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Music

Les disques que les journalistes n'ont pas écoutés ce mois-ci

Afin de rendre justice aux laissés pour compte, nous vous présenterons chaque mois une sélection de disques que les journalistes n'ont pas écouté.

Chaque semaine, les journalistes musicaux du Monde Libre reçoivent des dizaines de disques, de liens à télécharger, de previews en streaming, de previews en streaming watermarkées avec code de vérification, d'invitations à des écoutes privées, de rsvp pour des pique-niques découvertes, et de messages hors propos d'attachés de presse qui se sont complètement trompés de cible. Et chaque semaine, sortent des disques auxquels aucun journaliste ne prête attention. Parce qu'ils n'ont pas le temps, parce que personne ne leur a envoyé, parce qu'ils ne connaissent pas, parce qu'ils ne veulent pas connaître, parce que les places sont chères et qu'il faut avant tout parler de la même chose que les voisins, et parce qu'il faut bien l'admettre : c'est un métier où personne ne sait vraiment ce qu'il fait. Afin de rendre justice aux laissés pour compte et, accessoirement, explorer les franges les moins documentées de la musique actuelle, nous vous présenterons chaque mois une sélection de disques que les journalistes du Monde Libre n'ont pas écouté. William Tyler Lost Colony EP (Merge) Comme le disait ma grand-mère, « c'est pas parce que t'as du chocolat dans le placard qu'il faut en mettre sur la pizza. » Vous remarquerez qu'en plus d'être juste, c'est totalement vrai, mais ça n'a visiblement pas empêché William Tyler d'ajouter sur son nouveau EP, Lost Colony, tout un tas de merdes genre basse, batterie et clochettes, qui font que ça fout absolument tout par terre et que ça me donne littéralement envie de pleurer de rage. Sur son album précédent, le génialissime Impossible Truth, le type était seul au milieu d'un désert de feu et carressait les couilles de Dieu avec une Telecaster en miettes. Là, je sais pas exactement, le mec a commandé des oeufs brouillés, une part de tarte au citron et il attend que Flo ou Madge viennent le servir. Je sais pas trop ce qu'il fout là, il gagne sa vie j'imagine. C'est triste. Bon, après ça se laisse écouter, si on veut absolument écouter un disque, mais bon, vous n'en êtes plus là et moi non plus. G. Love & Special Sauce Sugar (Brushfire Records) Comme le disait ma grand-mère, « si tu te souviens pas de la pizza, c'est qu'elle n'était pas bonne. » Bon, par exemple, je me souviens de la seule fois où j'ai vu Oasis en concert. C'était le vendredi 4 novembre 1994, à la Cigale, je me souviens avoir bu 4 bières, avoir passé plus de temps à regarder le public d'Oasis (qui était hystérique, mais vraiment, je n'avais jamais vu ça) qu'Oasis eux-mêmes (qui eux, étaient statiques, et qui le demeureront quelques anées encore) et que, dans l'ensemble c'était un plutôt bon concert, avec pas mal de transpiration et de ferveur, et qu'à la fin, j'ai vu deux types discuter -l'un était petit et épais, et arborait un t-shirt d'Oasis, l'autre était grand et mou, cheveux longs, santiags, dégaine de pubard ou rock-critic un peu tanche, et lui rétorquait : « Moi, un T-shirt pareil, tu me le donnes, c'est direct à la poubs ! » Je me souviens avoir été à peu près aussi navré qu'interloqué par l'utilisation de « poubs » et je me souviens qu'en rentrant à l'appart du pote chez qui on squattait, à Montreuil (métro Croix de Chavaux, sortie Office du Tourisme, deuxième rue à droite), on a regardé les clips de la nuit sur M6 en mangeant des croque-monsieurs et qu'il y a eu celui de « Kill The Sexplayer » de Girls Against Boys et celui de « Poison » de Prodigy. Mais je ne me souviens absolument de RIEN du concert de G. Love & Special Sauce, qui assurait ce soir là -aux côtés d'Echobelly, un groupe avec un guitariste chauve et une chanteuse indienne en pantalon de cuir moulant- la première partie d'Oasis. J'imagine que ça devait ressembler à ce disque, qui est plein de toutes ces ritournelles à la fois cool et ensoleillées mais un peu âpres, qu'aiment tant les types de 25 ans avec un peu de barbe et un peu de chapeau qui ne rechignent jamais à saluer la lune avec trois petits pas de danse avant d'aller finir leur exportation After Effects et préparer leur conf-call du lendemain entre deux mails groupés concernant des projets de bon temps sur les quais de Seine ou aux apéros thématiques des Nuits Sonores. Pop Will Eat Itself Dos Dedos Mis Amigos (Cherry Red) Comme le disait ma grand-mère, « si la sauce tomate est bonne, t'as rien besoin de rajouter dessus. » Entendons-nous bien : je ne suis pas forcément contre les remasterings, a fortiori quand ça concerne des disques sortis entre 1965 et 1990, qui sonnent généralement comme de la merde sur support digital. Mais Dos Dedos Mis Amigos, le cinquième et dernier album de Pop Will Eat Itself (le groupe dans lequel chantait Clint Mansell à l'époque où il portait des dreadlocks et qui est un peu à l'Angleterre et à la techno ce que les Beastie Boys étaient aux USA et au hip-hop, mais pas que) est sorti en 1994, ce qui signifie qu'il n'avait techniquement pas besoin d'être remasterisé, et encore moins d'être totalement défiguré comme c'est le cas sur cette calamiteuse reissue, où la guitare est littéralement écrasée par la basse et où tous les effets un peu trancecore bien datés ont été mis au premier plan et augmentés de plein de petits effets stéréo qui donnent à moitié envie de s'acheter deux ou trois pommes bien vertes et de les balancer de toutes ses forces contre un mur. À noter que cette réédition est augmentée d'un deuxième CD sur lequel on trouve, en gros, ce qui aurait dû être le tout dernier album de PWEI, prévu pour 1996, et qui est assez semblable à la kimberlite dans le sens où il y a probablement un ou deux diamants à l'intérieur mais qu'il vous faudra suer comme un chifonnier de Jiangxi avant de les trouver.

Gnarwolves Chronicles Of Gnarnia (Pure Noise) Comme le disait ma grand-mère, « c'est pas parce qu'ils les coupent en carrés qu'elles sont meilleures leurs pizzas de merde. » N'empêche que sur ce coup, je me suis laissé avoir comme un poney devant un dictionnaire de Sanskrit, parce qu'au premier coup d'oeil, la pochette m'a fait penser à la cellule du monstre-tueur en série de Superjail! dans l'épisode « Cold-Blooded » qui est mon épisode de Superjail! préféré à égalité avec celui où les jumeaux inventent un lutteur indestructible, celui du gourou hystérique calqué sur David Lee Roth, et à peu près tous les épisodes de la Saison 1 en fait. Sauf qu'en regardant de plus près, on voit plein d'accessoires foireux genre pizzas, disques, bangs et guitares et que c'est branlé comme du Freak City recopié sur Paint, ce qui est nettement plus raccord avec l'engin, qui sonne en gros comme du sous-sous-sous Get Up Kids/Knapsack, avec deux-trois clins d'oeil à Weezer balancés ici et là, soit exactement le genre de merde que j'aurais dû m'attendre à trouver dans un disque qui a pour titre un jeu de mots basé sur une production Disney sortie en 2005.

Tears For Fears Ready Boy & Girls ? (INgrooves) Comme le disait ma grand-mère, « si t'en es au point de mettre des ananas ou des patates dans ta garniture, tu ferais aussi bien d'aller t'acheter des putain de gaufres ». Je ne sais pas trop ce que Tears For Fears ont essayé de faire sur ce nouveau EP de reprises au titre grammaticalement incorrect (mais c'est voulu). Dans un monde à peu près équilibré, c'est le genre de disque avec lequel ils auraient réalisé tout à coup que leur jeunesse était finie et qu'il était temps de lâcher prise et de laisser la place aux gamins de la fournée suivante. Sauf qu'en fait on est en 2014 et qu'il y a autour de nous des gens qui n'ont aucune envie de laisser tranquille deux types qu'on aurait préféré voir s'épanouir virtuellement dans l'éternité de 1985 plutôt que d'enregistrer une cover drum & bass d'Arcade Fire et reprendre Animal Collective en faisant sonner ça comme une face B de Junior Senior. Lelo Jimmy Batista est rédacteur en chef de Noisey France. Il n'a pas fait d'école de journalisme et la seule grand-mère qui lui reste n'a jamais cuisiné de pizza de sa vie. Il est sur Twitter - @lelojbatista