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Music

Tom G. Warrior nous parle du nouvel album de Triptykon et de sa relation avec H.R. Giger

L'ex-leader de Hellhammer et Celtic Frost en a gros sur la patate.
Tryptikon - Melana Chasmata art
Tom (center) with Celtic Frost
Celtic Frost - To Mega Therion

On ne risque pas grand chose à dire que le metal ne serait clairement pas le même aujourd’hui sans Thomas Gabriel Fischer aka Tom G. Warrior, chanteur et guitariste suisse, et tête pensante des groupes Hellhammer, Celtic Frost et Triptykon. Avec une simple Flying V, un Ibanez Tube Screamer et une volonté de fer, Tom Warrior a établi à lui seul une grande partie des fondations du black et du death metal dès le début des années 80 avec une poignée de morceaux composées dans un bunker en banlieue de Zurich qui ont figuré plus tard sur l’impitoyable album de Hellhammer, Apocalyptic Raids, et l’intouchable Morbid Tales de Celtic Frost. Après la mort de Celtic Frost – leur deuxième mort en fait – en 2008, Warrior a formé Triptykon, aujourd'hui seul prétendant crédible au trône du metal post-gothique. Le deuxième album du groupe, Melana Chasmata, a nécessité quatre ans de travail, principalement en raison de problèmes que Warrior a encore du mal à expliquer. Comme son prédécesseur – et comme le troisième album de Celtic Frost sorti en 1985, To Mega Therion— l’artwork est signé H.R. Giger, oui, l’auteur d’Alien en personne. D'ailleurs, vous saviez que Tom Warrior était l’assistant personnel de Giger ? Ben maintenant vous le savez. Noisey : La traduction du titre de votre nouvel album donne à peu de chose près « Profondes Dépressions ». C’est bien ça ?
Tom G. Warrior : Oui, c’est difficile d’en faire une traduction exacte, mais c’est à peu près ça. Les dépressions peuvent être à la fois géologiques et psychologiques. Dans notre cas, ce sont les deux. Sur l’album, il y a des passages mélancoliques, mais la plupart du temps, c’est la rage qui domine. Je pense que notre premier disque bien était bien plus agressif, cela dit. Il était alimenté par la haine et la frustration qui ont suivi la fin de Celtic Frost. Ce nouvel album est plus introspectif et basé sur des expériences personnelles – pas simplement les miennes, mais celles de tous les membres du groupe. On a choisi le titre il y a des années, et depuis ce temps-là, certains trucs se sont passés qui ont rendu le titre encore plus approprié. Ça a été un album extrêmement dur à boucler, et on est tous très contents qu’il soit terminé. Pourquoi est-ce que ça a été si difficile ?
Les quatre ans qui se sont écoulés entre les deux disques ont été une succession de phases difficiles pour pas mal d’entre nous. Ma vie a complètement changé en l’espace de quatre ans, bien malgré moi. Et je ne suis pas le seul dans le groupe à être passé par des évènements tragiques. J'imagine que ces événements dont tu parles ont été particulièrement négatifs. Tu penses que Triptykon va plus mal que sur son dernier album ?
Je crois qu’on est tous en phase de récupération. Chaque membre suit sa route et gère ses propres problèmes. Mais je ne veux pas que ça ressemble à une tragédie ou un truc pathétique. Aucun d’entre nous ne voulait être dans cette situation, et on ne savait pas non plus que les autres vivaient des choses similaires. C’est une pure coïncidence. On a pas eu le contrôle sur tout, voilà pourquoi l’album a pris quatre ans pour se faire. En même temps, on a accepté le fait qu’au moins trois des membres du groupe aient des vies complètement différentes. Et ce qui nous a aidé c’est qu’on est un groupe, qu'on aime la musique qu’on joue et que nous sommes amis. Ça sonne peut-être cliché ou hippie, mais c’est comme ça que ça se passe. La situation était à ce point désespérée ?
J’ai vraiment failli tout perdre – bien plus que tout ce que vous pouvez imaginer. Mais si j’avais été au bout du rouleau, je sais que j’aurais pu appeler notre bassiste [Vanja Šlajh] et qu'elle aurait pris soin de moi. Et c’est la principale différence entre Triptykon et Celtic Frost. À la fin de Celtic Frost, j’avais parfois le sentiment que si j'étais en sang par terre, les autres m’auraient volontiers achevé en me plantant un couteau dans le dos. Dans ce groupe, c’est l’inverse. Tu pourrais me dire ce qui s’est passé, sans être trop indiscret ?
C’est une question légitime, parce que l’album a été créé autour de ça et que l’atmosphère du disque le reflète, mais je pense que ce serait pathétique de promouvoir un disque en s’appuyant sur une tragédie personnelle. À un moment, il faut tirer un trait. Les gens comme Rihanna et ces stars de la télé-réalité font la promotion de leur travail grâce à leur vie privée, et ça m’horripile quand je vois ou que je lis tous ces trucs sur eux. C’est embarrassant. Je peux expliquer pourquoi cet album sonne de cette façon, mais c’est le maximum que je puisse faire. On est dans la scène metal, et il doit y avoir une barrière à ne pas franchir. Peut-être que dans quelques années, l'un de nous fera tomber cette barrière et videra son sac, mais je crois que ce serait vraiment trop facile pour moi de dire « On en a chié – achetez notre album ! ». Est-ce que tous ces bouleversements ont eu une influence sur la composition de l’album, mis à part ce hiatus de quatre ans ?
Non. Je me suis débrouillé pour remettre de l’ordre dans ma vie avant de retourner en répétition. J’ai pris une année pour me retirer et réfléchir à ma place dans l’existence, et s’il existait réellement une place pour moi ici. Pour les autres, ça a été difficile parce qu’ils ne savaient pas si cet album allait voir le jour ou pas. De mon côté, je savais que si je parvenais à surmonter tout ça, je terminerai cet album. Le problème c’est que j’avais un blocage créatif depuis un moment. J’avais tellement de trucs qui me polluaient l’esprit que c’était très dur de me concentrer sur l’écriture. J’ai essayé plusieurs fois, mai je savais que ça n’avait aucun sens. Ce nouvel album a donc bien failli ne jamais voir le jour.
Oui, il y avait 99 % de chances que l’album ne se fasse pas. Bon, ça commence à virer au mélodrame là, mais j'essaie d'être le plus honnête possible. Je fais ça depuis 33 ans, et à bientôt 51 ans, je n’ai plus besoin de me comporter comme un gros dur. Je suis un être humain comme n’importe qui d’autre. J’ai eu mes moments de fierté et de puissance, et des moments d’extrême faiblesse et de douleur. J’ai été aveuglé par certains évènements de ma vie, ils se sont accumulés et j’ai commencé à me sentir complètement impuissant sans pouvoir rien changer. Pour être tout à fait franc, ces aléas m’ont ôté toute joie de vivre. Terminer cet album n’est pas simplement devenu une chose secondaire – mais une énième tâche de la liste. Ça n’avait même plus d’importance. Quel a été le tournant de tout ça ?
Si je suis encore ici, c’est grâce à ma copine qui m’a supplié de ne pas me suicider. Tout ça ne s’est pas déroulé en une journée – ça lui a pris du temps pour me convaincre de rester. Il fallait que j’en finisse avec ça, et j’ai essayé de reconstruire ma vie, d’y remettre de l’ordre. Et ça passait par mon existence en tant que musicien. C’est ce qui me donne de la force et du plaisir dans la vie. Je ne fais pas partie de Metallica – je ne vais pas aller voir un psy et donner un tas de fric à un type qui ne me connaît pas pour qu’il me raconte des conneries. Ma thérapie a été de me remettre à écrire de la musique, des paroles, et d’essayer de digérer tout ça en essayant de comprendre ce que ça signifiait réellement pour moi. Malgré tout, la décision de continuer à vivre est toujours un défi de tous les jours. Mais je ne veux pas que cette interview soit plombante du début à la fin… Je suis d’accord. Parlons de H.R. Giger.
Je suis vraiment content que H.R. Giger ait une nouvelle fois collaboré avec nous. Ça veut dire beaucoup pour moi, autant que la première fois où on a bossé ensemble, en 1985. C’est très important pour moi d’avoir un album avec des morceaux honnêtes et une superbe cover. Je suis heureux d’être toujours en vie pour voir ça. La cover est fantastique. Ce sont des travaux qu’il vous a offerts ou il les a dessiné spécialement pour le disque ?
J’ai eu la chance de bosser deux fois avec Giger, et les deux fois, il m’a permis de lancer un groupe de la plus grandiose des façons, avec Celtic Frost et avec Triptykon. Je ne voulais pas avoir l’air relou, donc on a décidé de tenter le coup avec un autre artiste pour ce nouvel album. Mais à la surprise générale, c’est Giger lui-même qui est venu vers nous pour nous dire qu’il avait apprécié notre premier album et que l’utilisation qu’on avait faite de son artwork était, pour lui, la meilleure qu’un groupe ait jamais fait. Il nous a donc demandé si on voulait collaborer avec lui sur de futurs albums… Je veux dire, j’étais le cul par terre ! Ça m’a pris une semaine pour bien réaliser. Ensuite, il m’a donné un accès total à tout ce qu’il avait fait, et j'ai retenu quelques peintures. Il était ok sur mon choix, et j'ai choisi avec le groupe les pièces qui nous semblaient le plus appropriées. Tout ça s’est passé il y a deux ou trois ans. J’ai fais une ébauche de layout sur mon ordinateur, je lui ai montré, et il nous a donné le feu vert. Encore une fois, tout ça s’est décidé avant que le sort nous tombe dessus, et comme pour le titre, nos choix se sont révélés parfaits. Utiliser l’art de Giger sur les albums de Triptykon établit un lien évident avec l’album To Mega Therion de Celtic Frost, même si tes souvenirs de Celtic Frost ne sont pas forcément positifs.
L’industrie musicale est soumise à des changements plus rapides et drastiques que jamais, alors j'essaie d’établir une continuité dès que je le peux. Et bien sûr, Giger fait partie de cette continuité. Quand on a fait le premier album de Triptykon, utiliser l’art de Giger était totalement symbolique pour moi. Je lui ai expliqué ma vision, et j’étais vraiment enchanté quand il a accepté de bosser avec moi parce que je voulais que ce soit clair : Triptykon était un groupe aussi important pour moi que Celtic Frost l’était à l’époque de To Mega Therion. C’était très personnel. Aujourd’hui, c’est lui qui est venu vers nous, c’est totalement différent. On sort cet album avec cette pochette parce que Giger est un artiste unique. Il est peut-être le meilleur peintre surréaliste vivant à l'heure acteulle. Au-delà de l’amitié qui nous lie, je suis fan de son boulot depuis que je suis gosse. Donc, c’est un grand honneur. Tu es également son assistant personnel…
Je travaille avec lui depuis sept ans maintenant, oui. En fait, j’étais chez lui il y a deux heures. Quels sont les trucs que tu fais pour lui ?
Tout. Tout ce que tu peux imaginer, pour lui et sa femme. Par exemple, aujourd’hui je devais m’occuper d’une nouvelle ligne de posters, qu’un ami réalise pour lui. Je devais donner mon avis sur la qualité, etc. Ensuite, j’ai travaillé avec sa femme, on doit monter une fondation qui s’occupera du Giger Museum en Suisse, quand Giger aura rendu l’âme, ce qui je l'espère arrivera le plus tard possible. Mais en gros, tout ce qu’ils me demandent, je le fais, parce que j’ai une immense gratitude envers eux. Giger est un mentor pour moi. Depuis l’époque de Hellhammer, lorsqu’il était le seul à croire en un groupe qui était ridiculisé par tout le monde. C’était une superstar à l’époque – il venait de remporter un Oscar avec Alien et il était au sommet de sa popularité. Et déjà, il croyait en Hellhammer, un groupe qui n’était signé par aucun label, un groupe qui était la risée de toute la Suisse. Il n’avait pas à le faire. On était des ados. On était personne. Donc je lui dois beaucoup, et c’est un grand plaisir de travailler avec lui. Vous imaginer tous les deux dans une pièce, c’est comme imaginer un Conseil de Justice de l’Art Extrême ou un truc du genre…
Tu dois bien réaliser que mon état d’esprit n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où j’ai découvert le taf de Giger. Mon père a sorti deux livres dans les années 70, avant que Giger ne devienne célèbre. C’était un artiste underground, et il avait sorti ces deux publications amateur, publiées de manière semi-confidentielle. Il avait accroché une affiche de Giger sur un mur, c'est comme ça que j'ai découvert et que suis devenu accro. Je n’ai jamais pu laisser ça de côté, pour moi c’est toujours un genre de super héros. Je ne suis qu’un simple disciple. Je le connais depuis plusieurs décennies maintenant, mais être en contact constant avec son art me donne toujours envie de me jeter à ses pieds. C’est un génie. Il n’a pas un talent habituel ; il a un talent exceptionnel. Je suis en admiration devant lui. Il représente à la fois un miracle et un mystère. J. Bennett joue de la guitare dans Ides Of Gemini et de la basse dans Black Mare. Il n'est pas sur Twitter.