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Music

On ne devrait jamais rencontrer ses héros mais Wyndham Wallace l'a quand même fait avec Lee Hazlewood

L'auteur de « Lee, Myself & I » nous parle de son amitié avec le génial compositeur américain, des mystères qui l'entourent et de la triste uniformisation des interviews musicales.

Lee Hazlewood à la fin des années 60 Chaque jour que Dieu (donc Ian MacKaye) fait, Noisey vous propose des articles et des interviews où des personnes vous parlent d’autres personnes. Où des passionnés de musique écrivent sur d’autres passionnés de musique. Mais pour qui écrivent-ils vraiment ? Pour vous, lecteurs ? Ah ah. Pour les musiciens, afin qu'ils ne se retrouvent pas dans la même situation que l'albatros des Galapagos (ie : en voie de disparition) ? On verra dans quelques années. À moins qu'ils n'écrivent tout simplement pour eux-mêmes ? Le rock-critic anglais Wyndham Wallace (Uncut, The Guardian, The Quietus) ne s’est pas posé la question mais y a répondu sans le savoir à travers son livre paru l’an dernier consacré au grand Lee Hazlewood, génial compositeur américain disparu en 2007, auteur de «These Boots Are Made for Walkin’ », « Some Velvet Morning » et « Summer Wine » entre autres perles pop à chialer. Un type vénéré et repris par des gens aussi divers Nick Cave, The Jesus & Mary Chain, Beck, Einstürzende Neubauten, Joe Dassin, Lydia Lunch, Rowland S. Howard, les Tindersticks ou Primal Scream. Un homme qui a découvert le guitariste Duane Eddy et aidé à l’éclosion de Phil Spector, pour être presque complet.

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Si son livre s’intitule Lee, Myself & I: Inside the Very Special World of Lee Hazlewood, c’est bien que Wallace n’a pas cherché à réaliser la biographie attendue du cow-boy moustachu, annonçant d'entrée la couleur pour éviter les demandes de remboursement de clients mécontents. Moi-même et Je dans le titre, comme si le rapport qu’il entretient à la musique lui a offert plus de réponses sur lui-même que sur son héros. Grâce à l’amitié avec Hazlewood et à l’intimité qui s’est nouée entre les deux, il répond quand même à la promesse de la deuxième partie du titre à travers une immersion dans le monde très spécial de celui dont il était devenu le confident et le manager. Et c’est tout ce qui fait la singularité et le charme de son ouvrage qui, à défaut de percer tous les mystères de l’ouest du Lee, déborde de chaleur humaine, de coups de gueule, de discussion comme on aimerait tant en avoir avec nos idoles, et de vécu, ce truc qui n’existe juste plus avec les musiciens qu’on croise 15 minutes maximum en promo. Tel un doux rêveur, il nous ouvre mine de rien les portes d’un mythe tel que le rock n’en fabrique plus. Une anti-biographie à la fois nostalgique et profondément contemporaine qui répond déjà aux questions qu’on n’avait pas pris le temps de se poser sur nous. Et donc sur vous. Wyndham Wallace Noisey : On apprend aux journalistes à ne pas utiliser le « je ». Toi, tu as sauté dessus à pieds joints.
Wyndham Wallace : C’est pourtant la première leçon que j’ai aussi apprise du journalisme musical : ne pas utiliser la première personne. Mon premier job payé de journaliste était pour un magazine qui a fait faillite la semaine où mon premier article a été publié. Dans la première interview que je leur ai envoyée, j’ai utilisé la première personne et ils m’ont dit que je ne pouvais pas faire ça. Mais pour Lee, je savais que je n’allais pas faire une biographie classique, déjà parce que ça m’aurait donné trop de boulot. Et il y a encore bien trop de mystères l’entourant. Je n’aurais jamais eu toutes les réponses aux questions qui se posent encore. Mais j’aime aussi cette part de mystère en lui. On ne sait pas par exemple pourquoi il est parti en Suède à la fin de ses années de travail avec Nancy Sinatra. J’aime l’idée de garder ces questions en suspens. Comment t’es venue l’idée du livre ?
Quand j’ai déménagé à Berlin en 2004, j’ai commencé à écrire sur ma vie, des histoires envoyées juste à une centaine d’amis. J’ai commencé sur un séjour au nord de la Norvège. Puis sur Las Vegas où j’ai rencontré Lee. A sa mort, j’ai eu envie d’écrire un livre sans trop savoir comment m’y prendre. J’avais ces histoires dont certaines avaient fait pleurer quelques amis. Je me suis donc dit qu’il y avait matière à construire un livre. J’ai pris comme exemple celui sur Nico, Songs they never play on the radio. James Young, l’auteur, y raconte son expérience d’une tournée avec Nico. C’est un livre écrit à la première personne et l’un des rares en musique à m’avoir ému. S’il pouvait le faire, je le pouvais aussi.

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Par ailleurs, ma relation à la musique est très personnelle. Il n’y avait donc aucun problème à écrire un livre tout aussi personnel sur un musicien. Je savais que ça allait à l’encontre des règles mais ce n’était pas une bio classique. Ma relation avec Lee était vraiment inhabituelle et le livre se présente ainsi comme une histoire d’amour entre un vieil homme et un plus jeune.

Et il évoque aussi la confiance qui est née entre vous.

Exactement, et c’est ce qui m’a intéressé dans ce livre. Voir si je pouvais réaliser un livre où chacun pourra s’identifier à moi et apprendra Lee à travers mes yeux.

Donc forcément, la première fois où tu l’as rencontré, tu étais loin d’imaginer ce livre.

Non, mais c’est lui qui m’a parlé d’écrire un livre avant même que j’en ai l’idée. Parfois, il racontait des histoires et disait «

ne mets pas ça dans ton fichu livre

». Moi, je n’y pensais pas vraiment mais c’est un peu comme s’il plantait une graine, comme s’il disait : «

voilà ce que je veux que tu fasses

».

Lee Hazlewood, au milieu des années 2000

C’était pas trop flippant de s’attaquer à un tel monument que tu as par ailleurs bien connu ?

J’ai laissé passer au moins deux années après sa mort avant d’écrire. En partie parce que je n’étais pas prêt. J’étais vraiment triste, je me sentais si proche de lui. C’était un peu une figure paternelle en un sens. Quand mon propre père est mort en janvier cette année, un des moyens de m’en sortir a été d’écrire son éloge pour ses funérailles. Ça m’a permis d’y voir clair à son sujet. C’est aussi ce qui s’est passé pour Lee : le livre m’a permis de comprendre pourquoi il comptait tant pour moi. Ce n’était pas pour ses disques même si je les adore. La raison de mon obsession était que j’avais perdu un ami. C’était différent de la mort de Bowie par exemple. Le livre a donc été l’occasion d’une auto-psychanalyse afin de comprendre la raison de mes émotions, ce qu’il signifiait pour moi.

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C’est donc un livre sur la perte ?

Définitivement, oui. Un livre sur la perte, sur l’amitié, sur la validation. Il m’a validé en tant que personne utile car c’était un de mes héros et le voilà qui s’appuyait sur moi et sur mes conseils. Il m’a fait me sentir spécial. En même temps, c’est un homme qui n’avait plus fait grand-chose depuis 25 ans et quelque part, j’ai contribué à le maintenir dans son idée de retour. Je lui ai appris à prendre conscience de sa valeur et combien les gens l’aimaient car je ne crois pas qu’il le savait. C’était l’un des plus grands songwriters de tous les temps et ça lui a fait autant de bien de l’entendre qu’à moi de lui dire.

Ça reste malgré tout un livre joyeux, plein de vie.

Presque tout ce que j’écris finit bien. Ce n’est pas un message positif mais juste que j’aime l’idée qu’une fois traversés des temps très difficiles, la fin aura justifié de se battre. Donc tout a une fin heureuse et si ce n’est pas heureux, c’est que ce n’est pas fini. Beaucoup de parcours dans la musique passent par ce combat, ces difficultés, comme un artiste qui passe par des moments difficiles mais finit par pondre un chef d’œuvre.

Dans la musique, nous serons de plus en plus confrontés à la mort des figures qu’on a aimées.

Oui, de plus en plus vont disparaître car elles correspondent à la fin de la première génération du rock. Mais c’est nouveau pour notre génération de pleurer des gens que l’on n’a pas connus mais qui semblent correspondre à un bout de notre vie.

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Ce serait pas ça, la Toute-Puissance de ce que vous, Anglais, appelez la pop culture ?

Oui et c’est très étrange quand on y réfléchit. Mon père est mort en janvier et trois jours plus tard, c’était au tour de David Bowie. C’était très étrange pour moi car j’étais très triste chez ma mère et je voyais sur Facebook tous ces gens tout aussi tristes pour quelqu’un qu’ils n’ont pas connu. Et ils avaient l’air aussi affectés que moi pour mon père, une sensation très étrange. Mais j’ai eu ma revanche car le site

The Quietus

a demandé à tous ses collaborateurs un texte sur Bowie. J’ai détourné le mien en une réflexion sur mon père. Le truc le plus drôle, c’est que

The Quietus

l’a tellement aimé qu’ils l’ont mis en tête des contributions.

Comment t’est venue l’idée de lectures de ton livre en public?

Je ne lis que le premier chapitre car le livre est bien trop personnel. J’adore car il raconte les circonstances de notre rencontre, ainsi que ce que j’ai ressenti en l’entendant chanter pour la première fois. Les gens, en particulier ceux qui n’ont pas lu le livre, sont vraiment surpris de m’entendre parler de moi-même et non raconter la vie de Lee. Là, ils se rendent compte que ce n’est pas un livre sur lui. Il y a aussi de la musique lors des lectures, avec une longue partie où je résume sa carrière, et au lieu de lire ses textes, je passe un extrait où on l’entend chanter. Les gens adorent. A un autre moment, je raconte comment j’ai découvert ses disques, et je mets la première chanson que j’ai entendue tout en décrivant ce que j’ai ressenti à ce moment-là. J’aimerais faire plus de lectures mais cela revient cher. A Berlin, Nils Frahm a joué gratuitement pour moi. C’était génial de sa part mais le seule location du piano m’a couté terriblement cher.

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Est-ce que des fans de Hazlewood t’ont reproché de ne pas avoir fait une biographie classique ?

Oui, il y a eu un commentaire négatif sur Amazon. Mais bon, c’est dans le titre, le livre s’appelle

Lee, Myself & I

, je pensais avoir été clair. Sinon, j’ai reçu beaucoup de louanges, beaucoup disant qu’ils pouvaient s’identifier à moi. Les gens me parlent de leur propre expérience après avoir rencontré un de leurs héros et de sentiments comparables. J’ai l’impression d’avoir atteint l’objectif.

D’autant qu’il appartient à une famille d’artistes en voie d’extinction et que ce genre de rencontre ne sera plus faisable dans quelques années.

On n’aura plus d’artistes comme Lee Hazlewood car désormais, le mystère a disparu. Et puis, si tu te prenais autant de gamelles que lui aujourd’hui, ta carrière serait finie. Impossible de se relever après autant de chutes. C’est un personnage plutôt unique, il y a tellement de choses qu’on ne sait pas, de disparitions… comme quand il est parti en Suède et que certains le croyaient mort. Si Prince débutait maintenant, il n’y aurait pas non plus autant de mystère autour de lui. Son personnage renvoie à des figures américaines mythiques, ce cowboy revêche, mal luné mais attachant, ce genre de personnage croisé dans les films de John Wayne qui n’existe plus. Johnny Cash était la seule personne qui évoquait Lee en termes de mystère, de personnalité.

Si tu prends Townes Van Zandt, sa biographie A Deeper Blue révèle aussi un personnage fantasque, imprévisible, mystérieux, aux prises avec ses démons…

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Townes est un peu le Lee Hazlewood qui a mal tourné !

Tu disais ne pas avoir éclairci tous les mystères de Lee Hazlewood ?

Je n’ai jamais voulu le faire. Je voulais juste le présenter tel que je l’ai connu et que je ne pourrai répondre à toutes les questions que les gens se posent.

Y compris tes propres questions ?

Honnêtement, j’aimerais savoir de quoi parle

«

Some Velvet Morning

»

. Mais il ne me l’aurait jamais dit. Et je ne posais pas de question quand je le sentais mal à l’aise sur un sujet. Il y a de longs passages d’entretiens où il évoque sa carrière. Nous avons eu plusieurs conversations très fouillées et c’est la raison pour laquelle j’ai autant de détails par moments. Mais je ne pouvais pas le faire parler plus d’une heure à la fois de son travail. Ça le fatiguait, on arrêtait et c’en était fini pour la journée.

Et j’imagine qu’il fallait respecter ça.

Tu ne plaisantes pas avec l’heure du whisky, en particulier avec Lee Hazlewood. Non mais je savais que je ne percerai pas tous les mystères. J’aurais même été un peu triste d’y parvenir.

Y’aura-t-il encore des histoires incroyables à raconter dans la musique ?

Plein de musiciens ont des histoires à raconter mais nous n’y avons pas accès. La promo est ainsi faite que les artistes doivent répondre à des centaines de médias et la plupart des interviews sont réduites à des tranches de 15 minutes. Et tu n’y apprends généralement rien de plus que les autres. Ce serait tellement mieux de ne donner que 8 ou 10 grands entretiens, ou même un seul avec beaucoup plus de temps. C’est triste que ce genre de chose, comme passer deux jours avec un musicien, n’arrive plus. C’est fou de connaitre autant de musiciens aujourd’hui mais d’en savoir aussi peu sur eux. Il y aurait bien sûr beaucoup d’histoires sans intérêt mais aussi plein d’autres qui mériteraient d’être racontées. Dans le temps, je manageais Cortney Tidwell, une chanteuse américaine incroyablement douée, avec une histoire toute aussi incroyable. Elle a grandi avec une mère chanteuse de country, amie avec Townes Van Zandt (encore lui). Personne n’a raconté son histoire. Pourquoi ? Parce que personne du label n’a pris le risque d’envoyer quelqu’un à Nashville passer du temps avec elle. Ce n’est pas que de leur faute car les médias eux-mêmes ne s’intéressent pas forcément aux histoires. Ils en voudront une sur Beyoncé ou sur un truc de déglingue mais pas sur tel truc d’indie rock.

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Même en une heure de promo, tu n’as de toute façon pas le temps de créer un rapport d’intimité pour avoir une histoire à toi.

Une heure dans le meilleur des cas ! «

Où l’avez-vous enregistré ?

» «

Une anecdote amusante ?

» Le temps de parler du nouvel album, impossible d’arriver à un truc mystérieux. D’ailleurs, je ne connais rien de plus ennuyeux que d’être en studio avec un groupe. Pareil que d’aller en tournée, rouler dans un van, se taper les balances avec le batteur qui teste ses cymbales pendant 25 minutes…

Après Lee Hazlewood, de qui rêverais-tu écrire l’histoire ?

Mark Hollis de Talk Talk. C’est un peu cliché mais

Spirit of Eden

et

The Laughing Stock

sont deux des plus grands albums entendus dans ma vie. Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu

«

I Believe In You

»

. J’ai pleuré sans pouvoir m’arrêter, sans savoir pourquoi. Il n’a rien sorti depuis 2001 et ce n’est pas tant son histoire que son approche de la musique qui me fascine, que j’aimerais explorer. Il a eu l’air de s’embarquer dans un voyage vers la malchance, tout en n’étant pas préparé à tout ce qui allait lui arriver, jusqu’à ce qu’il trouve sa voie. C’est pour ça que j’adorerais écrire sur lui.

Tu l’as rencontré ?

Non, jamais. Mais j’ai eu tellement de chance de rencontrer Lee et de devenir ami qu’il ne vaut mieux pas que je rencontre un autre de mes héros. «

Ne rencontre jamais tes héros, ça finira en larmes

», c’est ce que j’écris dans le livre.

Lee, Myself & I: Inside the Very Special World of Lee Hazlewood est pour l’instant uniquement disponible en anglais, chez Jawbone Press. Pascal Bertin est sur Twitter où il parle beaucoup de lui mais moins de Lee.