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On est allé vérifier si Maes vendait bien de la « Pure »

Le MC de Sevran vient de sortir son premier album qu'il a voulu éclaté. Du coup, on lui a parlé dans le désordre de prison, de bicrave, de Rohff, de Booba, de SMIC et de mélancolie.
Interview, Maes, rap français
capture d'écran du clip de « Billets Verts »

Maes est un personnage intrigant, bien souvent pudique et réservé dans ses interventions, mais capable de temps à autres de parler de lui à la troisième personne. Ce mélange de timidité et de mégalomanie, c’est précisément ce qui fait la force de son rap, découvert avec les mixtapes Réelle vie et Réelle vie 2.0, mais réellement prêt à exploser avec Pure, un premier album que le MC de Sevran a fait partir dans toutes les directions. Un peu à l’image de cet entretien, où l’on passe de la prison au SMIC, de la bicrave à la mélancolie, en passant par sa crainte que tout le buzz autour de lui ne s’arrête. Mais on fait aussi un détour par Booba, Sali. Et même par Rohff.

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Noisey : À l’heure où on se parle, l’album vient à peine de sortir. Donc, on va commencer par une question classique, tu es satisfait par les premiers retours ?
Maes : Déjà, je suis content de ouf qu’il soit sorti. Je l’attendais avec impatience, et ça soulage ! Ensuite, les médias ont l’air de l’apprécier pour le moment, donc ça fait d’autant plus plaisir.

L’avis des journalistes, c’est quelque chose d’important pour toi ?
Bien sûr ! Ça donne deux fois plus de force pour avancer. En plus, vous faites également partie des auditeurs, non ? Sachant cela, votre avis ne peut que compter.

Pour le moment, les papiers sont assez élogieux. Tu réagirais comment si tu lisais un article négatif à ton égard ?
Si je lis ça, ça risque de mal se passer. Le journaliste, je vais l’insulter direct [Rires]. Non, mais ce n’est pas encore arrivé pour le moment, donc je ne vais pas me prendre la tête avec ça.

Quand on te parle, on te sent assez réservé, mais c’est vrai que tes paroles sont assez rageuses parfois. Dans certains morceaux, tu dis vouloir sortir le Tokarev, avoir des pensées meurtrières, etc.
Oui, mais c’est une violence que l’on retrouve chez un tas d’autres rappeurs, finalement. Le hip-hop, ce n’est pas de l’opéra, donc on tourne autour de champs lexicaux bien identifiés, comme celui de la guerre ou de la violence. Si tu regardes bien, c’est toujours le même fond, il n’y a que la forme qui diffère.

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Tu penses continuer à rapper sur ces thèmes à l’avenir ?
Personne ne connaît l’avenir. Je peux flopper l’année prochaine ou être encore là dans vingt ans. Ce qui est sûr, c’est que je parlerai toujours de ce que j’entends, de ce que je vis et de ce qui m’arrive.

Tu as peur que tout ce qui t’arrive ces derniers mois ne s’arrête ?
Je n’ai pas peur de flopper, mais j’appréhende le fait que ça puisse arriver. Je vois venir cette menace de loin, un peu comme une guêpe qui ne te fait pas de mal pour le moment mais qui peut te piquer à tout moment.

D’où le côté presque mélancolique dans l’album…
Ouais, c’est lié à ma personnalité, à ma façon d’être et de penser. Attention, je ne suis pas quelqu’un de sombre, lorsque je suis avec mes potes je suis même plutôt du genre à déconner, mais c’est vrai que j’ai tendance à me faire discret dans un milieu où je ne connais personne. Un peu comme lorsque je suis arrivé en prison… D’ailleurs, je pense que c’est dans dans ces moments-là, quand tu es entouré d’inconnus, que tu peux comprendre qui tu es vraiment et quelle est ta personnalité. Moi, je sais que je suis froid, un peu réservé. C’est dans ma nature de me protéger, de mettre une petite barrière, même si je suis de plus en plus à l’aise à l’idée de m’ouvrir un peu aux autres.

C’est pour ça que tu es peu présent sur les réseaux, là où beaucoup d’autres rappeurs inondent leur compte de story…
Je pense être actif avec mes fans, je réponds tous les jours à des gens qui m’envoient des messages, mais je ne suis pas à fond là-dessus. Ce qui ne m’empêche pas de bien bosser cette partie de mon travail. En un an, je suis passé de 3 000 à 210 000 abonnés, ce n’est pas rien. Mais je ne veux pas trop me montrer, c’est vrai, ce n’est pas ma personnalité et les gens aiment l’authenticité. S’ils veulent me voir flamber, ils peuvent écouter « Panamera », « Vue » ou « Fumer », mais il faut aussi que je sois en phase avec ce que je dis. Je ne suis pas là pour faire le clown non plus.

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Tu faisais allusion à la prison. Je crois que « Mama » est le premier morceau que tu as enregistré une fois libre, non ?
En fait, j’ai écrit plusieurs titres assez rapidement une fois arrivé en studio, mais « Mama » est le premier que j’ai posé. Il aurait même pu figurer sur Réelle vie, mais je le trouvais trop lourd pour ce projet, qui était plus une série de freestyle qu’un vrai album. Réelle vie, ça m’a servi à poser le personnage Maes, mais il fallait que je garde des morceaux encore plus lourds pour la suite. Et ça va, je pense que je n’ai pas floppé, dans le sens où Pure est un album très bien construit. J’ai bossé dessus pendant un an et demi et il est varié de ouf. Il y a du banger, de la trap, du rap, de l’énervé, du latino, etc. En clair, c’est de la pure ! D’où le titre [Rires].

Dans « Zipette », tu dis que tu n'as pas eu d’autres choix que de bicrave…
À un moment donné, je n’étais pas trop réfléchi par rapport au taf. Je travaillais pendant un mois, deux mois, six mois, mais je n’arrivais pas à faire de l’argent. Alors, oui, quand tu peux gagner en un mois ce que tu gagnes en six mois tout en te tournant souvent les pouces et en mangeant des grecs avec tes potes, tu peux facilement choisir cette voix. Je ne le ne renie pas, mais je n’avais pas forcément envie de faire toute ma vie un taf de serveur. Je n’ai aucun diplôme, si ce n’est un brevet des collèges, donc j’ai fait le tri à La Poste quand j’avais 17 ans, puis à Roissy où je préparais les plateaux repas à la chaine. Ma seule option, finalement, c’était de suivre une formation pendant deux ans et durant laquelle je n’aurais été payé que 400 balles par mois. Ce n’est pas une vie ça… Et c’est tout le problème : j’ai l’impression que l’on est réduit au SMIC, qu’on doit s’en réjouir alors qu’il y a grave du bif à faire en France. À nous de se débrouiller pour en faire le plus possible.

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Tu aimerais monter d’autres business à l’avenir ?
Le rap, c’est mon métier désormais, c’est grâce à ça que je paye les factures. Mais j’aimerais un jour ouvrir quelque chose, une boite de prod ou quelque chose comme ça, j’y réfléchis tous les jours, mais je n’ai pas le temps de m’y consacrer pour le moment. Je veux pouvoir m’investir à fond, donc je n’ai pas envie de mélanger les deux activités. En plus, je viens à peine d’arriver dans le rap, j’ai le temps de voir venir.

Pour revenir à ton séjour en prison, il y a quelques mois, une vidéo filmée par des détenus montrait les conditions alarmantes des prisons françaises. C’était le cas à Villepinte ?
De ouf ! Pendant un mois, je me suis retrouvé avec trois autres gars dans une cellule prévue uniquement pour deux… C’est abusé ! En plus, t’es forcément nerveux quand tu débarques en prison, donc le fait d’être à l’étroit accentue encore plus les tensions… C’est à nous d’être fort mentalement dans ces moments-là.

J’ai lu que tu avais transformé ta cellule en un mini studio. Les gardiens te laissaient faire ?
Non, t’es ouf, ils ne savaient pas [Rires]. D’ailleurs, ce n’était pas un studio à proprement parler. Disons que j’avais des baffles, un câble auxiliaire et que j’enregistrais tout sur mon portable. Généralement, je faisais ça pendant les heures creuses, c’est-à-dire après 18h. Tu viens de finir ton repas du soir et les gardiens n’ouvrent plus ta porte jusqu’au lendemain matin. Donc tu es tranquille jusque 6 ou 7h du matin.

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À l’avenir, tu n’as pas peur que l’on continue de te parler de ton séjour en prison ?
Heureusement, je ne travaille pas à Roissy, sinon je serai déjà viré [Rires]. Là, dans la musique, c’est presque un avantage, ça donne une histoire à raconter, quelque chose d’un peu atypique. Ça n’était pas prévu de base, attention, mais c’est sûr que ça crée du storytelling. Ce qui est quand même marrant parce que ça n’a rien d’exceptionnel d’aller en prison… Je ne suis pas Pablo Escobar non plus, donc j’espère qu’on m’en parlera moins au moment du deuxième album. Même si, finalement, ça n’a pas empêché Booba de remplir l’U Arena, tu vois ce que je veux dire ?

Tu étais avec lui ce j our-là. C’était comment d’être dans les coulisses avec Booba ?
Avant ça, je n’étais allé qu’une fois à un concert, celui de Ninho à l’Olympia ! Mais là, c’était lourd de ouf ! Comme tout le monde, je me disais que ça devait être une pression de dingue pour lui avant d’entrer sur scène et de chanter devant plus de de 30 000 personnes, mais lui paraissait hyper à l’aise. Il faut dire que quand tu vois tous ces gens chanter tes morceaux, ça doit te rassurer direct.

Si je comprends bien, tu n’étais jamais allé à un concert avant cet été en fait ?
Non, je n’ai jamais été trop soirée, à vrai dire. Je ne suis pas forcément à l’aise dans ces endroits-là. C’est trop bre-som et il y a trop de monde.

Et ça va, ça ne te stresse pas pour tes concerts à venir ?
J’ai rejoint Dinos à la Cigale il y a quelques jours et, quand j’ai vu tout le public chanter « Madrina », ça m’a rassuré. Franchement, la passion du public, elle brise ta timidité.

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À propos de « La Madrina », tu n’aurais pas aimé sortir ce morceau avant l’été ?
J’aurais kiffé ça, mais il a fallu régler quelques détails, gérer deux-trois derniers trucs avec Booba, qui ne vit pas en France et qui a lui aussi pas mal de trucs à gérer de son côté. Après, c’est peut-être pour le mieux que tout se soit passé comme ça. Ça m’a permis de balancer « Billets verts » et de m’imposer en solo. Regarde : six mois après, il est disque d’or et j’en suis extrêmement fier.

Ça a permis également aux gens de comprendre que tu n’étais pas un poulain de Booba…
Ouais, c’est exactement ça ! C’est une inspiration avant tout, parce qu’il est là depuis longtemps, parce que c’est le boss et parce qu’il est systématiquement au top des streams quand il fait un feat. C’est encore le cas avec Médine ou Bramsito récemment, et ça n’a rien d’un hasard. C’est lié au travail et au talent. Alors, oui, forcément, ça donne un exemple à suivre. D’autant que l’on n’est pas du tout dans la même catégorie : je viens à peine de monter une petite boulangerie et lui est déjà le patron d’une grande filiale.

J’imagine que ce n’est pas ta seule inspiration ?
Dans les années 2000, à l’époque où je me butais au rap, j’écoutais énormément Sinik, Sniper et même Rohff. Il ne faut pas oublier le rappeur qu’il était. Le mec savait kicker et balancer des textes de dingue. Ça devait être compliqué de tenir la comparaison. Malheureusement, c’est plus compliqué pour lui aujourd’hui… J’espère malgré tout qu’il arrivera à mettre tout le monde d’accord avec son nouvel album.

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Je sais que tu es également un fan de Salif. À choisir, tu préfères une carrière comme la sienne, portée par un succès d’estime et un respect de tout le milieu du rap, ou une carrière couronnée de succès, quitte à être moins respecté par les rappeurs ?
Je préfère être ultra populaire et critiqué parce que ça prouve que ça buzze, qu’il y a de la jalousie et que ça marche pour moi. La preuve : personne ne me critiquait quand j’avais 100 000 vues sur YouTube. Or, maintenant que je suis signé sur un label, il y a des rumeurs, des avis négatifs, etc. Les gens surfent sur le buzz et ça me plait. Si je n’avais pas voulu ça, j’aurais mis un masque, comme Kalash Criminel, Siboy ou Kekra.

Salif et Booba viennent tous les deux du 92. Toi, tu penses que ta musique serait différente si tu n’habitais pas Sevran ?
C’est une école de ouf, donc oui, mon rap ne serait pas pareil. En plus, on a nos propres expressions, que l’on retrouve sur la plupart de nos morceaux, comme « kichta » par exemple. Le fait d’avoir ce vocabulaire commun, ça rassemble. On n’a même pas besoin de forcer, on sait que l’on a une identité commune. « Weed », par exemple, je l’ai enregistré avec Zed de 13 Block. On n’a pas du tout le même univers en soi, mais ça fonctionne entre nous. C’est comme dans une famille, on peut être frère et sœur, partager le même ADN, mais ne pas se ressembler et avoir les mêmes goûts.

De ton côté, le fait d'être signé sur Capitol et d’avoir désormais un directeur artistique, ça t'a aidé à voir plus clair ou tu t'es senti obligé d'avoir un ou deux tubes sur le disque ?
Non, je n’ai eu aucune contrainte, je n’ai même pas fait exprès de faire ses tubes. En revanche, je savais que ce serait des sons pour ce projet. Ils tapaient trop à l’oreille pour ne pas les mettre sur Pure. Cela dit, le fait d’avoir un DA, ça m’a aidé à sélectionner certains morceaux, parce que j’en avais quand même 35 à la base, mais aussi à contacter plus facilement certains beatmakers. Ça donne un univers plus professionnel que par le passé.

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C’était important pour toi de de tenir un propos assez sombre sur des mélodies plus colorées, presque ensoleillées parfois ?
C’est vrai qu’on pourrait penser qu’il s’agit de musiques joyeuses, alors que c’est totalement l’inverse. L’idée, c’était de garder la base mais d’aller plus loin. En gros : conserver les paroles de Maes et leur donner une nouvelle dimension en les posant sur des prods différentes, celles d’un Maes 2.0. Il faut dire aussi que j’ai beaucoup plus tafé ce projet que les précédents. J’ai compris que le rap est mon métier désormais, donc je peaufine et ça se ressent.

À l’avenir, il y a un des univers de l’album que tu aimerais creuser davantage ?
Sur Pure, j’ai bien creusé le délire piano avec un autotune léger et des paroles assez bre-som. Ça fait partie de mon identité, donc c’est cool. Mais à l’avenir, j’aimerais bien creuser tous ces univers, même le côté latino de certains morceaux. Il faut aussi que j’approfondisse mes métaphores, mon flow ou mon image. Bref, j’ai du boulot [Rires].

Donc, si je résume, on peut s’attendre à un album latino de Maes ?
[Rires] Non, pas plus de deux ou trois morceaux de ce genre par album. Ça doit rester une parenthèse sur mes disques, quelque chose que je fais parce que j’en ai envie et parce que ça m’amuse. C’est juste histoire d’emballer mes mots de façon différente.

Et d’avoir potentiellement un ou deux tubes ?
C’est ça, tu as tout compris [Rires] !

Le premier album de Maes, Pure, est sorti le 29 novembre chez LDS Production / Capitol Music France.

Maxime Delcourt est sur Noisey.

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