Les Disques Bongo Joe, Suisse, Interviews
capture d'écran de la compilation « Soul Sega Sa ! Indiance Ocean Segas From 70s » (2016)

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Music

Les Disques Bongo Joe envoient des roquettes post punk & jazz funk vers l'hyperespace

Depuis 2015, le label genevois mené par Cyril Yétérian multiplie les sorties casse-cous et transcontinentales, entre blues primitif, jazz cosmique italien et pop de l'outre-espace. On a voulu en savoir plus avec le taulier de la maison.

Du blues primitif ? De la pop outer space ? Du rock psyché à la turque ? Du post-punk espagnol ? Du Moondog revisité ? Du jazz cosmique italien ? De la musique des Bahamas, de La Réunion, d’Afrique ou encore de Madagascar ? Du free-rock helvète ? Et même du post-kraut-math-noise français ? Ce sont là quelques-unes des joyeusetés sonores qui figurent au catalogue des Disques Bongo Joe, label suisse encore jeune (il a été lancé en décembre 2015) mais déjà essentiel.

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À la barre se trouve le Genevois Cyril Yétérian, explorateur au long cours de la grande sono mondiale. Avant tout passionné de musique, aux oreilles longues et aux idées larges, il est également lui-même musicien, avec guitare et banjo comme instruments de prédilection. On a notamment pu l’entendre faire un joli raffut au sein de Mama Rosin, explosif groupe genevois de rock vaudou qui a sorti cinq albums fulminants entre 2008 et 2012 – le lac Léman en tremble encore.

Cette pétaradante aventure ayant pris fin, Cyril Yétérian s’est récemment associé avec le batteur Cyril Bondi (électron majeur de la scène expérimentale helvète) pour former le bien nommé duo Cyril Cyril, dont l’épatant premier album – garanti 100 % free-style – est sorti à l’automne 2018.

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Cyril Yétérian, patron du label. © Les Disques Bongo Joe

Avant Bongo Joe, il s’est occupé de Moi J’Connais Records, label au nom discutable dirigé en binôme avec Robin Girod, son principal acolyte au sein de Mama Rosin (lequel joue désormais dans Duck Duck Grey Duck). Quand les deux compères décident d’arrêter à la fois Mama Rosin et Moi J’Connais en 2013, Cyril Yétérian rebondit directement en ouvrant un magasin de disques à Genève, baptisé Bongo Joe.

Extension naturelle du magasin, le label a, quant à lui, été activé fin 2015 – la première sortie ayant été l’album d’Augenwasser, projet solo du multi-instrumentiste suisse Elias Raschle. Lui a succédé, au printemps 2016, l’excellent premier album d’Hyperculte, duo également suisse pratiquant une forme tout à fait délectable de pop-rock dadaïste. Est arrivée ensuite la fastueuse compilation Soul Sega Sa !, dédiée aux musiques de l’Océan indien des seventies.

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Depuis, le rythme des sorties s’est intensifié. Rapidement repéré et suivi de près par un nombre croissant de fans, le label compte à présent une petite cinquantaine de références, alternant nouvelles sorties et rééditions, maxis et albums. Du coup, on a voulu en savoir plus avec le taulier de la maison., Cyril Yétérian.

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Mauskovic Dance Band. © Les Disques Bongo Joe

Noisey : Qu’est-ce qui t’a conduit à créer un label ?
Cyril Yétérian : Étant à la fois mélomane et musicien, je fréquente depuis longtemps les magasins de disques pour découvrir de nouvelles musiques. C’est comme ça, en furetant régulièrement, que je suis tombé sur des labels assez incroyables qui m’ont amené vers des musiques dont je n’aurais sans doute même pas soupçonné l’existence. Je pense par exemple à des labels tels que Mississipi Records, Honest Jon’s ou Sublime Frequencies. Proposant à la fois rééditions et nouveautés, ces labels se situent tous hors des sentiers battus et fonctionnent dans un esprit très DIY. Ils m’ont donné envie de monter moi aussi un label et m’ont vraiment servi d’exemples.

D’où vient le nom de Bongo Joe ?
C’est le nom d’un musicien noir de Houston, qui jouait dans la rue en tapant sur des bidons et en tchatchant par-dessus - une sorte de proto-rap, hyper brut. Un jour, un mec est venu l’enregistrer et ça a donné son seul album, publié par Mississipi Records : un disque vraiment unique. Après avoir ouvert le magasin, je me suis décidé à lancer un nouveau label, en lui donnant le même nom, histoire de simplifier les choses, et en l’inscrivant dans la lignée de Moi j’connais.

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À l’ère d’internet, quel rôle joue un magasin de disques selon toi ?
À mes yeux, la force de la musique réside dans sa faculté à faire se rencontrer les gens. Avant l’apparition de la technique de l’enregistrement, les gens se retrouvaient pour écouter ensemble de la musique jouée en direct et pour danser. C’est un fondement essentiel de notre rapport à la musique. Internet, avec un site comme Discogs en particulier, permet de dénicher plein de musique partout dans le monde. En soi, c’est super, bien sûr. Il faut juste faire attention à ne pas s’enfermer dans ce truc, à se contenter de commander et de recevoir des disques chez soi. Il faut rester connecté avec l’essence même de la musique. Une fois, j’ai entendu JB de Born Bad dire en interview que c’est plus facile aujourd’hui de vendre des disques d’artistes morts plutôt que d’artistes vivants. Le risque, c’est de transformer les magasins de disques en mausolées… Mississipi Records et Honest Jon ont aussi des magasins, dans lesquels je suis allé et par lesquels j’ai été influencé : ce sont de véritables lieux de vie, de sociabilité, pas seulement des endroits où on peut acheter des disques.

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Quels rapports entretiens-tu avec l’objet disque ? Es-tu un collectionneur acharné ?
J’ai commencé à digger bien avant la mode du vinyle et l’explosion du marché de la réédition. Je me considère comme un digger mais je n’ai pas la collectionnite aiguë. Certains disques rares peuvent atteindre des sommes dingues de nos jours… Je n’entre pas dans cette chasse aux collectors ni dans ce jeu spéculatif. Au contraire, ça me plaît d’avoir déniché des perles rares de ma collection pour rien du tout sur des marchés aux puces. De manière générale, ce n’est pas la rareté d’un disque qui fait sa valeur à mes yeux. Je suis très attaché au disque en tant qu’œuvre d’art. J’aime l’idée que plusieurs subjectivités se croisent et s’expriment tout au long du processus de fabrication d’un disque – de la musique à la pochette.

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Combien de personnes travaillent au magasin et pour le label ? Et quel est votre mode de fonctionnement ?
Le magasin et le label sont des associations. Le magasin n’est pas grand, on ne peut donc pas être trop nombreux à y travailler en même temps [Sourire]. Au total, nous sommes entre cinq et dix, en nous relayant. Tout le monde fait autre chose à côté : il y a des musiciens/DJ, une danseuse, une cuisinière…

Sur le label, il y a un noyau dur de cinq personnes. Le principe est celui d’un fonctionnement horizontal. Je propose plein de trucs et les autres disent oui ou non. J’adore discuter avec eux sur les possibles sorties à venir, leur avis m’importe beaucoup. Après, si un disque me tient vraiment à cœur, je peux un peu forcer la décision. Disons que je suis une sorte de despote éclairé ou de guide spirituel [Sourire].

Que penses-tu de la scène musicale contemporaine ?
Je trouve qu’il y a de la bonne musique partout et qui part dans tous les sens. Cet éclatement des frontières me plaît énormément. En même temps, un bon petit groupe de rock garage ou psyché qui fait les choses à fond avec le charisme qu’il faut, ça marche encore très bien et ça me touchera toujours. Il ne faut pas oublier que je suis aussi fan d’AC/DC [Rires]. Chez moi, j’écoute beaucoup de classiques : Billie Holiday, Bob Marley, Nina Simone, Creedence Clearwater Revival… Ça me repose l’oreille et ça me régénère.

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La scène suisse occupe une place de choix dans le catalogue de Bongo Joe.
J’ai vraiment le sentiment qu’il y a une grande effervescence musicale en Suisse romande actuellement, avec plein de très bons musicien(ne)s et de groupes dans différents styles. Je pense par exemple à L’Eclair, un jeune groupe genevois qui a sorti un premier album sur le label de Brooklyn et dont nous allons publier le deuxième cette année. J’ai aussi une bonne connexion avec la scène d’Amsterdam en particulier.

Vers quelles zones particulières, géographiques ou musicales, aimerais-tu orienter le label à l’avenir ?
Bonne question. Personnellement, j’adore fantasmer, rêver sur un disque. Avec Internet, qui met à portée quantité de musiques venues de partout dans le monde, il y a de moins en moins de mystère. C’est pourquoi je tiens vraiment à privilégier les zones les plus obscures ou bizarres. Ces derniers temps, j’ai l’impression qu’il y a peut-être eu un peu trop de musiques africaines sur le label. Je suis assez jaloux d’un label comme Sublime Frequencies, qui a des gens à l’affût un peu partout et qui peut sortir de la super came des quatre coins du monde. De mon côté, je n’ai pas aussi facilement accès à tous les continents. Après, je n’ai pas de rêve particulier à ce niveau-là ni de planification à long terme. Ça se fait plus spontanément, en fonction des envies du moment. Là, j’aimerais bien pouvoir signer un groupe asiatique actuel, par exemple de Chine ou de Mongolie, qui sorte vraiment du lot en tordant la musique traditionnelle du pays vers quelque chose de bien déviant.

En attendant, sont notamment annoncées les choses suivantes pour les semaines à venir : le nouvel album de The Staches, super groupe de rock garage suisse, le deuxième volet de la compilation Soul Sega Sa ! et le premier album de Derya Yıldırım & Grup Şimşek.

Jérôme Provençal est sur Noisey.

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