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Trouve-toi un vrai job ! : Rochdi

Le rappeur le plus hardcore du 13ème arrondissement est aussi docteur en philosophie. Une clé pour comprendre son prochain album, « L’Exorciste Cénobite ».
Genono
par Genono

En souvenir des divers jobs pourris que la plupart d'entre nous ont enquillé avant de pouvoir vivre de la presse musicale voici « Trouve-toi un vrai job ! », une rubrique, dans laquelle des groupes, artistes et patrons de labels indépendants nous parleront de leur vrai job, celui qui paye leurs factures, remplit leur frigo, mais surtout, leur permet de nourrir leur passion. Après Froos de Teenage Menopause, Fenriz de Darkthrone et le beatmaker Frencizzle, nous nous intéressons au rappeur Rochdi. Un cas tout à fait particulier, puisque derrière son personnage de rappeur le plus hardcore de tout le rap français se cache un thésard en philosophie, passant sans la moindre transition des caves du XIIIème arrondissement aux couloirs marbrés de la Sorbonne.

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J’ai découvert celui qui s'autoproclamait « Chevaleret Street Pimp » et officiait jadis dans le groupe Krystal, par l’intermédiaire d’un featuring avec Alkpote et Zekwe Ramos en 2012. Intrigué par le personnage, j’ai tapé son nom dans ma barre de recherche YouTube. Le premier résultat, « Hardcore 2 » a été l’une des plus grandes claques rapologiques de ma vie. Je n’ai pas pour habitude d’être choqué par de simples propos, aussi sales soient-ils, ni même par la violence, aussi crue soit-elle. Rochdi a régulièrement tendance à me choquer, allant jusqu’à m’amener à remettre en question mes propres limites morales, que je pensais solidement définies et complètement immuables.

J’ai été très intrigué à l’idée de le rencontrer afin de discuter de l’ambivalence de ses activités, de cette thèse en philosophie couplée à sa passion pour le rap, et de l’importance pour un artiste d’avoir un métier enrichissant. J’en ai évidemment profité pour prendre des nouvelles de son nouvel album, L’Exorciste Cénobite, et le questionner sur ses propres limites morales à lui.

Noisey : La sortie de ton album L’Exorciste Cénobite était annoncée le 13 mars, et à l’heure où nous parlons, il n’est toujours pas en ligne. Que s’est-il passé ?
Rochdi : Tout simplement un problème de finalisation artistique. J’avais prévu de faire un album de dix-huit morceaux, structuré en trois temps. T’as compris l’idée : 6-6-6. Certains morceaux devaient donc figurer dessus, d’autres non… Je me suis pris la tête sur des détails techniques, sur le tracklisting. Et comme j’ai volontairement dévoilé une grande partie du disque, que peu de monde attend de le découvrir dans son entièreté, j’ai pensé qu’il valait mieux que je prenne un peu de temps pour régler ces détails.

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Tu m’as également parlé de censure, sur certains morceaux pas encore dévoilés.
Ouais, sur un ou deux morceaux. J’avais trouvé un petit distributeur, qui me proposait de vendre mon disque dans des coins intéressants, mais certains propos ne passaient pas. Du coup, comme j’ai senti que ça allait générer des complications annexes, j’ai laissé tomber la distrib, et je me suis concentré sur une sortie digitale. Après, on m’a proposé de sortir l’album en édition limitée et numérotée, une centaine d’exemplaires… Je trouve ça intéressant, parce qu’il s’agirait de matérialiser un objet fini, on n’a pas à se poser de questions d’image.

T'as choisi de balancer les titres de ton album au fur et à mesure sur YouTube… Quelle est la stratégie ?
J’ai remarqué qu’aujourd’hui, et vous en conviendrez, on est dans une période où l’échantillonnage est roi. On veut des teasers, on veut des extraits… Il faut que tout soit très facile à écouter, à digérer. Bon, l’échantillonnage a également de bons côtés, si tu fais des formats courts par exemple. Mais aujourd’hui, les gens écoutent la musique rapidement. Tu sors un album, ils écoutent la moitié des pistes, et ils passent à autre chose. Et si moi, avec mon public restreint, je fonctionne comme un rappeur connu, je vais me casser la gueule ! Je sors deux clips, je fais une vidéo pour teaser, ça va être ridicule.

Du coup, je me suis dit : vous voulez de l’échantillonnage, et bah on va échantillonner tout l’album ! Et chaque titre sera à prendre comme un « single ». C’est une manière de vous forcer à tout écouter, même les interludes, alors que c’est un truc que tout le monde zappe naturellement. Et je m’en rends compte grâce aux compteurs de vues, chaque morceau est beaucoup plus écouté que si j’avais tout balancé en une seule fois.

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Et c’est aussi pour cette raison que les formats « version album » sont sortis après. Déjà, ça donne une seconde vie au morceau. Ensuite, je trouve intéressant de montrer qu’en fonction des choix de mix et de réalisation, ça peut donner des morceaux très différents. Donc pour chaque titre, on a une version un peu sale, et une version clean, réalisée et arrangée de manière à ce que l’album ait une cohérence générale. C’est aussi une manière de fonctionner qui renvoie à une certaine époque, quand les rappeurs sortaient un morceau en maxi-vinyle avant l’album, en version crue. Et ensuite, tu retrouvais le même morceau en « re-edit » sur l’album, mais toi, pour des raisons affectives, t’avais tendance à préférer la version crue. Le bon côté d’Internet, c’est qu’on peut avoir les deux… Autant en jouer.

« L’Exorciste Cénobite », qu’est-ce que ça signifie ?
C’est lié à cette fascination pour l’occulte que j’ai depuis très longtemps. Je fais souvent référence, dans ma musique, au monde de l’invisible, aux sciences noires… Les sciences de l’occulte ont un rapport avec les lois physiques de ce monde, qu’elles transgressent, dans le sens où elles mettent en branle des vérités établies. Comme mon dernier projet en date, la Blue Tape, était un élan vers le côté pur, et mettait en œuvre des morceaux de périodes différentes mais agencées autour d’un tout cohérent, et bien je me suis dit que j’allais également établir un tout cohérent, mais autour d’une thématique plus occulte, plus mystérieuse et étrange. J’ai un fonctionnement tout en ambivalence. J’ai également voulu développer un personnage qui se rapproche de ma mythologie, un personnage bravement maléfique. La figure de l’exorciste, c’est celle d’un religieux qui lutte contre le démon. Le fait qu’il consacre sa vie à combattre le Démon a, pour moi, quelque chose de très fascinant. C’est très allégorique en plus : il fait obstacle à ses propres démons en les combattant, et en sauvant son prochain (le « possédé » en l’occurrence). C’est une posture très noble je trouve.

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Ok pour l’Exorciste. Mais pourquoi « cénobite » ?
Un moine cénobite, c’est un moine qui vit en communauté – et je trouve ça beaucoup plus inquiétant qu’un moine solitaire. C’est comme dans le film « Le Nom de la rose », tu te demandes ce qu’il se passe entre les moines, dans leur monastère. Un moine qui vit seul au fond d’une forêt, ça paraît plus amical. Et puis je trouvais aussi que le mot cénobite était intéressant. Bon, déjà parce que dedans, il y a bite ! Il y a une sorte de dimension très sexuelle et lubrique dans le mot « cénobite » je trouve. Et puis, j’adore la science-fiction, et les cénobites sont les personnages de « Hellraiser » (le film de Clive Barker), des êtres diaboliques dévoués à la recherche de l’extase, mais qui ne trouvent le plaisir que dans la souffrance.

Il t’arrive d’écrire et de te dire « là non, je suis allé trop loin » ?
Oui, ça arrive. Que ce soit sur le côté trash sexuel, ou sur le côté outrageux par rapport à la morale, je me dis parfois que je n’ai pas de raisons de jouer autant l’hystérique. J’essaye d’attaquer le moins possibles les autres rappeurs, ou les autres communautés. J’écris beaucoup par fragments, je note des rimes à droite, à gauche… Et j’en arrive toujours à cette partie fastidieuse où je dois réunir les parties de textes entre elles, en créant une cohérence. C’est intéressant, parce que j’ai un vrai contrôle sur mon processus de création, et ça me permet de prendre du recul. C’est un peu comme si je passais des couches de peinture. J’en passe une, je vois si ça fonctionne, si je dois assembler avec autre chose… Et c’est d’ailleurs pour cette raison que le morceau « Hardcore 3 », qui est actuellement en chantier, est si difficile à finaliser. Pour être une sorte de consécration liée à celui d’avant, il doit être fait d’une certaine manière, mais sans tomber dans le scandale gratuit. Même dans le clip, il faudra que ce soit fait différemment.

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En parlant de « Hardcore », est-ce que Bruno existe vraiment ?
Ouais, c’est une histoire vraie. D’ailleurs, cette rime a une suite, qui sera dévoilée dans « Hardcore 3 ». Les gens ne s’en rendent pas compte, mais dans mes textes, les choses les plus scandaleuses pour l’auditeur sont les choses réelles. Et Bruno est trié d'une anecdote réelle.

Dans ta musique, quelle est la part entre le réel – que ce soit ton vécu ou ce que tu observes - et l’imaginaire ?
Rochdi : Ce que j’essaye de faire, c’est d’inclure les parties les plus hardcores du réel et de les injecter dans des passages plus fantasmés. Et on se rend compte au final que les choses hardcores sont souvent les plus réelles. C’est très marrant à faire parce qu’il y a un discrédit qui est jeté sur tout, et les gens ne savent pas ce qui est réel ou ce qui ne l’est pas.

Dans « Rime passionnelle », tu dis « Contrat avec le diable, signature chez Def Jam France ». Est-ce que Def Jam représente le mal incarné ?
Alors ça, c’est intéressant. Tu te rappelles du bouquin de Mathias Cardet ? Il essayait de faire le lien entre des hautes instances obscures qui dirigeraient le rap… Ma rime, c’est une manière de prendre ça à revers, en y faisant une référence plate. Bon, et c’est aussi pour dire indirectement que tous les artistes qui ont signé chez Def Jam France avaient pour point commun d’être de bons rappeurs qui se sont retrouvés dans un schéma de création aseptisé. Et troisièmement, j’ai également voulu signifier que quand tu signes chez un organisme comme celui-là, t’as la tentation de toucher un plus gros public, et de faire de grosses sommes d’argent – d’où la métaphore de la signature avec le diable. Et donc, consciemment ou non, ça a forcément une influence sur ta musique, qui devient plus facile. J’aime pas la musique facile.

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Quand tu entends Cardet ou Mysa évoquer le satanisme de Kaaris, tu dois forcément te dire qu’ils ne connaissent pas Rochdi, sinon ils débarquent chez toi pour t’exorciser.
Je pourrais avoir des problèmes si ma musique était diffusée à grande échelle, parce que ce qui les gêne, en vérité, c’est que Kaaris soit facile d’accès. Tu lis les commentaires sur mes clips, il y en a de toutes les couleurs. On me traite de violeur, d’homosexuel, de raciste, de pédophile… [Rires] Tu prends ma phase sur les Marocaines par exemple : il y a des chiennes dans toutes les races, c’est une évidence, mais les marocaines se sont particulièrement illustrées dans ce funeste domaine… [Rires] Tous les mecs de rue (dignes de ce nom) te le confirmeront. Donc ouais, on pourrait m’attaquer pour plein de trucs si j’étais connu, mais à mon niveau, tout le monde s’en branle. Et c’est très bien comme ça.

« J’préfère qu’on m’ampute d’un bras que d’la mettre dans le cul d’un brave ». Pourquoi est-ce que tu n’as pas changé la fin de la phrase pour en faire « Je préfère qu’on m’ampute d’un bras plutôt que d’le mettre dans le cul d’un trav » ? Pour le coup, ça aurait été beaucoup plus sale.
Oui et non… Parce que ça voudrait dire que je suis contre les pratiques sexuelles impliquant de faire un fist-fucking à un travelo. Bon, c’est pas spécialement mon délire, mais un mec qui fait ça, je m’en branle. Je suis un mec de Paname, j’en ai vu de toutes les couleurs par rapport à la question des orientations sexuelles secrètes des gens… Fustiger des mecs qui ont des pratiques sexuelles qui sont les leurs… Ca le sregarde. Personnellement, je m’en branle complètement. La vérité, c’est ce que t’as au fond de tes tripes. Alors que « la mettre dans le cul d’un brave », ça nan, je le ferai pas. J’irai jamais baiser la femme ou la sœur de quelqu’un que je connais, même si elle me chauffe. Ou pour te prendre un autre exemple : si on est en affaire, et que t’oublies une somme d’argent, je vais pas la prendre sans rien dire, tel un fourbe… [Rires] Et cette rime fait aussi écho à une autre des mes phases, « j’préfère attraper le dass que trahir mon pote le plus fidèle ».

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Tu pourrais écrire autre chose que du rap ? Tu parles beaucoup de poésie.
Je ne suis pas certain qu’écrire des choses faites seulement pour être lues soit un grand kif pour moi. Mon rapport à l’écriture poétique est lié à la déclamation, c’est quelque chose de très antique. J’aime les flows techniques, mais les flows trop alambiqués ne me plaisent pas. J’aime la posture d’orateur un peu céleste. Dans le rap, j’aime la rythmique parce qu’elle a un côté très tribal. Si je devais vraiment écrire, ce serait plus de l’écriture analytique. J’ai fait une thèse en philosophie, j’ai l’habitude d’écrire comme ça. Quand tu expliques des choses à l’écrit, la relecture te permet d’être le plus précis possible. Et ce que j’aime dans le style analytique, c’est qu’il te mène à une négation du style de ceux qui voudraient essayer de bien écrire avec un peu trop de volutes littéraires stériles. Ou alors je pourrais faire de la critique d’art, des écrits théoriques ou analytiques, ou bien… J’allais dire un roman, mais non. Là, mon objectif dans l’immédiat, ce serait vraiment d’écrire un storytelling rap très riche et moins « naïf » que « La Veuve » (même si j’ai beaucoup de respect pour ce morceau).

« En 2005, personne n’avait les cheveux longs dans la rue. J’étais le seul. »

Tu as fait une thèse en philosophie. Quand tu es thésard, tu es censé enseigner à côté.
Tout à fait.

J’imagine qu’il est arrivé que des étudiants te reconnaissent ?
Oui, c’est arrivé. Bon, la philosophie c’est un peu particulier, ce n’est pas comme si j’étais prof en lycée ou en collège, avec des élèves qui s’amusent à googliser les noms tout de suite.

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En plus tu n’utilises pas de pseudonyme, Rochdi est ton vrai prénom.
Oui, et je n’y ai jamais vraiment pensé, mais je ne me suis jamais inquiété de ce qu’on pourrait penser de moi dans le cadre de l’université. Par contre, il m’est déjà arrivé de devoir surveiller des concours ou des examens, et dans ces cas, il y a des lieux comme des lycées qui sont mobilisés. Et une fois, je fais passer un oral à un mec, il me regardait super bizarrement. Il fait son truc, il part… Il revient deux minutes plus tard en me demandant « c’est toi Rochdi, de Krystal ? ». Il était en transe, genre « oh putain, c’est lui ! » [Rires] . Pour répondre à ta question, les gens qui me reconnaissent, c’est surtout dans la rue. À l’université, ça arrive, mais c’est plus rare. Les gens sont au courant, d’une manière ou d’une autre, mais ils ont une certaine tenue, ce n’est jamais sur le mode de l’intrusion maladroite, ou inquisitrice. Il faut dire que je suis quelqu’un qui a tendance à couper court, je fais comprendre poliment aux gens qu’il vaut mieux séparer les deux univers.

Et dans le cadre de ta thèse ?
C’est vrai que c’est le seul moment où j’ai eu un peu peur. Une thèse, c’est long, c’est énormément de préparation, de travail en amont. J’avais peur que mes directeurs de recherche découvrent mes activités annexes – ce qui a dû arriver, nécessairement -- et que ça ait une influence négative sur ma soutenance. Mais finalement, tout s’est très bien passé.

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« 27 ans, toujours pas de thunes »… Aujourd’hui, ça va mieux ?
Oui, ça va mieux, mais ça veut pas dire non plus que je gagne 15 barres par mois. Tout dépend de la perspective avec laquelle tu contemples la situation. J’ai jamais été un assoiffé d’oseille. Je suis pas un grand dépensier, je suis un peu rustre. Je suis un gros mangeur, j’ai des périodes où je suis un gros buveur. Tu payes une tournée, ou un resto… mais en dehors de ça, je dépense pas grand chose. Y’a le rap, mais si tu te débrouilles bien, ça te revient pas très cher.

Est-ce que le fait d’avoir une certaine sécurité en terme d’emploi et de ressources te permet d’être plus libre artistiquement ?
Oui, très clairement. C’est une question très intéressante : les mecs qui font des boulots alimentaires, fatigants, ça te mène à… ça te mène à… Oh putain, la meuf qui est passée derrière toi elle avait des énormes seins. J’ai pas bien vu sa face, mais une paire… Si elle avait pas été au téléphone, je serais allé la racoler en direct.

MC Jean Gab1 m’a fait exactement la même phase en interview.
Ca m’étonne pas, c’est un Parisien comme moi. C’est pas pour faire dans le cliché, mais les mecs de Paris, on racole les meufs plus facilement. C’est désacralisé, on n’en fait pas toute une histoire. Vous, en banlieue, c’est plus cloisonné. Bon, qu’est ce que je te disais ? Ah oui, les boulots alimentaires. Ca peut avoir un impact sur ton processus créateur. Et le pire, c’est pour les mecs un peu bling-bling. Imagine, dans tes clips t’es en Gucci de la tête aux pieds, tu roules en Lamborghini, mais dans la vie réelle t’es VTC. C’est moche ! Même si c’est un mec brave, au bout d’un moment il est confronté à lui-même. C’est une schizophrénie malsaine. Soit tu vis vraiment comme ça, et tu gagnes ta vie comme Booba ou certains rappeurs américains qui peuvent maintenir ce mode de vie un peu « dandy »… Ils spéculent en bourse, ils investissent dans l’immobilier. Ces mecs ont des activités d’aristocrates dandys, si t’analyses bien. Alors que si tu vis dans un HLM, et que t’es vigile chez une marque de luxe, tu le fais, mais c’est difficile, tu peux pas être libre d’esprit. Le problème quand tu flirtes avec le déséquilibre et le décadrage, c’est que si t’arrives pas à capturer ce qu’il y a de positif là-dedans, tu peux te perdre, t’égarer.

Du coup toi, t’as une activité professionnelle plutôt enrichissante.
Complètement. C’est enrichissant d’un point de vue cognitif, et ça permet de faire une séparation saine. T’as le cadre du rap, le cadre du travail. Et les univers peuvent se nourrir l’un de l’autre, mais au moins, tu sais où t’en es. Je vais être un peu cynique, mais un mec qui travaille chez Gucci, au moins il connait tous les modèles, il peut en parler dans son rap. Mais il ne faut pas que tes activités périphériques te bouffent le crâne. Que ce soit ton emploi, ou une meuf… Si on te fatigue le crâne toute la journée, t’es pas bien au moment d’écrire ta musique. C’est comme tout parasite : alcool, drogue, argent… Si j’attendais de l’argent du rap, ça travestirait mon processus créatif. Il serait moins pur, et pour le coup je reconnais que je suis plutôt romantique. Je peux même aller plus loin, je pense qu’un rappeur qui a une vie de famille cadrée, avec une femme, des enfants, il peut plus facilement développer son univers en musique, parce qu’il est libre de ce côté-là. Toi, t’es marié ?

Ouais, marié, trois marmots.
Félicitations. Et ça se passe bien ? Je veux dire, tu te sens épanoui ?

Je suis le plus heureux du monde.
Bah tu vois, je pense que t’es la bonne illustration de ce que je viens de dire. C’est pas étonnant que tu sois autant investi dans cette passion qu’est le rap, et surtout que tu arrives à mettre naturellement une distance avec tout le côté ridicule du milieu. Et par conséquent, que t’arrives à t’intéresser à plein de trucs alternatifs, et à creuser là où d’autres ne creusent pas. T’as un cadre, un équilibre. Tu peux te mettre dans la musique avec la conscience tranquille.

Tu vois un avenir pour toi dans le rap ?
Aujourd’hui, je me dis que j’ai mes cadres, que je peux évoluer en toute liberté. Je veux devenir le Dieu de l’Underground. Ca fait peut-être ridicule parce qu’aujourd’hui tout le monde se la raconte, mais je sais que je le suis déjà ! Et c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai fait le morceau « Le Dieu Thot », parce que je sais qu’à part les mecs dans ton genre, personne ne va comprendre. Les gens s’imaginent qu’il doit y avoir une part de gloire pour les mecs de l’ombre. Mais la vérité n’est pas là, c’est un contre-sens. Un mec de l’ombre, ça doit être dans l’ombre ! Ma part de gloire, c’est quand on vient me chercher pour presser une édition limitée de mon album, ou quand tu viens me voir parce que t’aimes ma musique et que tu veux en savoir plus. Faut pas demander plus ! Parfois, je parle avec des (bons) rappeurs qui me disent qu’ils n’ont pas assez d’exposition… Mais le problème, c’est que quand ton exposition va croître, les changements qui affectent ta musique vont croître aussi ! J’ai compris assez tôt que j’étais fait pour continuer dans cette direction, et c’est très important de se comprendre soi-même (le plus possible).

Tout le monde veut faire des clips, des making-of, mais c’est très souvent de la merde. Tu fais des photos sur instagram, des periscopes, t’es avec ta mère, ta meuf, ta pute, t’es en train de chier, tu le postes sur Internet. Tout le monde se bouffonise ! Moi je tente de prendre tout ça à revers. Dans L’Exorciste Cénobite, je sors tout, je montre tout, même les chutes de studio… Mais avec la pudeur de quelqu’un qui sait distinguer le public et le privé. Les gens n’ont pas à connaitre le prénom de ma mère, la tête de ma meuf, ou savoir avec qui je baise. Surtout que dans mon cas, le personnage est beaucoup trop proche du réel ! Maintenir des zones d’ombre, c’est un devoir. Genono maintient sa zone d'ombre sur Twitter.