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Music

Valeurs Actuelles a définitivement franchi le Rubicon avec son dossier « La France Racaille »

Le saviez-vous ? Le rap est anti-blancs, provoque la mort de policiers et mène au djihadisme.
Genono
par Genono

Il y a quelques jours, l'hebdomadaire Valeurs Actuelles a publié un numéro spécial consacré à « La France Racaille ». Un bon titre racoleur, de gros relents de racisme, une victimisation permanente sur le thème antifrançais, des clichés gros comme le monde : jusqu'ici, un numéro de Valeurs Actuelles tout à fait classique.

Le point le plus intéressant de ce dossier sur la « culture racaille » (sic) concerne le rap, bien évidemment accusé de tous les maux de la République, avec un arsenal d'arguments tout à fait exceptionnel : non seulement le rap est fondamentalement anti-blancs, mais il est aussi responsable de la mort de policiers, et clou du spectacle, il mène au djihadisme. Les petits génies à l'origine de ces élucubrations fantasmagoriques ne sont pas allés jusqu'à accuser le rap d'avoir inspiré la politique du parti nazi dans les années 30, mais avec deux pages de bonus, ils auraient probablement réussi à trouver une relation incongrue entre Afrika Bambaataa et Joseph Goebbels. Avec un peu de bonne volonté, on arrive à tout.

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LE RACISME ANTI-BLANCS

Le premier coup de génie de ce dossier, c'est d'illustrer un dossier centré sur le racisme anti-blancs par une photo d'Orelsan. Il pourrait s'agir d'une simple coïncidence purement fortuite doublé d'un gage de la fabuleuse incompétence des journalistes de Valeurs Actuelles, mais je ne veux pas y croire, je suis naïvement persuadé que ce choix est volontaire. Il y a, dans cette manière d'illustrer une idée par son oxymore la plus criante, du génie. Appuyer le propos par le contraste, un peu comme si on illustrait le programme politique de Jean-Luc Mélenchon avec une photo de Marine Le Pen. C'est fantastique.

Et puis, lancer la thèse « le rap n’aime pas les Blancs » quand on trouve Jul, Nekfeu ou Orelsan parmi meilleurs vendeurs francophones est plutôt courageux. Un vrai gage d’insouciance et de candeur qui prouve que dans le fond, les journalistes de Valeurs Actuelles ne sont pas mauvais, juste un peu naïfs. On apprécie le fait que les mecs se décrédibilisent d’eux-mêmes, illustrant par la même occasion de manière magistrale une punchline de Booba, « j’ai demandé ma route au mur, il m’a dit d’aller tout droit ».

Moins génial, Valeurs Actuelles ressort également des textes vieux d'il y a vingt ans et déjà cités par le député Grodidier dans un rapport en 2005, quand il interpelait le Ministère de la Justice au sujet du Ministère A.M.E.R., de Fabe ou de Lunatic, coupables selon lui d'incitation au racisme et à la haine. En 2016, on continue donc d'aller emmerder Fabe, retraité du rap depuis le bug de l'an 2000 pour une phrase écrite il y a deux décennies, et sortie de tout contexte. On continue aussi d'emmerder le Ministère A.M.E.R., un groupe qui n'existe plus et dont les membres sont devenus plus respectables que Michel Drucker, mais aussi Salif -un rappeur retraité- ou encore Lunatic -groupe qui n'existe plus. En gros, Valeurs Actuelles fait bien mieux que tirer sur les ambulances : il tire sur des fantômes.

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On pourrait directement relier ces choix à la taille des couilles des journalistes du magazine, mais c'est en réalité bien pire : ces gens sont tout simplement fainéants. Ils sont rémunérés pour recenser des rappeurs avec des propos un peu limites sur la République et ses réprésentants, et ils ne sont pas capables de taper trois mots sur Rap Genius. Perso, j’aurais opté pour LIM et son « j’veux baiser la pute de la République » ou Alpha 5.20 qui veut « niquer Marianne et lui bicrave de la cess », mais je ne suis pas là pour poukave mes rappeurs préférés.

LE DJIHAD

Quitte à faire dans l'improbable, autant enfiler des gants et aller jusqu'au fond. En partant du fameux « autodafé contre Charlie-Hebdo » réclamé par Nekfeu en 2013, Valeurs Actuelles dérive doucement mais sûrement vers un paragraphe absolument fabuleux faisant le rapprochement entre rap et djihadisme :

« On ignore si les djihadistes aiment tous le rap [franchement, j'suis pas sûr], et on se gardera bien de tirer des conclusion hâtives [ouf !]. Il semblerait néanmoins difficile de croire qu'en diffusant, pendant des années, de semblables appels aux meurtres à des milliers de jeunes, [attention, la suite est fantastique] les rappeurs n'aient pas aidé à en faire surgir les terroristes d'hier et de demain. »

Alors bien sûr, Nekfeu n'est pas tout à fait le recruteur djihadiste de base - la teinture blonde, ce n'est pas très Daech-friendly - mais il a le malheur d'enchaîner les tares : en plus d'avoir involontairement (quoique) incité les terroristes à s'attaquer à Charb, il a aussi affiché publiquement son soutien à Moussa, l'humanitaire de Baraka City détenu au Bangladesh depuis décembre 2015 - ce qui équivaut visiblement pour Valeurs Actuelles à s'engager en Syrie. Il y a aussi ce passage où Valeurs Actuelles rappelle que Nekfeu est d'origine grecque - et qu'il s'appelle en fait Ken … damn ! - sans trop qu'on en comprenne l'importance de cette révélation. C'est sans doute histoire de souligner que lorsqu'on est blond, bien éduqué, et qu'on fait semblant d'avoir lu Céline, on peut quand même malgré tout être traité de métèque.

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LES FOOTEUX

Parce que le rap n'est pas le seul responsable de la crise économique, des attentats, et de la météo, les footeux en prennent aussi un peu pour leur grade, en bons représentants de « La France Racaille ». Le scandale Serge Aurier est bien entendu mis en première ligne, et les journalistes de l'hebdo n'hésitent pas à rappeler les affaires récentes du foot français, du « fils de pute » de Nicolas Anelka titré en première page de L’Équipe à l'affaire Zahia, en oubliant tout à fait involontairement et sans la moindre arrière-pensée la tout aussi récente polémique sur les quotas. Le propos est globalement centré sur l'aspect générationnel de ces comportements insultants, avec en point d'orgue une citation féerique de Denis Tillinac, « on est passés de la génération Zidane à la génération caillera ». Valeurs Actuelles oublie simplement de rappeler qu'avant la génération Zidane, Eric Cantona traitait publiquement le sélectionneur Henry Michel de « sac à merde », sans oublier le moment historique où Patrice Loko s'est masturbé devant des policiers après s'être pissé dessus - le tout, alors qu'il n'était même pas bourré.

DE MÉTISSÉ À BEUR, DE BEUR À VOYOU

Comme si le ramassis de clichés racailles-footeux-djihad ne suffisait pas à propager les odeurs de merde suffisamment loin, Valeurs Actuelles s'attaque ensuite à une valeur à l'extrême opposée des siennes : l'antiracisme. Après une introduction de haut-vol faisant le lien entre politique du regroupement familial, casquettes à l'envers, et esprit rebelle de groupes comme Téléphone (sic), nos Pulitzer en herbe s'engouffrent dans une brèche que seule une lobotomie pourrait réparer : « Le message politique est clair : le jeune en France, est métissé, bientôt black-blanc-beur, et si possible voyou. »

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Passer de « métissé » à « voyou » en moins d'une vingtaine de mots, la tâche était ardue. Rien ne semble impossible pour Valeurs Actuelles, qui ne cache même plus ses relents de racisme derrière des arguments bancals ou des sous-entendus un peu dégueux. Indexer le casier judiciaire sur le taux de mélanine est une idée qui aurait pu être judicieuse, si Yves de Kerdrel, directeur de publication, aussi bronzé qu'un Nekfeu, n'avait pas déjà été condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la discrimination, la haine ou la violence ». Mais passer de « raciste » à « voyou » en moins d'une vingtaine de mots est peut-être un raccourci un peu trop facile.

SAMIIIIII…. NACERIIII !!!

Le dossier « Racaille Académie » de Valeurs Actuelles se conclut comme il a commencé : n'importe comment. « Ils sont réalisateurs, acteurs ou chanteurs et revendiquent des liens étroits avec la culture de la banlieue ou la lutte antiraciste ». Je parie que vous ne faites absolument plus attention au raccourci racailles/banlieues -ce qui veut clairement dire que Valeurs Actuelles a marqué des points dans votre inconscient-, mais il y a pire : le raccourci racailles-antiracisme. En clair : si vous êtes dans le camp antiraciste, vous êtes dans le camp des racailles. Et si vous ne voulez pas être dans le camp des racailles, et bien… choisissez donc le camp raciste.

Au-delà de cet amas d'idées consanguines qui font malgré tout leur effet sur une frange arriérée de la population, Valeurs Actuelles prend surtout le temps de dresser une liste complètement improbable de noms liés de près ou (surtout) de très loin à la banlieue : Sami Naceri, Lilian Thuram, Mathieu Kassovitz, et Diam's. Soit un acteur complètement défoncé la moitié du temps, un mec qui a vécu la moitié de sa vie à Monaco, un réalisateur issu de la bourgeoisie parisienne, et une ex-star qui n'en a plus rien à foutre du rap. Ne cherchez pas le rapport avec le thème de la racaille, il n'y en a aucun. Pour le coup, l'antiracisme et le métissage sont même plutôt bien respectés, puisque Valeurs Actuelles fout un Arabe, un Noir, un Blanc et une Chypriote sur un même bateau. Dans quel but, on n'en sait absolument rien, mais n'allons pas jusqu'à chercher de la cohérence chez des mecs qui accusaient Nekfeu de faire le jeu du djihadisme quelques lignes plus haut.

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« LA RÉPUBLIQUE EN PERDITION »

Évidemment, ce listage anarchique de raccourcis censés faire du premier mec un brin trop tolérant sur le taux de mélanine un sombre délinquant multirécidiviste envoyé par Daech a une visée bien plus ambitieuse qu’alimenter vos débats avec les poivrots du PMU de la rue d’en face. Comme dans tout bon film-catastrophe, on en arrive donc au moment où on se rend compte que les quelques signes avant-coureurs n’étaient que les symptômes d’un mal beaucoup plus grand : ici, pas de tsunami, de super-volcan, ou d’invasion extraterrestre, mais un effondrement inéluctable de la République. L’occasion pour Valeurs Actuelles d’interroger Jean-Paul Brighelli, un mec qui a probablement un excellent dealer, puisqu’il a publié l’année dernière un essai intitulé Voltaire ou le Djihad. Evidemment, le garçon s’en donne à cœur-joie sur les thèmes les plus chers à la droite, des horaires aménagés pour les femmes musulmanes dans les piscines aux mosquées radicalisées qu’on tolère pour récupérer des voix aux élections – ne cherchez pas à comprendre. Le truc fabuleux, c’est que Jipé démonte à lui tout seul l’ensemble du dossier de Valeurs Actuelles avec une petite phrase qui dit clairement que tout ce qui a été écrit avant est de la merde :

« Il n’y a pas de ‘culture banlieue’. Marx explique fort bien qu’il n’y a qu’une culture, celle de la classe dominante – à son époque, la bourgeoisie. Si nous pensons aujourd’hui qu’il y a une ‘culture jeune’, une ‘culture banlieue’, une ‘culture rap’, c’est que nous avons déjà divorcé de notre culture humaniste. »

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CONCLUSION

Qualité de l’enquête journalistique : 2/10

Valeurs Actuelles n’est pas vraiment le type de revue réputée pour la qualité de ses publications, ni pour l’universalisme de ses opinions. Là-dessus, le numéro de février 2016 ne nous a absolument rien appris : maintenir toujours très haut le niveau de médiocrité semble être le grand objectif des collaborateurs d’Yves de Kerdrel. Un challenge remporté haut la main.

Quantité de WTF : 7/10

Des efforts, du travail et de l’abnégation. De Nekfeu accusé à demi-mots de faire le jeu du terrorisme, à Lilian Thuram traité comme la pire des cailleras, on sent qu’à défaut de chercher la crédibilité, Valeurs Actuelles s’est appliqué à jouer sur le terrain des arguments tellement improbables qu’on n’oserait même pas les contester. Encouragements.

Name-dropping de rappeurs : 3/10

Nekfeu, Orelsan, et toute la clique des rappeurs retraités déjà cités par Grodidier en 2005 : aucun effort de recherche ou d’imagination. Travail bâclé, d’autant que sur le thème « caillera » et « irrespect de la République », il y avait franchement matière. Deux points en plus accordés pour la photo de Rohff et sa « détestation sans faille de l’Occident ». Potentiel polémique : 8/10

Alors évidemment, la polémique nauséabonde est le fond de commerce de Valeurs Actuelles, mais quand le travail est si bien fait, il faut saluer l’effort. Insister sur ses points forts plutôt qu’essayer de progresser sur ses points faibles, voila une méthode qui aurait plu à Arsène Wenger. Félicitations.

Genono est sur Twitter.