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Music

Trouve-toi un vrai job ! : Teenage Menopause Records

Dans cette nouvelle rubrique consacrée aux « vrais jobs », Froos de Teenage Menopause nous explique comment il jongle entre son label et son boulot de technicien aéronautique.

Il y a quelques semaines, j'ai vu passer le tweet d'un collègue journaliste se plaignant de la « tannée » que représentait la retranscription d'une interview et du fait qu'il serait peut être temps qu'on ait un logiciel capable de s'en occuper à notre place. On a souvent parlé ici et là de la « crise de la presse musicale » et de toutes ces conneries, mais avec le temps, je crois que le seul vrai problème dans ce milieu, c'est que la plupart des gens ne se sont jamais retrouvés à devoir décharger un camion à 5h du matin pour pouvoir payer leur loyer. Pas que ce soit nécessaire pour faire de vous quelqu'un de valable, mais ça vous évitera en tout cas de chouiner alors que vous avez un job plutôt cool et pour lequel des tas de gamins seraient prêts à tuer. En souvenir des divers jobs pourris que la plupart d'entre nous ont enquillé avant de pouvoir vivre de la presse musicale voici « Trouve-toi un vrai job ! », une rubrique, dans laquelle des groupes, artistes et patrons de labels indépendants nous parleront de leur vrai job, celui qui paye leurs factures, remplit leur frigo, mais surtout, leur permet de nourrir leur passion. Pour la première édition, j'ai discuté avec Froos, moitié du label franco-belge Teenage Menopause (J.C. Satàn, Jessica 93, Scorpion Violente, Catholic Spray) de son travail : technicien aéronautique. Noisey : Comment es-tu devenu technicien aéronautique ?
Froos : En fait, c'est un truc que je voulais faire depuis que je suis gosse, je suis pas du tout arrivé là par hasard ou au fil de mon parcours. Je me suis orienté vers ce boulot dès le lycée. En France, quand tu te débrouilles plutôt bien à l'école et que tu choisis un cursus technique, on essaye de tout faire pour t'en dissuader. Mais j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont soutenu dans cette voie. J'ai donc fait un bac technique, un BTS dans la foulée. Après quoi j'ai tenté la fac mais j'ai vite vu que ça n'était pas pour moi. C'était un peu trop permissif [Rires]. Du coup, j'ai décidé de me jeter directement dans le monde du travail et j'ai commencé à faire le grouillot sur des avions en intérim, ce qui m'a permis de bouger pas mal en Suisse et en Allemagne, après quoi je suis revenu à Paris où j'ai intégré un service assez particulier, spécialisé dans les Falcon. On est le fer de lance du support technique des avions Falcon dans le monde, ce qui représente environ 2500 appareils dans le monde. Tu voulais précisément bosser sur les avions ou dans la mécanique de manière plus générale ?
Non, précisément sur les avions. Et sur les avions, pas autour. C'est aussi pour ça que j'ai abandonné la fac, parce que je voyais que ça allait m'éloigner des appareils, que ça allait m'orienter vers des bureaux d'études ou des trucs du genre. Je tenais à bosser sur les avions parce que c'était ce que je voulais et aussi parce que c'est ce qui me correspond le plus. Je suis quelqu'un d'énergique, je ne tiens pas en place -et ça se ressent peut être d'ailleurs au travers du label- donc j'avais besoin d'un travail plus concret, plus manuel. Cela dit, dans mon service, on a tous un assez gros bagage ingénieur, même si on est, techniquement, des mécaniciens. En quoi consiste ton boulot exactement ?
On doit assurer la navigabilité de l'avion. Ça englobe la reglementation propre à chaque machine et à chaque pays, le convoyage technique -en gros, aller chercher des avions à l'étranger pour les dépanner- et la mise en place de l'avion dans sa nouvelle structure.
Je bosse à l'aéroport du Bourget, dans une boîte de 500 personnes. On est environ 130 mécanos, mais 20 seulement dans mon service. Ça t'oblige donc à bouger énormément.
Oui, on a un système de roulement et d'astreinte qui fait que pendant certaines périodes je peux, à tout moment, être envoyé n'importe où dans le monde pour des périodes très variables. Ça peut aller de 48h pour une opération bénigne type changer une roue, à un mois ou un an pour être opérateur sur l'avion d'un client, c'est à dire garder l'avion en ligne de vol, s'occuper des opérations curatives ou préventives, etc. J'imagine que tu as du faire des trucs assez particuliers. Je me souviens que tu étais d'astreinte à Londres pendant les Jeux Olympiques, par exemple.
Oui, dernièrement j'ai pas mal bougé pendant la Coupe du Monde aussi. Il faut qu'on soit au plus près du dépannage. Il m'arrive parfois d'aller jusqu'à Francfort uniquement pour déboucher les toilettes d'un appareil et d'autres fois, je fais le tour du monde avec le patron de Total. Tout peut arriver et tu peux te retrouver dans des situations assez dingues. C'est comme ça par exemple que j'ai du faire un aller-retour jusqu'en Afrique du Sud uniquement pour m'assurer qu'un avion partait bien. Il était obligé de bien partir, il était tout neuf [Rires]. Mais bon, c'est du support client, t'es obligé de le faire. Et puis, une des raisons pour lesquelles j'ai choisi ce boulot, c'est aussi les voyages. Sans ça, je crois que je ferais autre chose. Justement, tu as le temps d'en profiter ou pas du tout ?
Ça dépend. À Moscou, par exemple, on a un bureau permanent. Du coup, on y va souvent et ça m'a permis de pas mal découvrir la ville, que j'affectionne beaucoup. D'autres fois, tu fais vraiment juste un aller-retour ou tu passes une nuit ou deux. Après, il y a des destinations où on revient régulièrement, forcément. L'an dernier par exemple, en temps cumulé, j'ai passé pas loin de 8 mois en Afrique. Au Congo, au Nigéria… Et puis ça me permet d'aller dans des endroits où je ne serais jamais allé autrement. Mirny en Sibérie, t'y vas pas pour les vacances [Rires] Ceci dit, je te le conseille, c'est dément. Ils ont la plus grande mine de diamants à ciel ouvert. Là bas, j'ai passé 13h à faire tourner un moteur toutes les 20 minutes, pendant que le client était en rendez-vous et dîners d'affaires. Parce que si l'avion refroidissait, on ne pouvait plus redécoller. L'avion est certifié pour résister jusqu'à -33° et on a décollé à presque -38°. Du coup, comment est-ce que tu gères le label ?
Vu que mes horaires sont très aléatoires, j'ai droit à pas mal de jours de récupération, que je peux transformer en thunes ou en temps. Et j'ai jamais assez de temps. C'est pas quand j'aurai 50 piges et deux cancers que je prendrai le temps. Du coup, tout ce temps, je le consacre au label. Et le label me prends de plus en plus de temps. Ce qui signifie aussi que ça fait un moment que j'ai pas pris deux jours pour me barrer au bord de la mer avec ma copine. Donc, faut que je m'organise. Ça vient petit à petit. Heureusement, j'ai des amis qui m'aident. Pour les commandes de disques par exemple, vu que je suis souvent absent pendant de longues périodes. J'ai un pote qui a le double des clés de chez moi et qui gère les envois à ma place. C'est au coup par coup. C'est de l'artisanat pur. De la débrouille. C'est ce qui fait la beauté du truc. Et mon boulot à coté fait que je peux me permettre de faire ce que je veux. J'ai pas besoin du label pour bouffer. Après je me rends compte aussi de la chance que j'ai, j'ai un boulot qui me correspond, que j'aime et qui me passionne. Si je devais plier des T-shirts dans un entrepôt, ce serait peut être différent. Ce qui est intéréssant c'est qu'on pourrait se dire que le label est une sorte de récréation par rapport à ton boulot, alors qu'en fait pas du tout.
Ah carrément, j'ai en permanence mon telephone qui sonne. L'avantage avec ce job c'est que je n'ai personne sur le dos, je suis dans 95% des cas en autonomie complète. D'autre part, c'est un boulot qui laisse toujours un peu de temps ici et là. Je fais des commandes, je me déplace, je répare des pièces, j'envoie des rapports, mais j'ai toujours 5 minutes par-ci, une heure par-là. Et ça me suffit pour être à jour sur le label vu que tout ce que je fais, c'est de la direction artistique et de la logistique. Je ne fais pas d'illustration, je suis une bite sur Photoshop, et je ne fais pas de son ou de mixage. Donc mon boulot avec Teenage Menopause se résume surtout à des mails et des envois sur Wetransfer. Et derrière ça, tu as tout un tas de gens qui apportent leur savoir-faire : des illustrateurs, des gens de studio, des graphistes, qui vont collaborer avec nous le temps d'une pochette, d'un check de BAT, d'un flyer, d'un mastering. C'est un boulot collectif. Moi, je suis surtout là pour gérer et centraliser. Je donne des directives, j'envoie des mails et je donne des coups de pied au cul [Rires] Ça c'est un truc dont je me suis rendu compte en sortant des disques moi-même. On évolue quand même dans un milieu où les gens sont souvent super à l'arrache.
Sincèrement, je crois qu'une des raisons pour lesquelles Teenage Menopause a réussi à faire son trou et si peu de temps, c'est que de 6h du matin à 2h du matin, je passe mon temps à donner des coups de pied au cul [Rires] Pour le vinyle de Essaie Pas, par exemple, j'étais en mission au Burkina Faso avec des allers-retours à New York, Florence et Bruxelles en plein milieu. Le disque devait partir au pressage et on n'avait toujours pas de pochette. La release party était déjà programmée, donc on ne pouvait pas se permettre d'être en retard. Du coup j'ai du gérer tout ça entre deux vols, avec les décalages horaires : les relances, la réception des BAT, la vérification des fichiers, tout ça avec un wi-fi super bancal en plein milieu de l'Afrique. Je crois que LL Cool Jo [qui a réalisé la pochette] n'a jamais rendu un boulot aussi vite de sa vie. Je crois qu'il en tremble encore. [Rires] Après ça, on s'est tous évité pendant une semaine. Je les avais vraiment saoulés. [Rires] Mais bon, au final, on a eu le disque à temps. Si j'avais pas été aussi relou, ça aurait foiré. Et sans tous ces gens autour de moi, je n'y serais pas arrivé. C'est donnant-donnant. C'est un travail collectif. Un label c'est vraiment un travail collectif, même si tu es seul à la barre, dans l'absolu.
Il faut que tu sois entouré. Pas seulement pour les aspects techniques que tu ne maîtrises pas, mais aussi par exemple pour prendre du recul. Parce que t'as le nez dans le guidon tout le temps. On a donc des gens qui nous aident tout simplement en donnant leur avis. Et ils sont aussi précieux que les graphistes ou les ingés-son. Sans eux, j'aurais déjà lâché l'affaire. Parce qu'il y a des fois où c'est vraiment dur et où tu de demandes vraiment pourquoi tu fais tout ça. Bon, on n'y est pas encore, vu que tu as déjà pas mal de choses prévues pour le reste de l'année.
Oui, après l'album de T.I.T.S. et la cassette de Harshlove, on va sortir un album de Ventre de Biche qui sera accompagné d'un livre d'illustrations et puis un peu plus tard, un nouvel album de Jessica 93. Il sort un split avec Mistress Bomb H sur K-Fuel en septembre [EDIT : plus précisément sur le label de gens de la nébuleuse K-Fuel : Bruits de Fond et Kerviniou Recordz] et l'album, qui s'appelle Rise, sortira le 3 novembre, en co-production avec Music Fear Satan. De quoi continuer à dormir toujours un peu moins et vivre encore un peu plus.

Froos est actuellement en Turquie pour réparer un avion. Il devrait être de retour en France le 30 août, date à laquelle il ira soutenir T.I.T.S. et Jessica 93 au Freakshow Festival, où ils se produiront aux cotés de Thee Oh Sees, The Hororist, Black Bug, The Intelligence et tout un tas d'autres groupes. À noter que Teenage Menopause présentera également à partir du 17 septembre l'exposition Sauce Jungle à la galerie Le Salon (92 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11). Lelo Jimmy Batista est le rédcateur en chef de Noisey France. Il retranscrit ses interviews lui-même et c'est très bien comme ça. Il est sur Twitter - @lelojbatista