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Music

Turzi ne veut plus faire de disques pour les nerds

On est allés passer un moment avec Romain Turzi pour parler de ZZ Top, de son nouvel album, « C », et du fait que Bernard Lavilliers habite au-dessus de son studio.

Bientôt 10 ans que Turzi s'évertue à casser ses jouets, visiblement guidé par sa propre lumière et surtout bien décidé à emmerder ceux qui veulent lui coller des étiquettes par flemme ou par manque de culture musicale. S'il faut rendre à Turzi ce qui lui appartient, on peut tout de même se rappeler que bien avant les revivals psyché, la chanson française weirdo et l'ère du tout-kraut, le Français explorait déjà chez les disquaires des bacs que beaucoup considéraient comme imbitables. Cinq ans après B, C déroule un tableau synthétique qui n'aurait pas dépareillé sur un film de Michael Mann ou le Passion de Brian De Palma. Sexy, malsain et varié juste ce qu'il faut, ce troisième album de Turzi, le groupe, devrait autant satisfaire le geek habitué d'Audiofanzine que votre copine community manager au Palais de Tokyo. C'est en tous cas ce que m'a expliqué Romain Turzi, qui m'a reçu au Bloc, son studio façon Vangelis, situé dans le sous-sol de l'immeuble où vit Bernard Lavilliers. Noisey : Ton dernier disque, B, est sorti en 2009, tu avais collaboré avec Bobbie Gillespie [leader de Primal Scream] dessus, tu peux nous raconter comment ça s'est fait ?
Turzi : Ça s'est fait de manager à manager. J'avais ce titre un peu baggy [« Baltimore »] pour lequel je cherchais un chanteur. J'avais d'abord pensé au chanteur de Can, Damo Suzuki. Mais bon, lui, tu lui paies son billet de train, tu lui files 300 balles et il vient. Il n'y a pas vraiment d'échange et puis je me suis dit « est-ce que Damo Suzuki pour moi il n'est pas mort en 1976 quand il a quitté le groupe ? » Gillespie j'aime bien sa voix, sa gueule, ce qu'il représente. On a échangé quelques mails, il m'a dit ok super envoie moi un texte. Je me suis saigné d'un texte, je l'ai fait relire à un anglais quand même [Rires]. Il m'a dit ok c'est bon, j'ai pris le train pour Londres et je me suis retrouvé aux Primal Scream Studios. C'était marrant pour moi car j'étais chez les pros. En trois prises, c'était réglé. Après, il m'a emmené chez lui, m'a présenté ses gosses, on a bu du thé. Le soir, j'avais un pote français qui jouait dans une église et on s'est retrouvés là bas avec Bobbie et les gars de The Jesus & Mary Chain qui m'ont tellement rincé au whisky que j'ai fini par pisser dans l'église au milieu d'anglaises gothiques de 18 ans [Rires].

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À quel moment as-tu commencé à bosser sur C ?
Entre temps, j'ai fait un disque électronique, Turzi Electronic Experience, avec lequel j'ai pas mal joué. Ensuite, la Cité de la Musique nous a commandé le ciné-concert Nosferatu. Ça a pris pas mal de temps, il fallait composer 1h40 de musique. On l'a aussi pas mal joué. C'était il y a à peine deux ans. Ensuite, on s'est fait virer de notre studio au Point Ephémère. Et j'ai construit ce studio-là, il fallait que ce soit super fonctionnel. On s'est mis à jouer tous les jours, gratuitement, pour le plaisir, avant que le voisin casse les couilles. Et c'est comme ça que j'ai commencé à écrire les morceaux de C. On a fonctionné un peu comme dans la musique électronique, on prend une idée, on la développe et on en fait un morceau. On part souvent d'un son, ou de l'utilisation d'une machine en particulier. Je ne gérais jamais l'outil informatique avant, j'étais derrière le gars. Là, j'ai tout dirigé, je pouvais prendre mon temps.

Tu n'as pas eu peur de ne jamais finir de l'éditer en le faisant toi-même chez toi ?
C'était un peu le défaut de mes disques d'avant je trouve. Je voulais toujours en rajouter. Là c'était plus clair, j'ai 35 balais ça doit aider. J'ai donné le mix à un pote à moi, Clément Bonnet, donc on avait une deadline. On s'est installé dans un studio, dans une boîte de pub et on a tout fait en numérique. Ensuite, on a trouvé les titres, la pochette et on a écrit un discours pour les mecs comme toi.

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Tu veux dire les mecs qui n'ont pas eu de communiqué de presse et qui ont du écouter le disque sur le site des Inrocks vu que personne ne nous l'a envoyé ?
[Rires] Bon, tant mieux alors.

Turzi, ça reste une énergie de groupe ou un truc de leader solo avec ses musiciens ?
Non c'est un vrai groupe, car il y a une complémentarité entre nous. Le groupe a été là pendant toute l'écriture. Quand j'ai fait mon disque électronique, là j'étais seul face à Pilooski qui le produisait. Pour cette fois, j'ai fait un peu le chef d'orchestre mais tous les musiciens sont arrangeurs. On pense toujours à comment ça doit sonner en live. Il faut que ce soit jouable, on ne veut pas que ce soit trop produit. Ce que j'adore c'est que ça nous permet d'avoir des moments d'improvisation en live, c'est ce qu'on appelle « le fly ». On joue le thème et après il y a un moment zone au milieu, on reste libres, moi c'est ça qui me plait. C'est pour ça que je vais pas jouer pour d'autres gens, ça ne m'intéresse pas de réciter un truc. Bon il y a ça et aussi le fait que je ne sois pas un assez bon guitariste ou bassiste [Rires].

Tu avais des références en tête ? J'ai lu Morricone et Badalamenti cités un peu partout.
Oui c'est ce qu'on a mis dans la bio. Badalamenti je connaissais mal, j'ai découvert avec Twin Peaks. On a fait le rapprochement car il y avait à la fois un côté malsain et un côté féminin dans le disque. Morricone c'est une référence que j'ai depuis toujours mais sa discographie est tellement vaste, j'en connais pas la moitié. Mais peu importe ce que j'écoute de lui, ça me fait toujours quelque chose. Il est capable de rester hyper longtemps sur un accord, un peu comme Neu! et j'adore ça dans la musique. Après, on m'a pas mal emmerdé par le passé avec la scène psyché française, Gong, Ribeiro, mais là j'en écoute moins, j'ai envie de m'en éloigner…

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Tu penses que les gens ont une vision un peu préconçue de ton son maintenant ?
Oui, j'ai besoin de les prendre à rebrousse poil. C clôt la trilogie mais j'ai failli l'appeler Z pour prendre le truc à revers. Je discutais avec Rebotini il y a deux ans et il me disait qu'il avait adoré le son de A et qu'il comprenait pas que je m'en éloigne. Mais j'ai besoin de danger, je me vois pas refaire toujours la même formule. J'ai rien à prouver ! Qu'est ce que je raconte moi… [rires] Je fais de la musique pour moi quoi, je m'en fous. Je me dis, est-ce que je suis capable de faire du jazz, une valse ou un slow… bah ouais.

Il y a un gros côté B.O. synthétique 80's sur cet album je trouve…
Oui c'est vrai, j'écoute toujours pas mal de BO. Mais ma grosse influence c'est la Library Music. La pré-BO en quelque sorte. C'est de la musique composée au kilomètre sur un thème « technologie » par exemple. Il y a des choses super réussies et inédites que le grand public n'a jamais écouté. Je m'inspire beaucoup de ces sonorités complexes. Après, la BO c'est super noble hein. Hier j'étais chez un mec que j'aime bien chez Nova, David Blot. Et là encore une fois, on me ressort Morricone. Et je me disais « lâchez-moi les couilles avec Morricone », les gens qui m'en parlent connaissent tout ça mieux que moi [Rires]. Si Morricone écoute mon disque, il va rigoler le gars…

En même temps, comme lui, tu essaies un peu d'exploser les formats non ?
Oui mais ma musique elle vient d'un truc super égoïste. Là, je me suis enfermé dans le studio, coupé du monde extérieur, pas d'internet, pas de téléphone. Ma grosse découverte ça a été ZZ Top surtout. Un truc de beauf ricain qui ne devrait poirtant pas plaire à un esthète comme moi, mais ce sont de pures génies. Ils sont tellement à côté du temps que parfois, c'est presque kraut ou pré-techno. Sur chaque album ils ont réussi à se mettre au goût du jour en gardant leur base rock sudiste. Ca m'a décomplexé de la musique groove. Il y a aussi Bohannon que j'avais relégué dans les merdes de ma discothèque. Tu as les blacks du bas, le funk, etc… et les blacks du haut, crédibles, le free-jazz. Mais en fait c'est génial, c'est pré-disco et ils jouent toujours sur un seul accord, tout droit et là, paf, il y a un accident et c'est super intéressant. T'as pas ça dans la techno, c'est tout droit sans accident. C'est le truc que j'ai aimé dans Jarre par exemple, sa capacité à faire des ruptures. Pour moi tout ça rejoint Fela ou la fin de carrière de Can qui était presque afrobeat.

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Les notions de bon goût et de mauvais goût, tu t'en fous ?
Ça c'est le truc des journalistes. Dans le van, les gens sont toujours surpris parce qu'on écoute des grosses merdes, Cabrel ou Lavilliers. Lui, il habite dans l'immeuble d'ailleurs, au 3ème étage, je le croise de temps en temps, on papote.

T'as envie de souiller tes influences quelque part ?
J'ai des maîtres qui m'inspiraient au début de ma carrière, il y a 10 ans. Mais là j'ai envie de dépasser tout ça. J'ai 35 ans malheureusement mais j'ai assez appris pour m'en écarter. Après, il y a de l'humour et du recul aussi dans mon disque, c'est pas si sérieux que ça.

Tu connais l'album Trans de Neil Young ? [album synth-pop sorti en 1982 et influencé par les thérapies suivies par son fils autiste qui utilisait beaucoup de synthés]. Geffen a attaqué Neil Young suite à sa sortie car il estimait qu'il avait délibérément enregistré un disque « anti-commercial ».
Oui je le connais, c'est un peu le seul disque de Neil Young que j'aime bien. Putain, Geffen quand même… C'est un génie lui, il nous a ramené Sonic Youth puis Nirvana, Beck. Après je m'en fous de Nirvana, c'est pas ma culture. Mais bon, les maisons de disque ne devraient pas avoir de droit moral sur les sorties des artistes.

Tu parles pas mal de la précarité de ta situation de musicien, un peu comme une sorte de malédiction.
Ouais, je ne suis plus intermittent depuis un an. Là, j'ai bossé pour une maison d'édition pendant 4 mois mais là, j'ai plus rien, tu vois c'est toi qui paies ma bière [Rires]. Dès que j'ai 300 balles je m'achète un instrument de musique ou des disques. J'ai jamais fait de grosses synchros, jamais été numéro 1, jamais été en couv' de magazines. J'ai appris à l'accepter et je me suis constitué une carapace. Je fais la musique que je veux et si t'aimes pas, bah dégage, je m'en fous. Après, je me rends compte qu'on reprend la promo à zéro après 5 ans. Les gens ont changé, les journalistes ne sont plus les mêmes. Je reçois de plus en plus de trucs par emails. Tout le monde se bouge pas le cul comme toi un samedi à 20h. Pour l'instant, je ne sais pas trop comment ça va se passer. Je ne dirais pas non à une musique de films ou une synchro pour bouffer. Il y a pas mal de mecs de ma génération qui sont en CDI dans des agences de pubs, qui font de la musique au km et copient les tubes sans toucher leurs droits d'auteurs. Est-ce que c'est bandant ? Je ne crois pas…

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Tu pourrais assez facilement faire des B.O., non ?
J'en ai fait une pour un film qui s'appelle Low Life, réalisé par Nicolas Klotz, ça m'a fait un peu de blé. Il y a aussi un autre gars qui est venu me voir mais c'est con, j'ai oublié son nom, sinon je me serais fait un plaisir de le balancer [Rires]. Il a passé 6 ans à bosser sur son film et voulait des morceaux de O Malley et Patti Smith, mais quand EMI lui a donné le prix, il a vite revu son truc. Il m'a contacté pour que je fasse un truc dans leurs styles respectifs mais à la place j'ai fait un truc pété avec des synthés. C'était un truc de bagnoles, ça collait super bien. Le mec était outré, il m'a enlevé le projet. Son film est jamais sorti à ce con de toute façon. Je n'ai pas non plus envie d'être un outil. Soit le réal s'adapte à mon univers, soit je le fais pas. Pour les disques c'est pareil, j'ai la chance d'avoir un label sympa, Record Makers, qui continue de croire en moi même si commercialement c'est pas la teuf.

Le label n'intervient pas du tout sur l'artistique ?
Non non, jamais. Mais il y a un truc que m'a dit un jour Marc Teissier Ducros [DA du label qui a découvert AIR, Tellier et Kavinsky, entre autres] : « ne perds pas de vue que les filles aussi écoutent ton disque. Ne fais pas un disque pour les nerds barbus, pseudo connoisseurs. » C'est ce qui se passe avec ce disque, je suis super content que la maman de notre bassiste aime notre disque, là elle vient au concert c'est cool.

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Tu veux élargir ton audience ?
Oui, carrément. J'ai l'impression que les gens de mon âge qui font de la musique découvrent les kids et les prennent de haut. Ils sont là : regardez, ils écoutent les merdes du Social Club, ils baisent, ils se défoncent. Mais en fait ils sont comme les punks, ils sont comme nous à l'époque du grunge. Ils vivent leurs trucs à fond et ils s'en foutent.

Ça te stresse de vieillir ?
De moins en moins mais j'y pense par la force des choses, j'ai une petite fille, un loyer à payer. J'ai des potes qui ont du bide et la calvitie. Mais je m'en fous, je m'arrache plus les cheveux blancs qui poussent. Être un vieux chauve hargneux qui déteste les jeunes c'est cool aussi [Rires].

À quoi va ressembler la release party du 18 mars ?
On est 4 avec Judah Warsky au clavier, qui joue avec moi depuis toujours. Je ne m'imaginerais pas jouer sans lui. On a une chanteuse soprano avec nous. Elle nous a rejoint sur Nosferatu et ça se passe hyper bien donc elle reste avec nous. Ca nous fait du bien d'être avec elle, on est à l'heure, on essaie de pas péter devant elle [Rires]. Plus sérieusement, elle ne vient pas du tout du rock, donc c'est rafraîchissant. Quand on a joué au Monseigneur, sans scène, avec des mecs à 2 cm de son visage, ça lui a fait un gros choc [Rires]. On va faire 2/3 morceaux de A et B et puis pas mal de C, ceux qu'on préfère, les morceaux bien hardos. Maintenant on est assez vieux pour gérer ça à la cool, s'il y a une merde technique, on ne s'arrête pas, on continue et on se soutient les uns les autres.

La release party de Turzi a lieu au New Morning mercredi 18 mars et on vous fait gagner des places par ici.

Adrien Durand est sur Twitter - @AdrienInBloom.