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pyeongchang 2018

JO d'hiver : ces athlètes venus de pays où la neige n'existe pas

Leur présence en Corée du Sud est à elle seule un exploit.
Samir Azzimani, à gauche, lors des Jeux olympiques de Vancouver en 2010. Photo Reuters 

« Bon courage pour ton sky ». Au Timor-Oriental, ancienne colonie portugaise d’Asie de l’est, où le mercure ne descend jamais sous les 20 degrés, les habitants ne connaissent ni la neige, ni le ski. Le mot n’existe même pas dans le dialecte national, le Tétoum. Alors quand ils postent des commentaires sur la page Facebook de Yohan Goutt, qui représentera leur pays lors des Jeux olympiques de Pyeongchang, les Timorais prennent quelques libertés et remplacent le « i » de ski par un « y ».

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L’anecdote peut faire sourire. Pourtant, le Timor-Oriental n’est pas une anomalie : de nombreux pays n’ayant pas de culture de sports de glisse seront pourtant représentés aux Jeux Olympiques. Mais pour ces athlètes, l’exploit ne se limite pas à dévaler les pistes à toute berzingue. En amont, il faut trouver des financements, des infrastructures, un entraîneur, et parfois cumuler le tout avec un emploi.

Avant d'espérer sa première participation olympique, Yohan Goutt a été confronté à plusieurs problèmes. Premièrement, ses compatriotes ne savaient pas ce qu’était le ski. « Je leur ai expliqué que c’était des “patins de neige”, car ils connaissent le patin à glace ». Affaire classée. Second souci, au Timor-Oriental, il n’y avait aucune fédération dans le sport d’hiver, ce qui rend plus compliquée la participation aux Jeux olympiques.

Assis dans un café parisien, Yohan raconte comment il a monté la fédération de ski du Timor, avec l’aide de ses proches. « Avec ma mère, on a bâti le règlement en se basant sur celui de la fédération française. Aujourd'hui, elle est chef de mission à la fédération timoraise. Le directeur et le trésorier sont des amis de la famille ».

À Pyeongchang, Yohan participera à l’épreuve de slalom, et est bien parti pour être qualifié en géant. En 2013, un an avant sa première participation aux JO, il avait eu besoin de conseils. Samir Azzimani, qui avait concouru en slalom en 2010 à Vancouver sous les couleurs du Maroc, un pays où le ski ne déchaîne pas les passions, lui avait alors fait part de son expérience. Au fil des discussions, les deux se sont liés d’amitié. En 2018, les deux potes iront pour la première fois ensemble aux JO.

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À 40 ans, Samir a cette fois obtenu sa qualification en ski de fond. Avant d’en arriver là, celui que l’on surnomme « Couscous Rocket » a dû, comme tout le monde, réaliser les minimas. Pas une mince affaire, surtout lorsqu’en plus de son entraînement, il faut obtenir des financements. « C’est dur de convaincre les institutions. Au Maroc, on a la chance d’avoir un nouveau comité olympique et une fédération qui se bouge. Dans le passé, ça a été très difficile », détaille Samir. Une vision partagée par Mathilde Petitjean, fondeuse togolaise, qui participera au sprint en style classique et au skating 10 kilomètres : « C’est un peu un casse-tête pour rester dans mon budget, mais je finis toujours par m’en sortir. La maîtrise de la logistique est devenue une seconde nature ».

Pour apporter une contribution financière, le comité national olympique de chaque pays sélectionne certains athlètes, qui bénéficient de la solidarité olympique, une bourse de 850 euros par mois. Yohan Goutt, Mathilde Petitjean et Samir Azzimani la perçoivent tous les trois. Si elle ne couvre pas l’intégralité de leurs frais, elle se révèle d’une aide précieuse. « Franchement, si je n’avais pas eu la fédé et le comité olympique derrière moi pour valider cette bourse, j’aurais été asphyxié », admet Samir. Chacun a ensuite sa propre méthode pour joindre les deux bouts. Mathilde et Yohan n’ont aucune aide financière de leur fédération. Ils peuvent compter sur leur famille, même si Yohan a dû mettre en 2015 sa carrière sportive entre parenthèses, « pour remettre un peu d’argent de côté ».

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« A la pause dej, j’allais courir 10-15 kilomètres. » - Samir Azzimi, skieur marocain et chauffeur VTC.

Il y a quelques mois, alors qu’il n’avait réalisé que trois des cinq minimas, Samir a entrepris un voyage en Nouvelle-Zélande, pour participer à plusieurs compétitions et tenter d’officialiser sa qualification. A cours de financement, il a bossé comme chauffeur VTC pour payer son billet d’avion. Son quotidien pendant un mois : conduire des VIP à Roland-Garros et au salon du Bourget. Un job difficile à conjuguer avec son planning d’entraînement. Déterminé, le skieur marocain s’est adapté : « Lors de ma pause à midi, j’allais courir 10-15 kilomètres à Longchamps. Il fallait ensuite être frais et disposé pour aller chercher les VIP, alors je prenais une douche dans la fontaine de Longchamps ». Il enchaînera ensuite avec un métier d’homme à tout faire dans un restaurant du Grand-Bornand. « Cette cadence m’a permis d’avoir une très bonne condition physique », estime-t-il avec le recul.

Côté entrainement, là aussi, la débrouillardise est de mise. Après avoir été membre de l’équipe de France junior pendant deux ans, Mathilde Petitjean a rejoint en 2013 la fédération togolaise, renonçant au confort d’une grande nation comme la France. « Le Togo ne connaît pas la neige. Il n’y a pas de moyens financiers dédié aux sports d’hiver et encore moins d’infrastructures », détaille-t-elle. Pour poursuivre sa carrière, Mathilde s’est exilée depuis trois ans à Québec, au centre national canadien Pierre Harvey. « Il y a tout ce dont un fondeur a besoin : des coachs de qualité, un staff médical et technique et surtout de très bons coéquipiers d'entraînement ». Un environnement favorable qui a permis à la Togolaise d’atteindre les Jeux olympiques. « Sans eux, je n’aurai aucune chance de courir de façon équitable lors des compétitions internationales », explique-t-elle avec pragmatisme.

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Depuis un an, Yohan évolue lui au sein d’une petite structure, entraînée, ironie du sort, par celui qui était son voisin de palier lors des JO de Sotchi. Avant cela, il était membre de la structure Motion Team, structure composée d’athlètes de petites nations, qui s’entraînent et vont sur les lieux de compétitions tous ensemble. « Elle était composée d’autres athlètes de différents pays : Israël, Roumanie, Irlande. Mais elle s’est arrêtée cette année », explique Yohan. La raison ? Le coach est devenu papa…

La solidarité entre les athlètes des « petits pays » est réelle. Lors de son trip en Nouvelle-Zélande en septembre 2017, Samir a rencontré un fondeur originaire des Bermudes. Très vite, les deux se sont rapprochés et entraidés. « Il ne savait pas trop chaîner les pneus. Donc il me conduisait avec sa voiture et moi, je chaînais la voiture », se souvient le Marocain. Se déplacer à plusieurs, partager les frais, des détails qui paraissent futiles, mais qui permettent d’économiser. Car une année olympique a un prix. « Celle de Sotchi m’avait coûté 70 000 dollars. Ce n’est rien pour la fédération française, mais pour un Timorais c’est énorme. Cette année, j’ai essayé de réduire et elle me coûte environ la moitié », expose Yohan.

« Les gens pensent qu’il est plus facile de faire partie d’une petite nation, mais détrompez-vous ! » - Mathilde Petijean, skieuse togolaise.

Au-delà des difficultés, être l'unique athlète à porter haut les couleurs de son pays dans le plus grand évènement sportif au monde procure des émotions impérissables. « J’ai le sentiment d’être le symbole de tout un pays pendant un court instant », avoue Mathilde. Yohan, lui , se rappelle de la cérémonie d’ouverture à Sotchi. « Je marchais, je portais le drapeau du Timor-Oriental devant un milliard de téléspectateurs », se remémore-t-il avant d’évoquer le caractère plus personnel de la course olympique. « Mon objectif c’était d’arriver en bas : que mon nom et mon drapeau soient affichés ».

Lorsqu’on lui demande si au cours de la compétition, il s’est senti comme le « petit poucet », le Timorais réfute immédiatement. « Au village olympique, tu sens une égalité vis-à-vis de tous les athlètes. On mange tous dans un immense centre de restauration. Un jour tu peux être assis à côté d’un champion du monde et l’autre à côté d’un skieur du Ghana ». À l’inverse , Samir, lui , pointe le regard de certains athlètes, qui considèrent que les qualifiés des petites nations n’ont pas toujours le même mérite que ceux des grandes, qui ont été soumis à une concurrence plus féroce. « Certains doivent se dire “il est aux JO uniquement car il est Marocain”. Moi je sais ce que j’ai dû accomplir pour arriver là ». Sa collègue togolaise Mathilde est sur la même longueur d’onde : « Les gens pensent qu’il est plus facile de faire partie d’une petite nation, car on échappe aux sélections grâce au faible nombre d’athlètes, mais détrompez-vous, c’est bien plus difficile ». On veut bien la croire.