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Music

Avant de découvrir le punk, Zola Jesus voulait être Christina Aguilera

Elle a finalement opté pour l'art-pop troglodyte.

A la toute fin de l'année 2012, Zola Jesus a fui Los Angeles, rejetant la civilisation pour s'isoler pendant 9 mois, sans internet, sur l'île de Vashon dans le Pacific North West. Submergée par une jungle semblable à celle qui entourait sa maison d'enfance dans le Wisconsin rural, elle a enfin pu se recentrer sur elle-même et réfléchir à une nouvelle direction après 3 années de tournées et d'enregistrements.

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Sans surprise, le résultat, Taiga - qui désigne une formation végétale présente dans l'hémisphère nord et signifie « forêt boréale » en russe - s'apparente à une exploration de paysages irréels. Pas exactement une incitation à exploser votre iPhone avant de vous enfuir dans la première clairière venue, mais plutôt une référence directe aux tensions qui régissent nos vies et à l'éternel conflit entre les royaumes de béton dans lesquel nous évoluons et les plaines lointaines auxquelles nous aspirons.

Issue de la scène noise où elle s'est démarquée par une approche inédite du chant, avant de toucher un public plus large grâce à la majesté gothique de Stridulum et l'art-pop troglodyte de Conatus, Zola Jesus fait partie d'une longue lignée d'artistes qui fusionnent les opposés sonores. Avec Taiga, elle couvre pour lapremière fois le spectre entier de son parcours musical, du punk à la noise, en passant par son background classique et son goût pour les pop songs puissantes, le tout supervisé par son nouveau co-producteur, Dean Hurley - qui avait précédemment travaillé avec David Lynch. Zola Jesus s'est aussi débarrassée de la réverberation qui noyait sa voix et était jusqu'ici une de ses signatures. Un changement survenu après la performance de son album orchestral, Versions, au Guggenheim, l'année dernière. Pour ce concert, elle avait souhaité opter pour un style d'expression plus pur et dynamique. On l'a coincée sur un toit de Dalston pour essayer de savoir où elle en était.

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Noisey : Tu avais déjà été à Vashon avant d'y emménager ?​
Zola Jesus : Non. Du coup j'étais un peu inquiète, mais en fait c'était merveilleux. J'ai installé mon studio très vite et j'ai commencé à écrire de la musique chaque jour pour m'exercer, et réhabituer mes muscles à jouer. Mais j'ai aussi eu envie de revoir mon ancienne prof de chant. Je voulais chanter le plus juste possible, et écrire avec elle à complètement changé la donne. J'avais de nouveau confiance dans ma voix et dans ma vision. Ça a été un long processus.

Est-ce qu'il y a un morceau en particulier qui t'a fait réaliser que tu te lançais dans quelque chose de nouveau ?​
«Hunger» a été le premier morceau où je me suis dit : «Voilà à quoi va ressembler l'album». J'ai su en l'écrivant que ça allait représenter quelque chose de particulier.

Ce son pop très ambitieux, c'est ce que tu voulais ?​
Je m'étais dit qu'il y avait deux moyens de procéder, soit faire un disque bourré d'ambition, soit un disque très discret, introspectif et lent. J'ai voulu relever le challenger de faire un album grandiose, parce que jusqu'ici, j'ai l'impression que c'était assez approximatif, que je n'avais ni la confiance ni le talent pour y arriver.

Ta musique ne m'a jamais paru simpliste. Comment définirais-tu « grandiose » ?
Peaufiné. Riche, mais pas claustrophobique. Pour moi c'était une Taiga musicale, quand tu regardes un panorama et que tu vois toutes ces montagnes, ce tableau sublime fait d'une multitude de détails. Voilà l'idée. J'ai l'impression que tout dans ce disque respire l'ambition, mais j'ai peur que les gens se méprennent sur sa signification. Tout le monde a sa définition du mot ambition.

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Comment définirais-tu « ambition », alors ?
Un désir d'accomplir quelque chose que tu ne pensais jamais pouvoir accomplir. Avec ce disque, j'ai abattu des murs, créativement parlant. J'ai travaillé avec des cuivres, des beats programmés, des voix sans reverb, et je n'étais pas du tout terrifiée par ça. Se confronter à cette vulnérabilité, voilà l'amibition. Devenir plus grand, exploiter ton potentiel. C'est ce que je veux faire : décharner le son, trouver l'essence la plus pure de ce que j'essaye de faire, et de ce que je suis. Rien à voir avec le Top 100 ou les concerts dans des stades, même si j'aime plaisanter là-dessus.

Quand les gens parlent d'ambition, ça tient plus du désir d'atteindre un certain statut, voir de la cupidité…
Les gens ont peur d'utiliser ce mot. Moi, ma vie entière est une ambition. C'est l'instinct de survie, tes efforts pour devenir meilleur. C'est pour la même raison qu'on passe des forêts entières au bulldozer et qu'on construit des immeubles qui ressemblent à des arbres par-dessus. C'est constamment essayer de trouver une meilleur manière de faire les choses.

Je crois que dans le monde de la musique indépendante, si tu es ambitieux, on te regarde de travers. Les gens veulent voir des musiciens qui deviennent connus parce qu'ils ont un talent inné, qui donnent l'impression de ne faire aucun effort. Quand quelqu'un essaye d'y arriver en travaillant, il est mal vu. Ils veulent juste que ton génie transpire par tous les pores de ta peau. J'ai démarré ma carrière dans le punk et la plupart de mes amis sont dans la noise - et ils galèrent vraiment. Faire une tournée de noise est probablement la chose la plus dure que tu puisses faire quand tu es musicien. Il n'y a que des concerts dans des sous-sols ou des maisons, il faut vraiment le vouloir. Dans le punk, si tu essayes de sortir de ce milieu, tu es fustigé. Comme si c'était un sacrilège. Mais je n'appartiens plus à aucun de ces milieux.

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Tu as trempé dans pas mal de scènes. Tu as entendu une pop song qui ait, selon toi, réussi à mélanger autant de genres, récemment ?
J'aime beaucoup SIA. Je pense que quand elle a percé, le monde est devenu un peu meilleur. Elle est tellement unique, sans compromis, elle a des chansons super belles.

C'est incroyable comme elle a su amener des références vitales, presque subrepticement, via des morceaux sublimes. Le truc séduisant avec la pop, c'est que c'est la musique du monde occidental. Si tu allumes la radio pour écouter de la musique et que tu n'es pas particulièrement fan de musique, c'est de la pop que tu vas entendre. Ça va t'affecter énormément. C'est une opportunité qui est gâchée aujourd'hui, avec des chansons qui n'ont pas de messages, qui veulent juste te faire oublier la vie quotidienne. Encore une fois, j'enfonce une porte ouverte, mais je trouve que si on pouvait allumer la radio et entendre quelque chose de vraiment bien, ça serait génial. J'ai toujours un peu d'espoir que ça arrive.

Tu as déjà voulu être une pop star signée sur une major ?
Oui, après avoir étudié l'opéra, et avant de découvrir le punk, totalement. J'ai une relation étrange avec ce monde aujourd'hui, j'ai voulu y rentrer pendant si longtemps… Maintenant que je fais de la musique seule, je réalise que je ne pourrais jamais y arriver, mais ça a été mon but à une époque, et c'est resté dans mon ADN. J'aimais Britney, Christina et les Spice Girls, et j'aimerais représenter ça pour certaines jeunes filles. Mais je ne peux pas faire semblant comme elles le font. Ça n'est pas un jeu qu'un être humain normal peut jouer. Clairement pas. Même quelque chose comme s'entraîner à adopter une attitude particulière devant les médias, ne pas répondre à des questions qui te rendent vulnérable… Pour moi, ça revient à ne pas être soi-même. Qu'est-ce que tu peux offrir aux gens si tu n'est pas toi-même ? Une caricature de quelqu'un que tu voudrais être ?

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J'ai lu quelque part que tu écoutais beaucoup Kanye, Beyoncé, Mahler et Wagner ?​
Oui, c'est un bon combo.

Tout le monde aime Wagner malgré l'influence qu'il a eu sur les nazis. Est-ce que ça nous dit quelque chose sur la relation entre la vie d'un artiste et son art, tu penses ?​
Le fait qu'il soit associé à ça rend tout jugement difficile. J'ai le même problème avec Knut Hamsun, un auteur norvégien. Je me dis que je l'aimerais encore plus s'il n'avait pas cet étrange passé pro-nazi.

Tu différencies l'art de la personne, donc ?​
Surtout dans la noise et dans le black metal. J'écoute de la noise et je ne peux même pas te dire de quoi ça parle, tellement c'est transgressif et haineux. Mais ils transforment cette énergie en art, et c'est une énergie qui agit sur eux en même temps. Je tolère complètement. Je suis très tolérante en matière d'art, de toute façon. Je pense qu'ils font mieux de transformer ça en art plutôt qu'en violence.

Si tu avais une petite soeur, tu lui dirais d'écouter quoi ?
À vrai dire, j'ai fait un mix pour ma petite cousine. Je lui ai dit « Tu n'es pas vraiment prête, vu que tu n'écoutes que One Direction en ce moment, mais un jour, tu le seras ». J'y ai mis Bikini Kill, Le Tigre, Brat Mobile, toutes les Riot Grrrl, et Björk, Kate Bush, des femmes fortes et créatives qui sont de bons modèles. Je pense que c'est important pour les filles d'entendre ça en étant jeunes, pour qu'elles puissent grandir en sachant que ça existe. Tu dois leur montrer l'intégralité de la palette pour qu'elles sachent jusqu'où elles ont la possibilité d'aller, parce que parfois, leur spectre artistique est très restreint, elle ne réalisent pas qu'il y a énormément de choses en dehors.

J'ai lu que tu avais besoin de forces antagonistes dans ta musique. Tu as réussi à les trouver dans la nature ? Voshon a l'air si paisible.​
Il y avait de la paix, mais ça n'est jamais une paix absolue. Il y a un sens de la contemplation et de la réflexion, certes. Et il y a aussi quelque chose de spécial à se trouver dans la nature, tu t'y sens très libre mais tu sens aussi que tu fais toujours partie de la machine qu'est le monde. Une fois que tu as cette espèce d'épiphanie où tu te dit: « Oh, je pourrais vivre comme ça », tu commences à ressentir de l'anxiété, tu te demandes comment ça va être quand tu vas partir et retourner dans le monde civilisé avec les autres humains. Cette dichotomie, qui te fait être partie intégrante à la fois du monde naturel et du monde synthétique me stresse beaucoup. C'est le thème ultime de l'album - ce conflit entre deux mondes. L'homme se sent intrinsèquement aliéné dans ce monde. On a besoin de détruire le monde pour en construire notre propre version. On pense qu'une idée est la meilleure, puis une autre idée apparaît. Quand on y pense, c'est tellement bizarre. Ça te fait te sentir si… anormal. On parle beaucoup d'environnementalisme, et même si l'album n'est pas environnementaliste, c'est la même réflexion: « Attends une seconde, pourquoi est-ce qu'on est en train de faire ça ? ». Il n'y a aucune raison de créer cette infrastructure, cette espèce de monde isolé.

Tu penses qu'on a définitivement bousillé la planète ? Que c'est irréparable ?​
Ouais, et c'est pour ça que je dis que ce n'est pas un album environnementaliste, parce que je pense pas qu'on puisse faire quoique ce soit, au point où on en est, pour inihiber nos impulsions et notre désir de conquérir le monde. Je pense que c'est quelque chose qu'on possède dès la naissance, et aussi longtemps qu'on continuera de procréer, on va continuer à le faire. C'est comme ça. Il n'y a pas de retour possible.

C'est une idée assez rassurante de se dire que dans quelques centaines de milliers d'année, le monde sera de nouveau en paix, qu'il nous aura oublié.
Ouais. De la même manière qu'une catastrophe naturelle détruit une partie du monde, qui se reconstruit ensuite lentement. Aujourd'hui, nous sommes la catastrophe naturelle, et le monde se rétablira une fois qu'on ne sera plus là. Mais c'est étrange de faire partie intégrante de ce problème.

Suze est sur Twitter - @SuzeOlbrich