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Music

Rohff vs Booba expliqué aux caniches

Un bilan de l'embrouille la plus 2014 du rap français.

Ok, ok, ça escalade à hauteur d'un rebondissement tous les quarts d'heure et c'est devenu à peu près aussi fatiguant que d'acheter des comics, mais on va quand même prendre un instant pour se remettre à jour sur le beef à long terme entre Rohff et Booba, ce dernier ayant ces derniers jours pris une tournure plus dramatique, mais surtout complètement stupide, et par conséquent assez drôle. Pour peu qu'on prête attention aux détails en tout cas. On passera rapidement sur la génèse de cette brouille séculaire, dont vous pouvez lire un résumé ici, pour se concentrer exclusivement sur les événements récents.

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Techniquement, voilà comment le truc commence : Booba sort le clip du morceau « Une Vie », sorte de mélange entre Avatar et un reportage de Nicolas Hulot. Un type détourne les meilleurs passages, coupe le son et en fait un spot de pub Ushuaïa. Rohff tombe sur cette vidéo et la relaie en se moquant de son rival, d'autant que son clip « Oseille » n'a, lui, pas fait grand bruit. Il est à noter que c'était sans doute l'attaque la moins violente de Rohff envers le Duc de Boulogne, ce qui est assez ironique au vu de la suite des événements. En effet, à partir de là, on entre dans ce qu'on a coutume d'appeler dans le jargon : la foire aux mongols. Visiblement, Booba est plus sensible aux attaques sur son clip qu'aux insultes directes sur sa personne. Talon d’Achille ? Possible, mais on s'en fout. Les fans relaient cet échange de politesses, rapidement, mais plutôt mollement : Booba envoie régulièrement des vannes à La Fouine sur sa supposée pédophilie sans que ça déchaîne les passions. Sauf que : on apprend dans l'après-midi que Rohff aurait « fait une descente » dans le magasin Unkut (marque de Booba, enfin pas vraiment, mais c'est plus simple dit comme ça) de Châtelet « avec 10 mecs » et qu'un vendeur se retrouve dans le coma. Les fans de Rohff crient à la rumeur. Les fans de Booba crient tout court. Les autres n'en ont pas grand-chose à foutre. Des gens font semblant de se soucier du sort du vendeur. Ikbal, petit frère de Rohff, confirme sans faire exprès que c'était bel et bien son frangin qui était présent à la boutique via un tweet de soutien « les médias en font trop, les vrais sont derrière toi, courage mon frère », qu'il a depuis supprimé. Des twittos mettent en doute les capacités intellectuelles d'Ikbal ainsi que sa loyauté, de façon assez discourtoise. On apprend que Rohff s'est livré à la police. Les fans de Rohff se consolent comme ils peuvent. Les chaînes d'info sortent leurs plus belles voix off pour résumer l'affaire de façon ludique entre un compte-rendu de manif et un reportage sur la situation en Ukraine. Rohff redevient la risée du net, les hashtags #TuTesRetrouverEnGavCommeRohff, #TaFiniEnGardeÀVueCommeRohff, #TuTesRenduCommeRohff et #TasRejoinsRohffEnGav se succèdent en TT france, sans parler des réactions amusées.

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L'avocat de Rohff, un peu déprimé, déclare que son client était sur les lieux par hasard, et s'est laissé emporter à cause de ses fans qui l'ont poussé. Ne vous moquez pas, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Notons cependant la façon ultra-percutante avec laquelle il relativise : « à l'époque, les rapports entre les rockeurs et leurs fans n'étaient pas non plus régis par Interflora ». Ce sera d'ailleurs, et de loin, la seule punchline valable de toute cette histoire. Booba présente ses excuses et souhaite un bon rétablissement au jeune vendeur, toujours en une ligne sur Instagram parce qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Les fans de Rohff estiment qu'en le provoquant, Booba savait parfaitement que son adversaire ferait tout pour le trouver, et que c'est donc sa faute si un type a fini dans le coma. Là vous allez me dire : le postulat de départ de ce raisonnement implique que Rohff est un attardé manipulé par un message Instagram, mais ses fans ne réfléchissent pas comme ça.

Les groupies de Booba souhaitent plus ou moins qu'on rétablisse la peine de mort par lapidation pour les agresseurs du vendeur dont ils ne connaissent toujours pas le nom. L'avocat de Rohff déclare que son client souhaite organiser un concert dont les bénéfices seraient reversés au vendeur, ce qui suscite de nombreux éclats de rire ici et là. Le vendeur sort du coma, tout le monde fait semblant de s'en réjouir mais c'est toutefois un coup dur pour ceux qui voulaient pondre des articles sur le mode « Clash : un mort sur le champ de bataille ». Il devient, de plus, extrêmement difficile de distinguer les blagues des commentaires de golmonautes tellement on est, à ce stade, sur un championnat de haut niveau. Novices à côté de la plaque et professionnels de la profession sont invités à disserter sur le thème « quand le rap dérape » dans un maximum de médias en un minimum de temps. Cela donne un résultat assez folklorique pour les premiers et plutôt consternant pour les seconds, mais c'est généralement ce qu'il se passe quand des gens qui ne vous invitent jamais pour votre actu vous appellent pour commenter les phases les plus glauques de celle des autres. La tournée de Rohff est logiquement annulée date après date, mais on ne peut pas dire que ce soit un gros bouleversement, les salles peinant à se remplir de toute façon. On notera toutefois que le coup est finement joué de ce côté là, parce que c'était assez triste de savoir que les promoteurs en étaient réduits à vendre des lots de places sur le site Groupon pour écouler les stocks. Quelque part en France, des grands-mères se demandent désormais qui sont Rohff et Booba. Des artistes s'en mêlent, chacun selon ses capacités et son niveau de compréhension : Booba lâche un communiqué dont le sérieux tranche avec ses sorties Instagram habituelles. Déjà, il parle de lui à la 3ème personne. Ça ne sert à rien, le mal est fait, mais au moins c'est rigolo, même si on est loin du niveau sans égal de ses hashtags précédents comme le légendaire #TaMèreLeGnou Dragon Davy, chanteur de ragga et pote de Rohff, livre sa version des faits entre cri du cœur et tentative de style solennel, ce qui comme prévu donne un résultat involontairement comique. La suite de ce glorieux résumé ici. Quelle conclusion tirer de tout cela ? Ce qui saute aux yeux c'est que quand Booba fait un clip de merde, c'est quand même Rohff qui va en prison. Le bon point pour le rappeur du 94, c'est que la vidéo surveillance de la baston doit être bien meilleure que le clip d' « Oseille », et ça c'est quand même un point positif. On peut émettre toutes les hypothèses possibles sur ce qui s'est réellement passé dans cette fameuse boutique, mais force est de reconnaître que ça reste assez cohérent avec les lyrics de Rohff (« j'te piétine comme une équipe de 100 taureaux » ici remplacés par 10 fans, mais l'esprit est là) et je dirais même que le vendeur a bien de la chance de ne pas s'être réveillé avec une « bite de cheval dans l'oreille ». On peut également noter la retenue de La Fouine qui n'a pas commenté l'affaire et qui n'a pas non plus agressé sexuellement le vendeur durant son coma. Par contre, c'est vrai qu'entre « Oseille » et « Une Vie », ça fait quand même deux clips très médiocres et à un moment, c'est normal que la police intervienne. Quant à l'idée du concert de soutien au vendeur organisé par Rohff, elle peut paraître risible mais ce serait une occasion unique de voir des fans du Vitriot filer du fric à quelqu'un d'affilié à Booba et rien que pour ça il faut saluer l'initiative. Les dégâts collatéraux sont évidemment à déplorer, et là je ne parle pas du vendeur, dont artistes, public, et médias se foutent de toute évidence éperdument. À la limite j'aurais plutôt une pensée pour le personnel de la boutique Wati-B voisine, à qui personne ne s'intéresse jamais. On me dit dans l'oreillette qu'ils sont parfois dédicacés par Maître Gims, mais à la limite je crois que je préférerais encore me faire tabasser. Démerdez-vous avec ça. Le véritable inconvénient serait l'ombre que tout cela jette sur le rap français. Pas dans le sens « mauvaise image » puisqu'il faudrait déjà que le rap ait une bonne image à la base, ou qu'il ait une image tout court. Or ce n'est pas le cas dans ce pays, où l'on a juste le choix entre quelques singes savants, des convertis à la variété, et 2-3 bêtes de foire. Ok la Monnaie de Paris arrête la production de médailles à l'effigie de Booba, mais le plus étonnant c'est que ces médailles aient existé en premier lieu. L'autre souci c'est que Rohff avait dans son baluchon un inédit qui avait l'air plutôt sympa en version live, et qu'on ne l'entendra sûrement pas avant longtemps, voire jamais vu qu'il est dans le collimateur de la Justice et que le morceau comporte une dédicace à Dieudonné. Pire timing ever. Vient ensuite la traditionnelle question de l'influence sur le public. C'est vrai qu'en voyant deux adultes de 36 et 37 ans se comporter comme des collégiens, on peut se poser la question. Mais bon, ce qui est toujours étrange avec cette théorie, c'est qu'elle ne s'applique que dans un sens. J'ai rarement entendu des gens déclarer que suite à l'écoute d'un album de rap conscient qui a fait disque de platine, ils espéraient que la jeunesse de France soit influencée positivement et se mette à bien travailler en classe, déposer les armes et trier ses déchets. Sans parler du fait que même la chanson la plus inoffensive du monde peut conduire à des drames, comme nous le rappelle tristement cette championne qui s'est tuée au volant à cause du morceau « Happy » de Pharrell. Salaud Pharrell, ça t'a pas suffit de faire de la viande hachée avec Enora, maintenant faut que tu tues des innocentes. Et puis il y a le fameux : « tout ça n'arriverait pas aux États-Unis », mère-patrie du hip-hop qui aurait, selon une croyance populaire répandue chez les crétins, stoppé ce genre d'excès suite aux morts de la période Tupac/Biggie. Il faut malheureusement mettre un terme à ce cliché. En 2014, des rappeurs de Chicago se font régulièrement tirer dessus, d'autres se font ponctuellement dépouiller, Gucci Mane est malheureusement toujours en taule, Iggy Azalea, sorte de Jennifer Lawrence du rap (au cas où certains se demanderaient : non, ce n'est pas un compliment) ne peut plus se jeter dans la fosse en concert sans que des mongolos essaient de la doigter et les crottes de nez que Fifty envoie sur la terre entière n'ont pas spécialement plus de classe que celles de ses homologues d'en France. Sans parler du fait que la sextape de Nicki Minaj n'est toujours pas dispo, alors que ça doit être le truc le plus hilarant de l'Univers depuis au moins 6 ans, facile. Bref, arrêtez un peu avec le rap US, s'il vous plaît. On pourrait aussi rétorquer que Rohff est dans une vibe autodestructrice, mais là encore on est loin d'un Christ Bearer qui s'est coupé la bite avant de se jeter de son balcon. Comme l'a dit le poète « j'me dis qu'y'a pire mais y'a mieux ». En attendant, moi j'ai déjà préparé mon stock de T-shirts FREE ROHFF. Business is business.

Yerim Sar a les doigts niqués à force de maintenir la touche capture d'écran enclenchée. Il est plus que jamais sur Twitter - @spleenter