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Music

Le complexe de Weezer

Ou pourquoi les groupes sont incapables de sortir un bon album une fois qu'ils sont pétés de thunes.

Pendant un moment, dans les années 90, Weezer a été, à peu de choses près, un groupe parfait. Et par « parfait », je n'entends pas « pommettes saillantes et gimmicks marketing ». J'entends plutôt deux albums (Weezer et Pinkerton) sans le moindre défaut, dont même les faces B de single ou les inédits (genre « Jamie » sur la compilation DGC Rarities Volume 1 ou bien « Suzanne » et « You Gave Your Love To Me Softly» -tirés respectivement des B.O. de Mallrats et Angus) auraient suffi à contenter la majorité des groupes de rock de l'époque. De l'extérieur, on avait l'impression que ces types balançaient tous ces morceaux gigantesques sans le moindre effort – et bien que Pinkerton n'ait pas rencontré le même succès commercial que leur premier album, les années ont prouvé que ce dernier a eu une immense influence sur la deuxième génération de groupes emo, qui s'est complètement retrouvé dans les paroles de Rivers Cuomo. Sérieusement, vous pouvez me citer une autre chanson abordant le thème du coup de foudre non réciproque d'un hétéro pour une lesbienne avec autant d'énergie et d'honnêteté que « Pink Triangle » ?

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Alors en 2000, quand le groupe a annoncé son retour après un break de trois ans, les gens étaient naturellement excités. On se trouvait tout de même face à un groupe semi-légendaire dont le répertoire incluait des trucs aussi diammétralement opposés que « Say It Ain't So » et « El Scorcho », qui s'apprêtait à déposer une nouvelle oeuvre sur l'autel de la Toute-Puissance après avoir disparu pendant plusieurs années. Soit l'équivalent d'un come-back de J.D. Salinger, mais avec des guitares. Le résultat, ça a été le Green Album, qui, malgré l'absence de Matt Sharp -remplacé par Mikey Welsh- avait, à première vue (Ric Ocasek à la production, pochette parfaite), tout d'un nouveau chef d'oeuvre de geek rock. Sauf que non, pas du tout. Même les plus fervents supporters de Weezer seront d'accord pour admettre qu'un morceau comme « Hash Pipe » n'aurait jamais trouvé sa place sur les deux premiers albums du groupe. Et pas parce que Rivers Cuomo avait évolué en tant que compositeur ou que le groupe avait changé de direction musicale. Non : c'était exactement la même chose qu'avant, mais sans l'étincelle, ni la magie des premiers disques. C'était d'autant plus déprimant que Weezer avait déclaré avoir composé pas moins de 75 chansons pour cet album. Alors le fait qu'ils choisissent un truc pareil comme premier single en disait long sur la forme du groupe.

À partir de là, les choses n'ont fait qu'empirer (les titres d'album aussi). Afin d'illustrer mon propos, j'ai essayé d'écouter une chanson au hasard sur Hurley, l'album sorti en 2010. Elle s'appelle « Where's My Sex ? », mais ce n'est pas, comme on pourrait le croire, un morceau sur la recherche d'un(e) partenaire. C'est juste un titre débile qui parle du sexe en tant qu'objet, sur des progressions d'accords atrocement clichesques, qui montre que Weezer a très clairement rompu tout lien émotionnel avec son public. Et le titre en question n'est ni malin, ni drôle. Il est juste embarrassant.

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Je ne dis pas que Cuomo doit forcément continuer à écrire des chansons sur son obsession pour les jeunes asiatiques, mais il est évident que, quelle qu'ait été l'intention de Weezer avec leur troisième album, ce disque a transformé la sincérité absolue de leurs deux premiers disques en un truc hyper débile et potache. Je n'ai rien contre la démarche, des tas de groupes font une croix sur leur passé pour mieux avancer, mais, là, clairement, je ne m'y retrouve pas. Je n'éprouve plus rien quand j'écoute un nouvel album de Weezer.

Il existe beaucoup d'exemples comme celui là. Il est par exemple difficile de croire que les trois types qui jouaient sur Ride The Lightning de Metallica en 1984, sont les mêmes qui ont enregistré Reload, treize ans plus tard. Le pire, c'est que ces mecs continuent à jouer leurs classiques avec conviction sur scène (ok, peut être pas Lars). Alors pourquoi sont-ils incapables d'écrire un autre bon album ?

Le documentaire Some Kind Of Monster (qui est la meilleure chose que Metallica ait sorti depuis … And Justice For All) fait état des nombreux soucis que rencontrait le groupe à l'époque, des paroles bancales de James Hetfield (« My lifestyle determines my death style ») à l'incapacité d'Ulrich à jouer un simple rythme de batterie sans l'éditer, en passant par des choses complètement aberrantes, comme le fait que le groupe disposait de son propre studio mais ne l'utilisait jamais, préférant verser des sommes astronomiques à un psy et établir une série de règles arbitraires pour tenter de maintenir le groupe en vie. Il apparaît très clairement que les disques médiocres ne sont pas dûs à un simple manque d'effort ou de motivation. Le problème, dans le cas de Metallica, est que ces types gravitent aujourd'hui dans des sphères tellement éloignées de celles de leurs débuts à East Bay, qu'ils n'ont désormais plus rien en commun avec ces shredders aux cheveux longs qui bastonnaient des morceaux comme « Battery ».

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Green Day sont un autre exemple. Ça me fait un peu de mal de l'admettre, parce que c'est un des tous premiers groupes que j'ai vu en concert, sur la tournée Dookie, avec Samiam en première partie. Et, même si je n'étais pas encore en âge de conduire, je me souviens de ce concert comme si c'était hier. C'était l'hystérie dans le public à chaque morceau, et le groupe jouait avec une classe et une intensité hallucinantes. Le trio a commencé à caler sur Insomniac, son album de 1995, après quoi il a décliné avec une remarquable régularité, chaque nouvel album du groupe étant environ 2,5 fois pire que le précédent, exception faite d'American Idiot en 2004, qui a remis Green Day en haut de l'affiche. Là encore, j'ai écouté, au hasard, une chanson intitulée « A Little Boy Named Train », extrait de ¡TRÉ! , sorti en 2012. Pas de doute, ça sonne comme du Green Day. C'est juste que c'est beaucoup plus fade et formaté que leurs vieux trucs. Et que ça sort d'un disque en trois volumes où les morceaux sont impossibles à distinguer les uns des autres.

Je pourrais citer des tonnes d'autres exemples. Croyez-le ou non, mais à une époque, The Offspring était un groupe punk hyper énergique et plutôt crédible, dont le deuxième album hyper énergique et plutôt crédible s'est vendu à rien de moins que 20 millions d'exemplaires. Quatre ans plus tard, on se retrouve avec « Pretty Fly for A White Guy », soit l'équivalent musical des trois pires T shirts que tu puisses trouver sur un stand de marché à Pékin. On pourrait croire que ces mecs ont avancé et mûri depuis, mais en essayant d'écouter leur dernier album, je suis tombé sur « Cruising California (Bumpin' In My Truck) », qui contient des parties rappées, de l'Autotune et tout un tas de paroles-slogans, il semble à peu près évident que ces mecs luttent désespérément pour se faire une place dans un paysage pop qui est à des années-lumières de leurs préoccupations. Et vraiment, ce serait triste, si c'était pas aussi inécoutable.

Bien sûr, il n'y a pas d'artiste parfait et même Bruce Springsteen a ramassé avec Human Touch. Mais beaucoup de groupes dans le même genre que ceux cités plus haut ont, malgré tout, continué à être vaguement pertinents. NOFX, par exemple. Vous ne les écoutez peut-être plus, mais leurs disques récents sont aussi bons que les précédents, sans doute parce qu'ils n'ont jamais eu à remettre leur son en question. De la même façon, les derniers albums de Rancid ne sont pas franchement extraordinaires, mais au moins, on n'y trouve aucune chanson sur Snapchat ou les cupcakes aux Oreo.

Je ne dis pas que ces artistes ne devraient pas être autorisés à grandir (même si le fait que le guitariste d'Offspring continue à se faire appeller Noodles à plus de 40 ans est vraiment super badant). Ce que je veux dire, c'est qu'il y a un moyen de faire ça sans avoir à sacrifier son identité, ni sa dignité. Il n'y aura jamais un autre Pinkerton, de la même façon qu'il n'y aura jamais un autre Punk In Drublic, et je suis ok avec ça. Ça fait juste mal de voir des groupes se perdre en tentant d'écrire des chansons pour les autres, plutôt que pour eux. Souvenez-vous-en : votre artiste favori a un jour offert son amour à votre petit coeur exsangue et esseulé – mais il finira un jour par le reprendre sans prévenir, pour tenter de le revendre deux fois le prix aux petites putes en bas de chez vous qui se gavent de Java Chip Frappucino.

Jonah Bayer a souffert en écrivant cet article. Il est sur Twitter - @mynameisjonah