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Music

Pourquoi l'album de MHD est mon disque préféré de 2016

En fait, je n'ai même pas eu besoin de l'écouter en entier, « Roger Milla » m'a suffi.

Avant de devenir une superstar Skyrock et le créateur d'un nouveau genre musical nommé afro-trap, MHD – pour Mohamed, son prénom – était un jeune garçon originaire d'une petite ville du deep-ouest français, La Roche-Sur-Yon. Son père est Guinéen, sa mère Sénégalaise, et comme tous deux ont eu la bonne idée de fuir au plus vite la région vendéenne, le petit Mohamed Sylla constitue, lui, un authentique produit des bâtiments construits en marge de la station Crimée, 19 e arrondissement.

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À 20 ans, il était un illustre inconnu membre d'un groupe de rap de rue random nommé 1.9 Réseaux. À 21 ans, il commençait son hybridation de rap français et de zouk digital et devenait instantanément big dans toutes les voitures avec ses vidéos YouTube et hits underground « Afro Trap », déclinés en version 1, 2, 3, 4, 5 et 6 – le numéro 3, « Champions League » devenant l'hymne de tous les clubs non-branchés de France. À 22 ans, en mai 2016, il sortait son album MHD, et passait sur Canal +. C'est là que, par hasard, je le découvrais.

J'ai cessé de m'intéresser à l'actualité du rap français et international il y a au moins cinq ans. Depuis, je suis ça de loin, en tant qu'ancien passionné, et sais apprécier (toujours avec un sourire en coin) les nouveautés intéressantes. Si j'aime Future ? Oui. Young Thug ? Pas mal. Lil' Yachty ? Indubitablement sympa. En bref, je suis un gros con. Toutefois, je ne suis pas assez condescendant pour refuser de m'enflammer lorsque je tombe sur un truc totalement immédiat, niqué, pop, bizarre, dansant, véner et soft tout ça à la fois, et qu'en plus, le mec habite à 600 mètres de chez moi. C'est comme ça que je me suis retrouvé, au bureau (ma vie est comme la vôtre : faite de compromis) à regarder sept ou huit fois d'affilée la vidéo de « Roger Milla ».

Roger Milla était l'avant-centre de l'équipe nationale du Cameroun dans les années 1980. Ses performances et le temps ont fait de lui une légende totale du football africain. Le mec avait une moustache fournie et des dents pétées qui vous donnaient immédiatement envie d'avoir de l'empathie pour lui. Il était connu pour danser le makossa devant le poteau de corner lorsqu'il marquait. En plus de ça, il était fun, marrant, jouait pro en France et avait dans les yeux ce truc obscène qui le faisait ressembler à un frontman d'un groupe de funk. Il avait 38 ans quand il planta deux buts à la Colombie en huitièmes de finale de la Coupe du monde 1990 en Italie. Grâce à lui, les Lions Indomptables se qualifiaient en quarts.

« Roger Milla » est aussi un morceau de MHD. 3 minutes et 21 secondes d'explosion cosmique instantanée. Impossible à danser tellement chaque note de chaque boucle est riche de milliers d'idées simultanées. Le genre de tubes qui vous donnent des frissons dans la moelle osseuse quand vous l'écoutez pour la première fois. Plein de morceaux procurent ce genre de sensations certes, mais ce sont tous des morceaux du genre de « Still Tippin », « Billie Jean », « 1999 » ou « Love Is The Drug ». Ce sont des trucs qui ressemblent plus à des monuments faits de sang, de sueur et de mortier érigés au-dessus de falaises de 4 kilomètres de haut, qu'à de la vraie musique. Le terme générique pour parler de ce type de tracks, c'est classique. « Roger Milla » est un classique.

Le reste de l'album varie entre le moyen et l'excellent, entrecoupé de titres tellement évocateurs et possiblement horribles que je n'ai pas voulu les écouter. Pas respect pour MHD. Qu'attendre en effet d'un morceau nommé « Maman j'ai mal » ? Ou « Tout seul » ? D'un espace temporel pour réfléchir sur moi ? Non. Le titre à lui seul garantit le probable ratage de l'entreprise. Mais ça prouve également à quel point MHD est réglo. Il nous met direct sur la voie de son propre échec, refusant en bloc la langue de bois.

Il est étonnant de constater à quel point cet album fut ignoré au sein des listes de fin d'année. Le mauvais goût des rédacteurs musique n'explique pas tout. Peut-être que MHD est tellement visible, tellement présent, que ces derniers l'ont mécaniquement oublié. Ou peut-être aussi qu'il s'agit d'un move prémédité de la part de ces mêmes spécialistes, pensant que l'afro-trap du nord-est parisien ne mérite pas encore une apparition entre Booba, quatre disques de soft rock analogues, Christine & the Queens et Ariel Pink du fait même de son ancrage sociologique : les blédards d'ici, quelques zoukeurs infatigables, les Africains (MHD a fait une tournée monumentale en Afrique de l'Ouest en début d'année) et la classe moyenne blanche peu éduquée. Qui sait.

À moins qu'en réalité, les gens de la musique ne s'intéressent tout simplement pas à MHD. Auquel cas, ces derniers passent à côté du seul truc exceptionnel à être sorti de Paris depuis Taxi Girl.