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Du Bénin à Bourbon Street : un bref historique du vaudou en Louisiane

Tout ce qu'il faut savoir sur le Voodoo Spiritual Temple de la Nouvelle-Orléans, de l'esclavage à la cérémonie funéraire de Joey LaCaze de EyeHateGod.

Photo publiée avec l'aimable autorisation du New Orleans Voodoo Spiritual Temple

Le spectre du vaudou plane lourdement sur Crescent City, sa présence s'étendant des pièges à touristes aux salons d'avant-guerre, en passant par les autels à l'abri des regards indiscrets. Semblable à la ville tentaculaire, déconcertante et envoûtante qui lui sert de demeure, le vaudou de la Nouvelle-Orléans est une entité unique, poreuse, faite d'une multitude de croyances différentes et renforcée par les épreuves extrêmes que beaucoup de ses praticiens furent forcés de surmonter. C'est grâce à cette souche solide que les poupées vaudous, les reines vaudous et les gris-gris sont entrés à la fois dans le vocabulaire américain et dans sa pop culture, et qu'ils restent encore une des attractions principales à la Nouvelle-Orléans - même si aujourd'hui, la majorité des poupées vaudous que vous croiserez sont fabriquées en Chine. Bordel, la ville a carrément une équipe de football qui s'appelle comme ça. Le vaudou est finalement devenu mainstream à NOLA, ce qui est plutôt étrange au vu de son histoire complexe et sanglante.

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La croyance qu'on appelle Vaudou est née en Afrique, d'une religion traditionnelle de l'Ouest connue sous le nom de vodun ou vodoun. Ses adeptes croient en l'existence d'un dieu suprême, qui est accompagné de plusieurs esprits (Ioa) se manifestant souvent à travers les éléments, chacun possédant son signe favori (couleur, fruit, nombre, etc) et élément sacré. Le sacrifice animal (chèvres ou poulets) est fréquent dans certains rituels, qui sont effectués par les anciens dans le but d'exploiter le pouvoir du monde des esprits. Grâce à l'influence catholique, certains Ioa devinrent synonymes de certains saints. Les ancêtres sont invoqués pour leur sagesse et leur pouvoir de protection, et le vaudou de Louisiane semble avoir toujours été une entité matriarcale, où les reines et les prêtresses détiennent le pouvoir absolu. La religion a ses racines dans la côte occidentale de l'Afrique, du Ghana au Nigéria, mais est surtout répandue au Bénin. Une majorité de béninois appartiennent à l'ethnie Fon (et à son groupe linguistique), où le mot vodoun signifie esprits ou dieux. Pendant la traite des esclaves, le Bénin était l'épicentre de la Côte des Esclaves, et un grand pourcentage des esclaves qui posèrent le pied dans les colonies françaises de Louisiane étaient d'originie Fon. Le vaudou s'y installa en même temps qu'eux.

Photo de gris-gris via Instagram

Les captifs transportèrent avec eux leurs langages, leurs pratiques de guérison et leur croyances religieuses (dont l'adoration des ancêtres et la vénération des anciens, qui sont toujours un trait important du vaudou moderne), et le soin que esclavagistes français mettait à ne pas séparer les familles permit à ces traditions d'être en grande partie préservées. À cette époque, leur mise en place était encore récente et les loi rigides du colonialisme se développaient tout juste. On comptait à peu près deux Africains pour un colon européen. La société orléanaise tolérait que les gens de couleur existent librement, et certains devinrent les figures les plus importantes du vaudou. Durant cette période, la culture et la spiritualité africaine prospéraient en Louisiane française, elle devint un pilier dans les fondations multiculturelles sur lesquelles la Nouvelle-Orléans fut construite. Au moment où les États-Unis interdirent l'importation d'esclaves étrangers, en 1808, la communauté africaine de Louisiane était déjà fermement établie. Le Vaudou était devenu une force spirituelle cruciale, incorporant des nouvelles traditions comme Le Grand Zombi (un esprit serpent) et le port d'amulettes ou de petits sacs envoûtés connus sous le nom de gris-gris, qui étaient censés guérir, aider ou blesser (beaucoup des toutes premières reines vaudous tirèrent un profit non négligeable de leur vente).

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Débarrassée de son rôle d'aide spirituelle réconfortante aux esclaves africains, la religion vaudou s'apprêtait à devenir la vedette des croyances en Louisiane. Marie Laveau, elle, attendait, tapie dans l'ombre…

Dans notre documentaire NOLA, nous avons brièvement montré l'influence du vaudou sur la communauté metal de la ville, lorsque nous avons évoqué le décès de Joey LaCaze, un musicien ulta prolifique et aimé de tous, connu pour son travail en tant que batteur au sein des légendaires Eyehategod, ainsi que pour Outlaw Order et le Mystick Krewe of Clearlight. Quand il ne martelait pas des grooves sludge en fusion ou travaillait en secret sur des projets de musique électronique en solo, LaCaze avait l'habitude de jouer des percussions pour des cérémonies vaudou. Quand l'heure fut venue de lui dire adieu, sa famille choisit d'effectuer les funérailles au sein du vénérable Voodoo Spiritual Temple. Phil Anselmo, un ami d'enfance de LaCaze, est revenu brièvement sur cette cérémonie dans une interview pour MetalHammer : « pendant que la prêtresse faisait son sermon, ils ont fait tourner des tambourins et des percussions à tous les gens qui l'aimaient. Mike IX Williams (le chanteur d'Eyehategod) se tenait à côté de moi, et j'ai remarqué que je recevais des éclaboussures de sang sur le visage. Il frappait le tambourin avec une telle intensité qu'il avait les phalanges en sang, et a fini par ruiner le tambourin. On l'a récupéré, on a écrit des messages dessus et on l'a enterré avec ses cendres. »

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Le Voodoo Spiritual Temple fut fondé en 1990 par la prêtresse Miriam Chamani et le prêtre Oswan Chamani. C'est le seul temple vaudou officiellement établi de la ville. Situé dans le quartier français, à côté du Congo Square, il est directement lié à l'héritage vaudou du lieu. Pendant l'ère colonialiste espagnole et française, le Code Noir colon dictait le repos des esclaves africains le dimanche. À cette époque, les captifs se rendaient au square pour passer leur temps libre à visiter, danser et à jouer de la musique ensemble jusqu'à ce que des esclavagistes américains, plus sévères, mirent fin à cette pratique vers 1850. À deux pas de là se trouve la Cathédrale St Louis, où la fameuse reine vaudou Marie Laveau tenait des rituels publics après avoir assisté à la messe. Métisse créole, Laveau est l'une des figures spirituelles les plus iconiques et insaisissables de la Nouvelle-Orléans. Il y a plus de légendes entourant celle qui s'est auto-proclamée « Papesse du Vaudou » que de faits réels, mais on sait tout de même qu'elle renversa les précédentes reines vaudou et prit le pouvoir pendant ce qu'on appelle l'âge d'or du vaudou, entre 1820 et 1860. Elle commença sa vie comme la fille illégitime d'un riche propriétaire de plantation créole, Charles Laveaux, et de sa maîtresse et esclave haïtienne. Belle et impétueuse, elle épousa le premier homme de couleur libre, Jacques Paris, avant d'entrer en concubinage avec Christophe de Glapion, un autre homme de couleur libre avec qui elle eut 15 enfants (dont Marie Laveau II, qui grandit en pratiquant le voodoo et succéda à sa mère).

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Elle aurait apparemment étudié avec le « roi vaudou » Dr. John, un voyant tatoué aussi connu sous les noms de Bayou John et de Prince John, qui suivit l'enseignement de Sainte Dédé, une affranchie de Saint Domingue qui est aujourd'hui reconnue comme la première reine vaudou de la Nouvelle-Orléans et qui régna de 1822 à 1830, jusqu'à ce que Laveau usurpe son trône. Laveau, très calculatrice, fut aussi l'apprentie de la briseuse de charmes congolaise Marie Saloppe. Elle l'aidait à préparer les cérémonies des fêtes de Saint Jean, jusqu'à ce que sa soif de pouvoir prenne le dessus. On prétend qu'elle jeta un sort (un hex) sur Saloppe et la fit devenir folle. Pendant son apprentissage, Laveau subvenait à ses besoins en travaillant comme coiffeuse pour l'élite sociale de la ville, se créant une clientèle dévouée qui tenait avec une haute estime sa connaissance des arcanes ainsi que ses prouesses en matière de coiffure. Saisissant l'opportunité de prendre le contrôle des clients des autres femmes, Laveau gagna en notoriété vers 1830, se remplissant les poches grâce à la vente de gris-gris et en entretenant sa propre légende en même temps. Elle devint célèbre pour ses rituels vaudous élaborés, et pour le contrôle qu'elle avait sur l'élite de la ville.

Peinture de Marie Laveau par Frank Schneider

Catholique dévote, le pouvoir de Laveau contribua à l'intégration du catholicisime au sein d'un culte qui avait pourtant démarré bien avant sa naissance. Grâce à ses influences francophones et malgré le conflit inhérent à l'assemblage de ces deux religions, le vaudou (en Louisiane en particulier) partage la vénération de beaucoup de saints majeurs, ainsi que certaines prières, avec le catholicisme. Vers la fin de ses jours, Laveau se serait totalement dévoué à la religion catholique, un changement qui présageait déjà la chute de popularité du vaudou en Nouvelle-Orléans. On estime que 15% des natifs de la ville pratiquent toujours le vaudou, mais la religion a été très largement absorbée par le catholicisme moderne et encore plus diluée par les influences externes comme la Wicca, le paganisme, et quelques autres croyances occultes. Cette partie intégrante de la mystique de la ville risque dangereusement de se transformer en une simple attraction pour touristes.

Heureusement, pour les curieux comme pour les fidèles, plusieurs institutions publiques font des efforts pour garder cet héritage magique en ville et éviter qu'il se perde dans les méandres du tourisme et de la technologie. Le fantôme de Laveau plane toujours, grâce à sa place de choix au panthéon du vaudou néo-orléanais, et, de manière plus tangible, grâce au magasin populaire Marie Laveau's House of Voodoo sur Bourbon Street, qui rassemble touristes curieux et pratiquants authentiques, à la recherche de l'équipement nécessaire. Un autel à Baphomet se dessine dans l'ombre de l'arrière-salle, où sont vendus des charmes et où brûlent sans cesse des bâtons d'encens. La vitrine, elle, offre des marchandises un peu plus kitsch, ainsi qu'une étrange tête de crocodile séchée. Beaucoup d'échoppes plus modestes, comme le Erzulie's Authentic Voodoo Shop, vendent des potions, kits et curiosités semblables. Le New Orleans Historic Voodoo Museum sur Dumaine Street fournit un meilleur aperçu du culte, grâce à ses couloirs remplis de photos de rituels vaudous et sa grande collection d'offrandes historiques. Il reste évidemment le Voodoo Spiritual Temple, qui est toujours heureux de recevoir des visiteurs… Vivants ou morts.

Quand elle ne fouille pas les sombres recoins de l'histoire, Kim Kelly est sur Twitter, occupée à sacrifier des chèvres à la gloire de Quorthon. - @grimkim