On est allé voir des supporters craquer des fumis au théâtre
Photos : Pascal Victor Artcom Press

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Football

On est allé voir des supporters craquer des fumis au théâtre

Cinquante supporters lensois ont investi le théâtre de la Colline pour jouer « Stadium », une pièce documentaire qui parle de leur amour pour le RC Lens et pour tout ce que le club représente dans la région.

Théâtre de la Colline, haut-lieu de la culture française et parisienne, un week-end de septembre. Parmi les 800 spectateurs présents dans la salle comble cet après-midi, au milieu des éternels lycéens assoupis et des étudiants zélés, deux quinquagénaires endimanchés discutent de leur dernière sortie en ville. Le premier, emmitouflé dans un chèche bleuté, recommande vivement le musée Marmottan et sa « scénographie impeccable », tandis que son compère à la barbe poivre et sel s'insurge contre la dernière mise en scène d'un classique de l'opéra qu'il compare à « un spectacle de partouzeurs nudistes ». De prime abord, pas vraiment le genre de personnages passionnés par le monde du foot, encore moins par celui des tribunes. Et pourtant, nos deux quinquas s'apprêtent à passer une heure et demie à écouter des supporters du RC Lens exprimer tout leur amour pour leur club. Bien calés dans leur fauteuil, ils vont assister dans quelques minutes à une représentation de Stadium, pièce écrite et mise en scène par Mohamed El Khatib, lui-même ancien joueur de foot de bon niveau.

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Le principe du spectacle ? Du « théâtre documentaire », nous explique le dramaturge, veste de survet' du RC Lens sur le dos. Un documentaire qui entremêle vidéos, danse, dialogues et monologues, joués par des « acteurs » qui n'en sont pas. Car les gens qui montent sur scène parlent d'eux et de leur vie. La cinquantaine de Lensois de tous âges et de toutes origines présente sur les planches ce jour-là évoque son amour pour le club du RC Lens, mais aussi pour son antre, le stade Bollaert, et pour ses héros, le public sang et or. Sans solennité abusive mais avec humour.

« Orphelin de pute » et académie du 6-2

Un à un, tous les travers associés au supportérisme en France, et au mouvement ultra en particulier, sont abordés et tournés en dérision. De même pour les clichés peu flatteurs qui poursuivent les Lensois et les habitants du Pas-de-Calais. Dès le début de la pièce, un supporter sang et or, voix égrillarde et tchatche intarissable, nous explique avoir créé l'équivalent de l'Académie française à l'échelle du Nord-pas-de-Calais. Une institution chargée de promouvoir la richesse lexicale des insultes balancées en tribunes. Ainsi, cette académie du 6-2 a breveté un « orphelin de pute » plein de respect au lendemain de la mort de la mère de l'arbitre d'un match du RC Lens.

Yvette, entourée de sa famille assise en tribunes, et des pom-pom girls

Puis c'est au tour d'Yvette, 85 ans et un goût immodéré pour les goodies du RC Lens, de faire son entrée, entourée de sa famille plus que nombreuse. Elle supporte le club depuis 1977. Assise sur la tribune installée sur scène, elle jure qu'elle n'a « jamais raté un match » depuis. Au point de stresser légèrement son mari : « En 1997, il m'a dit: « Je n'en peux plus de ton football, je n'en peux plus de voir la maison toute jaune et rouge, maintenant tu choisis, c'est moi ou le football. » Yvette a choisi le RC Lens, « sans hésiter » évidemment.

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« Désolé, on pensait pas que vous saviez lire »

Ludovic Nanzioli, capo du Kop Sang et Or, l'un des principaux groupes ultras de Bollaert, partage le même sens des priorités puisqu'il place en premier ses enfants, « ensuite le RC Lens et seulement après ma femme ». Son physique imposant jure avec un regard doux et une sensibilité évidente, loin de l'image du bastonneur bourré du soir au matin que « tous les médias prêtent aux ultras ». « Ludo » évoque la banderole anti-ch'tis qui avait été déroulée par les ultras parisiens au stade de France en 2008. Et s'en marre ouvertement : « Franchement, ramener une banderole de 25 mètres dans le stade le plus sécurisé de France, respect. Et puis quand on l'a vu se dérouler peu à peu et qu'on a lu mot après mot chômeurs, pédophiles, consanguins, on s'est dit bravo les mecs. Mais le meilleur, après toute la polémique que ça avait créé à l'époque, c'est qu'au match suivant, les Parisiens avaient sorti une nouvelle banderole, "Désolé, on pensait pas que vous saviez lire". »

« Ludo » a accepté de participer à la pièce parce qu'elle représente « l'une des rares occasions pour les ultras de se montrer sous un autre visage auprès du grand public, d'évoquer nos valeurs, notre engagement politique » : « Même les anciens Supras d'Auteuil [le plus vieux groupe ultra parisien, ndlr] sont venus voir la pièce et m'ont félicité à la sortie. Ils m'ont dit que j'aidais beaucoup la mouvance. » Car entre deux anecdotes sur la banderole ou une baston contre les Parisiens au parc Astérix, il dénonce une forme de violence dont souffrent les supporters de toute la France : celle des préfectures qui les interdisent régulièrement de déplacement dans les stades des équipes adverses. Des arrêtés qui confinent parfois à l'absurde, comme lors de ce déplacement annulé pour cause de travaux qui empêchent la bonne circulation autour du stade car ils « amputent le trottoir de douze centimètres. »

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Plutôt cool l'entracte

A la « mi-temps » du spectacle, où public et acteurs se retrouvent autour de la baraque à frites installée sur scène, Mohamed El Khatib, également docteur en sociologie, explique qu'il a aussi monté cette pièce pour rendre compte de cette réalité : « Beaucoup de gens sortent de la pièce en se disant : "On a appris plein de trucs, en fait, les supporters, c'est pas ce qu'on pensait, pour nous, un ultra, c'était un hooligan." Ils découvrent la passion que ça exige, le temps que ça prend, les emmerdes familiales que ça implique, le combat politique que ça représente. Ils retrouvent ce dénominateur commun de l'engagement qui leur parle forcément. »

Pierre Bachelet à Buenos Aires

Cette passion, on la retrouve chez tous les personnages qui apparaissent sur scène, avec leur dose de folklore qui cache à chaque fois une belle histoire : une pom-pom girl féministe, « Monsieur Georges » qui agite à chaque match son drapeau de douze mètres et quatorze kilos en écoutant du Vivaldi en hommage à sa mère, décédée depuis, qui avait mis trois ans à le tisser, ou encore cette mascotte lensoise ancien danseur de ballet. « Le folklore était l'écueil majeur dans lequel il ne fallait pas tomber, rembobine Mohamed El Khatib, qui a travaillé deux ans sur ce projet. On s'est dit qu'on allait donner la friterie et les pom-pom au public, mais qu'on allait les déplacer pour casser les codes et démontrer que ces éléments folkloriques sont du second degré, qu'ils sont pleins d'auto-dérision. Le stade et son décorum, c'est un jeu de rôle, c'est la même chose qu'au théâtre, c'est la même dramatisation. »

Bouquet final et chant des Corons

Trois fumis craqués plus tard, c'est le bouquet final. Chant des Corons et clapping, une partie du public de La Colline se prend au jeu. Nos deux quinquas ne connaissent que le refrain de cette chanson, reprise à chaque match de Lens par le stade Bollaert, mais ils l'entonnent à plein poumons. Yvette, Ludovic, Georges et tous les autres terminent le spectacle jusque dans le hall. La plupart d'entre eux poursuivront la tournée en France, puis à l'étranger, puisque Stadium va s'exporter jusqu'à Buenos Aires, autre grande ville de foot, qui va donc passer l'espace de quelques représentations du tango et Maradona à Tony Vairelles et Pierre Bachelet.

Stadium se joue jusqu'au 7 octobre au Théâtre de la Colline dans le XXe arrondissement de Paris (30,50 euros au tarif plein).