Le dernier David Bowie vivant

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Le dernier David Bowie vivant

À la rencontre de David Brighton, le plus fidèle imitateur de Bowie, qui n'a jamais autant travaillé que durant ces deux dernières années.

Au début des années 2000, je tournais un spot publicitaire en France pour la marque Vittel, où David Bowie débarquait dans une résidence hantée par ses alter ego. Vêtu d'un sweat camel et d'un pantalon noir, Bowie jouait son propre rôle, au milieu de tous ses autres : dans une pièce, Ziggy Stardust se séchant les cheveux, surpris qu'on le dérange; dans une autre plan, Aladdin Sane jetant un regard noir, puis à la fin, le Thin White Duke, attablé en cuisine.

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« Vittel » concluait la voix off, « chaque jour une vie nouvelle. »

Pour tourner cette pub, Bowie ne s'était pas cloné. Non, il avait simplement engagé un de ses sosies nommé David Brighton, l'homme qui a été considéré par le producteur de « Young Americans » Harry Maslin comme la seule personne au monde « pouvant passer pour David Bowie quand celui-ci n'était pas disponible. » Earl Slick, guitariste pour Bowie pendant quatre décennies, s'emballait en affirmant que Brighton « avait autant étudié Bowie que Bowie avait étudié Elvis ». Son dossier de presse contient d'autres témoignages similaires de l'entourage de Bowie. Et pourtant, selon Brighton lui-même, rencontrer Bowie pour la première fois sur ce tournage « tenait de l'horreur la plus surréaliste ».

« Son talent semblait tellement infini » se rappelle Brighton. « Et moi j'étais là dans mon costume de Ziggy Stardust, tu vois, avec un flingue pointé sur ma tête », plaisante t-il, en toute humilité.

Quand les caméras arrêtaient de filmer, Brighton se remémore Bowie, continuant à jouer, toujours à donner des micro-performances, singeant l'accent américain, faisant du mime ou lançant des pas de danse que personne n'avait jamais vus.

Bowie, maître en mime, a défié Brighton de réussir à disloquer sa tête, de la promener d'un côté à l'autre, comme le clown de « Ashes to Ashes ». Brighton ne pouvait pas le faire, ils ont donc utilisé des effets spéciaux et ajouté un menton ici et là pour faire illusion. Le produit fini contenait « une moitié de chacun d'entre eux », affirme t-il.

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Les deux Bowie ne se sont jamais recroisés. Et la mort du vrai, 15 ans plus tard fut la première d'une année marquée par de nombreux décès. En revanche, pour le spectacle de Brighton, « The Space Oddity: The Ultimate David Bowie Experience », ce fut l'année la plus faste de leur existence.

Le matin du 10 janvier 2015, Brighton était à son bureau de Los Angeles, s'apprêtant à passer une matinée banale à gérer les détails de son show—les parties de saxophone, le prix des billets—quand il a soudain croulé sous les mails. Alors qu'il commençait à tout juste réaliser la nouvelle, son téléphone ne cessait de sonner.

« J'avais l'esprit anesthésié » me raconte Brighton via Skype. « Pendant des semaines, je passais 18 heures par jour à tenter de répondre à tout le monde, appels, textos, emails… » Des gens inconnus appelaient pour booker le groupe. Les fans envoyaient des tas de messages de réconfort. Le soir venu, Brighton devenait un catalyseur de toute cette peine collective.

« On a donné un spectacle ce week-end là, et l'émotion était incroyablement forte » poursuit-il. Les fans, dont beaucoup étaient eux aussi en costume de Bowie, pleuraient pendant l'ensemble de « The Space Oddity », un show qui était « aussi proche que possible du vrai… même si nous savions que nous ne pourrions jamais livrer le même ». C'est une clarification que Brighton fait souvent, prudent et humble quant à son rôle d'imitateur.

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Juste avant la mort de Bowie, le groupe avait donné plusieurs shows dans des casinos de Las Vegas et dans les soirées de variété Legends in Concert, un étrange univers où vous pouvez croiser des versions bien vivantes de Michael Jackson, Prince, Bowie ou des Beatles, dans les coulisses.

Mais en 2016, « il y a eu des moments où l'on a craqué sous la pression, surtout moi ». Réquisitionnés régulièrement pour des fêtes d'anniversaires de baby boomers pleins aux as, ou pour des concerts au Mexique, où Brighton inquiétait la police-frontière avec sa gigantesque collection de perruques. De grandes enseignes ont tenté d'acheter le concept (ils ne l'ont pas vendu). Ils ont même refusé de jouer à Glastonbury (à contrecœur).

Cet engouement aussi énorme que soudain a rendu Brighton perplexe. « Un truc horriblement triste avec l'humanité c'est que quand nous perdons quelque chose, nous le voulons encore plus » dit-il. « Ce serait bien si nous pouvions apprécier les choses quand nous les avons, mais ça ne semble pas être dans notre constitution. » De son côté, Brighton se réfère toujours à Bowie au présent : « Je ne parle jamais de lui au passé. Je n'en suis pas encore là. »

La dévotion de Brighton pour Bowie va bien au-delà d'une simple reconnaissance, même si elle est née par accident. Guitariste de carrière, Brighton a joué avec tout le monde, de Stevie Wonder à Little Richard en passant par Elton John. Puis il a bossé sa propre musique dans les années 80. « Les maisons de disques écoutaient mes démos et me répondaient que ça sonnait bien trop comme Bowie ou que ça ressemblait à quelqu'un qui faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas sonner comme Bowie ». Et il a joué le jeu à fond. Au milieu des années 90, en même temps que Brigthon développait son moi Bowie, il jouait George Harrison dans Beatlemania, six soirs par semaine à Las Vegas.

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Pour affiner son art, Brighton étudiait les vidéos de Bowie dans son salon, examinait les clichés de la star, le physique, les gimmicks, afin de parfaire au maximum sa ressemblance avec l'icône. Le visage de Brighton est plus allongé que celui de Bowie, mais son nez et sa bouche son très similaires. Et comme par hasard, il a le même prénom. Dès 2000, le groupe, composé de musiciens qui avaient eux aussi un lourd passif (avec les Doors, Frank Zappa, Sly Stone), a donné sa première représentation dans un petit club de Los Angeles. Brighton avait évité délibérément de faire trop de promo : « C'était le risque de passer vraiment pour un naze » se marre t-il aujourd'hui.

Le soir du concert, « la peur m'a saisi comme jamais elle ne l'avait fait auparavant » se souvient-il. Mais quand il est arrivé sur scène dans sa tenue inspirée de « Rebel Rebel » et qu'il a vu l'implication du public, « c'était comme de voyager dans le temps ».

Evidemment, le groupe a fini par attirer l'intention du webmaster de Bowie, et une sorte d'échange a débuté. Le camp Bowie s'est mis à poster des vidéos et les dates de concerts de la troupe sur son site officiel. Puis ils ont invité Brighton à faire la pub Vittel. Quand les musiciens de Brighton se sont perdus dans les arrangement labyrinthiques d'Aladdin Sane, l'acteur-clé de la carrière de Bowie Mike Garson en personne a déterré de vieilles notes manuscrites et les a offertes à « The Space Oddity. »

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Les costumes sont une autre paire de manches. Une pièce entière de la maison de Brighton dans la vallée de San Fernando Valley est dédiée à ses douzaines de looks inspirés de Bowie—des pièces customisées qui ont coûté des milliers de dollars. Certains n'ont jamais vu la lumière ; d'autres crient rapiéçage. Epaulé par un ami qui s'est occupé des costumes de plusieurs volets de La Panète des singes, Brighton a du faire face à un problème récurent : les matériaux utilisés dans le glam-rock des annnées 70 ont fait leur temps. « Tu ne retrouveras jamais certains tissus, peu importe l'endroit où tu te trouves sur la planète, à moins que tu ne les refabriques toi-même » affirme t-il. Et c'est ce qu'ils ont fait, notamment en recréant de toutes pièces la fameuse combinaison à rayures de Kansai Yamamoto.

« The Space Oddity » navigue entre 5 époques de Bowie, le long de 4 décennies, chacune requiérant « un pot pourri de gimmicks de scène ». Au fil des deux heures, Brighton se métamorphose en Ziggy Stardust de l'autre monde, en danseur invétéré Thin White Duke, et aussi en Bowie « moins mystérieux et plus personnel », période Modern Love.

Alors que Brighton décrit son processus comme « obsessionnel », il doit toutefois faire quelques concessions pour coller à la réalité. « Le costume qu'il portait à l'époque de Rebel Rebel ? Je le porte parfois pendant la séquence Ziggy. Il ne le portait pas quand il chantait 'Suffragette City', mais alors quoi ? On parle quasiment de la même période… »—prenant les devants des critiques de certains fans inflexibles.

Par moment, le tableau est à tel point fidèle que Brighton a du mal à y croire. Il y a quelques années, il a reçu un colis par la poste—il contenait un moule en argile du visage de David Bowie. Il provenait d'un ami à lui qui avait travaillé sur un film avec le chanteur. « Ça ressemblait à un corps mort, les yeux étaient fermés », se souvient Brighton. Il a posé le moule sur son propre visage (« la sensation la plus bizarre et angoissante qui soit »), et l'a reproduit en blanc pour son interprétation du Thin White Duke. Fusionnant les époques, il a dessiné un éclair dessus. « C'est vraiment le visage de Bowie, au bout d'une baguette. C'est un petit bonus supplémentaire. »

Annalies Winny est sur Twitter.