« Gimme Danger » est le meilleur documentaire jamais réalisé sur le rock, le LSD et le beurre de cacahuète

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« Gimme Danger » est le meilleur documentaire jamais réalisé sur le rock, le LSD et le beurre de cacahuète

Nous sommes allés passer un moment avec Iggy Pop et Jim Jarmusch pour parler du film définitif sur les Stooges, qui leur a demandé 8 ans de travail et qui sort aujourd'hui en salles.

Iggy Pop vit une des périodes les plus intenses de sa vie. Depuis février dernier, date à laquelle il a posé nu pour 21 artistes, jusqu'à ce début d'année, où les dessins issus de cette session s'apprêtent à être exposés au Brooklyn Museum, Iggy n'a pas arrêté une seconde, enchaînant un disque inespéré (Post Pop Depression, son 17e album, produit par Josh Homme), une tournée XXL (plus de 50 dates au total), un livre (Total Chaos, qui revient sur l'histoire et le parcours des Stooges au travers d'un long entretien et de documents inédits) et deux films (Gutterdammerung, dans lequel il apparaît aux côtés de Grace Jones et Henry Rollins, et le thriller Blood Orange). Et si son prochain rôle au cinéma n'est pas prévu avant quelques années (dans le prochain film de Dario Argento, dont le tournage débutera en 2018), Iggy s'apprête déjà à revenir en salles ce 1er février avec Gimme Danger, le très attendu documentaire sur les Stooges réalisé par son vieil acolyte Jim Jarmusch.

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Démarré il y a 8 ans, ce projet voit le jour dans des conditions assez particulières : Iggy est désormais le seul membre vivant du groupe, le guitariste Ron Asheton et son frère Scott, qui officiait à la batterie, ont en effet tous deux décédé durant sa réalisation (en 2009 et 2014, respectivement), et Dave Alexander, le premier bassiste des Stooges, est, lui, mort d'une pneumonie en 1975 alors qu'il n'était âgé que de 27 ans. Mais une chose est certaine : ils auraient tous, sans exception, été fiers de Gimme Danger. Un documentaire organisé de façon chronologique, racontant dans ses moindres détails le périple des Stooges, bourré d'archives incroyables parmi lesquels de nombreux extrais live inédits et entrecoupé de séquences animées aussi brillantes qu'hilarantes.

Nous sommes allés passer un moment avec Iggy Pop et Jim Jarmusch pour parler de Gimme Danger, des 8 années qu'a nécessité sa réalisation, de l'importance du MC5 dans l'histoire des Stooges, de la meilleure façon de prendre du LSD et de… buanderies.

Noisey : Vous vous connaissez tous les deux depuis 25 ans maintenant. Qu'est-ce que vous avez pensé l'un de l'autre la première fois où vous vous êtes rencontrés ? 
Iggy Pop : Je le connaissais via ses films, comme Permanent Vacation—j'adorais tellement Jim—et puis j'ai vu Stranger Than Paradise, et je me suis dit : Quoi ? Ce mec n'aime pas la Floride ? OK, le jour où on se croise, vaut mieux qu'on n'aborde pas ce sujet. Je n'habitais pas encore en Floride à cette époque, mais c'était mon rêve - il ne faut pas oublier que je viens du Michigan. Généralement, les gens du Michigan déménagent en Floride avant de mourir.

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Jim Jarmusch : Je suis fan d'Iggy depuis le premier jour où j'ai entendu les Stooges, à l'âge de 16 ans. Donc le jour où l'on s'est rencontrés, j'ai essayé de rester cool et de ne pas hurler : « HEY, C'EST IGGY POP! » Comme on vient tous les deux du Midwest, on s'est très bien entendus, dès le départ.

Iggy, qu'est-ce qui t'a poussé à confier ton histoire à Jim ?
Iggy : Jim est quelqu'un qui a toujours un contrôle total sur ce qu'il fait. C'est le seul maître à bord de son navire. Et c'était également le cas chez les Stooges : nous étions les seuls maîtres à bord. On faisait notre musique comme on voulait et personne ne pouvait dire quoi que ce soit là-dessus. C'est également un très bon réalisateur, il l'a largement prouvé depuis toutes ces années. Et puis, il y a un dernier truc, c'est qu'il vient du Midwest, comme moi. Ça facilitait les échanges. Bref, c'est un super réalisateur qui connait tout sur les Stooges, et qui en connait bien plus que moi sur la musique en général. C'était le choix idéal.

Par quoi avez vous commencé ?
Jim : Par une très longue interview d'Iggy. On a filmé 10 heures d'interview le premier jour, puis on est revenus le lendemain pour 4 heures supplémentaires, ça l'a tué. Après quoi on a retranscrit toute l'interview. Comme elle ne suivait pas d'ordre chronologique, j'ai du l'éditer pour remettre les évènements dans l'ordre et m'en servir comme fil conducteur pour raconter l'histoire des Stooges. C'est un film sur les Stooges, pas un film sur Iggy Pop. Ensuite, on est allés interviewer les autres membres du groupe, les proches. On ne voulait pas de journalistes ou d'autres musiciens, on souhaitait se limiter au cercle intime du groupe. Enfin, on a mis tout ça en forme et on l'a illustré. C'est un film de fan. Ce n'est pas un film de Jim Jarmusch, c'est un film qui célèbre les Stooges. Je n'étais pas sûr de l'angle chronologique au départ. J'avais pensé aborder l'histoire du groupe par rubriques, via des anecdotes précises. Mais les monteurs m'ont convaincu de présenter l'histoire chronologiquement. C'était beaucoup plus fort.

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J'ai beaucoup aimé l'animation où l'on voit le groupe en train d'écouter « Kick Out The Jams » devant le local du MC5 et où vous êtes tous transis de froid. 
Iggy : Oui ! Je me souviens très bien du froid qu'il faisait. Il y a un putain de vent dans le Midwest et quand il se lève, il ne pardonne pas. Il faisait tellement froid et la porte était hyper épaisse. Je ne sais pas si c'était d'anciennes chambres froides ou autre chose, mais la porte était énorme. Tu pouvais cogner dessus tant que tu voulais, rien à faire. Ils ont fini par nous laisser rentrer et on est restés plantés là, complètement hallucinés.

Ça t'a fait quoi de revoir les images de tous ces anciens concerts ? J'ai entendu dire que tu étais sous acide sur certains d'entre eux.
Iggy : Oui, souvent. Ouais. Je me souviens très bien de comment c'était. Ce que je faisais, c'est que—je suis un professionnel—donc je prenais le LSD 40 minutes environ avant de monter sur scène, ce qui fait que je restais totalement clair pendant tout ce temps, je n'avais pas d'hallucinations ni rien. Ça montait, petit à petit. Et quand ça faisait vraiment effet, j'étais sur scène avec le groupe et notre musique étant ce qu'elle est, très directe, très agressive, ça m'a dirigé vers ce jeu de scène très physique, presque athlétique, qui empêchait l'acide de… L'acide c'est une drogue qui prend contrôle de ton esprit, qui t'embarque dans une sorte de rêve kaléidoscopique, ok ? Mais cette façon que j'avais de bouger me permettait de rester éveillé, de ne pas me laisser submerger par l'acide. Tu peux le voir dans le fameux extrait avec le beurre de cacahuète. Si te regardes bien, tu me vois passer de l'hilarité à la colère en quelques secondes. C'était comme ça tout el concert et généralement, 20 minutes après qu'on soit sortis de scène, je m'écroulais d'un coup, BAM ! [Rires] Mais je n'ai fait ça que pendant une courte période, à la fin de l'année 1970. u ne peux pas faire ça très longtemps sans en garder quelques séquelles. Tu dois mettre un frein à un moment.

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Vous avez travaillé sur ce documentaire pendant 8 ans et tu l'as financé, Jim, en grande partie avec ton argent perso. Qu'est-ce qui t'a poussé à faire ça ?
Jim : Eh bien, Iggy m'a demandé de faire un film sur les Stooges et je suis un fan des Stooges. Alors je m'y suis mis. Il fallait que je le fasse. Et ça a pris un moment pour qu'on se fasse financer, mais aussi pour faire toutes les recherches, clearer tous les droits sur les images, etc. J'ai fait plusieurs films entre temps, comme Only Lovers Left Alive, qui a été tourné en partie à Detroit et Tangers. Et Paterson, qui vient tout juste de sortir. Et Iggy a toujours été très cool avec ça. Quand je lui disais que je devais m'arrêter de bossuer sur le documentaire pour faire un autre film, il me répondait : « Pas de soucis, il n'y a pas d'urgence. Mais ça tient toujours, pas vrai ? » Et je lui disais : « Oui, bien sûr, on le fait. » Ça a pris beaucoup de temps.

Iggy : Les Stooges ont eu un parcours assez particulier. On a joué ensemble pendant 4 ans et demi et puis on s'est séparés. On a ensuite remis ça pendant 3-4 ans, avant de se séparer à nouveau, en 1974. Et puis en 2003, le groupe s'est reformé. Notre histoire couvre plusieurs décennies et je ne la considère pas comme une histoire classique. Pour moi, elle a quelque chose d'intemporel. Même s'il existe des tonnes de photos, de vidéos et de disques—officiels et non-officiels— des Stooges, j'ai toujours eu l'impression que le groupe avait été sous-représenté. Il existe des Behind the Music [documentaires de la chaine musicale VH1] sur Poison, sur moi, mais pas sur les Stooges. C'est un groupe avec une grosse part d'ombre, d'inconnu. Et ça se ressent également sur les disques, principalement le premier. Il y avait vraiment derrière les Stooges une histoire qui méritait d'être racontée, bien plus que je ne le pensais au moment où j'ai demandé à Jim de lancer ce projet. C'est cool de monter ton groupe par petite annonce—mais nous, on a pas démarré comme ça. On ignorait tout des conventions, de la manière de procéder. Les choses étaient très différentes.

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Jim : Il était également important de parler de ce qui avait inspiré les Stooges. Iggy travaillait à la boutique de disques Discount à Ann Arbor et il a eu accès a énormément de choses très variées en termes de musique. C'est comme ça qu'il a découvert la musique d'avant-garde, le free jazz, le gamelan… Les Stooges, ce n'étaient pas 4 types dans un garage en train d'essayer d'imiter les Rolling Stones. C'était un groupe proto-noise, qui posait les bases de ce qu'on appellerait par la suite l'avant-rock. Et ça se passait en 1966. On ne parle pas des origines d'Aerosmith : ces mecs faisaient de l'art. Et ils ont eu des tas de problèmes à cause de ça. Ils redéfinissaient les limites de ce qu'était le rock 'n' roll. Ils l'ont fait dès le départ, quand ils s'appelaient les Psychedelic Stooges. Et ils ont continué dans cette voie quand ils se sont rebaptisés en Stooges.

Iggy, je dois avouer que j'ignorais que tu avais démarré en tant que batteur. J'ai adoré ce moment dans le film où tu dis « Batteur c'est chiant, tu passes ton temps à regarder le cul des mecs devant toi. » Ce qui t'a poussé à devenir le frontman qu'on connait, celui qui déchire ses jeans et ses t-shirts. Ça a commencé quand ce jeu de scène survolté ?
Iggy : Dès notre deuxième concert. Je me suis pointé sur scène torse nu, pieds nus et le visage peint en blanc. Et j'ai fait les concerts pieds nus pendant un long moment. Juste une paire de jeans, rien d'autre. Je pensais que moins je portais de fringues, mieux je pouvais m'exprimer. Et en même temps, les fringues, ça véhicule un message. Une tenue qui n'a aucun sens particulier dans un bureau, au milieu d'autres personnes, peut en avoir un sur scène. Mais je ne voulais pas non plus dire trop de choses, l'important ça restait la musique—ce truc très éthéré, très psychédélique, mais qui cherchait à dégager une certaine puissance également. Je voulais avant tout provoquer. C'était ça l'idée.

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Jim : Sans vouloir avoir l'air trop théorique, je trouve qu'il y a quelque chose de très chamanique dans la nudité, ou la nudité partielle. Et une force également. Iggy disait que durant ses études à l'Université du Michigan, il avait été très marqué par le fait que les pharaons soient torse-nus. Iggy ce n'est pas juste un type qui se met torse-nu sur scène parce qu'il est bien foutu. C'est quelque chose de plus puissant et complexe que ça.

Iggy : C'est tout à fait ça.

Tu viens d'ailleurs de faire une exposition de dessins de toi nu. Tu as toujours été à l'aise avec ton corps ?
Iggy : C'est une oeuvre de Jeremy Deller. Jeremy est un artiste brillantissime. Il avait cette idée depuis des années, mais je n'étais pas très à l'aise avec ça. Et puis… Comment dire ? La vie, c'est comme un soufflé et il y a un moment où ton soufflé est cuit à point. Je sais ce qui va se passer ensuite. Je vais arriver, comme disent les français, « à bout de soufflé. » Je vais me dégonfler et disparaître. Donc, c'était maintenant ou jamais. Je ne suis pas Chuck Berry, ils ne vont pas m'envoyer dans l'espace en train de chanter « I Wanna Be Your Dog ». Quoique… Je suis en discussions avec un type de la NASA en ce moment, donc ça se pourrait !

Tu es pas mal revenu sur ton parcours ces dernières années. Quelle perspective ça t'a donné sur ta carrière et sur ta vie en général ?
Iggy : Eh bien qu'une grande partie de ma vie ne m'appartient pas vraiment. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'ai pas envie d'écrire d'autobiographie. De quel droit est-ce que je peux raconter l'histoire de tous les gens dont la vie a été mêlée à la mienne ? Ma vie, je l'ai partagée avec des tas de gens. Et c'est ça qui est fascinant. Tout se mélange.

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Jim : C'est d'ailleurs pour ça que dans Gimme Danger, même si la colonne vertébrale du documentaire, c'est un long entretien avec Iggy, on a également des interventions de tous les autres membres. Il fallait le représenter et les mettre en avant eux aussi. C'est un film sur les Stooges. Chacun d'entre eux a la même importance qu'Iggy.

Iggy : Oui, j'étais juste un des mecs du groupe. C'est cool d'être au centre de l'attention, mais je ne suis pas plus important que les autres, au final. Et dans le film, l'histoire est racontée dans ce sens là.

Jim, dans Year of the Horse, ton documentaire sur Neil Young, tu avais interviewé pas mal de musiciens dans des salles de bains, des buanderies. Tu as fait pareil avec Iggy dans Gimme Danger. Pourquoi ?
Jim : Je n'aime pas le fait que les interviews de musiciens aient toujours lieu dans de superbes chambres d'hôtel, je préfère les faire là où ils sont. Par exemple, quand j'ai interviewé James Williamson [guitariste des Stooges à partir de 1970], il était dans une loge et il y avait un lavabo en arrière-plan, ce qui fait que ça ressemblait un peu à une salle de bains. Dans Year of the Horse, pareil, ça avait été tourné dans des loges à Glasgow. Je n'ai pas volontairement cherché les décors les plus dégueulasses ou ordinaires que je pouvais trouver. C'était juste : je dois aller interviewer Poncho de Crazy Horse, où est-il ? Dans les loges ? Ok, allons tourner backstage. Et c'est là qu'était James également, dans les loges à Ann Arbor. Pour Iggy, c'est lui même qui a suggéré qu'on le fasse dans sa buanderie.

Iggy : J'avais vu une autre interview dans une buanderie dans un de ses documentaires et j'avais trouvé ça cool. Et puis j'ai une chouette buanderie !

Jim : Oui, il y a de belles fenêtres, une belle lumière. Et puis les machines sont d'époque !

Jim, tu as travaillé avec Iggy sur plusieurs films et vous vous connaissez depuis longtemps. Qu'as-tu appris sur lui que tu ne savais pas déjà en bossant sur ce documentaire ? 
Jim : J'ai été extrêmement étonné par sa mémoire. J'ai toujours trouvé que c'était quelqu'un de très intelligent. J'aime les gens intelligents qui n'ont pas été éduqués ou formés de manière traditionnelle, je préfère les gens curieux, qui ont une soif de savoir naturelle, plutôt que les universitaires. J'aime le fait qu'il n'ait aucune envie d'expliquer aux autres ce qu'il sait et qu'il se lève le matin en se disant : « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir apprendre de nouveau aujourd'hui ? Qu'est-ce qui va m'exciter ? » Mais ça, je le savais déjà. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que j'ai appris sur lui durant ce projet. Il m'étonne chaque jour. J'aime bien lui demander ce qu'il lit en ce moment. Là, il lit un bouquin d'histoire sur l'Empire Romain. Il est toujours en train de checker des trucs nouveaux. Des groupes qu'il vient de découvrir. De l'Histoire. Il est incroyable.

Gimme Danger sort en salles en France ce 1er février.

Kim Taylor Bennett est sur _[Twitter. ](https://twitter.com/theKTB)_