Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, DJ Seinfeld n'est pas là pour déconner
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Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, DJ Seinfeld n'est pas là pour déconner

Après s'être imposé sur la scène lo-fi house avec une poignée de titres spectaculaires, le producteur suédois sort un premier album à la profondeur surprenante.

Dans la mythologie d'internet, Windows Movie Maker a fait, un temps, figure de divinité mineure. Avec ses transitions élégantes, un niveau au-dessus de celles de Powerpoint, et ses filtres annonçant tristement ceux d'Instagram, Movie Maker a permis à des milliers de fans transis d'exprimer leur créativité débridée, mêlant extraits de mangas, captures d'écrans de Sims et d'émoticônes en code ASCII superposés à des lyrics retranscrits n'importe comment, pour rendre allégeance à leurs artistes favoris. Les résultats étaient parfois ambitieux, souvent effroyablement gênants, mais, alors qu'on n'en était qu'aux balbutiements du web 2.0., cette pratique du clip vidéo édité à l'arrache a représenté un plus non négligeable dans les moyens d'expression des fans.

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Il nous faudra sûrement encore attendre quelques années avant d'assister à un retour de Movie Maker en bonne et due forme, mais un étrange courant de musique électronique underground a amené récemment la critique à reconsidérer la valeur les clips faits-maison. Le producteur suédois Armand Jakobsson ne se contente en effet pas d'apprécier ces vidéos de fan qu'on pourrait croire d'un autre âge : il en passe commande.

Ces dernière années, sous le nom de DJ Seinfeld, il a produit des morceaux deep house basés sur des emprunts à la B.O. de Twin Peaks d'Angelo Badalamenti (« U »), des gazouillis acid house (« Feel De Bum Slap ») et de la trance mélancolique, tout en distorsion et scintillements (« Time Spent Away From U »). Avec des bruits de bande et une distorsion omniprésents – choix de production délibérés –, le travail de Jakobsson s'est vite retrouvé étiqueté « lo-fi house », aux côtés de gens comme Ross From Friends et DJ Boring. Et comme c'est habituellement le cas pour tous les genres se développant sur internet, la lo-fi house a rapidement eu droit au passage dans l'essoreuse de la dissection analytique et des articles rageurs.

La musique de Seinfeld est autant révérée que critiquée. Ses détracteurs pointent du doigt son pseudonyme-blague, son style de production et l'amateurisme des clips accompagnant ses titres les plus populaires qui, selon eux, desserviraient les morceaux. Mais, pour d'autres, c'est ce second degré et le sentiment nostalgique présent dans sa musique qui font le charme de DJ Seinfeld. Et ses clips pixellisés, faits à partir d'extraits d'Hôpital Central et des Frères Scott – agrémentés du logo de la chaîne en bas à droite de l'écran et du filtre « vieux film » sur Movie Maker, font partie intégrante du cocktail, mélange de charme désuet et de sincérité.

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« Les [vidéos] sont faites par un mec, sa chaîne s'appelle OOUKFunkyOO. J'ai publié quelques trucs via sa chaîne parce que j'admire vraiment ce qu'il fait », nous raconte Jakobsson au téléphone depuis Barcelone, sa ville d'adoption. « C'est un bon pote, je lui fais confiance pour trouver la bonne interprétation. »

Mais le premier album de Seinfeld, Time Spent Away From U (sorti ce 3 novembre sur Lobster Fury) va bien au-delà de tout le folklore qui l'entoure. Il ne suffira probablement pas à convaincre les sceptiques de la valeur et de la pertinence de la scène lo-fi house, mais son respect appliqué et évident de la tradition house mérite d'être salué. Ce disque montre également une nouvelle facette, plus sombre et sensible, du producteur-déconneur, le communiqué de presse l'accompagnant le décrivant comme une « longue lettre d'amour post-rupture… venue d'un dancefloor silencieux. »

En vérité, Time semble plus adapté aux heures qui suivent la fermeture d'un club : quelqu'un qui tourne de l’œil sur un canapé, une télé allumée que personne ne regarde et un mix obscur tiré d'une vieille cassette et uploadé sur YouTube, faisant subitement naître un sentiment de nostalgie pour cette soirée à laquelle on n'a pourtant jamais mis les pieds.

On a discuté avec Jakobsson de son ascension dans le royaume de la lo-fi house, du fait d'être un producteur sérieux avec un nom pas sérieux, et de la douloureuse rupture qui est à l'origine de Time.

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Photo - Dani Canto

Noisey : Je sais que tu produis sous les pseudos Rimbaudian et Birds of Sweden, mais est-ce qu'il y a eu un morceau en particulier qui t'a fait réaliser que tu avais besoin d'un nouveau nom ?
DJ Seinfeld : D'une certaine manière, j'ai toujours essayé de faire de la dance music crade. Pendant un moment, j'étais parfaitement heureux de pouvoir le faire en tant que Rimbaudian, mais il y a environ un an, j'ai eu une rupture un peu difficile et j'ai un peu arrêté de faire de la musique. J'enchaînais juste les épisodes de Seinfeld, et je sortais beaucoup marcher. Quand j'ai recommencé à faire de la musique, j'ai eu envie d'y aller encore plus vénère, encore plus crade. Je ne réfléchissais pas trop à la finition ou à la cohérence du son. C'était plus un truc qui venait des tripes, pas exactement comme avec Rimbaudian, qui était mon seul autre projet à l'époque. L'idée, c'était : « Pourquoi ne pas prendre un nouveau pseudo et faire des trucs de manière anonyme pendant un temps ? ».

Quand le nom « DJ Seinfeld » a commencé à apparaître sur internet, j'ai l'impression que beaucoup de gens se sont focalisés sur le nom, le côté ironique, comme pour les noms des autres producteurs de lo-fi house, et que la musique est passée au second plan.
C'est le cas. J'ai toujours aimé l'humour dans l'art et, comme [DJ Seinfeld] est resté anonyme pendant longtemps, je me sentais très libre de faire ce que je voulais, et de faire des blagues sans paraître offensif envers quoi ou qui que ce soit. C'était un truc libérateur, mais, très vite, il y a eu tout ce bordel autour du nom.

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Je n'ai pas voulu me prendre la tête là-dessus, mais j'ai vu des gens écrire qu'ils refusaient d'écouter ma musique juste à cause du nom. Ça me va complètement s'ils ont envie de fonctionner comme ça, mais je me suis dit que c'était une approche totalement réductrice de la musique en général. Il y a tellement d'exemples d'artistes qui produisent des œuvres anonymement et qui les appellent « sans titre » ou « artiste inconnu ».

De nature, tu dirais que tu es plutôt déconneur ou sérieux ?
Avant, mon plus grand problème c'est que je me prenais trop au sérieux, en tant que personne, mais aussi dans ce que je faisais. Avec les expériences que j'ai traversées ces dernières années, j'ai réussi à prendre de la distance et à ne pas prendre les choses trop à coeur. Je prends la musique très au sérieux ; c'est le truc sur lequel je me concentre le plus aujourd'hui, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas m'amuser quand j'en fais. Il y a tellement de bonne musique en ce moment, ça me remet très vite à ma place.

Il y a beaucoup de morceaux sur Time Spent Away From U qui avaient déjà été publiés sur Soundcloud au cours de l'année dernière. Est-ce que tu as toujours eu en tête les morceaux qui allaient figurer sur l'album, ou est-ce que tu t'es laissé guider par les réactions des gens pour tes choix ?
Je n'avais pas prévu de faire un album du tout, en fait. Je voulais simplement faire des morceaux, et comme tout ce truc Seinfeld est resté anonyme pendant longtemps, je ne réfléchissais pas trop au format sur lequel ça allait sortir. C'est mon pote Nick Williams, avec qui je travaillais sous mon ancien nom, et Jimmy Asquith de chez Lobster Theremin… On a réalisé que je postais plein de musique sur mon Soundcloud et on ils ont fini par me convaincre, après un long moment. J'étais hésitant au départ, parce que je m'étais toujours dit, quitte à faire un album, autant essayer de faire un truc plus conceptuel. Genre, en partant de zéro, et construire tout une histoire autour, mais ça a finit par coller quand même, de manière rétroactive.

On a presque l'impression que c'est moins un album qu'une mixtape hyper-personnelle destinée à une personne en particulier.
Je pense que la raison pour laquelle il sonne un peu comme une mixtape, c'est qu'il est issu d'une période de ma vie très particulière. Après les avoir postés, je n'ai pas écouté les morceaux pendant un bon moment, et ça a joué sur mes incertitudes, mais quand je les réécoute maintenant, j'arrive un peu à voir d'où l'inspiration venait. C'est pour ça que j'ai choisi d'être assez transparent et honnête sur leur origine. À partir du moment où tu as une exposition publique à une échelle un peu plus grande, ça fait toujours un peu peur de lire des reviews et de recevoir des critiques sur ce que tu fais. Je me suis dit que pour mon propre bien, j'allais simplement être aussi honnête que possible et que ça allait être un immense soulagement, au moment de leur parution, de savoir que je n'aurais rien d'autre à en dire. J'ai enlevé le pansement, il reste peut-être une cicatrice, mais c'est guéri.

Maintenant que tu es passé à autre chose, est-ce que c'est plus facile ou plus difficile pour toi de produire de nouveaux trucs ?
Je trouve ça beaucoup plus difficile de faire de la musique maintenant, sans être drivé par une force émotionnelle écrasante. J'ai pris l'habitude de produire des choses de manière très impulsive et sur le moment, mais aujourd'hui, j'ai envie de me développer non seulement en tant que producteur, mais aussi en tant qu'artiste. Je me souviens avoir rencontré un DJ à Paris au moment où je commençais à avoir un peu de visibilité ; il est venu me voir et m'a dit « Mec, quoi qu'il se passe, garde le cœur brisé : ça fonctionne. » Maintenant, quand je traverse un de ces creux créatifs et que je n'arrive pas vraiment à enregistrer de trucs bien, je me dis, « Merde, peut-être qu'il faudrait que quelqu'un me re-brise le cœur. » C'est une façon un peu perverse de voir les choses, j'imagine.

L'album dans sa globalité parle clairement d'un « U » [« Toi »] bien défini ; on retrouve la lettre dans plus de la moitié des titres de Time Spent Away From U. Est-ce que tu te demandes ce que la personne représentée par ce « U » va penser de ces morceaux ?
Cette personne, « U », je n'ai pas vraiment été en contact avec elle depuis longtemps. Une des chansons, « I Saw Her Kiss Him In Front Of Me And I Was Like WTF? » [« Je l'ai vue l'embrasser devant moi et j'étais là 'putain !'] était très honnête et ça remonte… À plus d'un an maintenant. On avait quelques amis en commun et je ne sais pas si elle sait qui je suis ou que les morceaux parlent d'elle, d'une certaine manière. Je ne veux juste jamais avoir de titres de chansons agressifs ou garder de la rancœur. Ça parle de cette personne « U », mais ça parlait tout autant de moi, d'une certaine manière. Pendant un moment, je pensais que l'album allait s'appeler « U and I » [« Toi et Moi »], juste à cause de la crise identitaire que je traversais. Mais ouais… Je pense qu'elle sait. Je ne suis pas sûr.