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Music

Nicky Siano a écrit une lettre d'adieu à Frankie Knuckles

Le DJ résident du studio 54 revient sur 40 ans d'amitié avec le parrain de la house, décédé cette semaine.

Nicky Siano (à gauche) avec Frankie Knuckles (au centre) et deux potes, au Cheetah, NYC, en 1999.

C’était en 1972. Je venais juste de finir un set de huit heures dans mon nouveau club, The Gallery, qui avait ouvert depuis une semaine. Robin, la physio et mon associée de l’époque, m’a rejoint dans la cabine accompagnée d’un énorme type noir et m’a dit : « Je te présente Frankie Knuckles. Il veut travailler pour nous ». Je ne le savais pas encore, mais une amitié de 40 ans avec l’un des êtres humains les plus adorables qui m'ait été donné de rencontrer était sur le point de commencer. 40 ans d'amitié avec le parrain de la house en personne : Frankie Knuckles.

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J’ai embauché Frankie dans la foulée – il adorait le club, et il voulait faire de cet endroit le meilleur club de New York. Son premier job consistait à gonfler des ballons et à décorer la salle quelques heures avant l’ouverture. Deux semaines après avoir commencé, Frankie est venu me voir et m’a lancé : « J’ai un ami qui aimerait beaucoup travailler ici aussi – il s’appelle Larry Levan. Il est un peu fou, mais bourré de talent. » Sur la recommandation de Frankie, je l’ai immédiatement engagé.

Larry est devenu mon meilleur ami, mon colocataire, et pendant un temps, mon associé. Quand Larry se trouvait quelque part, Frankie n’était jamais loin. Deux années sont passées, et on était sur le point de délocaliser le club vers une nouvelle adresse, au 172 Mercer Street, quand Larry nous a annoncé qu’il avait dégoté un job de DJ résident aux Continental Baths. Evidemment, Frankie était à ses côtés, le remplaçant à l’occasion lorsque Larry roupillait, et bossant sur les lumières quand il jouait.

Lors de la soirée d’ouverture de la deuxième Gallery, Frankie s’est pointé par la porte de derrière, une demi-heure avant que la soirée commence. C’était déjà un DJ établi, mais il avait conservé toute son humilité et sa tendresse, il m’a demandé : « Est-ce que je peux me rendre utile ? »

Je lui ai dit de venir m’aider à installer mes disques. Tous les deux dans la cabine, Frankie et moi on se marrait en repensant à nos débuts : deux ans auparavant seulement, on espérait que la musique qu’on jouait allait devenir importante… Et on y était, sur le point d’ouvrir ce qui allait être considéré comme le premier club disco. Quand les portes se sont ouvertes j’ai passé le premier disque : «

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Lansana’s Preistess

» de Donal Byrd. Frankie était déjà sur la piste.

Frankie Knuckles (au centre avec le chapeau) gonflant des ballons à la deuxième adresse de la Gallery à NYC, 1975.

Entre temps, la carrière de Larry avait décollé. L'ingénieur du son Richard Long avait engagé Larry pour qu’il joue aux fêtes qu’il organisait dans un lieu appelé SoHo. Et Frankie avait donc pris la place de DJ de Larry aux Continental Baths. Voyant Larry réussir, Frankie a commencé à ressentir lui aussi le besoin de laisser son empreinte, pile au moment où une opportunité de déménager à Chicago s’est présenté. Tout s’est mis à rouler du moment où il s’est installé là-bas. En très peu de temps, il a transformé son rôle de simple

sidekick

de Larry Levan pour devenir la légende qu’on connaît.

On était déjà en 1978. Je jouais au Studio 54, et pour quelques soirées et afters dans un club appelé le Buttermilk Bottom. Une année s'est écoulée avant que j’apprenne que Frankie était résident dans un nouveau club de Chicago, The Warehouse. Mais le disco vivait des jours difficiles, et pas mal de gens en parlaient déjà au passé. Je faisais partie de ces gens. L’industrie musicale avait transformé un truc génial en vache à lait, ruinant la crédibilité du genre en sortant tout un tas de choses immondes sous la bannière disco.

Mais Frankie lui, était déjà sur un autre type de musique – la house. À Chicago, les fans de disco commençaient à travailler, chez eux, sur une forme plus épurée et funky de dance music. Ils faisaient passer tous leurs disques par Frankie, réputé pour son oreille sans faille, et lui se chargeait de sélectionner tous les hits potentiels, puis de les envoyer à son alter-ego, Larry Levan, qui les diffusait au Paradise Garage à New York. Les deux étaient en train de faire de la house music le futur style dominant de tous les clubs des années 80 et 90.

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Une des productions les plus importantes de Frankie est sortie en 1991, « The Whistle Song », un monstrueux tube house. Son nom circulait dans l’industrie comme « le type au nouveau son ». Il a ensuite mixé des morceaux pour

Michael Jackson

et

Diana Ross

. Sa version de «

Unbreak My Heart

» par Toni Braxton a toujours été ma préférée. On pouvait lire son nom partout, et tout le monde a commencé à le baptiser - très justement d’ailleurs – le Parrain de la House. C’est lui a fait découvrir des artistes comme Jamie Principle et Marshall Jefferson et leurs hits «

Baby Wants To Ride

» et «

Move Your Body

», soit le meilleur de la house.

J’ai fait un long break avec l’industrie musicale de 1984 à 1996 pour me consacrer au mouvement People with AIDS. Quand je suis revenu pour passer des disques à l’anniversaire de Larry Levan au Body and Soul, Frankie était l’un des premiers à qui j’ai parlé. On a repris notre amitié là où on l’avait laissé. Quand il ne pouvait pas jouer à un endroit, il me refilait le plan. À cette période, il avait déjà un Grammy en poche pour le titre de « Mixeur de l’Année », trophée qu’il gardait sur une table dans son loft de Manhattan. Je me souviens quand je passais chez lui, je lui demandais à chaque fois : « Je peux le tenir une seconde ? ». Ça nous faisait beaucoup marrer.

Frankie (toujours au centre) avec ses amis à la première Gallery vers 1972/73.

Vers 2004, j’ai appris que Frankie avait été diagnostiqué diabétique de Type 2, je ne savais pas que c’était si grave, jusqu’à que je vois comment sa jambe le faisait souffir en tournée. La douleur et les infections récurrentes l’ont obligé à se faire amputer. Je l’appelais régulièrement cette année-là, on restait plus d’une heure au téléphone à chaque fois. Il était toujours à fond, mais émotionnellement, c’était une période difficile pour lui. Je me souviens de ce qu’il m’avait dit : « Je mettais ça de côté, je savais très bien que ça aurait dû être fait depuis des années – et quand le moment est finalement arrivé, j’étais prêt à le faire. »

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Frankie était une personne fière et forte. Il me parlait souvent de sa prothèse. « Il y a une prothèse

design

, et il y’a celle que j’ai, qui est encore mieux ! » On riait à propos de ça mais c’est en partie ce qui a tué Frankie – pas le diabète mais les coûts astronomiques liés à son traitement. Durant sa longue période de convalescence, il a dû puiser dans ses économies, puis repartir en tournée pour se faire de l’argent. Et depuis la crise économique, nous sommes payés beaucooup moins, pour les mêmes soirées

John Brown, un bon ami à moi et une cruelle victime de l’industrie musicale, a commencé à voyager avec Frankie pour l’aider. La plupart des gens imaginent que cette vie est glamour et merveilleuse, et ça l’est, mais pour les gens qui sont malades, cet environnement est très stressant et éprouvant. Les voyages en avion, trois fois par semaine sont dévastateurs pour le corps : rester assis trop longtemps provoque des caillots de sang dans les jambes, et l’air conditionné à bord est rarement sain.

En 2006, j’ai récupéré une vidéo d’un film tourné à la Gallery en 1977. J’ai décidé de me mettre à la réalisation pour que le film sorte enfin. La première personne que j’ai voulu interviewer était Frankie, et malgré son emploi du temps surchargé, il a gracieusement accepté. Il y a environ un an, j’ai su que John, le bras droit de Frankie sur ses tournées, était décédé, et je sais que ça a fait beaucoup de mal à Frankie.

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Il y a trois mois, j’ai appris que l’état de Frankie se dégradait à nouveau. Et maintenant, je sais que c’était bien plus sérieux que ce dont il m’avait parlé. Il était hospitalisé à cette époque et subissait plusieurs nouvelles amputations. De mon côté, j’étais occupé à finir le film et à le sortir et on n’avait pas réussi à se parler. Je l’ai appelé il y a deux semaines et je lui ai dit : « Le film est sorti ! Je veux t’en envoyer une copie ! »

Je l’ai fait aussitôt, mais Frankie devait se rendre à Miami pour la Winter Music Conference. Pour maintenir le même train de vie, il était forcé de travailler. C’est assez injuste, mais les DJ qui ont grandi à mon époque – et qui ont pavé la route pour les DJs internationalement connus aujourd’hui – n’ont jamais reçu leur dû. Nous survivons de cachet en cachet, avec tout le respect des fans et de nos pairs, mais sans aucune sécurité financière. Et nous devons travailler deux fois plus pour payer nos factures.

Frankie a fait bonne figure et a tout donné à la Winter Music Conference de cette année. La dernière fois qu’on parlé tous les deux, il quittait Miami pour Londres. Il était à l’aéroport et attendait son vol. Je lui ai demandé s’il avait vu le film. « Pas encore. J’ai dû partir au WMC, et je ne l’ai pas reçu à temps. » m’a t’il dit. Je lui ai répondu « Ok, tu devrais l’avoir à ton retour. » Mais Frankie n’a jamais pu voir le film. Il est mort lundi soir, des complications de son diabète.

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Frankie, tu étais l’une des personnes les plus drôles, sincères et adorables que j’ai pu cotôyer. Et avec le recul, tant pis, Frankie, c’est pas grave que tu n’aies pas vu le film, parce qu’il y a beaucoup mieux. On

y

était tout les deux.

Nicky Siano est un DJ et propriétaire de club depuis 1971. Son film

,

Love is the Message : a Night at the Gallery 1977

, avec Frankie Knuckles et David Mancuso, est disponible à cette adresse : www.loveisthemessagemovie.com.