« Le tout premier album que j'ai écouté était Aquemini. C'était chez ma grand-mère. J'ai reçu l'album, il y avait les paroles dans la pochette du CD. Je me revois placer le CD dans le lecteur, appuyer sur “play” et passer toute la journée à essayer de rapper dans mon coin. Ça été ma première expérience de rap. » Dans une interview au Gros Journal en août 2017, Mac Miller aurait pu faire comme tout le monde et citer en référence ATLiens ou Stankonia parmi les grands albums hip-hop concoctés par OutKast. En préférant l’honnêteté à l’uniformisation des goûts, le rappeur américain a donc permis de réhabiliter Aquemini, loin d’être l’album le plus connu d’André 3000 et Big Boi. Du moins, en France…
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Pourtant, c’est peu dire que ce troisième album est un disque charnière dans la discographie du duo d'Atlanta : c’est celui qui synthétise le son chaud de Southernplayalisticadillacmuzik et les délires futuristes développés sur ATLiens, celui où André 3000 et Big Boi s’émancipent d’Organized Noize (uniquement présent sur quatre des seize morceaux réunis ici), celui où ils s’essayent aux instrumentations live, aux mélodies à tiroirs (congas, gospel, influences jamaïcaines, sample de Giorgio Moroder, etc.), celui, enfin, où ils prennent peu à peu leur distance l’un de l’autre. Car oui, le titre (combinaison des deux signes astrologiques des rappeurs : Aquarius et Gemini) est trompeur : c’est bien chacun de leur côté qu’André 3000 et Big Boi ont enregistré une partie d’Aquemini, ce dernier profitant même de cette méthode de travail pour s'offrir deux morceaux en solo, « West Savannah », qui date des sessions de Southernplayalisticadillacmuzik, et Slump », qui raconte avec malice les aléas de la vie d’un dealer quand il ne parvient plus à vendre.Parce qu’on a l’impression qu’il y aurait encore tout à tas de choses à dire au sujet d’Aquemini – les rimes en « o » incroyables de Raekwon, invité sur « Skew It on the Bar-B » ; « Return Of The « G » et le premier couplet imparable d’André 3000, métamorphosé en vrai lyriciste tout au long du disque -, on a préféré laisser la parole à d’autres figures du rap. Et à en croire les réponses de Disiz, Sameer Ahmad, Joe Lucazz ou encore Denzel Curry et Le Motel, on ne s’est pas trop planté.
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Denzel Curry
Disiz La Peste
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C’est sans doute pour ça que j’ai toujours eu une affection particulière pour OutKast, au point de m’inspirer du morceau « Elevators (Me & You) » pour « Une autre espèce », sur mon précédent album. Aquemini, même si j’estime que c’est sans doute le plus rap d’OutKast, est vraiment fou dans sa conception, avec ce sample de Giorgio Moroder sur « Return Of The “G” » et cette flopée de mélodies qui, sans aller à l’encontre de l’univers du duo, peuvent séduire un public qui n’écoute pas de rap. En clair, Big Boi et André 3000 ont toujours été l’exception à la règle au sein du hip-hop américain, et Aquemini le prouve une fois de plus.Avec le recul, on se dit même que c’est dommage qu’aucune formation n’ait vraiment réussi à reprendre le flambeau, que ce soit en France ou en Amérique. Peut-être que si je faisais un album avec Booba, ça donnerait le même genre de magie [Rires]… Plus sérieusement, c’est regrettable parce qu’il y a largement assez de talents à l’heure actuelle pour donner vie à un duo aussi mythique, et en même temps aussi différent de tout ce que l’on connaît. C’est peut-être juste que cette bizarrerie ne serait pas viable au sein de l’industrie musicale…. »« J’avais beaucoup aimé leur premier album, mais je suis vraiment entré dans l’univers OutKast avec ATLiens. Ça parlait d’histoires de pimp avec des sons laidback, ça passait d’un funk orienté pour les clubs à un jazz plus expérimental, et c’était complètement fou ! J’ai l’impression que c’est aussi à cette époque, en 1996 donc, qu’André 3000 et Big Boi ont défini leurs rôles : d’un côté, le poète lunaire et désinhibé ; de l’autre, le mec terre à terre, ancré dans la rue. Ça leur offrait une singularité au sein du paysage rap, et je trouve qu’ils sont parvenus à fusionner ces deux aspects à la perfection sur Aquemini, mon album de rap préféré.Ce que j’aime ici, au-delà du fait que le titre de l’album fusionne leurs signes astrologiques et que l’on ne sait pas toujours qui rappe, c’est qu’on sent qu’ils se servent l’un de l’autre. Sans Big Boi, André 3000 aurait eu beaucoup de mal à se faire accepter, il n’aurait jamais été perçu autrement que comme un hurluberlu et n’aurait pas été validé comme ça par le ghetto : sans André 3000, Big Boi n’aurait qu’un rappeur de rue de plus. Là, sur Aquemini, on sent leur différence, mais on sent aussi qu’ils travaillent ensemble, qu’ils s’entendent à la perfection et qu’ils se respectent. De toute façon, André 3000 est un des plus grands rappeurs techniquement. On a l’impression qu’il n’est pas dans les temps ou qu’il va parfois trop vite, mais il était très en avance sur son époque, avec un côté un peu saxophone dans sa façon de faire sonner son flow.
Sameer Ahmad
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D’un point de vue plus personnel, étant originaire de Montpellier, je dois dire que le fait qu’OutKast ne vienne ni de Los Angeles, ni de New York, ça m’a vraiment parlé. D’ailleurs, sur mon dernier morceau, « South Side » », je reprends à mon compte à la phrase qu’avait balancé André 3000 lors des Source Awards de 1995 : « The South got something to say » ( « Le Sud a son mot à dire »). On dirait que ça leur a permis d’être plus libre et de faire preuve de davantage d’audaces que d’autres groupes. D’ailleurs, j’ai toujours pensé que si l’on ne pouvait pas rattacher OutKast à d’autres formations hip-hop, c’est avant tout parce qu’André 3000 et Big Boi sont les petits enfants d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix et des albums de Funkadelic. Il y a un côté hippie dans leur démarche, quelque chose qui tient autant de la beat generation que du background afro-américain. Quand tu écoutes leurs morceaux, tu sens le bayou, la chaleur poisseuse dans le son et dans les basses. Pour moi, c’est du Dirty South avant l’heure, pas pour le côté vulgaire de ce genre musical, mais simplement pour l’aspect poussiéreux de leur musique. Avec, toujours, ce délire rétro-futuriste dans leurs clips et sur leurs pochettes, ce petit quelque chose qui donne l’impression que les années 1970 ont été upgradées et pimpées.La pochette d’ Aquemini symbolise bien ça avec ce côté pimp et tout cet univers qui donne l’impression que la blaxpoitation a été réactualisée. Il y a une vraie atmosphère, très cacthy, que ’on retrouve dans l’album avec quelques productions d’Organized Noize alors au climax de leur carrière. Tout y est très expérimental, et ce dès l’introduction : le sample est assez simple, mais l’arrivée du saxophone chamboule tout et rend le morceau complétement dingue. On comprend très vite que tout est très bien pensé ici, notamment sur l’enchainement entre « Nathaniel » et Liberation ». En gros, il s’agit d’abord d’un interlude où on entend un mec rappait depuis une prison sur une simple piste, puis débarque un morceau hyper orchestré, très épique, avec un titre pour le coup assez symbolique, « Liberation ». En cela, Aquemini est vraiment un film à part entière, où l’emplacement de chaque snare, de chaque beat, de chaque voix ou de chaque claviers Moog a été méticuleusement pensé. Là où d’autres disques mythiques, comme Mauvais œil de Lunatic, par exemple, proposent des morceaux nettement plus interchangeables. »
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Joe Lucazz
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