te garantissaient un traitement spécial de la part des « casual geezers » qui étaient plus que contents de te mettre un poing dans la gueule parce que tu n'étais pas un « casual geezer » comme eux.

Quelle est ton plus grand regret dans la vie ?
Avoir refusé d'ouvrir pour David Bowie sur sa tournée Glass Spider. On n'aimait pas vraiment son nouvel album, et on ne comprenait pas ce qu'il essayait de faire. Erasure avait déjà joué avant lui et on entendait que des retours négatifs. Un soir, il y a même une patte de l'énorme araignée en verre qui surplombait la scène qui s'est cassée la gueule… On était encore jeunes et effrontés, et on ne voulait pas faire partie d'un truc aussi pété. Avec le recul, c'était évidemment une erreur mais on pensait qu'on s'en sortirait très bien sans Bowie.

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Qu'est ce que tu es le plus fier d'avoir accompli dans ta carrière ?
Avoir joué « Germfree Adolescent » de X-Ray Spex en live sur MTV. Ils nous avaient demandé de venir pour une interview et il fallait qu'on joue une reprise. On avait essayé une version très lente et brute de « Knowing Me Knowing You » d'Abba, mais on trouvait que ça sonnait trop comme Nick Cave & The Bad Seeds, alors on a réfléchi à des chansons qui faisaient partie de nos premières influences. Et voir Poly Styrene sur le plateau de Top of The Pops, c'était clairement une expérience unique à l'époque pour un gamin de 12 ans.

Quel est le meilleur truc que tu possèdes ?
Tous les trucs auxquels je pense, je les ai soit perdu, soit donné. La propriété c'est le vol. C'est mon excuse. Ma femme et moi avons quand même quelques œuvres d'art assez chères, pour la plupart crées par des artistes de Los Angeles que nous connaissons, d'autres du Japon et du Mexique.

Si tu étais catcheur, tu choisirais quelle chanson pour monter sur le ring ?
« Human Fly » des Cramps.

Quel film ou émission de télé te fait pleurer ?
Les pubs des années 80 pour le pain Hovis, et Kes de Ken Loach.

Combien de livres as-tu vraiment lu jusqu'au bout cette année ? Dis la vérité.
Pas un seul dont je puisse me rappeler.

Un film alors ?
Ah si, je suis en train de finir un livre écrit par Lutz Rathenow, avec des photographies de Harald Hauswald, qui s'appelle Ost-Berlin. Il a été publié avant la chute du Mur en 1987 et banni par la RDA. J'ai traîné à Berlin pendant de nombreuses semaines, ci et là, et un de mes amis, Gideon, est justement le fils de Lutz Rathenow. C'est un document magique et une réflexion sur les régimes totalitaires.

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Et le dernier film que j'ai vu est celui de ma femme, Bight Of The Twin, de Hazel Hill McCarthy III, un reportage qui suit les aventures de Genesis Breyer P-Orridge au Bénin, en Afrique de l'Ouest, à la découverte de la culture vaudou. J'ai accompagné Hazel aux deux avant-premières qui ont déjà eu lieu et l'ai aidé pour l'editing. Le film vient d'être projeté à l'ICA de Londres.

En quelle théorie du complot tu crois ?
Je crois que le gouvernement américain a tué Jack Parsons. C'était un ingénieur en aérospatiale et un occultiste. Un personnage très intéressant qui est mort dans l'explosion de son laboratoire à Pasadena. Il a été écarté de l'histoire officielle de la NASA en Californie. Je ne suis pas sûr de croire complètement au fait que le gouvernement l'ait effacé, mais je ne suis pas très sûr de croire l'inverse non plus. L'autre théorie à laquelle je crois est que Brian Jones a été assassiné.

Tu ferais l'amour avec un robot ?
Ne parle pas de ma femme comme ça.

Ahah. Ok, je la repose différemment : est-ce que la technologie t'effraie ?
Après, je veux bien essayer hein. La technologie ne me fait pas peur. En revanche, ça me dérange que les entreprises high-tech vont main dans la main avec les gouvernements. C'est fatiguant d'entendre que chaque nouveau développement est créé pour le bien du consommateur. C'est clairement et surtout pour arnaquer et berner les gens. Ceci étant dit, je suis aussi vulnérable que chaque être humain.

Complète cette phrase : le problème avec les jeunes d'aujourd'hui, c'est…
Que je ne le suis plus. J'ai 50 ans aujourd'hui, bordel, qu'est ce que je connais aux jeunes ? Je suis entré dans l'adolescence quand le punk poussait son dernier râle, suivi par une tripotée d'autres mouvements mineurs. J'ai ensuite été aux premières loges de la scène rave quand ça s'appelait encore le balearic beat. J'étais en Amérique du Nord quand le grunge est devenu la bande-son de la jeunesse du monde entier. Mais qu'est ce qui a un quelconque intérêt pour un gosse de 16 ans aujourd'hui ? Je ne suis pas sûr d'être qualifié pour critiquer la nouvelle génération. Ils trouveront quelque chose. L'ennui et la réappropriation de ce que les générations précédentes ont produit débouche normalement sur quelque chose de nouveau, et habituellement de nature rebelle.

Tu penses que la drogue peut te rendre heureux ?
Oui, mais c'est un sujet qui mérite débat. D'après mon expérience, les drogues te rendent heureux si tu n'y es pas dépendent. J'ai vu un paquet d'amis se rendre malade avec la drogue. J'ai regretté d'avoir dépenser trop d'argent là-dedans durant certaines passes, mais je n'y ai jamais succombé pendant une longue durée. Je me suis d'ailleurs adouci avec l'âge dans le choix de mes produits : un peu de beuh, des champignons, des petits ecstas, c'est plus mon style maintenant. Mais ne jamais dire jamais.

Fixmer/McCarthy joueront aux Nuits Fauves (à Paris) vendredi 30 septembre.

Rod Glacial se drogue uniquement à l'EBM. Il est sur Twitter.