À la gloire d'A.R. Kane, grand groupe perdu des années 80
Photo : Camera Press / Steve Double

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À la gloire d'A.R. Kane, grand groupe perdu des années 80

Malgré un tube house monstrueux sous le nom de M/A/R/R/S et deux albums précurseurs du shoegaze et de la dreampop, le duo londonien est injustement tombé aux oubliettes de l'Histoire.

On peut avoir mis au four la galette shoegaze sans y avoir jamais goûté. On peut aussi avoir eu la fève de la dreampop sans qu’on vous file la couronne. Tel est le lot d’A.R. Kane, duo londonien actif de 1986 à 1991 avant de brièvement tenter de recoller les morceaux entre 95 et 96. Un nom qui s’inscrit parmi ces échecs comme la musique en a connu des tonnes : un groupe resté dans l’obscurité tout en étant important pour une poignée d’allumés comme David Byrne des Talking Heads, qui les signa sur son label pour un ultime bouche-à-bouche, ou encore Simon Reynolds, rock critique anglais, qui le qualifia de « grand groupe perdu des années 80. »

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Alex Ayuli et Rudy Tambala étaient deux potes d’enfance de Londres, l’un d’origine nigériane, le second né d’un père malawien et de mère anglaise. Ados en pleine explosion punk, ils ont ensuite cru que le monde les accueillerait en libérateurs s’ils mélangeaient Cocteau Twins, Miles Davis, This Heat, Marvin Gaye, et Human League dans un grand bouillon de légumes. Manque de bol, l’explosion punk a aussi été celle des labels indépendants, qui ont certes bourgeonné, mais se sont aussi parfois révélés des planches pourries.

Il restera un quasi hit (« A Love From Outer Space »), deux albums fantastiques parus chez Rough Trade mais récupérés par One Little Indian : 69 en 1988 et "i" en 1989 (les gars étaient les rois des titres) dont Alex et Rudy n’ont plus les droits. Et puis quelques EP fameux, dont le tout premier paru en 1986 chez 4AD, et un ultime album sorti sous l’impulsion de Byrne en 1994. Ironie de l’histoire, A.R. Kane a connu son plus grand succès sous le nom de M/A/R/R/S, une collaboration historique avec le groupe Colourbox pour un unique single, fondateur des musiques électroniques : « Pump Up The Volume ».

Alex vit aujourd’hui aux Etats-Unis et n’a plus trop de relations avec Rudy qui a relancé le groupe depuis quelques années en mode familial, pour répondre aux offres de quelques festivals. C’est lui qui remonte ici le fleuve pas bien tranquille de leur association magique.

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Noisey : Comment vous étiez-vous rencontrés avec Alex ?
Rudy Tambala : À l’école, à l’âge de 8 ans. Il est arrivé avec sa famille dans mon quartier d’East London. Quand un nouveau débarque, personne ne veut s’assoir près de lui. L’instituteur l’a placé à côté de moi et le lendemain, nous devenions les meilleurs amis du monde. Quand je suis parti à l’université, il a commencé à travailler et on ne se voyait que le week-end.

Où t’auraient mené tes études s’il n’y avait pas eu le groupe ?
J’étais en biochimie et j’ai eu mon diplôme universitaire même si ce n’était pas trop mon truc. J’ai commencé à travailler et j’ai démissionné au bout d’un an en cherchant ce que j’allais faire.

C’est le moment où le groupe a démarré ?
Non, pas encore, je faisais plein de trucs comme programmeur de jeux vidéo, m’essayais à l’écriture, au dessin… et à la musique. Alex travaillait comme rédacteur dans la publicité à Londres. Je suis revenu m’y installer et nous sortions beaucoup. Même si nous n’avions pas toujours les mêmes goûts, on s’entendait au moins sur les Cocteau Twins. Je me souviens avoir été hypnotisé en les voyant à la télé. La façon de chanter de Liz Fraser, son look, un son massif pour une présence statique, le lecteur de bandes au fond, le fait qu’il n’y ait pas de batteur… À la fin, j’ai appelé Alex pour lui demander s’il avait vu ce truc incroyable. On s’est alors dit qu’on pourrait avoir un groupe nous aussi. Un peu comme ceux qui avaient vu les Sex Pistols à l’époque.

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Aviez-vous étés punks ?
Dans l'East London, tu ne pouvais pas ne pas être embarqué dans le punk. Mais pour moi, ce n’était qu’une immense scène. J’étais porté sur les musiques soul, jazz-funk et disco, là où Alex adorait le reggae, le dub, les soundsystems. En club, tout le monde se mélangeait. Le week-end, on y allait à Margate ou Bournemouth, tu avais des punks, des mods, des skinheads, des soulboys, des reggae guys… et c’est pour ça que la musique était aussi excitante car chacun empruntait aux autres. Le punk nous a beaucoup influencés sur l’attitude, en particulier en tant que noir à Londres où tu te sentais comme un outsider. Le punk résonnait du combat des rastas en Jamaïque. Je suis allé à des concerts punk mais préférais aller danser en club.

La décennie 80 est aussi celle où la culture club a explosé en Angleterre.
Oui, ça a été énorme pour moi car ça a été la découverte de la scène électronique. Ça commencé avec des scènes comme The Electrics, les Blitz Kids, le début des Nouveaux Romantiques, même si personne ne s’en revendiquait car c’était une invention de la presse. En club, ça jouait Heaven 17, B-52’s ou Japan, au milieu de titres rockabilly, punk, soul… C’est le punk qui a amené cette liberté et a permis d’importer des sons d’Allemagne. Le premier vinyle que j’ai acheté était d’ailleurs Travelogue de Human League. C’est comme ça que naitra plus tard la house anglaise qui va s’inspirer des scènes de Detroit, Chicago et New York. Encore un grand mélange. Quand tu prends un des groupes phare de cette époque, Kid Creole & the Coconuts, c’était un immense mélange musical et une attitude.

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Comment A.R. Kane est-il né ?
Nous étions à une fête, un peu saouls, à parler de monter un groupe. On s’est posé la question du nom, très importante pour Alex qui bossait dans la pub. Quelqu’un faisait des cocktails Arcane et on adorait le disque Garden of the Arcane Delights de Dead Can Dance. On a commencé à jouer avec le mot, en cherchant un truc mystérieux. Alex aimait le film Citizen Kane et a proposé d’utiliser la lettre K. Moi, je lisais Demian d’Hermann Hesse où il évoque la « marque de Caïn ». On a alors eu l’idée des lettres A et R, associées à Kane, qui en plus, correspondaient à nos initiales.

On a changé de fête et alors que je roulais un joint, une fille est venue demander une taffe. On a discuté, son mari était producteur. Quand elle m’a demandé ce que je faisais, j’ai répondu musicien dans un groupe avec Alex. « Et à quoi ça ressemble ? » « À un mix entre Velvet Underground, Cocteau Twins, Miles Davis… » et toutes ces choses qu’on adorait. Quelques semaines plus tard, on ne se souvenait plus de la discussion mais Alex a eu un coup de fil du mari, producteur pour le label One Little Indian, qui lui demandait où en était le groupe. On a pris une guitare, enregistré les démos de sept chansons et lui avons envoyées. Il a répondu qu’il voulait nous voir live. On a réuni quelques amis, on a commencé à répéter et ce Ray, ainsi que Derek, le boss de One Little Indian, et son crew, sont venus nous voir. Ils nous ont trouvé « terribles » et ont voulu faire un disque. On pensait que c’était une blague tellement nous nous trouvions mauvais. Mais bon, ça devait leur paraitre bizarre et différent de voir réunis deux filles noires, trois noirs et un blanc à la batterie.

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Et là, c’était parti ?
Ça a pris du temps. On s’est revus, on a bossé en studio et rencontré des artistes qui gravitaient autour du label : Sugarcubes, Flux of Pink Indians, Annie Anxiety, Lee Scratch Perry… On a enregistré deux chansons pour le premier single.

« When You’re Sad » ?
Oui, qui au départ s’appelait « You push a nineteen to my room » mais Rough Trade qui distribuait a refusé ce titre. C’est pour ça qu’aucun titre n’apparait sur la pochette.

Vous allez vite lâcher ce son noisy pour un groove qui sera votre marque de fabrique.
On avait tous les deux 23 ans et une masse de musique incroyable derrière nous depuis la pop qu’on écoutait enfants comme Slade ou les Temptations. Adolescent, tu pourrais tuer pour la musique tandis que tu deviens plus cérébral à 20 ans, tu passes à des trucs avant-gardistes, au jazz. Mais nous n’étions pas des musiciens. On faisait donc la musique comme on le sentait et les rencontres ont été importantes. Après ce single, il y a eu « Pump Up The Volume » de M/A/R/R/S où nous avons travaillé avec John Fryer, un habitué du label 4AD dont on avait beaucoup écouté This Mortal Coil. Et là, on bossait avec lui, c’était juste incroyable. Il y a eu ensuite le EP Lollita qui partait dans une nouvelle direction car notre héros Robin Guthrie des Cocteau Twins nous produisait. On pouvait mourir après ça. On a ensuite eu de la chance de tomber sur Ray Shulman du groupe prog-rock Gentle Giant pour nous produire, il a été un mentor extraordinaire et nous aidés pour "i".

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On avait donc le droit d’aller où on voulait car n’étions liés à aucun genre. Peut-être que si on avait été fidèles à un style, nous aurions eu un public plus large.

Ensuite, pour le EP Up Home!, on est passés chez Rough Trade, puis ça a été l’album 69 où on a encore bossé avec de nouvelles personnes avec des approches différentes. On absorbait. Là, on s’est dit qu’on était bons pour avoir notre propre studio et ne plus subir les idées des autres, afin d’expérimenter librement. 69 n’aurait pas pu être réalisé avec quelqu’un d’autre dans la pièce. Il fallait le faire selon nos termes, pour essayer sans avoir honte, être embarrassés, ou demander de permission.

Étiez-vous contents du résultat ?
Oui, c’était au-delà de nos espérances. On ne s’attendait à rien, on ne savait pas trop ce qu’on faisait, on expérimentait des sons, des effets, tout en apprenant à utiliser le studio. Sans comparer à The Dark Side of the Moon qui est bien meilleur, c’est un peu le même genre d’expérience de disque où tu pars en voyage. 69 est notre travail le plus accompli. On avait dit à Geoff Travis, le patron de Rough Trade, qu’on ne voulait pas aller en studio et qu’on préférait la cave de la mère d’Alex. Elle était vide et on a pu y installer un studio pour nous isoler tels des moines. On voulait être tranquilles car Alex avait encore un travail à plein temps. Il rentrait diner, on commençait à travailler vers 19 h pour la nuit. Quand le soleil se levait, il repartait au boulot. On a très vite évolué musicalement grâce à cette liberté. C’est sûrement la raison pour laquelle cet album ne sonne comme aucun autre.

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Ce travail à deux en home-studio rappelle les duos synthétiques de l’époque.
Nous étions à l’intersection de l’histoire, en plein boom technologique, avec réduction des couts du matos informatique. On avait une boite à rythmes E-mu SP-1200 avec plein de samples, un synthé Casio et ça nous donnait un véritable orchestre, un peu comme Kate Bush quelques années avant avec son Fairlight. A part que ça nous avait coûté quelques milliers de livres au lieu d’une centaine de milliers. On était au croisement du do it yourself punk et de la richesse des nouvelles techniques de production.

C'est vous qui avez inventé l'étiquette « dreampop » ?
Dans une interview par David Stubbs pour le Melody Maker, nous avons expliqué que l’on ne s’inscrivait dans aucun genre mais que nous avions créé le nôtre qui s’appelait dreampop. Il se définit par une sensation de rêve dans la musique, mais c’est aussi la musique que nous entendons dans nos rêves. A prendre donc au propre comme au figuré, sans savoir que ça allait devenir un genre que d’autres allaient utiliser dans une dimension particulière : beaucoup de réverb’, de l’espace, des sons cristallins… Mais acheter une pédale réverb’ ne fait pas de toi un truc dreampop.

Comment expliques-tu autant de labels différents pour une carrière aussi courte ?
Parce qu'ils se sont tous comportés comme des enfoirés. Je suis content d’en parler car j’ai gardé ça pendant des années. Face aux majors, l’industrie des labels indépendants était censée être cool, droite, coopérante… La vérité, c’est que chez une major, tu sais où tu es. Ils disent qu’ils vont te baiser et ils te baiseront. Mais ils vont aussi essayer de faire le maximum d’argent possible. Alors que quand on négociait avec Geoff Travis, boss de Rough Trade, qu’on demandait 12.000 livres d’avance pour l’album, il disait : « C’est la musique ou l’argent qui vous intéresse ? » C’était de la manipulation. On avait 23 ou 24 ans - si ça se passait aujourd’hui, on lui mettrait un pain en pleine figure. Quant aux contrats qu’on a signés à l’époque, ils n’étaient pas aussi mauvais que ceux de Jimi Hendrix dans les années 60, et même meilleurs. 90 % pour les musiciens, 10 % pour le label. Mais le truc, c’est que le label détiendrait notre musique pour toujours. Il peut la refiler à qui il veut et tu n’as pas ton mot à dire. Il ne devrait pas le posséder de cette façon-là. Même si les contrats sont signés ainsi et que le droit est en leur faveur, cela reste contraire à l’éthique. Cela ressemble à de l’esclavage artistique. Quant à One Little Indian, c’est le label le plus bordélique que j’ai connu. On l’a laissé tomber car c’était impossible de bosser vu que le gars mentait en permanence. Pour ce qui est du contrat signé avec 4AD, on a été obligé de prendre un avocat pour les attaquer afin d’obtenir ce que nous méritions. Donc tout s’est un peu effondré pour nous. Dans l’industrie, on a eu la réputation de nous attirer des ennuis mais il s’agissait juste de défendre nos droits.

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Finalement, Rough Trade a été la meilleure maison à part qu’elle était mal gérée. Quand le label a fait faillite, Brian Bonner, qui possédait aussi une usine de pressage, a récupéré le catalogue chez One Little Indian pour quelques pennies. On s’est donc retrouvés là où on n’aurait pas dû. Lors de la faillite, ils auraient dû nous proposer de racheter notre catalogue. Ça n’aurait pas été terrible mais ça aurait été moins pire. Car je suis très mécontent qu’un label avec lequel on n’a pas signé puisse décider de ma musique faite il y a 20 ans. 69 se retrouve sur des sites de téléchargement dans une qualité très pauvre comparée au vinyle. Pour ses 30 ans, je voulais faire un coffret, des t-shirts, une petite tournée, et on m’a répondu : « Non, c’est à nous ».

Quelles ont été les répercussions sur votre carrière ?
Mon expérience des labels se rapproche de celle des profs à l’école, des gouvernements et de l’autorité en général : ce sont tous de sacrés cons. Cela renvoie au punk et à l’anarchie. Nous détestions l’oppression autant que les gens sans talent, ou les travailleurs exploités par ceux qui ne travaillent pas. Quand tu grandis dans cet état d’esprit socialiste, anarchiste, que tu signes avec un label en pensant qu’il partage ces valeurs alors que pas du tout… Mais ça ne nous a pas affectés du point de vue de l’écriture. On en a discuté avec Robin Guthrie et il nous a raconté les mêmes histoires. Récemment, j’ai raconté sur Facebook cette impossibilité de rééditer l’album et j’ai reçu plein de messages qui évoquaient le même type d’histoires d’artistes exploités.

Quelqu’un m’a aussi proposé de travailler sur un disque… gratuitement. Mais dans quelle industrie demande-t-on à quelqu’un de passer des milliers d’heures, de pomper sa créativité, d’utiliser le matériel qu’il a acheté, pour au final ne pas être payé ? Le pire, c’est que c’est quelqu’un de bien par ailleurs. Sommes-nous donc passés de l’autre côté du miroir ?

Le morceau « Pump Up The Volume » est mythique mais peu de gens savent que vous êtes derrière. Comment est-il né ?
On avait envoyé quelques chansons à 4AD en leur disant qu’on quittait One Little Indian. On aimait leur esthétique, l’artwork, les Cocteau Twins, This Mortal Coil, Dead Can Dance… Le boss Ivo a tout de suite été d’accord pour un disque sans signer de deal. On voulait que Robin la travaille la chanson « Lolita ». Il est venu nous voir sur scène, avec aussi Liz Fraser, The Jesus & Mary Chain, tous dans le public, tu imagines ? Robin est venu parler à la fin, super sympa, et il a accepté. On trainait aussi beaucoup avec Adrian Sherwood qui était du même quartier que nous, on allait chez lui écouter de la musique. On lui a dit qu’on voulait bosser avec lui. Il travaillait alors avec la section rythmique de Sugarhill Gang, la meilleure du monde. Et il pouvait nous l’obtenir ! On a annoncé ça à Ivo mais il a refusé en disant que c’était trop évident de bosser avec les gens d’On-U-Sound. Ivo avait un groupe qui n’avait rien fait depuis deux ans, Colourbox. Selon lui, c’était aussi une super section rythmique et ça pourrait être énorme avec nous. On a écouté et j’étais pas très fan, je ne suis pas très brit-soul mais bon, ils avaient un super son de batterie électronique. On s’est mis au boulot et ils ont apporté un bout de piano ambient dont on n’a pas voulu. On leur a dit qu’on allait coller dessus du bruit et du feedback pour en faire du drone. Martyn Young de Colourbox n’a pas pris ça très bien. On a commencé à travailler « Anitina » avec des rythmes que son frère Steve Young nous a programmés et ça a donné ce bout de musique abstrait qui ne rentrait dans aucune case, avec plein d’écho, des pédales de distorsion, une basse dub et ce groove dance qui nous a différenciés de tous les autres groupes indie. On a commencé à bosser sur un deuxième titre plus europop avec une drum machine énorme, une grosse basse rock et ce sample incroyable : « Pump Up The Volume ». Quand on a sorti le single avec les deux morceaux, on a trouvé ça très bon et on s’est dit qu’on allait en vendre des centaines de milliers. On en a vendu des millions.

Que s’est-il passé ensuite ?
Après "i", nous avons bougé le studio d’Alex dans East London près de ce qui sera le Village olympique. Alex apportait du travail de publicité afin de payer le studio. On a fait des jingles pour MTV, des musiques de pub… En une journée, on pouvait facturer 10.000 livres. Un jour, Alex a décidé de partir aux Etats-Unis. Il a quitté son boulot et il est parti. Je me suis retrouvé sans argent mais avec un studio. J’ai compris que je ne pourrai plus facturer aussi cher mon travail de producteur pour réaliser des disques. J’ai monté mon label, signé quelques artistes, et pendant deux ans, Alex et moi avons arrêté de travailler ensemble. Il n’était plus là et je produisais d’autres groupes. Quand David Byrne nous a proposés de faire un album, on a forcément accepté. On a commencé à échanger des morceaux et dès qu’on a eu assez de titres, on a enregistré à San Francisco. Mais une grande partie de notre connexion et de notre énergie était envolée. Je ne sais pas si c’est vrai de tous les artistes mais notre relation s’apparentait à un couple. On a fini par aimer les mêmes choses, lire les mêmes livres, et c’était tellement intense qu’on se disputait aussi tout le temps mais je me rends compte qu’on ne faisait qu’explorer ensemble des idées nouvelles. Les moments où on arrêtait de se disputer étaient ceux où on faisait de la musique. D’ailleurs, on ne se parlait même plus. On se challengeait mutuellement en expérimentant. Cette alchimie et notre amour étaient tels qu’ils ne pouvaient survivre à la distance. Parfois, l’éloignement rapproche, parfois il casse la relation, et c’est ce qui nous est arrivé. Quelque chose s’était cassé. Il nous est même arrivé de nous engueuler sur la musique, chose qui n’arrivait pas avant. On a quand même réussi à finir un album. J’en aime toujours la moitié mais l’autre n’est pas bonne. A.R. Kane, c’était deux personnes fondues en une. Là, on retrouvait deux personnes qui n’expérimentaient plus mais amenaient chacune leurs chansons finies en studio.

Pourtant, il n’y a qu’avec Alex que cette alchimie s’est faite.
Ça ne m’est jamais venu à l’idée de faire un disque avec quelqu’un d’autre. Comme je le disais, nous ne venions pas d’un background musical. Nous et notre entourage n’avons pris conscience de notre groupe que quand nous avons fait la couve du Melody Maker. Avant, je ne faisais confiance à personne, je n’avais rien en commun avec qui que ce soit.

Penses-tu qu’A.R. Kane avait encore à offrir ?
Je pourrais spéculer, mais bon… Nous nous sommes ensuite réunis pour un quatrième album en Californie où David Byrne nous a fait livrer un enregistreur numérique 8 pistes, un sampler et ce dont nous avions besoin. On a commencé à bosser des chansons et au bout de deux semaines, j’ai annoncé à Alex que je ne pouvais plus continuer. Ça n’allait pas. Je ne voulais pas coller de guitare sur sa chanson et lui n’allait pas chanter sur la mienne. Sur 69, on allait en studio sans avoir aucun plan. On serait bien incapable aujourd’hui de savoir qui a contribué à telle partie. Tout ça était bel et bien fini. J’ai dit à Alex que je ne savais pas si on retravaillerait ensemble mais que je ne pouvais pas bosser comme ça. Il fallait être honnête. Donc, est-ce que notre histoire aurait pu être différente ? La réponse est non.

Pascal Bertin est sur Twitter.