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Witch Mountain s'apprête à sortir son meilleur album et à perdre sa chanteuse mais ce n'est pas ça qui va les arrêter

Nathan Carson, le fondateur des vétérans doom de Portland nous parle d'éthique, de DIY et de tout ce qui fait que son groupe tient bon depuis 1997.

Fin septembre, Witch Mountain sortira son quatrième album, Mobile Of Angels, de loin leur meilleur album à ce jour mais aussi le dernier avec la chanteuse Uta Plotkin, qui a récemment annoncé son départ du groupe. L’absence de Plotkin ne facilitera pas la tâche à WItch Mountain mais la longue histoire du groupe en témoigne : ces mecs sont taillé spour la survie. Nathan Carson, batteur et membre fondateur du groupe, en sait quelque chose vu que, parallèlement à Witch Mountain, il est également à la tête de Nanotear, une agence de booking réunissant pionniers et newcomers des musiques extrêmes. On est allé lui poser quelques questions sur Mobile Of Angels, sur le parcours de Witch Mountain et sur sa maîtrise sans failles de l’outil informatique. Au passage, vous pouvez écouter « Your Corrupt Way », le premier extrait de l'album, juste en-dessous.

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Noisey : Witch Mountain existe depuis 1997 et vous êtes sur le point de sortir votre quatrième album, Mobile Of Angels. Comment est-ce que votre façon de travailler a évolué depuis tout ce temps ?
Nathan Carson : Avec Cauldron, on a trouvé la manière de travailler qui nous convenait le mieux. Rob avait passé l’hiver entier dans son garage à écrire des riffs, il les avait ensuite envoyé à Uta qui les étoffait avec des idées de paroles et de mélodies vocales puis le groupe au complet se chargeait de fignoler la production et d’y ajouter les derniers arrangements. Rob initie le truc, puis le fait circuler à travers différents filtres qui permettent à chacun des membres du groupe d’avoir leur mot à dire. Moi, je m’intéresse surtout aux arrangements, à la dynamique et à l’aspect dramatique de nos morceaux, on a tous nos propres champs d’expertise. Une fois qu’on a bien étudié nos morceaux, qu’on les a tous écoutés et répétés, on sait qu'il s'agit du meilleur résultat qu'il nous était possible d'obtenir dans le temps imparti. Évidemment, ce serait encore mieux si on pouvait jouer ces morceaux sur scène avant de rentrer en studio, mais pour cet album ça n’a pas pu être le cas, vu qu’on ne l’avait vraiment terminé qu’à la veille de notre départ pour l’Europe. Les tournées, c’est quelque chose que tu gères au quotidien avec ton agence de booking, Nanotear. Avoir un pied dans l’organisation des tournées, et devoir gérer les aléas des programmations ou les problèmes d’égo des musiciens t’a-t-il aidé à mieux orienter Witch Mountain ?
Ouais ça m’est d’une aide précieuse. J’ai appris à gérer des tournées en m'occupant des dates de Witch Mountain, donc j’ai vraiment appris sur le tas. Pendant longtemps, j’ai essayé d’être le plus professionnel possible. Je dois travailler en tenant compte des susceptibilités de dizaines d’artistes, en misant beaucoup sur la communication, qui est mon atout principal. J’ai pu apprendre des erreurs commises par d’autres groupes, et c’est en partie pour ça qu’on a refusé certains contrats qui nous offraient d’importantes contreparties financières mais nous imposaient, en échange, la perte de certains droits. On voulait que Witch Mountain soit un projet qui dure, on avait une vision sur le long terme. Tu as pris le parti du DIY. Est-ce que tu penses que l'utilisation des réseaux sociaux a facilité ou au contraire perverti le DIY ?
Un peu des deux. Tu as nettement plus de contrôle sur tes productions et tu peux toucher beaucoup plus de gens qu’avant, mais tu es aussi en compétition permanente avec des torrents de musique de merde. Quand on a commencé, il y avait à peu près un groupe comme nous dans chaque État, et on tournait les uns avec les autres. Ils savaient que s'ils venaient à Portland, ils pourraient nous joindre et on organiserait un concert pour eux. Le premier concert de High on Fire à Portland c’était avec nous, pareil pour Electric Wizard — ils ont même dormi chez moi. On était là aussi pour le premier concert de Orange Goblin. YOB nous avait envoyé une demo, ils sont venus à Portland et ont fait notre première partie. La première fois qu’Agalloch a joué ici, ils assuraient notre première partie. On nous connaissait comme un groupe de scène, on savait quels clubs il fallait contacter et on pouvait gérer un concert sans problèmes. Je faisais des flyers à partir d’illustrations piquées dans Donjons et Dragons, j’en faisais des photocopies et je les distribuais dans toute la ville. Et les gens se pointaient au concert. [Rires] Rob et moi avons toujours joué dans des groupes, bien avant Witch Mountain et l’avènement d’Internet. Witch Mountain est un groupe contemporain d’Internet. La première fois qu’on a utilisé Internet avec Rob, c’était pour mettre le mp3 d’une demo enregistrée en 1999 sur StonerRock.com et un mois plus tard on avait un contrat avec un label. On comprenait que dalle à toute cette nouvelle technologie : « OK, on a mis un fichier audio compressé sur Internet pour que les gens puissent l’écouter et maintenant on nous propose un contrat ». On a essayé de piger le fonctionnement de ces nouvelles technologies depuis les débuts du groupe. Pour nos tournées, en 2001, on avait un téléphone portable avec une clé reliée à un ordinateur qui nous permettait d’avoir une connexion bas-débit sur la route. On n’est pas des geeks hyper high-tech, mais on a toujours essayé de se tenir informés des nouvelles technologies et de les utiliser à notre avantage.

Internet a aussi permis de nous noyer sous un nombre incalculable de disques, de groupes, mais aussi de genres et de sous-genres. En 1999, les groupes comme Witch Mountain étaient catalogués doom. Aujourd’hui, il y a un milliard de déclinaisons.
Je n’en voudrais jamais à personne de se fasciner pour le doom. C’est un sous-genre qui m'a toujours tenu à coeur et je trouve ça triste que la plupart des groupes ne le prennent pas au sérieux et se contentent de faire une musique qui leur plaît, sans vouloir trop se dépasser et en faire un genre reconnu — même si je sais que c’est dur d’y arriver, et que ces personnes doivent aussi travailler à côté. Il faut bien vivre, les groupes n’ont plus les facilités qu’ils avaient dans les années 60-70, une l’époque à laquelle les groupes bougeaient à Hambourg et pouvaient vivre de leurs concerts quotidiens. On est aussi victimes de ça, c’est pour ça qu’aujourd’hui on en est toujours là et qu’on a tous une quarantaine d’années. Si on nous en avait donné la chance, on aurait pu être un gros groupe à même pas 25 ans. Les Who ou Metallica sont devenus énormes parce qu’ils pouvaient passer tout leur temps à répéter et à jouer. La plupart des groupes doivent, au mieux, se contenter des soirées et des week-ends. C’est génial qu’aujourd’hui autant de gens s’intéressent au doom, mais ce serait encore mieux si les groupes pouvaient être meilleurs ou se concentraient sur des choses plus originales. Beaucoup se limitent à l'aspect superficiel du doom, de la musique lente qu’ils s'imaginent plus simple à jouer alors que c’est complètement faux, il suffit de bien l'écouter pour s’en convaincre. Certains groupes maîtrisent la lenteur du jeu, mais énormément de groupes n'ont pas la techniquenécessaire. On pense souvent à tort que le doom et le stoner ne demandent pas beaucoup de technique ou de virtuosité, mais c’est tout le contraire : le son est ultra-dépouillé, on n'a donc pas le droit à l’erreur. C’est ce qui m’attire dans le doom — les compositions sont dépouillées, on entend précisément chaque note.
Regarde Travis Foster [de YOB] jouer de la batterie. Il faut une notion du temps incroyable pour jouer aussi lentement, il suffit de le voir en concert ou sur YouTube pour s’en rendre compte. Tu te rappelles de la première fois où la musique a eu un réel impact sur toi ?
Je pourrai en parler pendant des heures. Je ne sais même pas par où commencer. Mes parents aimaient le rock, ma mère avait vu Jimi Hendrix et les Beatles, et mon père était allé aux concertx des Stooges et de Blue Cheer. Ils avaient vu Led Zeppelin et Grand Funk ensemble, et se pointaient aux concerts des Rolling Stones à chaque tournée. J’ai été élevé en écoutant du rock, et je me rappelle très bien courir à travers la maison quand j’avais 5 ans, une figurine Star Wars à la main en écoutant « Godzilla » de Blue Öyster Cult à fond. C’est le premier vrai souvenir de riff heavy que je garde, parce que ce morceau passait en boucle à la radio quand j’étais en maternelle. Quelques années plus tard, j’ai eu mon premier album de metal, Metal Health de Quiet Riot, au moment où Thriller venait de sortir. À l’époque, le metal était plus du hard rock pour les stades, on ne pouvait pas passer à côté de groupes comme Judas Priest, Iron Maiden ou Dio. Mais je ne me considérais pas comme un metalhead, j’ai toujours plus été un nerd. J’ai eu plusieurs passions dans ma vie, par phase, que ce soit Donjons Et Dragons, les comics, Star Wars. La musique n’est arrivée qu’après. Je jouais dans le groupe de l’école mais j’ai eu des rapports très frustrants avec mes professeurs d’art et de musique, ils ne comprenaient pas ma vision du truc. Je me sentais opprimé par ça et je pense que la discipline que je me suis moi-même imposé par la suite vient de là, parce que les manières de penser qu’ils voulaient m’imposer ne me convenaient pas. Je voulais jouer de la batterie dans une formation plus rock, eux m’ont mis au xylophone. Je suis content d’avoir reçu cette éducation, mais j’aurai aimé qu’on me laisse le choix de ce que je voulais faire. À 16 ans, mes parents m’ont acheté ma première batterie, et j’ai eu mon premier groupe, DSL : LSD épellé à l’envers, pour « Devil, Satan, Lucifer ». Depuis mes 16 ans, j’ai toujours été dans un groupe. Ensuite j’ai fait des études professionnelles pour faire de l’animation et à la fin des années 90, je faisais de l’infographie. J’avais une longueur d’avance sur ce qui se faisait et je gagnais pas mal d’argent avec ce métier, mais les entreprises refusaient toujours de m’employer comme salarié parce que je voulais garder du temps pour pouvoir faire des tournées avec mon groupe, surtout avec Witch Mountain. Plus je fais des dates dans le monde, plus je rencontre des gens et je voyage, plus j’enregistre et je sors d’albums, plus je me sens heureux. Je veux partager. Et rester dans un open space derrière un ordinateur ne me permet pas de partager autant de choses que quand je vais jouer au Hellfest en France. J’aime les gens, je ne vais pas faire semblant d’aimer organiser des tournées et gérer les angoisses de mes artistes en permanence, mais je suis bon dans ce que je fais et ça me permet d’aider énormément de gens. Ça me fait toujours marrer de me dire que j’ai grandi dans une ferme de l’Oregon, au milieu des chèvres, que je ne connaissais rien à l’industrie musicale et qu’aujourd’hui j’aide des groupes à grimper et à faire des dates ! J'ai eu un parcours étrange.

Tu as fait ça avec une réelle passion, et ça revient à notre discussion sur le DIY, tout a beaucoup changé ces dix dernières années. À l’époque, les enjeux étaient plus importants.
Ouais, et tu faisais ça parce que ça te plaisait vraiment. J’ai assisté aux débuts du grunge et j’ai porté des chemises à carreaux mais c'était parce que je pouvais en chopper 12 pour un dollar dans l’Oregon ! Et puis il y a eu l’année 1991 et tous mes groupes préférés passaient sur MTV. J’ai laissé tomber quand j’ai eu 18 ans, Metallica me faisait chier, Nirvana et Ministry aussi. Par contre, je trouvais que le nouveau Voivod était vraiment dingue, ça ne ressemblait à rien de ce qui se faisait. C’est à ce moment là que je me suis tourné vers le metal et que j'ai commencé à m'intéresser à Carcass, Sepultura et Godflesh. Je voulais du black metal et des musiques extrêmes, j’en avais assez que les musiques que j’apprécie soient récupérées par des majors, ils simplifiaient tout ce que j’aimais. J’ai grandi et j’ai évolué, j’ai gagné en pragmatisme et je comprends pourquoi ces groupes ont accepté de suivre cette voie, mais quand j’avais 18 ans, ça me rendait fou. Au milieu des années 90, j’ai vraiment eu une révélation avec le doom. J’ai toujours adoré Black Sabbath et je suis tombé amoureux de Candlemass. Un soir j’ai écouté l’album de St Vitus en boucle et tout m’a semblé très clair : « ce n’est pas un hasard si tous ces groupes ressemblent autant à Black Sabbath, c’est un choix volontaire ». En 1996, j’ai eu une connexion bas débit et j’ai découvert le site internet de Rise Above Records sur lequel Lee Dorian avait écrit un manifeste sur le doom, il y parlait de Witchfinder General et de Trouble entre autres, et pour moi ça faisait sens. Je me disais qu’il y avait une petite poignée de groupes qui faisaient des trucs vraiment cool, chacun à leur manière. Ce n’était pas comme aujourd’hui où il y a des milliers de sous-genres, à l’époque il n’y avait même pas une vingtaine de groupes qui étaient connus et j’étais tellement là dedans qu’un an plus tard, j’ai fondé Witch Mountain. J’ai pu rencontrer la plupart de ces groupes au cours des dernières années. Le doom à cette époque n’avait rien de cool et n’était pas à la mode, donc quand tu en faisais, c'était vraiment par goût. On ne se disait pas en 1997 que ce genre serait aussi populaire 15 ans plus tard. [Rires] Tout le monde détestait ça, c’était lent et ça sonnait vraiment vieillot, avec des atmosphères pesantes, des solos de guitares et des hurlements. C’était la pire chose à faire dans le Portland des années 90, et on s’en foutait éperdument. N’en avoir rien à foutre est le meilleur moyen de réussir.
J’ai toujours pensé qu’il y avait deux manières de réussir : la chance et l'endurance. La chance n’est pas un moyen fiable de réussite et on ne peut pas vraiment la pousser. Tu auras toujours plus de chance si tu vis à New York, Los Angeles ou Londres, ce qui n’était pas notre cas, donc on a misé sur la longévité du groupe, qu’importe les circonstances, on devait toujours s’améliorer et ne jamais abandonner. Puisqu’on parle de longévité, qe va devenir le groupe après le départ de Uta ?
On sort de cinq années assez intenses, faites de tournées et de sorties d’albums, quasiment en continu. Si Uta était restée, ce qui aurait été vraiment génial, on aurait continué sur cette lancée, mais elle veut partir et pour moi ça veut dire que le groupe va devoir connaître quelques changements. Je ne vais pas essayer à tout prix de trouver la solution miracle, je suis trop vieux pour me battre donc je pense qu’on va prendre notre temps pour vraiment faire évoluer le groupe. Je suis convaincu qu’il y a des gens bourrés de talent et de motivation qui aimeraient nous rejoindre, et je ne pense pas que ce soit particulièrement difficile à trouver : « Hey, vous voulez venir à Portland, Oregon, la ville la plus cool du monde, enregistrer des albums avec un groupe et parcourir le monde ? » [Rires] Quelqu’un, quelque part, en aura assez dans le ventre pour nous suivre, et surtout pour bien s'entendre avec nous. La personnalité est pour moi encore plus importante que le talent. En plus, cette personne ne passera pas après n’importe qui : Uta est une artiste incroyable, on a adoré travailler avec elle, mais le groupe existait déjà depuis 12 ans avant qu’elle n’arrive, et ce n’est pas son départ qui nous arrêtera, mais je n’ai pas pour autant envie de me précipiter pour revenir sur scène dans trois mois, avec un nouveau chanteur. Je préfère qu’on prenne notre temps, pour revenir plus forts que jamais. Mobile est notre meilleur album jusqu’à aujourd’hui, mais je sais pertinemment en l’écoutant, qu’on peut toujours faire mieux. On doit juste trouver les bonnes personnes et avancer.

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