Société

Une journée avec un bénévole dans un centre de réfugié·es en confinement

« Le confinement a balayé le peu de repères auxquels les exilé·es pouvaient s’accrocher en temps normal. »
TB
Brussels, BE
Bénévole BXL Refugees à la Porte d'Ulysse

Dans la série « Sur le terrain » , on suit les personnes qui, pour des raisons diverses, ne peuvent pas rester à la maison en période de pandémie.

Alors que la pandémie de coronavirus a mis le monde en stand-by et nous apprend les joies et les peines d’une vie au cloître, Naïm (28 ans), lui, poursuit son travail auprès des exilé·es à Bruxelles. Engagé depuis deux ans au sein de La Plateforme Citoyenne BXL Refugees, son action n’a même jamais été autant nécessaire. Depuis l’annonce du confinement, l’ASBL a dû remuer ciel et terre pour héberger les migrant·es laissé·es sans domicile fixe, et assurer tant que possible le maintien des règles d’hygiène au sein des centres d’accueil. Habituellement en charge de la collecte des dons, Naïm a décloisonné son poste pour être sur tous les fronts. Il nous raconte un quotidien rythmé par l’urgence et l’injustice, auquel il fait face armé d’une détermination infatigable.

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Réveil : 8 heures

Je me suis réveillé un peu avant 8 heures ce matin. À peine le temps de profiter de mon café qu’on m’attend au Hub Humanitaire.

Depuis l’annonce du confinement, mes journées sont un peu plus imprévisibles chaque jour. L’hébergement en urgence de centaines de migrant·es nous a demandé une organisation considérable. Maintenant, il s’agit de répondre aux besoins des milliers de personnes confinées dans les centres d’accueil. Le rythme est effréné mais on s’y fait. Il y a pire non ? C’est difficile pour nous, mais ça l’est d’autant plus pour les exilé·es. Iels ont rarement eu autant besoin de nous alors je ne me pose pas plus de questions que ça : je vais là où je suis utile.

Hub Humanitaire, bénévolat et arsenal sanitaire

Mes journées commencent par une première visite au Hub Humanitaire, l’espace polyvalent que BXL Refugees partage avec Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, S.O.S Jeunes et La Croix-Rouge. D’habitude, on y reçoit les exilé·es pour les informer, les accompagner dans leurs démarches administratives ou pour les distributions de vêtements qui ont lieu toutes les semaines. Les autres associations y assurent un suivi médical, psychologique et social qui font du Hub un repère crucial pour les migrant·es installé·es à Bruxelles. Avant l’arrivée du virus, on y croisait entre 200 et 300 personnes chaque jour. Aujourd’hui, l’accès est fermé au public et nous avons dû annuler les activités qui réunissent du monde. Seul le service social et les consultations médicales restent maintenus, car d’autant plus nécessaires aujourd’hui.

Heureusement, le virus n’a arrêté ni les dons de matériel ni l’engagement des citoyen·nes. Il y a même un gros élan de solidarité : on n’a jamais reçu autant de propositions de bénévolat. Même des personnes âgées demandent ce qu’elles peuvent faire pour nous aider. Des gens confectionnent des masques, nous aident à rédiger des trucs à distance… Ce matin, des bénévoles m’ont aidé à trier des vêtements et des produits d’hygiène. On doit évidemment prendre des précautions. Au Hub, MSF et Médecins du Monde rencontrent des personnes suspectées d’être infectées, alors il y a des règles à respecter. Le personnel de santé nous aide en ce sens. On nous a fourni des gants, des masques, et tout le bâtiment est désinfecté tous les soirs.

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L’ouverture de centres d’accueil en urgence

Le premier défi a été de confiner les centaines d’exilé·es qui vivent encore dans les rues. En temps normal, iels sont environ 150 à dormir au Parc Maximilien. Quand on a annoncé le confinement, personne ne s’est demandé ce qu’il adviendrait de ces personnes. Alors que les rues se vidaient, la police a pris la décision de fermer l’accès au parc, condamnant les exilé·es à l’errance. Comment veux-tu te mettre en quarantaine si tu n’as pas d’abri ? Contrôlé·es en permanence, iels étaient dans l’incapacité de se poser où que ce soit et devaient marcher toute la journée pour éviter la police.

Illustration : Nele Wouters

Illustration : Nele Wouters

Ces dernières semaines on a dû se battre pour leur obtenir des hébergements. Il a fallu expliquer à la police que ça ne servait à rien de chasser les gens du parc sans offrir d’alternative. Finalement, on a obtenu la mise à disposition de deux hôtels de 100 places et l’ouverture de plusieurs centres d’hébergement d’urgence. Ça a permis d’accueillir pas mal de gens mais il reste encore du monde dans les rues. On continue donc de militer pour l’ouverture de centres supplémentaires, avec un peu d’amertume car on sait que ces solutions ne seront que temporaires et que le parc se remplira à nouveau une fois la crise passée.

Tournée des centres d’accueil

Une fois qu’on a trouvé les hébergements, d’autres problèmes ont survenu. Il a fallu distribuer des produits de première nécessité, assurer le maintien des règles d’hygiène, trouver des repas supplémentaires – alors que les approvisionnements se font rares – et aider les résident·es à rester en contact avec leurs proches. On a dû mettre en place des systèmes efficaces pour répondre à tous ces besoins, comme le service de buanderie solidaire qui permet de laver le linge grâce à un réseau de familles volontaires. Cet engagement citoyen est le moteur de notre action depuis la crise.

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En quittant le Hub, je suis donc parti visiter les centres pour distribuer du matériel et collecter les vêtements sales. J’ai commencé par les deux hôtels, puis le centre de la Porte d’Ulysse qui accueille plus de 300 personnes en ce moment.

Dans les centres, l’ambiance est lourde. Habituellement, les gens n’y passent que la nuit ; aujourd’hui, ils ne peuvent plus en sortir. Les centres sont passés, eux aussi, en mode confinement. Les résident·es ne descendent que pour récupérer leur plateau-repas et remontent le manger dans leur chambre aussitôt. Être confiné·e, c’est difficile pour tout le monde, alors imagine à la Porte d’Ulysse, avec 300 personnes, autant de cultures différentes et la peur que l’épidémie ne se propage dans toute la structure…

Une perte de repères sans précédent

Outre cet impact direct sur notre action, je crois que personne ne s’est demandé comment les personnes réfugié·ees pouvaient vivre ce confinement. Les exilé·es vivent au rythme de la ville. Aujourd’hui, les services d’informations sont fermés. Les lieux où iels se reposaient et chargeaient leurs téléphones sont fermés. La boulangerie qui leur offrait un thé tous les matins est fermée. Sans parler de celleux qui vivent de la mendicité… Le confinement a balayé le peu de repères auxquels les exilé·es pouvaient s’accrocher en temps normal.

Les personnes qui étaient en cours de procédure de demande d’asile ont vu leur rendez-vous avec les autorités suspendus - des entretiens importants qui devaient définir s’iels resteront sur le sol belge. Certain·es attendaient cette date depuis des mois… Les enjeux sont importants ; ces annulations sont un vrai retour à la case départ. Les gens galèrent dans les centres, s’informent sur internet et tombent sur tout et n’importe quoi. Ça ajoute encore plus de confusion. L’inactivité les pousse à se retourner l’esprit ; beaucoup d’entre elleux doutent, se sentent perdu·es, désespéré·es. Puis l’enfermement les rappelle à de mauvais souvenirs – comme ceux des prisons libyennes ou des gardes à vue en Europe.

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Retour à la maison : 20 heures

Quand je rentre chez moi, je pense à tout ça.

Je crois que cette crise a mis en lumière l’étendue des injustices vécues par les personnes réfugiées. Alors qu’une crise sanitaire majeure frappe le monde entier, la police n’a eu aucun scrupule à les déloger du Parc Maximilien, à les harceler dans les rues, les sommant de rester confiné·es sans leur offrir de solution alternative. Sans le travail de BXL Refugees, d’MSF, de Médecins du Monde et de S.O.S Jeunes, iels seraient des centaines à être livré·es à elleux-mêmes face à cette crise sanitaire.

Depuis deux ans, les migrant·es ont pris une place importante dans ma vie et celles de mes collègues. Je suis avec elleux au quotidien, je les connais bien. Les voir dans cette situation m’attriste beaucoup. Ces injustices me poussent chaque jour à relativiser et à mettre mes petits soucis de côté. C’est ce qui me donne la force de me réveiller tous les matins et de retourner au combat.

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