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Straight Outta Carnac : « West Coast » relève le défi du teen movie hip-hop tourné en Bretagne

Le réalisateur Benjamin Weill nous parle de rap, de cinéma, de son boulot pour Kim Chapiron et Romain Gavras et de sa rencontre avec les « gangstas bretons » pour son premier film.

« Copkiller, Flé-O, Delete et King Kong ne jurent que par leurs casquettes taguées, jeans baggy et chaînes en or de gangsta rappeurs. Mais ces bad boys de la West Coast sont en réalité Malo, Erwan, Loïc et Brieuc, quatre adolescents maladroits et boutonneux et ils habitent en effet sur la côte ouest… mais à Plougoumelen en Bretagne ! » Après tout, pourquoi pas ? Ceux qui ont eu le courage d'aller voir Les Visiteurs 3 : La Révolution ou même Marseille en salles savent qu'en 2016, tout est désormais permis dans le cinéma français. Et puis dans la catégorie cinéma hip-hop (même s'il sert surtout de prétexte ici) l'Hexagone ramasse depuis 20 ans. Ma 6-T Va Crack-er ? Etat des Lieux est mieux. Bouge ! ? Lol ! On n'est pas des marques de vélo ? Bah, c'est un docu. Dans tes rêves ? À la rigueur. Fatal ? S'il vous plaît… Comment c'est loin ? Loin. Bref.

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Monteur à la base sur les thrillers policiers de Fred Cavayé, puis ensuite chez la triplette issue du ciné urbain francilien (Gavras, Chapiron, Kassovitz), le premier choix en tant que réalisateur de Benjamin Weill peut légèrement dérouter. Le natif du 95 a choisi de signer une comédie adolescente (quelque part entre Stand By Me et Le ciel, les oiseaux… et ta mère !), d'embaucher Isabelle Nanty et Pierre-Martin François-Naval et d'aller tourner tout ça dans le sud du Morbihan. Le film sort aujourd'hui et c'était presque un devoir de poser quelques questions à son réal', sans aucun geste de doigts.

Noisey : Où avez-vous grandi et qu’écoutiez-vous quand vous étiez gamin ?
Benjamin Weill : En banlieue nord, dans le 95, Val d'Oise. J'ai forcément commencé par une copie sur cassette audio d'un album de NTM, puis ensuite Public Enemy, NWA, 2pac, Notorious Big … et Charles Aznavour !

Il y a des films qui vous ont marqué ?
Oui, beaucoup, mais les premiers qui m'ont mis une grosse claque sont ceux des frères Coen. J'avais deux affiches dans ma chambre : Arizona Junior et Miller's Crossing. De Blood Simple jusqu'à A Serious Man, ils ont réalisé beaucoup de films canons. J'adore à la fois la précision incroyable de leur mise en scène et la folie et la créativité qu'ils arrivent à insuffler à leurs films. Ils sont uniques. Leur humour est immédiatement identifiable. J'aime beaucoup sentir qu'un film n'aurait pas pu être réalisé par quelqu'un d'autre. La patte, le style, la touche.. Appelez-la comme vous voulez mais chez des auteurs comme les frères Coen il n'y a pas de doute… on la reconnaît immédiatement.

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Après, il y a eu les films de John Hugues (La Folle journée de Feris Bueller, The Breakfast Club, Sixteen Candles) qui ont marqué mon adolescence. Tant de conneries à la seconde… et surtout, l'émancipation, portée par des personnages hyper touchants. Plus tard, la série The Wonder Years (Les Années coup de cœur) et son générique avec le titre de Joe Cocker (« With a Little Help »), teeeeellement nostalgique. Il y a aussi Stand By Me de Rob Reiner qui me fait pleurer à chaque fois que je le revois et puis, plus récemment, Superbad bien sûr, pour sa folie, son excentricités, a décomplexion et son humour libéré.

On est a priori assez loin des gens avec qui vous collaborez habituellement. Que vous a appris votre boulot sur les films de Mathieu Kassovitz, Kim Chapiron et Romain Gavras ?
Chaque réalisateur a sa personnalité et ces trois-là en ont une sacrée… Kim Chapiron m'a appris l'amour. Romain Gavras, le romantisme, et Mathieu Kassovitz m'a appris… « La Haine », le film culte de notre génération. Kim est une des personnes les plus curieuses que je connaisse : philosophie, poésie, musique, littérature, expériences live. Il dévore littéralement la vie et sait profiter de chaque instant, c'est une sorte de maître en la matière. Ses films transpirent cette curiosité et cette générosité. Ses personnages sont toujours très touchants (regardez Dog Pound) sans tomber à la facilité. Il est extrêmement exigeant dans son art, il est SINGULIER. Ce qui est également le cas de Romain… Notre jour viendra est un film que j'adore. C'est le seul film français romantique du côté sombre, et encore une fois, ce film n'aurait absolument pas pu être réalisé par quelqu'un d'autre que Romain. Il est unique et ne répond à aucun code ni format. C'est rare de nos jours. Quant à mon travail avec Mathieu, c'était sur Babylon A.D., un film produit par la Fox (80 millions de dollars…). C'était la panique permanente pendant un an (de mon côté, le deuxième film que je montais). Mais j'ai pû gouter aux grosses machines, c'était très enrichissant.

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Projet BZH

Est-ce que votre expérience avec ces réals vous a servi sur West Coast ?
Bien sûr. Chaque personne avec qui on travaille vous influence. C'est inévitable et naturel. Par exemple, dans Notre jour viendra il y a une séquence où Vincent Cassel et Olivier Barthelemy vont voir des jeunes du nord sur la plage. Ces derniers se mettent à rapper, ça m'a fait telllement rire quand j'ai monté cette séquence que j'ai forcément gardé dans un coin de ma tête l'envie de faire un film sur des jeunes en province qui s'imaginent en mecs badass… Après, j'ai imprimé ma patte à West Coast… c'est à dire une forme de naïveté et de gentillesse à l'égard des personnages, je ne voulais pas simplement me moquer d'eux, je voulais apprendre à les connaître et rentrer dans leur bulle pour les rendre attachants. Kim m'a transmis l'envie de m'amuser en mettant en scène. Il a cet incroyable don pour réussir à donner de l'originalité et de l'amusement à ses séquences. La scène de Dog Pound où ils parlent de sexe dans le réfectoire est à la fois très drôle et très touchante. Quant à Mathieu c'est un « génie du plan ». Il a toujours eu dans tous ses films des idées de plans incroyables (dans La Haine, le plan qui traverse la cité ou celui où ils zonent pendant que derrière tout le monde mate TF1, dans Assassin, le plan qui traverse l'appartement en topshot, etc…). Il est hypercréatif en « découpage » et en mise en scène. Et ça c'est très motivant quand on réalise un film à son tour, on a envie d'imaginer des plans qui sortent de l'ordinaire.

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Straight Outta Carnac

À quel moment naît l’idée de ce film ?
J'étais en province et j'ai vu un mec avec sa meuf… Son jogging était retroussé et sa copine était habillée façon « biatch de L.A. ». Il boîtait pour se donner une cool attitude. J'ai explosé de rire ! On était dans un supermarché et je ne comprenais pas pourquoi il se la jouait comme ça. Et en fait, tout simplement parce qu'il ne se la jouait pas, c'était sa manière d'être. Alors voilà, après ce premier sentiment, la moquerie, je me suis dit qu'il y avait quelque chose de plus profond derrière et j'ai eu envie de creuser, de comprendre pourquoi et comment on se retrouve à imiter des codes qui nous viennent d'ailleurs et quelles peuvent être les conséquences dans le fait de copier ces codes. J'ai découvert que ces codes permettaient à plein de jeunes de se retrouver entre eux, d'avoir un langage commun, des références communes, des goûts et des envies en commun. Bref, l'occasion d'appartenir à une communauté. C'est l'amitié qui l'emporte dans le fait d'embrasser à ce point des modes de vie, et c'est bien d'amitié dont j'ai eu envie de parler en faisant West Coast.

Photo - Ouest France

Comment s’est fait le casting et le choix des lieux de tournage ?
D'abord, une grosse sesision de casting à Paris qui s'est révélée infructueuse. À Paris, les ados avaient bien trop des têtes et des attitudes de Parisiens : trop branchés, trop de second degré, un peu de cynisme parfois. Je voulais le film le plus authentique possible, nous sommes donc allés en Bretagne chercher nos gangstas rappeurs… Et nous avons tout de suite été beaucoup plus dans le vrai. Les jeunes ne trichaient pas, je les trouvais sincères dès que que je les voyais jouer. On n'était plus dans le « casting Nutella » avec des jolies tronches bien lisses et propres venues des beaux quartiers parisiens et ça m'a tout de suite séduit. Pour les lieux du tournage, je ne voulais pas tourner ailleurs qu'en Bretagne, une région qui offre des décors hypers forts, des paysages de dingues avec beaucoup de caractère et de variété.

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Ce crew de rappeurs bretons qui s'appelle Columbine pourrait être la suite de West Coast ?
Ah, je ne connaissais pas… Mignon, sympa.

Est-ce que l’idée vous a effleuré de faire intervenir un ou plusieurs « vrais » rappeurs ?
Nope. Les personnages sont fans de rap mais sont très loin d'être capables de s'y mettre. Je ne voulais pas faire 8 Mile, où les mecs sont nuls au début puis pètent tout à la fin. West Coast c'est avant tout l'histoire de 4 potes qui ont en commun le rap. C'est leur socle, le fondement de leur amitié. Cela leur permet de se retrouver et de ne pas se sentir exclus. Dans les faits, ils le sont, ce sont des laissés-pour-compte mais grâce au rap et au sentiment communautaire qu'il dégage, ils se sentent plus forts, ou en tous cas moins seuls. Ils vivent dans leur monde, avec leur langage et leurs codes, et personne ne peut leur enlever ça. Ce sont de véritables wangsters et sont à fond dans leur délire, ce qui selon moi force le respect.

L’un des ados se surnomme Copkiller, c'est une référence au premier album de Body Count, le groupe d’Ice-T ?
Bien sûr… Tellement de patate ce morceau… Il est digne de « Porcherie » des Bérurier Noir. Et puis c'est aussi lié au fait que son père soit gendarme.

Êtes-vous prêts à recevoir les critiques qui vont affirmer que le film donne une image biaisée et infantile du hip-hop ?
Non, absolument pas. Ce film donne une image parfaite du hip-hop, il est incritiquable. ( : Le hip-hop est une manière de crier sa révolte et son sentiment d'injustice, et les personnages de West Coast vivent une injustice : ils sont la risée de leur entourage, alors quoi de mieux que le rap pour se rebeller ? Et puis le hip-hop est souvent bien perché dans son monde, comme nos personnages.

Il vous évoque quoi le hip-hop en 2016 ?
Un retour ! Après quelques années off, le hip-hop revient et c'est cool ! A$AP Rocky, Kendrick Lamar, Odd Future, Earl Sweatshirt, Young Thug… mais aussi Oxmo Puccino. Je ne suis pas toujours fan de l'usage du vocoder, qui est beaucoup trop employé, mais le rap en 2016 reste, quoiqu'il arrive, une occasion de s'exprimer et de crier sa rage. Et par les temps qui courent, crier sa rage est vital.

À la vue de la bande-annonce, on peut imaginer le film comme une version rap des Beaux Gosses, ça vous va comme comparatif ?
Complètement, je le trouve hyper drôle Les Beaux Gosses. Après, West Coast est plus une aventure à la Stand By Me, l'inspiration est plus américaine. Dans West Coast, seul un des personnages (Delete) est très « Riad Sattouf » mais les autres ne le sont pas du tout. King Kong par exemple, est un enfant de 12 ans qui est obsédé par les seins des filles, il appartiendrait plus à Superbad… Il est ultra insolent, se permet tout, n'a peur de rien… c'est un rappeur, un punk !

West Coast sort en salles aujourd'hui. Rod Glacial est ultra insolent et se permet tout sur Twitter.