La vie à Cuba d’un dissident politique qui déteste Castro
Une affiche à l'extérieur du village de Cienfuegos montrant de la propagande gouvernementale contre l'embargo américain.

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La vie à Cuba d’un dissident politique qui déteste Castro

Des Cubains disent que les tentatives américaines de faire pression sur le régime de Castro n’auront aucun effet sur la répression politique.

Rien n’explique que l’on ne se fasse pas détrousser en déambulant avec nos t-shirts repassés et talons hauts à Cuba, en prenant des photos avec La Havane en arrière-plan, en faisant des commentaires sur l’art mural après avoir dîné dans un restaurant branché avec vue sur l’océan.

Comme les cartes de crédit ne servent presque à rien à Cuba, chacun sait bien que les touristes ont toujours sur eux quelques billets de banque. J’y pensais souvent quand je me promenais à La Havane pendant mes deux semaines de vacances, la peau un peu plus rouge chaque jour. Mais personne ne nous a embêtés, car si vous embêtez un touriste à Cuba vous disparaissez.

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Du moins, c’est ce que m’a dit Roberto, dont ce n’est pas le vrai nom. C’est un dissident politique, mieux vaut préserver son anonymat. « Vous pensez que tout le monde ici aime les Américains ? » m’a-t-il demandé en souriant.

Une chose est sûre, ils seront de moins en moins nombreux à visiter l’île en raison de la décision de Trump, annoncée en juin dernier, de rétablir des restrictions sur les voyages à Cuba en plus des restrictions commerciales. La question est de savoir si elle contribuera ou nuira aux efforts en vue de forcer un changement politique à Cuba.

Pour le moment, la promesse de Trump de limiter l’accès à l’île n’est qu’une promesse. Une directive présidentielle donnait à plusieurs agences fédérales jusqu’au 14 septembre pour rendre publiques de nouvelles politiques sur le commerce et les voyages à Cuba. À ce jour, aucune de ces agences n’a donné suite à la directive : les politiques américaines envers Cuba dans un purgatoire législatif. Et c’est toujours ainsi même après de mystérieuses « attaques acoustiques » contre des diplomates américains, entre autres, qui ont dégradé les relations entre les deux pays. Le Département d’État conseille simplement aux citoyens américains de ne pas voyager à Cuba.

J’ai rencontré Roberto après avoir croisé dans le quartier El Centro une femme qui m’a dit que son mari était critique envers le gouvernement. Le jour suivant, j'ai été invité chez eux pour qu'on me parle de la vraie vie des Cubains ordinaires. Ce qu'on ne voit normalement pas dans les magnifiques appartements de l’époque coloniale réservés avec AirBnB ou les impeccables hôtels gérés par le gouvernement.

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Roberto m’a montré la rallonge qu’il s’est construite avec des planches de bois volées à l’hôpital où il travaillait pour agrandir la boîte de six mètres carrés que lui alloue le gouvernement. Il vit ainsi un peu moins à l’étroit. Il a aussi fabriqué un système de collecte de l’eau de pluie pour ne plus avoir à aller chercher son eau potable. Son voisin d’en haut, un homme de 75 ans, n’a pas cette chance.

Roberto fait partie d’un réseau de dissidents politiques qui, discrètement, essaient de subvertir le gouvernement par d’humbles moyens, en particulier en mettant la main sur de l’information et en la faisant passer à ceux en qui ils ont confiance. Il a emprunté cette voie après que le gouvernement l’a placé sur une liste noire pour n'avoir pas voulu hocher de la tête en signe d’approbation tout au long des rencontres de propagande.

« Ce sont des conneries », a-t-il par exemple dit en levant les bras au ciel, exaspéré.

Il a donc perdu son emploi de technicien en radiologie et croit qu’on l’a empêché d’obtenir un autre emploi à l'hôpital, où les postes sont convoités. Après des années à conduire un vélo-taxi à La Havane, le gouvernement lui a mis des bâtons dans les roues une fois de plus en obligeant les chauffeurs de taxi et de vélo-taxi à posséder une licence. Devinez qui ne l’a pas obtenue?

Aujourd’hui, Roberto prend tous les petits boulots dans la construction qui passent, mais dépend surtout de sa femme pour payer les factures.

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Après huit jours à Cuba, à la fois comme touriste et journaliste, j'ai trouvé rafraîchissant de parler à Roberto, dont le témoignage à propos du gouvernement et son oppression des dissidents politiques s’accompagnait d’un sourire narquois et d’un humour noir. La plupart des Cubains que j’ai croisés disaient que tout allait bien, qu’il n’y avait pas d’oppression ou que, s’il y en avait, elle était exagérée ou simplement la conséquence de l’interventionnisme américain.

C’est ce que racontent aux touristes les Cubains depuis des années, selon Sebastian Arcos, qui a quitté Cuba pour les États-Unis en 1992 et qui travaille maintenant au Cuban Research Institute de l’Université internationale de Floride. « C’est un État policier, et les gens savent ce qu’ils doivent dire pour plaire au gouvernement. On vous fait croire que votre voisin ou que le gars au coin de la rue fait partie de la police secrète », m’explique M. Arcos par téléphone depuis Miami. « Ils les appellent des mercenaires. »

Roberto est allé plus loin. « Ils vous emmènent et font couler de l’eau sur votre tête pendant des jours si vous avez parlé contre le gouvernement, assure-t-il. Ils vous forcent à dire que vous avez été payés par les Américains pour dire ces choses. »

M. Arcos ne pouvait pas corroborer ce que m’a dit Roberto, en particulier l’utilisation du supplice de la goutte d’eau contre les dissidents politiques, mais il a raconté l’histoire de son père. « Oubliez les images de torture que vous voyez dans les films. Oui, ils vous battent. Ils vous placent aussi en isolation. Ils ne vous donnent presque rien à manger, et c’est de la nourriture de mauvaise qualité. Vous ne pouvez pas recevoir de visiteurs, ils ne vous laissent parler à personne. Ensuite, ils vous placent dans un pavillon cellulaire avec 15 criminels endurcis et leur disent : “Si vous vous en prenez à ce type, votre sentence pourrait être réduite.” C’est ce qui est arrivé à mon père. »

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Gauche : Des voitures classiques américaines sur la Malecon, boulevard balnéaire de La Havane. Droite : Une voiture abandonnée dans les rues du quarter El Centre de La Havane.

Trump a annoncé ses intentions à propos des restrictions sur les voyages vers Cuba quelques jours avant mon arrivée à La Havane, avec ma blonde, dans la nuit du 4 juillet. Nous avons été accueillis par des trombes d’eau, une humidité étouffante et un homme qui nous a conduits à la chambre que nous avions réservée. Par des rues sombres jonchées de tas de déchets, nous avons traversé le quartier délabré d’El Centro jusqu’à ce que l’homme nous désigne une porte. Nous avons cogné, une dame nous a ouvert et montré notre chambre.

Après quelques jours à explorer les environs, j’ai trouvé un bar où se rassemblent presque seulement les gens du coin. Luis, le barman, a éloigné les ivrognes de nous pendant qu’on payait nos bières. Un Allemand s’est approché et nous a demandé ce qu’on foutait là. Je lui ai répondu que je cherchais des gens qui pouvaient me parler du rétablissement de l’embargo décidé par Trump, ainsi que des dissidents politiques. Il nous a offert de traduire.

Pour plusieurs Cubains à qui nous avons parlé, l’embargo de Trump avait peu d'importance. Quel effet pourrait bien avoir le retour d’un embargo en partie levé il y a à peine quelques années par Barack Obama? demandent-ils. Quel effet pourrait bien avoir Trump sur un pays où beaucoup de gens cherchent seulement de la nourriture à mettre sur la table et des vêtements à mettre sur le dos de leurs enfants?

« Ça n’a aucune importance pour moi », m’a dit Francisco Sala, 80 ans. Il a vécu dans les quartiers délabrés de La Havane toute sa vie, mais il affirme qu’il en sait assez sur Trump pour ne pas l'aimer.

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Trump, comme les 11 présidents avant lui, croit qu’en mettant de la pression sur Cuba, le régime n’aura pas le choix d’accorder davantage de liberté politique à la population. « Ça n’arrivera pas, dit Roberto. Ils contrôlent tout. »

Y compris les médias. « On entend continuellement que les membres du gouvernement rencontrent des hommes d’affaires et des délégués étrangers, et que tout va vraiment bien, que les résultats seront bons pour les Cubains », me dit-il au sujet de l’information que présente le journal et la télévision d’État.

Un peu comme les incessants tweets vantards de Trump. Aux États-Unis, cependant, il y a l’avantage de pouvoir consulter d’autres sources.

La position de Trump a varié au fil des ans. En 1999, il était en faveur de l’embargo tout en essayant simultanément de l’enfreindre : il aurait tenté d’exploiter des occasions d’affaires sur l’île. Autour du début de sa campagne à la présidence en 2015, il s’est dit d’accord avec la décision prise par Obama de permettre aux Américains d’aller en voyage à Cuba. En 2016, quand on lui a demandé s’il était toujours en faveur de l’embargo, il a évité de répondre à la question en disant, par exemple au cours d’un débat lors des primaires, qu’il voulait conclure « un bon accord, un accord solide ».

En septembre 2016, Trump, devenu candidat républicain aux élections présidentielles, a déclaré qu’il n’était plus d’accord avec la décision d’Obama. Le jour de son annonce, il a affirmé devant une foule à Miami qu’il allait annuler le décret présidentiel d’Obama.

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« Je le ferai, sauf si le régime de Castro accède à nos demandes – pas mes demandes, nos demandes. Vous savez quelles sont ces demandes. Ces demandes comprennent la liberté de religion et la liberté politique pour la population cubaine, et la libération des prisonniers politiques. »

Deux jours plus tard, les résultats de sondage ont montré que Trump avait devancé Hillary Clinton en Floride pour la première fois en six mois, un État qui allait être déterminant dans sa victoire quelques semaines plus tard.

Un jour, sur la route entre Trinidad et La Havane, je me suis rappelé une affiche que j’avais vue tout près de Cienfuegos. Au bout d’un bras formé avec les lettres de Cuba, un poing frappait à la l’oncle Sam. Le corps de ce dernier était formé des lettres de bloqueo – le mot qu’emploie le régime cubain pour désigner l’embargo. J’ai dessiné sommairement la caricature et l’ai montrée au chauffeur de taxi pour qu'il m'y conduise, car je voulais prendre l’affiche en photo. Il a ri et m’a dit qu’il savait exactement où elle se trouvait.

Tous ceux à qui j’ai parlé m’ont dit que l’embargo ne fera que renforcer la position du gouvernement contre l’impérialisme yanqui.

Une fois que l’embargo renouvelé sera en place, il sera plus difficile pour les Américains d’aller en voyage à Cuba. Ceux qui le pourront iront en groupe, séjourneront sans doute dans des hôtels pour touristes exploités par le gouvernement, ne rencontreront probablement jamais des gens comme Roberto. Ils seront même moins susceptibles de parler à des Cubains ordinaires. Ils ne verront que ceux qui savent quoi dire. « Nous avons un système de santé gratuit. Nous avons d’excellentes écoles. Il n’y a pas de violence ici », ce que répètent ceux qui travaillent dans l’industrie du tourisme. C’est le gouvernement qui leur a dicté ces phrases, m’a dit Roberto.

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Si vous êtes Cubain et que vous parlez à un touriste d’autres choses, en particulier si vous êtes critique envers le gouvernement, il y a un risque qu’un agent des Comités de défense de la révolution vous entende, selon Roberto et M. Arcos. Ces comités sont constitués de Cubains lambda – voisins, collègues, amis – toujours à l’affût d’un mot de travers. « Les murs ont des oreilles », m’a dit Roberto.

Lui et d’autres donnent des nouvelles du monde en dehors de l’île aux Cubains à l’aide de matériel électronique illégal importé des États-Unis : des clés USB remplies de bulletins de nouvelles, mais aussi de téléromans et de matchs de baseball. « Il n’y a rien de bon à la télé cubaine », m'explique Roberto.

M. Arcos, lui, pense que l'embargo ne sera pas vain. « Ça a du sens d’encourager le régime de Castro à faire preuve d’ouverture avec la technique de la carotte et du bâton », estime-t-il.

Le gouvernement américain pourrait permettre à des entreprises d’avoir des activités à Cuba, des entreprises qui devraient payer des sommes substantielles au régime de Castro, mais qui pourraient aussi lui montrer qu’une hausse de l’activité économique bénéficie au gouvernement et à la population cubaine, selon M. Arcos. « Le tourisme pour obtenir des changements de politique gouvernementale, ça n’a jamais marché », conclut-il.

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Roberto pense au contraire que les touristes peuvent induire un changement. C'est une occasion pour les Cubains d’entrer davantage en contact avec eux et de se rendre compte que ce ne sont pas des impérialistes. Il se demande si Trump comprend ou connaît ce point de vue.

« Penses-tu que Trump lira ce reportage », m’a demandé Roberto quand nous nous sommes dit au revoir. « J’espère qu’il le fera parce qu’il y a un message pour lui. »

Justin Glawa est un journaliste indépendant de Dallas. Sa blonde, Sarah Bertness, est une rédactrice de mode; elle a contribué à ce reportage.