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Music

Pourquoi « Lemonade » de Beyoncé est mon disque préféré de 2016

À l'heure de Lemon Twigs, de « Stranger Things » et de la nostalgie connectée, il reste heureusement quelques artistes progressistes, modernistes et à l'écoute de leur époque.

Le grand vainqueur et la grande défaite de 2016 portent le même nom : pop culture. Elle a été partout, gobée et broyée par le consumérisme sans foi ni loi de l'époque. La musique ne vaut plus rien mais fait quand même vendre ? Foutons-là dans un vaste bordel transversal où Jean Dujardin, NKM, Stranger Things, Augustin Trapenard, le potimarron, Super Mario et Audrey Pulvar seront pop culture. Où caser un mug connecté ? Rubrique pop culture, mec. Un nouveau SUV pour faire Bastille-Répu ? Collons-lui un sticker pop culture. Heureusement que Lemmy Kilmister n'a pas vu ça… Et inutile de rejeter lâchement la faute sur des créatifs cocaïnomanes : tous sont responsables, médias en première ligne qui ont baissé le froc dans une course au jeunisme perdue d'avance.

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Admettons. Mais que faudrait-il alors garder de cette année de pop culture ? Lemon Twigs, Delerm, Divine Comedy ? Merci à l'Histoire de retenir autre chose que la playlist constipée que François Bayrou utilise pour ses séances de step, repliée sur ses fondamentaux mélodiques, hermétique à toute évolution, nostalgique de la semaine de boulot de 40 heures et du temps béni des colonies, celles des vacances à l'Hôtel de la Plage. Et Beyoncé dans tout ça ? On va pas vous raconter qu'elle est mieux ou moins bien, d'ailleurs on sait tous que les tops ne servent qu'à des partenariats avec des sites de streaming. Mais quitte à nous bassiner avec des formules fumeuses, on voit difficilement en cette année pop culture artiste plus progressiste, plus à l'affut de son temps. Plus moderniste.

Elle qui n'hésite pas à bosser sur son sixième album avec James Blake, Jack White, Ezra Koenig de Vampire Weekend (à ne pas confondre avec le vampire The Weeknd là aussi), Kendrick Lamar, Just Blaze ou l'inévitable Diplo, condition certes non suffisante à sa qualité mais révélatrice de son ambition de ne pas rester scotchée sur une énième redite en vrac de Diana Ross, Janet Jackson, TLC ou Destiny's Child. Ça donne un album redoutablement varié, souvent beau à fondre en larmes comme devant un koala, bizarrement plus intimiste qu'un barbu gratteux en session acoustique chez Pitchfork, plus dépressif qu'une photocopie émo de Joy Division venue de San Diego, comme son « Sandcastles » au piano plus plombé que les pompes de Cousteau. Sur Lemonade, on sample Led Zep, des productions Alan Lomax, OutKast, Isaac Hayes et Animal Collective. C'est même plus de la pop culture, c'est le rayon vis et boulons du BHV de l'industrie musicale. « Freedom », « Don't Hurt Yourself », la balade à la guitare « All Night » : toutes démarrent par ces intros tarées et fières qui ne trompent pas. Elles ne se retournent pas en chialant sur papa maman mais avancent juste sans se retourner. Elles ne se replient pas en boule pour empiler les formats rassurants des charts des décennies d'avant mais ont le goût de la victoire. Sa soul vampirise autant le R&B, le hip-hop que le gospel, et cartonne tout ce qui fait l'air du temps pop de 2016. Sinon j'ai pas vu le film qui accompagne Lemonade. Mais parait que « l'expérience utilisateur » déchirait. Pascal Bertin est sur Twitter.