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Yung Beef est prêt à mettre Barcelone sur la carte du rap mondial

Il est dans les petits papiers de Waka Flocka, voit un tas de points communs entre le flamenco et la trap, bloque sur Lana Del Rey et le rap français, et se branle complètement de signer sur Sony.

Toutes les photos sont de l'auteur.

« Je connais les mecs de VICE. VICE Espagne, c'est pas mon truc, ils aiment trop les scandales ». D'une moue incrédule il balaie, « je n'ai pas d'embrouilles frère, je fais de la musique, j'en ai rien à cirer de ces histoires ».

Yung Beef est Espagnol, et il est l'autre phénomène rap en Europe cette année, après vous savez qui. En privé, Waka Flocka Flame ne tarit pas d'éloge sur lui. Il figure dans la liste des 10 rappeurs à surveiller en 2016 publié par le magazine anglais FACT, entre Neth the Pharaoh, qui incarne le renouveau de la Bay Area, le jeune driller de Chiraq Montana of 300 et, évidemment, PNL. L'été dernier, son groupe Pxxr Gvng (prononcer Poor Gang) était recommandé par le Guardian dans sa playlist hip hop du mois, devant Asap Ferg.

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En Espagne, Yung Beef et ses potes ont réveillé un rap espagnol essentiellement ringard. Depuis deux ans, ils collectionnent les millions de vues sur YouTube, les projets, les mixtapes, les fans et les détracteurs. Les styles musicaux et les noms de groupes aussi : trap ou reggaeton, un jour ils s'appellent La Mafia Del Amore et le lendemain Pxxr Gvng. Ils sont quatre, entre 20 et 26 ans.

Steve Lean, leur beatmaker barcelonais a fait parler de lui il y a quelques semaines : il vient d'intégrer 808 Mafia, prestigieux collectif fondé par les beatmakers Lex Luger et Southside, à l'initiative de Waka Flocka, en charge de la production du prochain album de Jay-Z et responsable, avec Metro Boomin, de la dernière mixtape de Drake et Future. Et il est désormais managé par 36 Brickhouse, l'écurie de Waka Flocka Flame.

D. Gomez et Khaled, les deux autres rappeurs du quatuor, sont plutôt bons, mais la voix, le flow et l'attitude désignent Yung Beef comme leader. Je le retrouve devant son studio du Raval, situé dans l'un des derniers coins du barrio par lequel la gentrification n'est pas encore passé.

Après les 15 minutes de retard consubstantielles à la vie barcelonaise, il ouvre. L'endroit est assez improbable pour ressembler à tous les petits studios de quartier. Au plafond, des ampoules de couleurs bleu, jaune, rouge, au murs, des étagères à moitié arrachées, au sol, deux mecs assis et vraisemblablement en plein marathon weed-chips-sieste. L'un salue de la tête, l'autre a peut-être les yeux fermés, la tête dans les genoux. Dans la pièce du fond, à côté de la douche et des toilettes, Khaled, ami d'enfance de Yung Beef avec qui il a formé son premier groupe à Grenade (les Kefta Boys), est en plein mixage. On s'installe. Il roule un joint. Je m'inquiétais de mon espagnol, mais il parle un bon français. Il a vécu à Marseille et à Paris. L'interview se fera donc en français-espagnol-anglais.

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« Merci Monsieur ». Me répond-il le plus sérieusement du monde quand je le complimente sur sa musique. Je m’apprête à lui dire tout ce que je pense du rap espagnol, quand il me coupe : « J'aime pas le rap espagnol, j'aime bien le rap français. Maintenant j'aime moins, mais dans les années 70…
- 90, non ?
- Oui, 90. Le rap français des années 90 c'était de la folie. »

Il dégage quelque chose d'étonnant. Plutôt une belle gueule, avec la dent jaune et/ou cassée, jogging pyjama bleu, simili-superstars au pieds, le bédot qui pend nonchalement de la gueule, on dirait le membre d'un boys band mais version hood : Yung Beef aka Lana Del Rey. Pourquoi cet alias ?

« Je sais pas, je suis schizophrène mec. J'aime bien Lana [Rires]. C'est ma muse. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, je l'aime bien, la musique, la meuf. » Il se lève et me montre un tatouage sur son bras : LANA DEL REY.

Sa page Wikipedia qualifie son groupe Pxxr Gvng, de boys band : « C'est vrai, on est un boys band d'une certaine façon. » Et la façon qu'il a de trouver ma pique amusante, sans en être destabilisé, ni s'inquiéter de son image l'éloigne de la quête juvénile de reconnaissance qui anime beaucoup de rappeurs de son âge.

« C'est pas la même philosophie mais si tu nous vois tous les quatre, ensemble, on est un boys band. » Il précise dans un sourire que « 100 % de [sa] page wikipedia est fausse ». Elle affirme également qu'il n'est pas un rappeur.

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Ça ne le dérange pas « Je suis un reggaetonero » affirme-t-il sans hésiter. « Je ne sais pas pourquoi le reggaeton n'est jamais pris au sérieux : si tu vis le Reggaeton, à Mexico, à Porto Rico, c'est la folie mec. Plus que le rap, plus que tout. Il n'y a rien de plus vrai, rien de plus fort. Le jour où t'iras à un vrai perreo [rassemblement reggaeton], tu verras, tu comprendras. Le reggaeton, c'est comme la trap, mais en plus puissant. Faut pas écouter les lyrics, c'est juste un feeling, you know ? C'est le next level. Quand j'étais en France, les jeunes, dans les quartiers, dans les boîtes, ils écoutaient du reaggaton. Ils kiffaient. »

Il a découvert le rap en famille, « c'est mon père qui m'a fait découvrir le rap. Mon père, et le quartier. J'ai commencé à rapper en même temps que j'ai commencé à marcher. J'ai rappé toute ma vie. Je rappe depuis que je suis né, mais c'est devenu sérieux depuis 3 ans seulement. »

Son enfance, il l'a passé à Sacromonte, le quartier gitan de Grenade, construit autour d'une abbaye datant du XVIè siècle. « Je viens de Sacromonte, et là-bas, le flamenco, c'est la vie, c'est tout ce qu'on a. »

Il y a bien plus de similarités qu'on ne pourrait le penser entre le flamenco et la trap. Le vrai flamenco, c'est un truc hood, c'est la musique que l'on joue dans les quartiers, un truc rue. Les gens qui font du flamenco c'est des gens trap, vraiment trap. L'énergie, le style de vie sont les mêmes. Ce que les gens vivent, traîner, dealer un peu de came, c'est la même. » En l'écoutant évoquer le rythme, la danse, la rue, la tragédie, la violence qui animent ces deux musiques, on se prend à imaginer que Gucci Mane et Diego El Cigala aurait peut-être beaucoup de choses à partager.

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« Les médias espagnols ne comprennent rien à ce que l'on fait. On est une organisation criminelle mec. On fait de la musique aussi, parce qu'on aime ça. On s'en bat les couilles des multinationales, de Sony. Même quand ces gens nous proposent de l'argent, on s'en fout, on en a de l'argent. On fait ça par passion. On aime bien la thune, mais on n'a pas besoin de vendre notre musique pour en avoir. »

« Sony nous a croqué le cerveau pendant deux piges pour nous signer. […] À la fin, on leur a dit, « si on vous file un morceau, vous nous filez du blé, vous l'exploitez pendant cinq ans, et vous nous foutez la paix. » Finalement, ils ont pris plusieurs sons, nous ont filé du blé, et c'était fini. Mais on n'est pas signés chez eux, on fait ce qu'on veut. J'en ai rien à cirer de ce qu'ils font avec nos morceaux. Le jour où ils ont sorti notre album, on a sorti d'autres sons sur YouTube. On fait notre truc à nous. »

Yung Beef ne s'inspire pas de Gucci Mane uniquement d'un point de vue musical, côté labels, il semble être aussi incontrôlable que le Trap God. « Los Pobres, l'album de Pxxr Gvng, c'est pas un vrai album. Tous ces morceaux, ils étaient vieux de deux ans quand ils les ont sortis. Si ça sonne bien, c'est normal : il est entièrement produit par 808 Mafia, qui sont d'ailleurs en train de réaliser le prochain album de Jay-Z de bout en bout. La dernière mixtape de Drake et Future, c'est également eux qui l'ont produite. » Il peut être fier : 808 Mafia et tous les artistes qui gravitent autour sont effectivement les mecs qui font le rap américain actuel.

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« Des membres de 808 Mafia sont venus mixer à Barcelone, on s'est rencontrés, on a kiffé ensemble pendant une semaine, et aujourd'hui c'est la famille. Aux Etats-Unis, tout le monde les appelle, ils laissent sonner. Nous, on se sert, on prend ce qu'on veut de chez eux, gratuit. On a des sons avec Waka Flocka Flame que l'on a pas encore sortis. »

« Dès qu'il se met à parler d'Atlanta, ses yeux s'illuminent. Yung Beef est une sorte de Trap Nerd, j'ai vérifié, il écoute tout : « Young Dolph, Jose Guapo… Tout ce qui vient d'Atlanta, j'écoute de bout en bout. Ils sont dans le futur. Ils ont 10 ans d'avance. Je bosse avec les Etats-Unis, avec l'Amérique du Sud… Mes producteurs de reggaeton sont sud-américains, mes beatmakers trap sont

straight outta ATL

Il y a deux semaines, j'étais à Los Angeles, pour un shooting et j'en ai profité pour taffer avec un gros beatmaker de là-bas. »

L'Espagne semble trop petite pour le jeune rappeur. Et si l'on considère son talent et l'histoire rapologique de son pays, c'est sans doute vrai : « Il n'y a pas de blé en Espagne. J'aimerais commencer à tourner en Amérique du Sud : le public, les concerts, le son, tout est plus grand et plus fort là bas. Les mecs au Mexique ressentent mieux mon son. »

On se dit même qu'avec ses connexions, et la montée en puissance inexorable de la langue espagnole aux Etats-Unis, il peut rêver : « Peut-être qu'un jour le rap européen pourra marcher aux Etats-Unis. J'aimerais, mais c'est compliqué. »

En attendant, il ne se plaint pas, heureux là où il est : « À Barcelone la vie est simple et belle. Même quand t'as rien ici, tu vis bien. J'ai vécu à Londres aussi, là bas la vie est terrible. À Barcelone, quand t'as besoin d'argent tu taffes un peu. Tout est plus cool. Même pour louer un appart, c'est moins cher qu'ailleurs. Financièrement il n'y a plus de problème, on est bien. On vit de nos concerts, de nos sons, des revenus YouTube. On fait de l'argent. Avec la musique, c'est facile. » Première nouvelle.

Si Yung Beef, de son vrai nom Fernando Galvez Gomez n'a que 26 ans, il semble avoir vécu plusieurs vies, avoir eu plusieurs noms, avoir chanté plusieurs styles : « J'ai travaillé dans la restauration, à Paris, à Londres. D'abord, j'ai fait la plonge, puis je suis devenu chef. Maintenant, je vis de ma musique. Bien. »

Est-ce qu'il bicrave encore un peu ? « Tant que je fais de la thune avec la musique pourquoi je me ferais chier à dealer ? » Comme un écho au spleen du dealer qui nourrit les rimes de PNL. « Mais si c'était plus le cas. Pfff… Je retournerais dans la rue. De la beuh, de la coke, de la MD, « je te vendrais ce que tu veux mec [Rires] ! » Arthur Scheuer n'est pas sur Twitter mais vous pouvez passer le voir sur Instagram.