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Music

Stéphane Sednaoui est un de nos plus grands trésors nationaux

De Björk aux Red Hot Chili Peppers, en passant par Tricky, NTM et MC Solaar, tout le monde ou presque est passé sous son objectif, que ce soit pour un clip, une pochette d'album ou les deux.

En 1992, à une époque où internet n'existait pas encore, Stéphane Sednaoui réalisait, en à peine six semaines, deux clips, deux pochettes de disques, trois séries de photos pour des magazines de mode et un reportage. Tout ça, entre Londres, Paris, Tokyo, Kyoto, Bangalore et New York. Vingt-quatre ans plus tard, lorsqu'on le rencontre dans les jardins du Pont Neuf, à Paris, forcément, le rythme a ralenti : le photographe français ne fait plus de clips et ne collabore plus avec des musiciens. Mais son nom a marqué de manière indélébile les années 90 : de Björk aux Red Hot Chili Peppers, en passant par Tricky, NTM, Kylie Minogue, Madonna, MC Solaar et Mick Jagger, tout le monde ou presque est passé sous son objectif, que ce soit pour un clip, une pochette d'album ou les deux. Autant dire que, du tournage du clip de « Give It Away » à sa session photo avec Andy Warhol, en passant par sa rencontre avec Jean-Paul Gaultier, le type a pas mal de choses à raconter.

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Noisey : Comment es-tu venu à la photographie ?
Stéphane Sednaoui : À la base, je ne voulais même pas être photographe. Mon rêve, depuis que j'ai 12 ans, c'était d'être réalisateur. Cela dit, ma mère étant acheteuse d'art chez Publicis, puis agent de photographes, avec des tonnes de bouquins à la maison, j'ai très vite été confronté à la photo. Et c'est en ouvrant un livre de William Klein que j'ai eu la révélation. J'étais complètement bluffé, je trouvais que la photo était un moyen d'expression incroyable. Alors, en 1980, à 16-17 ans, ne sachant pas comment j'allais pouvoir pénétrer le monde du cinéma, j'ai commencé à m'amuser avec un appareil photo. Surtout, j'ai compris que c'était possible de s'investir là-dedans sans trop de technique, en assumant et acceptant ses erreurs. Ce que je fais toujours d'ailleurs.

Tes premiers travaux, c'était quoi ?
C'était des recherches personnelles avec en tête le travail de Klein, de Kertesz et de Robert Frank. J'avais mon appareil noué autour de la main et, pendant trois ans, je me suis baladé dans les rues en faisant des photos sans regarder dans l'objectif. Je me perfectionnais au gré des accidents. En parallèle, j'ai aussi fait des rencontres. À 17 ans, par exemple, alors que je vais pour la première fois en boîte, aux Bains-Douches, une femme nommée Pauline, intriguée par mes cheveux longs à une époque où c'était has-been, vient me voir et me dit que son boss, Jean-Paul Gaultier, cherche des mecs comme moi. Je ne connaissais absolument rien à la mode, je crachais même sur ces magazines élitistes, mais je savais qui était ce nouveau couturier parce que ma mère avait acheté une de ses vestes quelques semaines plus tôt en m'expliquant qu'il était plein de talent. Forcément, j'étais curieux et, lorsque je suis arrivé dans son studio, j'ai découvert un univers tout sauf prétentieux.

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C'était ouvert, libre. Je voyais passer dans son studio des mecs comme Keith Haring, Boy George et autres artistes incroyables à observer pour un jeune homme de 18 ans. On était dans le vrai, la culture de la rue, et c'est pourquoi je suis resté entre 1982 et 1985 à ses côtés, apparaissant dès qu'il avait besoin de moi. Il m'utilisait comme mannequin, me remerciait en vêtements, j'aidais pendant les défilés et, en même temps, je pouvais expérimenter librement en photographiant ce qui se passait.

Rencontrer des mecs comme Haring ou Warhol, c'était impressionnant ?
Keith Haring, je le croisais sans lui parler. Des amis à moi le fréquentaient, mais moi j'étais le petit jeune qui bossait un peu pour Jean-Paul Gauthier. Cela dit, pour une série autour de Gaultier j'ai eu l'occasion de me faire photographier par Warhol dans la Factory à New York. Malheureusement, je n'ai pas osé faire de même. Il était célèbre et je ne trouvais pas ça classe, donc je me suis retenu… Ces rencontres, en tout cas, c'est ce que j'aimais avec Jean-Paul. Il y avait une vraie énergie et un vrai échange, comme lorsque William Klein – qui était passé pour présenter son projet de film [Mode In France] – a feuilleté mon dossier photo qui trainait sur la table. Après une chouette discussion, il m'a proposé d'être le directeur de casting de son film. C'était le rêve : j'avais 21 ans et j'avais l'occasion de travailler avec mon idole.

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Après, tu commences à travailler avec The Face et Details. Ce sont ces supports qui t'ont permis de bosser avec des musiciens ?
À 22 ans, boosté par mes expériences avec Klein et Gaultier, je me suis mis à travailler dans tous les sens, mais surtout dans des sens opposés, comme attiré par des forces antagonistes - une ambiguïté dont je me nourris maintenant pour mes projets artistiques. D'un côté, je faisais de vrais photo-reportages pour Libération, de l'autre je commençais un travail conceptuel et pop pour The Face et Details, avec des séries autour de la mode et l'entertainment. Ce qui m'a amené fin 1989, juste après ma meilleure série pour The Face, à partir photographier la Révolution Roumaine pour Libération. J'ai vu là-bas des choses horribles, un terrain vague jonché de cadavres. À 26 ans, je n'étais pas préparé à ça.

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À mon retour en janvier 1990, je n'étais plus capable de photographier la mode, tout me paraissait dérisoire à côté de ce que je venais de vivre. Je voulais rester dans cette vérité, suivre d'autres conflits et devenir vraiment utile. Je pensais à l'œuvre humaniste d'Eugene W. Smith et ça me convenait mieux. J'avais aussi décider de m'installer à New York. C'est à ce moment-là qu'un ami, Franck Chevalier, manager de NTM, m'a demandé de faire leur premier clip. C'est ce qui a tout fait basculer, devenir réalisateur et travailler avec des musiciens forts. Le monde de la musique se trouvait pile au croisement du réel et du conceptuel. Avec la musique on peut mener une vie artistique tout en restant connecté à la réalité, aux gens de la rue. Je pense toujours que, à ce moment-là, Franck m'a sauvé la vie ou détourné d'une carrière aveuglée par trop de misère humaine.

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C'est marrant que ce soit NTM qui te fasse rentrer dans ce milieu quand on sait à quel point le groupe était finalement assez proche de certains créateurs de mode à l'époque….
C'est vrai qu'il y avait quelques connexions entre eux et le milieu de la mode, notamment via la styliste Gigi Lepage qui était très proche de NTM et avec Franck Chevalier, leur manager, qui auparavant travaillait à la presse de Jean-Paul Gaultier, mais je parlerais plus de street style que de mode. Joey Starr et Kool Shen étaient très durs et directs et n'étaient pas facilement influençables. Par contre, le look était important pour véhiculer leur message. Je pense plutôt que la mode a récupéré le mouvement, tout comme la politique a essayé, mais du côté de NTM, il y avait trop d'intégrité pour se fatiguer avec la mode. Par contre, c'est vrai que quand Franck m'a proposé de faire ce clip, certains critiquaient ce choix. À leurs yeux, j'étais trop affilié au domaine de la mode… Mais le clip a séduit pas mal de monde, même les rappeurs américains, comme A Tribe Called Quest.

Comment on passe, en moins d'un an, de NTM aux Red Hot Chili Peppers avec « Give It Away » ?
C'est un cheminement. Le départ aux USA me permettait d'oublier le comportement crapuleux d'un photographe-réalisateur, encore célèbre aujourd'hui, qui avait pompé à peu près toutes mes idées entre 1985 et 1989. Ça m'avait détruit parce qu'il travaillait dans l'équipe de ma mère et que je l'aimais beaucoup. C'était comme un grand frère pour moi, il répondait toujours présent quand j'étais pris de doute sur mes travaux. Je lui montrais tout. Sauf qu'ensuite, il reprenait aussitôt l'idée à son compte, avec son expérience et beaucoup plus de moyens, pour des magazines ou des clips prestigieux. Ça devenait un cauchemar et, en même temps, je me trouvais prétentieux de le soupçonner. Si bien que le jour où, à l'aide d'amis très concernés, j'ai réalisé la systématique de son parasitisme (c'est le terme légal), c'était déjà trop tard, tout le monde croyait que j'avais été son assistant et que c'est moi qui prenait tout de lui… Ça été un tel choc qu'il fallait à tout prix que je parte, c'était trop malsain. Je suis donc allé m'installer aux États-Unis, avec la rage de ce que j'avais vu en Roumanie, la rage d'avoir été trahi par ce type, et la rage d'avoir tout à prouver aux USA.

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Et donc, « Give It Away » ?
Si tu veux, en arrivant en Amérique, deux-trois personnes dans les maisons de disques connaissaient déjà mon travail de The Face et Details, le clip de NTM les a complètement mis en confiance et ils m'ont proposé aussitôt de bosser sur un clip pour Ziggy Marley. Les Red Hot l'ont vu, on s'est rencontré, on était sur la même fréquence : même âge, même vibe. Ils n'ont pas hésité à me confier celui de « Give It Away » et on a tout mis dedans, eux comme moi. Après ce coup, ma carrière aux Etats-Unis était lancée. Je faisais soudain partie des meilleurs clippeurs.

Le MTV Award remporté en 1992 grâce à ce clip, tu l'as vécu comme un aboutissement ?
Vu que c'était le deuxième clip que je faisais aux USA, je l'ai plutôt ressenti comme un super démarrage. Mais oui, c'est vrai que c'était personnellement une renaissance après la Roumanie et la traîtrise de cet individu. Ça a d'ailleurs calmé ses ardeurs parasitaires, je devenais trop connu et il est allé se nourrir ailleurs, notamment chez Jurgen Teller qui démarrait à son tour et que ma mère représentait aussi. Bref, à 28 ans, la vie est devenue merveilleuse. Ce qui est sûr, c'est que ce clip m'a révélé au grand public, et même auprès des français qui regardaient beaucoup MTV à l'époque. Il fait d'ailleurs partie de mes clips préférés. Parce qu'on y ressent bien l'énergie des Red Hot, mais aussi parce qu'il fait partie d'un ensemble de clips – au même titre que « Big Time Sensuality » de Björk, « Disco Science » de Mirwais ou « Lotus » de R.E.M. – qui ont tenu leur promesse, (ma promesse aux artistes et à moi-même) et je les aime pour ça.

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Tu es arrivé dans le clip à peu près au même moment qu'Anton Corbijn, Michel Gondry ou Spike Jonze. C'est quelque chose qui te stimulait ?
C'est clair qu'il y avait une émulation, même si Michel et Spike sont arrivés deux-trois ans après, avec une forte envie de rattraper le temps. Moi, j'avais l'esprit de groupe, persuadé qu'il y avait de la place pour tout le monde et que chacun pouvait exprimer ses talents et son approche. On se complétait bien, mais Michel et Spike voulaient plutôt conquérir, ce qui je dois dire leur a pas mal réussi. Anton était comme moi, un peu plus détaché, peut-être parce qu'on avait déjà réussi en tant que photographe, on était plus serein et on faisait des aller-retours entre les deux médiums.

Outre les clips, tu as réalisé des pochettes pour Björk, Kylie Minogue, Madonna, Garbage, U2, les Rita Mitsouko ou encore Mick Jagger en à peine une décennie. Ça permet d'asseoir une réputation, non ?
Peut-être, mais ce n'est pas ce que je cherchais. J'aurais pu en faire bien plus et surfer sur cette vibe. Honnêtement, en règle générale, dans ma carrière j'ai surtout fait ce qui me plaisait en alternant les collaborations professionnelles et mes projets artistiques que j'autofinançais.

La pochette du deuxième album de Mirwais, Production, sorti en 2000

Je n'ai pas géré ma carrière en businessman, mais de manière contre-productive en cassant régulièrement tout ce que j'avais mis en place pour suivre mes coups de cœur. Comme ce projet pour le cinquantième anniversaire de l'Unesco - jamais réalisé, mais l'idée d'exposer des photos sur les grilles du Jardin du Luxembourg vient de là, j'en suis pas peu fier, mais personne ne le sait - ou de partir plusieurs mois pour un projet dans la chaine de l'Himalaya, etc. J'occultais tout d'un seul coup, même si en toute logique ce n'était pas occultable, ayant un studio de photo et beaucoup d'employés. Au fond de moi, il y a toujours eu ce conflit entre documenter le vrai et flirter avec le faux, entre les vrais sujets de fond et l'entertainment.

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On ne parle pas seulement de réputation. J'imagine que toutes ces collaborations permettent également d'avoir un compte en banque bien rempli ?
C'est sûr, mais je ne me suis jamais lancé dans un projet pour l'aspect financier. Pour tous mes clips, je réinvestissais mon salaire dans la vidéo pour qu'elle soit au plus proche de ma vision. Ou alors si, je l'ai fait pour des commandes publicitaires qui ne m'ont rien apporté sauf des sous. Et ce que j'ai gagné reste humble par rapport aux autres réalisateurs/photographes de même réputation. L'aspect financier n'était et n'est toujours pas une priorité, mais plutôt aller jusqu'au bout de mon délire. Pour ça, ces dernières années j'ai progressivement tourner le dos à ce métier, je suis maintenant dans une démarche de déconstruction de mon parcours. Je ne suis pas là pour entretenir l'aura de stars sans cesse célébrées. Lors de l'exposition de Björk au MoMa, c'est d'ailleurs ce que j'avais cherché à faire avec « Certainty Not ». Je voulais montrer une vidéo complètement abimée par le temps. À l'époque du tournage, j'étais tombé complètement amoureux d'elle et cette vidéo n'a jamais été pour moi autre chose qu'une déclaration d'amour. Mais vingt-ans plus tard, j'aimais l'idée de montrer les bandes usées de ce clip : ça montrait que mon amour pour elle avait finit par s'évanouir. Il n'en restait plus qu'un souvenir fragile, c'est plutôt ce genre de réflexion sur la relation entre mon travail et moi-même qui m'intéresse maintenant quand je me penche sur mes archives.

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Puisqu'on parle de Björk, l'idée de la pochette de Post, c'était ça : démystifier le personnage ?
Non, au contraire, cette pochette appartient bien à la période « mystification » [Rires]. Je participe ici à l'idéalisation d'une artiste, à la création d'une icône. Oui, je m'éclate en projetant mes fantasmes mais je travaille pour quelqu'un plus que pour moi, je produis une belle image qui devient iconique. Ça me fait plaisir, mais il n'y a pas vraiment de réflexion après, une fois fini c'est fini. Pour cette pochette, Björk m'avait montré une couverture d'album genre mambo des années 50, une fille qui regardait à travers un rideau de perles en bois. J'avais réagi en proposant de créer une image où elle serait entourée de ses objets personnels. Mais le directeur artistique avait une autre idée : il voulait faire des cartes à jouer géantes avec des photos qui représenteraient les différents thèmes abordés au sein de l'album. L'idée était trop rigide, pas assez vivant et lui-même était assez irritant, donc plutôt que de photographier Björk coincé au milieu d'un château de cartes, j'ai pendu toutes ces cartes au milieu d'une rue de Londres avec Björk en plein centre, comme si elle était plongée au cœur d'un immense marché japonais aux couleurs manga. Pour renforcer cette impression, je voulais lui faire porter un kimono, mais elle a refusé. Cela dit, juste pour me faire chier, elle en a porté un sur la pochette de son album suivant, Homogenic… De mon côté, j'ai repris l'idée des objets personnels pour son clip « Possibly Maybe » où elle parle de notre brève « connexion ».

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Au cours de ta carrière, tu as travaillé avec des personnalités assez fortes, comme Billy Corgan ou encore Tricky…
Le truc, c'est que je ne me sens pas à l'aise qu'avec des personnalités fortes. Pour rebondir sur la question précédente, je pense que certains de ces artistes se foutent en partie de leur image, ou du moins ils sont prêts à l'endommager. J'avais donc avec eux l'impression de ne pas trop aller dans le sens du poil. Par contre, dès que les gens sont moins habités, je produis des choses sans intérêt. C'est aussi pour ça que je n'ai jamais aimé la pub et que ça ne m'était pas naturel de travailler dans la mode, avec des filles de 19-20 ans qui n'ont pas vraiment de vécu. C'est rasant. Ça se passait tout de suite mieux avec les actrices.

Il y a eu des rencontres plus difficiles que d'autres ?
Parfois, j'ai travaillé avec des artistes trop commerciaux. Je tentais le coup parce que je n'aime pas juger sans connaître. Il y avait parfois de bonnes surprises, mais souvent j'aurais dû m'abstenir. À un moment, on se prend au jeu, on croît qu'on va toujours retomber sur ses pieds, mais c'est rarement le cas. De toute façon, je préfère ne pas parler des mauvaises rencontres. Les vraies mauvaises rencontres, ce n'est pas avec les artistes mais avec les petits intrigants derrière, dans les coulisses ! [Rires]

Si on ne parle pas des mauvaises rencontres, parlons de celles qui t'ont le plus marqué.
Avec Tricky, on s'est très bien entendu. J'avais cerné le personnage donc pour le clip je n'avais besoin de lui que pendant deux heures, et il m'a adoré pour ça. Ça lui permettait de ne pas passer trop de temps sur un plateau et de fumer ses joints tranquillement. Ça va peut-être paraître étonnant, mais Tricky est pour moi l'équivalent de Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle. Dans le film, quand Belmondo se tourne et parle à la caméra alors qu'il conduit la voiture, je vois Tricky. Et c'est pour ça que je l'admire, tout comme j'admire Björk : à l'époque, elle était tellement habitée, ouverte aux idées. C'était une vraie performeuse, avec une liberté totale. Mirwais aussi est un artiste fascinant, profond, tête chercheuse, notre collaboration a été un bonheur ! Pour Björk, je me demande si je pourrais obtenir la même chose d'elle maintenant. Pourquoi ça ?
Parce que je suis là pour sortir les tripes de quelqu'un, alors qu'elle est dans le camouflage. Elle souhaite se protéger désormais, et elle arrive à faire des choses incroyables autour de ça.

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Après avoir côtoyé de tels caractères, on s'imagine que ton travail aux côtés de MC Solaar a été plus facile. C'est con, mais on l'imagine mal s'énerver…
C'est vrai que c'est quelqu'un de très doux et de charmant. Cela dit, il n'a pas besoin de faire grand-chose, juste un regard ou un sourire suffisent pour qu'il dégage quelque chose de touchant. Depuis New York, je suivais sa carrière et j'aurais même voulu collaborer avec lui plus tôt. Si tu regardes bien, j'ai souvent travaillé avec des artistes qui démarraient, comme les Red Hot Chili Peppers, Fiona Apple, Garbage ou Björk. Je trouvais ça plus intéressant que de suivre des artistes parfaitement installés comme Madonna et U2, même s'ils m'ont laissé expérimenter avec eux. Pareil pour Massive Attack, avec qui je voulais travailler dès leur premier album, mais qui ont longtemps hésité.

C'est marrant que ce soit toi qui réalise « Nouveau Western », sachant que tu avais déjà conquis les États-Unis….
Oui, peut-être, c'est vrai que j'étais déjà sur place [Rires]. J'aime ce clip parce que j'y ai placé tous mes amis et particulièrement pour mon idée de voyager entre New York, Paris et l'Arizona en rentrant dans les images, dans de longs travellings. Pour la petite histoire, en même temps que la sortie du « Nouveau Western », IAM sortait sa vidéo, « Je danse le Mia », réalisé par Gondry, et le concept était identique, même si leurs effets étaient plus élaborés. J'étais très étonné. Nous bossions tous chez Durant, la boîte d'effets spéciaux, avec les mêmes gens. Je trouvais ça un peu louche : ou il y avait une fuite (ce que personne ne voulait admettre), ou j'étais devenu un gros parano depuis ma précédente expérience… Dix ans après, alors que Michel, Anton et moi présentions à Montréal notre série de DVD The Work Of Director, là, devant une large audience, Michel, en me désignant, s'est mis à raconter comment chaque soir après mon départ, lui et son équipe utilisaient mes rushes de MC Solaar pour tester et pousser plus loin le concept de « Je danse le Mia », qu'ils allaient tourner. Il le présentait comme un compliment… Moi, je dis qu'il faut avoir de la trempe pour reconnaître ses erreurs, et Michel en a. C'est un artiste avec une vraie sensibilité. Du reste, tout son travail le montre.

Tu avais une culture rap avant de collaborer avec NTM ou Solaar ?
Je suis passé à côté au début du rap, je m'y suis plongé à partir de 86 avec Run-DMC, Ice Cube, De La Soul, et aussi LL Cool J que j'ai photographié. Je regrette vraiment ne pas avoir travaillé avec d'autres rappeurs. Je me serai éclaté. J'aurais dû essayer de collaborer avec Ice Cube, De La Soul ou les Beastie Boys. Malheureusement, j'ai toujours eu un manque de confiance en moi qui m'a empêché d'approcher certains artistes qui risquaient de ne pas se reconnaître dans mon travail, qui pouvaient m'envoyer balader.

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On dit souvent que les artistes américains ont un rapport beaucoup plus décomplexé à l'argent, tu confirmes ?
Ils sont non seulement plus à l'aise, mais disposent également de bien plus d'argent pour chacun de leurs projets. C'est facile de parler de l'aspect financier avec eux, ils ont le contact facile et en parlent de façon relax. Ce qui est génial aux États-Unis également, c'est que les portes s'ouvrent à partir du moment où tu as réussi un projet avec un artiste. Les autres veulent suivre, avoir une part du gâteau, ce jeune réalisateur a réussi pour les Red Hot, je le veux ! Personne ne cherche à te cloisonner, contrairement à la France où tout le monde est mis dans une petite case. Lorsque j'ai fait la couv' des Rita Mitsouko, par exemple, je me suis entendu dire que je ne pouvais pas travailler avec les Négresses Vertes parce que j'étais trop marqué Rita Mitsouko. Avec ça, on n'avance pas !

C'est pour ça que tu as fini par arrêter les clips et les pochettes de disques ?
Non, c'est surtout que j'en ai eu marre de tous ces labels qui, alors qu'ils n'ont pas d'argent et ne peuvent pas financer dignement le projet, veulent tous les droits sur le clip. Maintenant ils t'obligent à travailler avec des bouts de ficelle, voire même à le financer, et le clip ne t'appartient même pas. De toute façon, une nouvelle génération plus adaptée est arrivée et c'est normal. Il y a trois ans, j'ai essayé pour m'amuser mais le résultat n'était pas au niveau et comme j'ai d'autres passions, je passe à autre chose. Une collaboration avec Mohini, Nicolas Jaar, RJD2, Mirwais ou Pinkunoizu, tous ces Pink Floyd des temps modernes, j'adorerais ! Mais ça serait pour mes propres projets artistiques. La musique reste bien sûr l'une de mes principales sources d'inspiration, mais pas sous forme de clip.

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Justement, c'est quoi ton actualité en ce moment ?
J'ai tout arrêté pour travailler uniquement sur mes nouveaux projets et des anciens que je finalise enfin. La transition m'a pris quelques années parce que c'est étrange de tout changer, mais maintenant c'est clair et je respire. Je n'ai pas vraiment d'actualité parce que ce sont des projets de longue haleine. Je ne suis actif que sur mon compte Instagram, qui est comme un journal personnel du passé et du présent. Au cours des deux dernières années, j'ai réalisé un moyen-métrage sur un sujet intime, Clues : la mort de ma mère, et j'ai publié mon premier livre, les photos prises lorsque j'étais volontaire pour chercher des survivants à Ground Zero ; je viens d'acheter les droits du livre d'une égérie de Warhol qui raconte l'avant et l'envers du décor de l'underground new-yorkais des années 60 et 70 ; je prépare également le livre-projet que j'ai commencé il y a vingt ans autour de l'Himalaya… Je ne sais pas dans quel ordre tout ça va sortir, ça part dans tous les sens. D'ailleurs, mes potes se fichent de moi : ils disent que je passe trop de temps dans mes archives [Rires]. Mais c'est plutôt une période de transition nécessaire pour rebondir là où je veux.