Théâtre de la Colline, haut-lieu de la culture française et parisienne, un week-end de septembre. Parmi les 800 spectateurs présents dans la salle comble cet après-midi, au milieu des éternels lycéens assoupis et des étudiants zélés, deux quinquagénaires endimanchés discutent de leur dernière sortie en ville. Le premier, emmitouflé dans un chèche bleuté, recommande vivement le musée Marmottan et sa « scénographie impeccable », tandis que son compère à la barbe poivre et sel s'insurge contre la dernière mise en scène d'un classique de l'opéra qu'il compare à « un spectacle de partouzeurs nudistes ». De prime abord, pas vraiment le genre de personnages passionnés par le monde du foot, encore moins par celui des tribunes. Et pourtant, nos deux quinquas s'apprêtent à passer une heure et demie à écouter des supporters du RC Lens exprimer tout leur amour pour leur club. Bien calés dans leur fauteuil, ils vont assister dans quelques minutes à une représentation de Stadium, pièce écrite et mise en scène par Mohamed El Khatib, lui-même ancien joueur de foot de bon niveau.
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Le principe du spectacle ? Du « théâtre documentaire », nous explique le dramaturge, veste de survet' du RC Lens sur le dos. Un documentaire qui entremêle vidéos, danse, dialogues et monologues, joués par des « acteurs » qui n'en sont pas. Car les gens qui montent sur scène parlent d'eux et de leur vie. La cinquantaine de Lensois de tous âges et de toutes origines présente sur les planches ce jour-là évoque son amour pour le club du RC Lens, mais aussi pour son antre, le stade Bollaert, et pour ses héros, le public sang et or. Sans solennité abusive mais avec humour.Un à un, tous les travers associés au supportérisme en France, et au mouvement ultra en particulier, sont abordés et tournés en dérision. De même pour les clichés peu flatteurs qui poursuivent les Lensois et les habitants du Pas-de-Calais. Dès le début de la pièce, un supporter sang et or, voix égrillarde et tchatche intarissable, nous explique avoir créé l'équivalent de l'Académie française à l'échelle du Nord-pas-de-Calais. Une institution chargée de promouvoir la richesse lexicale des insultes balancées en tribunes. Ainsi, cette académie du 6-2 a breveté un « orphelin de pute » plein de respect au lendemain de la mort de la mère de l'arbitre d'un match du RC Lens.
« Orphelin de pute » et académie du 6-2
Puis c'est au tour d'Yvette, 85 ans et un goût immodéré pour les goodies du RC Lens, de faire son entrée, entourée de sa famille plus que nombreuse. Elle supporte le club depuis 1977. Assise sur la tribune installée sur scène, elle jure qu'elle n'a « jamais raté un match » depuis. Au point de stresser légèrement son mari : « En 1997, il m'a dit: « Je n'en peux plus de ton football, je n'en peux plus de voir la maison toute jaune et rouge, maintenant tu choisis, c'est moi ou le football. » Yvette a choisi le RC Lens, « sans hésiter » évidemment.
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« Désolé, on pensait pas que vous saviez lire »
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A la « mi-temps » du spectacle, où public et acteurs se retrouvent autour de la baraque à frites installée sur scène, Mohamed El Khatib, également docteur en sociologie, explique qu'il a aussi monté cette pièce pour rendre compte de cette réalité : « Beaucoup de gens sortent de la pièce en se disant : "On a appris plein de trucs, en fait, les supporters, c'est pas ce qu'on pensait, pour nous, un ultra, c'était un hooligan." Ils découvrent la passion que ça exige, le temps que ça prend, les emmerdes familiales que ça implique, le combat politique que ça représente. Ils retrouvent ce dénominateur commun de l'engagement qui leur parle forcément. »Cette passion, on la retrouve chez tous les personnages qui apparaissent sur scène, avec leur dose de folklore qui cache à chaque fois une belle histoire : une pom-pom girl féministe, « Monsieur Georges » qui agite à chaque match son drapeau de douze mètres et quatorze kilos en écoutant du Vivaldi en hommage à sa mère, décédée depuis, qui avait mis trois ans à le tisser, ou encore cette mascotte lensoise ancien danseur de ballet. « Le folklore était l'écueil majeur dans lequel il ne fallait pas tomber, rembobine Mohamed El Khatib, qui a travaillé deux ans sur ce projet. On s'est dit qu'on allait donner la friterie et les pom-pom au public, mais qu'on allait les déplacer pour casser les codes et démontrer que ces éléments folkloriques sont du second degré, qu'ils sont pleins d'auto-dérision. Le stade et son décorum, c'est un jeu de rôle, c'est la même chose qu'au théâtre, c'est la même dramatisation. »
Pierre Bachelet à Buenos Aires
Trois fumis craqués plus tard, c'est le bouquet final. Chant des Corons et clapping, une partie du public de La Colline se prend au jeu. Nos deux quinquas ne connaissent que le refrain de cette chanson, reprise à chaque match de Lens par le stade Bollaert, mais ils l'entonnent à plein poumons. Yvette, Ludovic, Georges et tous les autres terminent le spectacle jusque dans le hall. La plupart d'entre eux poursuivront la tournée en France, puis à l'étranger, puisque Stadium va s'exporter jusqu'à Buenos Aires, autre grande ville de foot, qui va donc passer l'espace de quelques représentations du tango et Maradona à Tony Vairelles et Pierre Bachelet.Stadium se joue jusqu'au 7 octobre au Théâtre de la Colline dans le XXe arrondissement de Paris (30,50 euros au tarif plein).