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Music

Du glam-rock prolo à MTV, l'épopée de Twisted Sister

Snobés par les historiens du rock, le groupe du New Jersey a pris sa revanche cette année avec un documentaire, une anthologie et une tournée d'adieu.

Toutes les photos sont extraites du documentaire We Are Twisted F***ing Sister Twisted Sister se résume à une simple note de bas de page dans le grand livre de l’Histoire du rock, une anecdote ephémère, comme MTV en produisait par dizaines dans les années 80, qui a disparu sans que personne ne s'en rende compte, dans un épais nuage de fumée. C’est en 1985 que Twisted Sister a connu son heure de gloire médiatique, s'imposant comme la parfaite incarnation du groupe de rock diabolique venu sur Terre pour corrompre la jeunesse. Mais leur apogée artistique était alors déjà loin derrière eux.

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Pour ceux qui ont grandi dans le New York de la fin des années 70 et du début des années 80, Twisted Sister était le groupe le plus populaire, bosseur et tapageur de tous les bars de la région. « C’est ça que les gens ne comprennent pas : on n’est pas un groupe de hair metal des années 80 ! », s'exclame Jay Jay French, fondateur du groupe et guitariste de longue date. « On est un groupe de bars des années 70, qui a réussi dans les années 80, ce qui est totalement différent selon moi. »

Que l’on soit ce connard qui fumait clope sur clope dans la crasse d’un bar de banlieue, ou ce gamin de dix ans - comme moi - qui traçait à l’arrière du break de sa mère en passant devant les clubs qui pullulaient sur les autoroutes du New Jersey, ça ne faisait aucune différence : Twisted Sister (ou « Twisted 5ister », comme l’indiquaient les façades des clubs) était un phénomène auquel personne ne pouvait échapper.

L’histoire du groupe est détaillée dans le récent documentaire We Are Twisted F**ing Sister, qui leur offre enfin les éloges qu’ils méritent, eux qui ont toujours été snobbé par les historiens du rock. On peut parallèlement redécouvrir les débuts du groupe sur une compilation éditée par Deadline Music : Rock 'N' Roll Saviors—The Early Years.

C’est après avoir vu à plusieurs reprises les New York Dolls dans son quartier natal de Manhattan que Jay Jay French a eu l’idée de fonder Twisted Sister. Ce n’est pas le son des new-yorkais - chose communément admise - qui l’a influencé, mais plutôt l’élégance de leur look.

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« Je me suis pris d’une brève passion pour eux », reconnait Jay Jay French. « J’adorais voir à quel point ils étaient mauvais. Les New York Dolls eux-mêmes l’ont toujours admis. Et n’importe quel musicien qui allait les voir jouer à l’époque disait la même chose. Si t'étais fan de David Bowie, des Rolling Stones, de Pink Floyd ou de tout autre groupe qui bossait dur pour être vraiment bon, et que tu voyais les New York Dolls qui arrivaient à peine à aligner trois accords… eh bien malgré leur look démentiel, tu n’allais pas bloquer sur leur musique et trouver ça génial, juste pour avoir l’air cool. En tous cas, c'était pas ma façon de faire. »

Les Dolls ont inspiré Jay Jay French - ainsi qu’une flopée d’autres musiciens de l’époque - à créer un groupe qui ressemblait à des femmes, parlait comme des mecs, et jouait comme des bâtards. Après être entré en contact avec des types du New Jersey, Jay Jay a obtenu une résidence au Mad Hatter Club à Long Island [un quartier résidentiel pour classes moyennes] pendant l’été 1973. On imagine aisément qu’ils devaient faire tache avec leurs colliers de chiens et leurs corsets dans cette banlieue paisible, mais ce qui leur a permis de s’en sortir, c’est ce qu’ils étaient proches de leur public.

« On faisait du glam-rock prolo », insiste Jay Jay French. « Et c’est pour ça que ça marchait super bien pour nous dans des endroits comme les Hamptons [avant que ça ne devienne la station balnéaire huppée d’aujourd’hui]… Michael O’Neill, notre premier chanteur, pouvait se pointer sur scène habillé en fille et gueuler ‘Hey trouduc ! File-moi une bière !’. Les gamins adoraient ça, parce qu’eux aussi parlaient comme ça. On connaissait leur langage. Cette familiarité nous a facilité les choses et les kids ont accroché. »

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Jay Jay French

Entre 1973 et 1976, le groupe jouait cinq sets par soir, six soirs par semaine, et n’a pas cessé de changer de line-up. Certains des membres se sont fait virer parce qu’ils étaient toujours bourrés ou défoncés, et d’autre parce qu’ils n’étaient pas assez bons. Le groupe a fini par trouver le bon chanteur, sur proposition de son manager, en embauchant Danny Snider connu plus tard sous le nom de Dee Snider.

Au début des années 80, Twister Sister continuait à jouer dans les clubs de Long Island, et s’était constitué une grosse fanbase en imprimant ses propres T-shirts et en pressant ses 45 tours. Ils avaient le même esprit DIY que n’importe quel groupe de punk ou hardcore, et ont même été signés par Secret Records, le label anglais qui a hébergé la deuxième vague punk, des Exploited à Infa-Riot. « Je crois que les Anglais nous considéraient comme un groupe punk », remarque Jay Jay French. En gros, Twisted Sister était connu essentiellement à Manhattan, et avait des fans en Angleterre. Juste après leur premier album Under The Blade en 1982, les Américains ont joué à la télé anglaise, et dégoté un contrat avec Atlantic.

Le deal avec Atlantic leur a valu, assez logiquement, une popularité croissante outre-Atlantique. L’album Stay Hungry sorti en 1984 s’est vendu à plus de 3 millions d'exemplaires et « We’re Not Gonna Take It » ets devenu un énorme tube sur MTV. Après dix ans à écumer les clubs les plus pourris de la côte Est, l’obstination de Jay Jay French et sa clique finissait par payer.

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Dee Snider

Le succès a eu pourtant un goût amer pour Jay Jay French. « Franchement, je n’ai jamais eu l'impression qu’on ait gagné quoi que ce soit », confie-t-il. « Notre album Stay Hungry est devenu disque de platine le jour où mon père est mort. Alors évidemment, je n’avais pas le coeur à la fête. Et quand on a reçu le double disque de platine, j’en avais déjà marre d’être dans le groupe. À aucun moment je me suis dit ‘c’est bon, on a gagné’, parce que lorsque nos albums sont devenus doubles disques de platine, j’ai réalisé combien j’étais payé, et ça devait être dans les 25 centimes de l’heure. Ça ne valait pas la peine de galérer autant pour ça. Le projet était différent de tout ce que j’avais pu envisager et honnêtement, c’était arrivé à un point où je ne savais même plus ce que le groupe était censé être. »

Durant l'été 1985, Twisted Sister est devenu le bouc émissaire du Parents Music Resource Center (PMRC), un comité formé à Washington DC par des mères de famille qui avaient pour but de remettre le pays sur le chemin de la morale. Elles reprochaient à des artistes tels que Prince, King Diamond et Twisted Sister de faire de la musique « obscène ». Mais la polémique lancée par ces fouines en chef, et le fait que Snider ait dû s’exprimer à ce sujet lors d’une audience publique, n’ont pas franchement nui à la popularité du groupe - loin de là.

« J’espérais que ce truc du PMRC nous rendrait encore plus crédibles, mais non : tout le monde a cru qu’on était une énorme blague. Même un scandale ne pouvait pas nous sauver. Quelle merde ! », dit-il en se marrant. Au cours de la même année, le groupe a sorti Come Out and Play, la suite de Stay Hungry. Le premier single, une reprise du « Leader of the Pack » des Shangri-La’s (tube du girl-band des années 60) n’atteindra malheureusement pas atteint le succès de « We’re Not Gonna Take It ».

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« Les gens ne comprenaient pas qu’on jouait cette chanson depuis toujours, dès nos débuts dans les bars », explique Jay Jay French. « On trouvait ça marrant de le sortir sur disque, mais tout le monde a cru qu’on se dégonflait, et qu’on essayait juste de faire un coup facile. » En 1988, quelques mois après la sortie du très fade Love Is for Suckers (qui était quasiment un disque solo de Dee Snider), le groupe implose officiellement (il se reformera au début des années 2000, et donne sa tournée d’adieu cet été, après la mort du batteur A.J. Perro).

Twisted Sister était un groupe de glam rock bosseur et acharné qui s’est cassé le cul pour atteindre une célébrité dont il a fini par bénéficier au prix de dix ans d'efforts. Mais s'il leur a fallu une décennie entière pour arriver au sommet, il ne leur a fallu que deux petites années pour redescendre. Pour paraphraser le titre d’une chanson de Motörhead, j’ai demandé à Jay Jay French si finalement la chasse n’avait pas été meilleure que la prise :

« Pendant les quarante ans qu’a finalement duré le groupe, il y a eu des hauts et des bas, évidemment : des moments géniaux, mais aussi d’incroyables moments de frustration », répond-il. « C’était vraiment stressant de devoir virer et remplacer les membres du groupe à cause de la drogue et de l’alcool. Et puis tous ces refus des maisons de disques… Mais on a fait notre retour sur scène comme peu de groupes de notre époque ont su faire, et rien que pour ça, je trouve que j'ai de la chance. Ces dix dernières années, on a joué dans d’énormes festivals européens, et ce furent des expériences vraiment géniales. Parfois, les hauts et les bas, le pire et le meilleur, fonctionnent ensemble. Et la vie n’est qu’une combinaison de toutes ces choses. Se demander si ça aurait pu être autrement, c’est une perte de temps. Ce qui arrive arrive… Tu sais, même un type qui gagne au loto peut faire une dépression, non ? » We Are Twisted F***ing Sister, le docu sur les débuts du groupe est disponible en streaming sur Netflix.

Suivez la tournée « Forty and Fuck It » de Twisted Sister ici.