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Wrong Kopp

La semaine dernière sortait Kopp Chapitre 1, « le film inspiré de la vie de Booba ». HEIN ?

Quand la bande-annonce est sortie, on a d'abord cru à un énorme gag. Certains pensaient que le film n'en était pas un, qu'il s'agissait d'un faux trailer en forme de sketch sur le rappeur. Sauf que peu de temps après, un lien vers une VOD faisait son apparition, et il a fallu se rendre à l'évidence : non seulement ce projet est bel et bien réel, maisc'est aussi le premier chapitre d'une trilogie. Et si chaque « épisode » fait le même format que celui-ci (50 minutes et des brouettes), sachez que ce sont près de 2h30 de bonheur qui vous tendent les bras, mes amis.

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Cependant, pour bien apprécier ce chef d’œuvre il faudrait déjà savoir où le classer. C'est un street-film, ok, mais de quoi parle-t-on au juste ? Un gros délire comme Cramé, un truc plutôt sérieux comme African Gangster, un nanar absurde façon La Vengeance ? Sans doute un mélange de tout cela, au vu des réactions des web-spectateurs, qui hésitent encore entre consternation et hilarité. Alors, biopic fauché ou connerie assumée ? Involontairement drôle ou foutage de gueule prémédité ? Faisons les comptes.

BIOPIC FAUCHÉ ET INVOLONTAIREMENT DRÔLE

Les acteurs : Si on en croit leurs interviews, on est clairement dans cette catégorie. Le principal, Lassana Lestin (un vrai comédien, apparemment), explique avoir accepté parce que c'était la première fois qu'on lui proposait un premier rôle. L'acteur souhaiterait même que Booba regarde le film pour savoir ce qu'il en pense. Là, par contre on lui souhaite de se trouver à quelques kilomètres de lui si ça venait à arriver, on sait jamais. Houari Bait qui joue Ali fait également très sérieux, la preuve, il porte une chemise dans son interview.

Le producteur : Arnaud Humbert va dans le même sens, insistant sur le fait qu'il s'agit d'une fiction inspirée librement de la vie du rappeur et non d'un véritable biopic qui retracerait toute sa vie. Le bonhomme rappelle également le manque de moyens et ne se cache pas du côté cheap du résultat final. On parle quand même d'un truc où la qualité de prise de son oscille entre la vidéo de vacances de tonton Maurice et le Vine de ta nièce de 7 ans.

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Les plans tournés au Pont de Sèvres : L'équipe a quand même fait l'effort de tourner plusieurs séquences dans le quartier de Boulogne où Booba a rencontré tous ses ex-super-meilleurs-potes du rap. Ça ne sauve strictement rien et ça prouve à tout le monde que décidément, on fait absolument ce qu'on veut dans ce quartier, mais on peut saluer le geste.

La tentative de cohérence : Là, c'est délicat. Le script (bon ok il n'y en a sans doute jamais eu -l'histoire, quoi) semble avoir été écrit (bon ok, pensé) par un fan un peu juste à qui on aurait demandé « vas-y, raconte moi la vie de Booba » à partir des morceaux qu'il connaît, des interviews qu'il a vues et surtout d'une bonne dose de fantasme. On sent toutefois une vraie volonté d'expliquer certaines évolutions, ce qui s'avère catastrophique sur bien des plans mais qui semble partir d'une bonne intention de départ. Ainsi le rapport de Booba à sa couleur de peau, sa mère, son père, Ali et tout le reste sont résumés dans des scènes qui se veulent symboliques et qui donnent illico des dialogues 300 % Nanarland. Outre le déjà culte « ouais pfff j’en avais marre de danser pendant que l’état nous encule, tu vois. Maintenant je fais du rap tu vois : je dénonce », on a une magnifique relecture de la naissance du classique Le Crime paie :

- Tu mets ça sur un cd « seul le crime paie » tous les banlieusards vont regarder ça.
- Ouais mais je sais pas, ça fait trop l'apologie du crime, tu vois, ça fait trop genre euh, criminel.
- Regarde les cainris, on apporte un univers!
- C'est une image, quoi.
- Voilà, comme Nas, il utilise des images et des métaphores.

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LA scène émotion : Vers la fin on a une séquence entre Kopp et Sarah, sa copine (cherchez pas d'où elle sort, c'est incompréhensible). Craignant pour sa vie il doit la convaincre de partir avec lui aux États-Unis, et sort l'artillerie lourde : tremolos dans la voix, regard de chat qui veut se faire adopter et apothéose avec des larmichettes pour la fin. Contre toute attente on bascule dans le biopic de Drake, avec ce théorème magnifique : « si t'es pas là, je suis seul ».

CONNERIE ASSUMMÉE ET FOUTAGE DE GUEULE

JisaMedia : Le film a été produit par cette société média numérique qui sévit sur Internet en diffusant des vidéos en ligne. Le truc, c'est que la majorité de leurs autres projets sont Kebab Caviar, un dessin animé parodique sur l'univers du rap, et Ladies in Paris, une web série avec des épisodes aux titres prometteurs comme « elles trompent leurs mecs et elles assument », « Cunnilingus, elles vous dévoilent les techniques » et bien sûr «oh noonnnn les femmes aussi elles pètent ».

Le trailer : On a du mal à croire que ce n'est qu'inconsciemment que l'équipe a livré une bande-annonce aussi perchée. Non seulement l'acteur principal s'adresse à la caméra dans la peau de Booba tout au long mais en plus il conclut par « si t'aimes pas le film tu regardes et pis c'est tout », détournement de la phrase bien connue du Crime paie.

Le changement de titre : Voyant l'effervescence autour de la bande-annonce, le titre a changé et on est passé de Kopp à Booba, parce que tant qu'à faire, autant y aller à fond. Le film étant déjà tourné, personne n'a bien entendu juger utile de faire suivre la modif en vidéo.

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Les répliques : Au fur et à mesure que l'histoire avance, des dialogues et surtout la narration en voix off du héros reprennent texto des punchlines de Booba, avec un je m'en foutisme qui force le respect.

Les anachronismes : Là, c'est magnifique. Le Ali qu'on nous présente ne correspond pas à ce qu'il était à cet époque mais à ce qu'il est maintenant (rappeur conscient qui refuse de glorifier l'illicite), Arafat qui initie Booba au rap est joué par un acteur plus jeune que Lassana, d'ailleurs toutes les parties sur l'adolescence sont déjà jouées par le même acteur, bref du bon n'importe quoi généralisé.

L'absence d'implication de qui que ce soit ayant réellement côtoyé Booba : Quand on essaie de contacter des rappeurs, producteurs et autres qui ont été partie prenante de cette partie de la vie de l'artiste, la réponse est souvent la même. Personne n'était au courant, et globalement tout le monde s'en branle.

Tony Coulibali : À la base c'est un personnage fictif sur le titre du même nom. Booba a déjà expliqué qu'il n'avait jamais existé et que c'était une sorte de Tony Montana africain. Les autres personnages sont tous plus ou moins justifiables même si grotesques, mais lui qu'est-ce qu'il fout là ? Sûrement qu'il fallait une dose d'action pour la fin. Si vous avez eu un petit frère traumatisé par La Cité de Dieu qui a connu une période « imitation sous-Ze Pequeño » jusqu'à ce qu'il comprenne que c'était un film, vous ne serez absolument pas nostalgiques le temps de trois scènes improbables.

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LA scène émotion : Au début du film, Booba voit son père quitter sa mère avant de lui laisser un ours en peluche (les racines du mal). Logiquement, il extériorise son chagrin seul et torse nu devant sa glace, ce qui donne à la scène du « Talkin' to me » de Taxi Driver une sorte de petite cousine trisomique

Voilà, faites le compte et évaluez vous même ce qu'il en est, moi je n'ai pas la réponse. De toute façon que ce soit l'une ou l'autre des solutions, le but final reste évidemment de gagner un maximum de visibilité et si possible d'argent. On ne perd pas le nord, les petits malins ont fait illico appel au crowfunding pour financer le second volet, et sans doute que ce sera rebelote avec le troisième. Et sans doute que tout est déjà tourné et que c'est une carotte, à en écouter certains, mais je ne leur jette pas la pierre j'aurais fait exactement pareil à leur place.

Ça permet aussi d'observer les réactions des fanatiques de Booba, qui se divisent alors en deux factions très distinctes.

Les adorateurs classiques qui sont la plupart du temps extrêmement choqués de l'image qu'on leur renvoie de leur idole.

Les psychopathes dégénérés qui, parce qu'il y a Booba dans le titre et le scénario, se forcent à trouver des points positifs coûte que coûte. Attention je ne parle pas de ceux qui trouvent un côté ludique au film ou s'amusent de son côté WTF, mais bien de gens qui saluent l'initiative et trouvent que si on aime Booba, il y a du bon à prendre là-dedans.

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Soyons tout de suite très clair là-dessus : si Booba c'est Batman, Kopp le film c'est le mec bourré qui sort le costume pour Halloween et finit par se vomir dessus. Ceux qui y voient autre chose ont sans doute dépassé le niveau maximal de groupisme il y a belle lurette.

Du coup, est-ce qu'on attend la suite ? Et comment ! Les mecs bourrés en costume d'Halloween ont un potentiel comique inépuisable. L'autre bonne raison c'est le potentiel d'idioties qu'on pourrait retrouver dans la suite des aventures du héros. Si avec les parties les moins publiques de la vie d'Elie Yaffa la fine équipe a pu donner un résultat si folklo, imaginez un peu ce que ça peut donner dès lors qu'ils s'attaquent à sa vie d'artiste dans la lumière. Le 2ème volet est censé être centré sur l'aventure 45 scientific, donc a priori on aura droit à une version cartoonesque des embrouilles au sein du label mais aussi avec Skyrock et sans doute d'autres rappeurs, si on pousse un peu. Sans parler de la 3ème partie, qui chronologiquement devrait correspondre à la carrière de Booba lorsqu'il vole de ses propres ailes, avec tous les beefs des différentes époques. Là il faut bien imaginer une chose : ces mecs sont parfaitement capables de faire apparaître des équivalents de Mc Jean Gab'1, Sinik, et même Rohff. Qu'ils soient appelés par leur vrai nom ou renommés façon PES n'est pas le problème. Quand on voit ce qu'ils ont fait d'Ali, on sait qu'ils peuvent toucher les étoiles avec des modèles d'origine pareils. Du coup, on anticipe le moment où la saga Kopp devra adapter des événements qui sont déjà très cons dans le monde réel. À priori ça va casser internet : on ne croise pas les rayons, on ne fait pas un clone d'un clone, on ne « Koppe » pas un truc déjà mongol dans la vie réelle. En plus on imagine déjà l'accroche sur le modèle du premier trailer : « Quelque part entre Precious et Podium », « Le meilleur film sur le rap depuis Fatal », etc.

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Reste que le truc qui aurait surpassé le(s) film(s), et de loin, aurait été la réaction de Booba lui-même. Si quelqu'un, quelque part, pouvait le filmer pendant qu'il découvre Kopp, on obtiendrait quelque chose de bien plus épique que toutes les séquences humoristiques de la Terre. Et ça ferait un bon gif en plus. En attendant, nous en sommes réduits aux suppositions. Booba va-t-il…

  • Le prendre mal ?

  • Rester indifférent ?

  • Trouver ça goleri ?

  • Sombrer dans le déni ?

  • Être victime d'un mindfuck de niveau 8 ?

  • Être vaguement consterné ?

  • Ou appeler Maître Lebras pour régler ça vite fait bien fait ?

Faites vos jeux. Yérim Sar est prêt pour la destruction d'internet. Il est sur Twitter - @spleenter