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Music

Que va-t-on bien pouvoir faire de The Cult ?

Ian Astbury a refusé de participer à notre rubrique « Range Tes Disques » et s'est lancé dans une diatribe où se croisent Karl Lagerfeld, Sunn O))), Kanye West, David Bowie et Boko Haram.

Ian Astbury (à gauche) et Billy Duffy (à droite) - Photo : Tim Cadiente The Cult fait malheureusement partie de ces groupes qui peinent à renouveler leur public. En France, lors de ses concerts, vous avez de grandes chances de ne croiser que des quarantenaires ne jurant que par Dreamtime et Love, les deux premiers albums post-punk/gothico-romantiques sortis par la paire Astbury/Duffy. Aux États-Unis, il s’agira plutôt de nostalgiques de la période hard rock du groupe, marquée par deux disques majeurs ayant connu un succès phénoménal outre-Atlantique : Electric, produit par Rick Rubin, et Sonic Temple, réalisé par Bob Rock. Une situation injuste, tant The Cult a toujours su évoluer et s’adapter à l’époque sans jamais rien perdre de son identité. Pour preuve, les récents Born Into This (2007), Choice of Weapon (2012), et aujourd’hui Hidden City, qui n’ont absolument rien à envier à leurs prédécesseurs 80’s et early 90’s. D’ailleurs, Ian Astbury vit dans le présent, et surtout pas dans le passé. Ce qu’il nous fait bien comprendre d’entrée de jeu, avant de se lancer dans tout un tas de réflexions sur la musique et la société actuelle, dans lesquelles se croiseront, entre autres, Karl Lagerfeld, Sunn O))), Kanye West, David Bowie, Boko Haram et Francis Bacon.

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Noisey : Cette interview est pour notre rubrique « Range Tes Disques », dans laquelle on demande à un artiste de classer les albums de son groupe, de celui qu’il aime le moins à celui qu’il aime le plus, et d’expliquer son choix, tu es OK ?

Ian Astbury :

Non.

[Rires]

C’est nul, tristement classique. Je croyais que

Vice

était un média progressiste…

Écoute, vous avez un parcours assez long, riche et très diversifié et cette rubrique intéresse généralement beaucoup les lecteurs. Après, si tu ne veux pas, pas de problème…

Je déteste la nostalgie, je ne suis pas quelqu’un de nostalgique, ce qui m’intéresse, c’est le présent et aller de l’avant. Et puis franchement, classer mes albums de celui que je préfère à celui que j’aime le moins, je ne peux pas.

Cette rubrique n'a rien de nostalgique, elle permet juste de parler des dessous de chaque disque et des impressions d'un ou plusieurs de ses auteurs, mais si tu le vois comme ça, je ne vais pas te forcer. Parlons du nouvel album, Hidden City, alors. En quoi constitue-t-il une trilogie avec les deux précédents, puisque c’est la façon dont les choses sont présentées ? Vu qu’après Born Into This vous aviez annoncé ne plus vouloir sortir d’album, cette histoire de trilogie n’était pas donc pensée dès le début…

Eh bien, déjà, il s’agit des trois albums que The Cult a sortis au 21e siècle [

visiblement, il a complètement oublié

Beyond Good and Evil

sorti en 2001

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]. Durant les deux années précédant

Born Into This

, The Cult était en pause. J’ai beaucoup tournée avec Ray Manzarek et Robby Krieger [

pour les Doors Of The 21st Century

] à l’époque, une expérience vraiment unique et enrichissante à plein de niveaux pour moi. Je me suis aussi lancé dans énormément de projets, pas seulement musicaux, puis je suis parti en Himalaya. C’est là-bas que j’ai repris contact avec Billy, et que nous avons commencé à échanger des idées par e-mails. Tout ça alors que je contemplais ces paysages fabuleux. Je considère

Born Into This

comme l’album de la résurrection de The Cult. Quel âge as-tu ?

40 ans.

OK, donc tu vas sûrement comprendre ce que je vais t’expliquer. La vie fonctionne par cycles, et quand tu arrives à 40 ans, tu te redécouvres toi-même, c’est un nouveau départ. C’est ce qui s’est passé pour nous à cette époque. On a fait appel à Youth [

producteur de renom et bassiste de Killing Joke

] pour produire l’album, et nous l’avons composé et enregistré en 36 jours. Étalés sur deux mois, mais 36 jours de travail en tout et pour tout. C’est très peu. Pour

Choice of Weapon

, on a pris plus de temps. On a d’abord travaillé avec Chris Goss [

producteur de Kyuss et Queens Of The Stone Age et leader de Masters Of Reality

] qui a beaucoup contribué à l’évolution du groupe. Son studio est très intimiste, l’ambiance est particulière. Mais au bout d’un moment, nous avons épuisé cet environnement et nous avons fait appel à Bob Rock, une tout autre personnalité que Chris. Pour

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Hidden City

, on a pris encore plus de temps, principalement parce que Bob, avec qui nous avons choisi de bosser de nouveau pour la cinquième fois, travaillait sur d’autres projets en même temps. À un moment donné nous avions 30 chansons en chantier, puis les six dernières semaines nous n’en avons gardé que douze.

Sur l’album, il y a ce morceau, « Dance The Night », très différent des autres car relativement joyeux…

[

Rires

] Joyeux ?! J’adore… Pourtant, je ne suis pas particulièrement joyeux… La plupart des gens trouvent les albums de The Cult assez… dark en général. Je ne sais pas toi, mais moi je voyage beaucoup, et je constate à quel point l’homme est déconnecté de la nature, de la réalité. L’être humain est tellement paumé. Regarde la plupart des gens que l’on célèbre aujourd’hui. C’est triste. Chaque jour est une épreuve… « Dance the Night » parle du fait de « disparaître » dans un night-club, de se perdre dans la musique. C’est un autre monde, une libération à travers la danse, l’expression corporelle. J’ai toujours aimé la musique de club. Donc oui, c’est une chanson beaucoup plus légère que « Deeply Ordered Chaos » par exemple, mais qui n’est pas sans rapport avec les autres.

À propos de « Deeply Ordered Chaos », son titre t’a été inspiré par les œuvres de Francis Bacon, c’est ça ?

En Australie, j’ai visité une exposition rétrospective de l’œuvre de Francis Bacon. Et voir tous ces tableaux ensemble te donne cette impression de « chaos organisé » dont il parlait souvent, et qui reflète bien le monde. Notre monde est chaotique, mais il l’a toujours été et le sera toujours, c’est dans l’ordre des choses, c’est un chaos organisé.

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Ce que j’ai toujours aimé avec toi, c’est que tu as su rester très curieux. La grosse majorité des musiciens, et encore plus lorsqu’ils ont dépassé la trentaine, semblent ne plus s’intéresser à rien, et se contentent d’écouter les quatre ou cinq groupes les ayant marqués durant leur jeunesse. Toi, tu t’es toujours intéressé à l’art, aux groupes actuels, aux nouvelles tendances…

Le discours récurrent de la plupart des musiciens que je côtoie depuis longtemps, c’est : «

la musique

craint aujourd’hui, il n’y a plus rien de bien, blah blah

». Putain, je trouve que de fabuleux disques sortent actuellement. J’adore Jamie XX, FKA Twigs, Sunn O))), The Black Ryder, le groupe de ma femme [

Aimee Nash

], leur musique est fabuleuse, belle et dramatique. Mais bon, depuis un moment, je n’écoute plus que du hip-hop et David Bowie chez moi.

Blackstar

est un disque important dans ma vie en ce moment, il est incroyable. Je suis un gros fan de Kanye West, j’ai vraiment hâte d’écouter

Waves

. J’aime Pusha T aussi… Sinon, en musique à guitare, j’ai vraiment envie d’écouter l’album d’Iggy Pop avec Josh Homme, les deux morceaux que j’ai entendus sont excellents. C’est ce qu’il fallait à Iggy, de nouveaux musiciens. Iggy vieillit bien. En parlant de ça, je suis curieux de voir comment toute cette génération va vieillir, comment ces gens vont réagir quand ils ne pourront plus poster des photos d’eux sur Instagram et paraître cool.

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La peur de vieillir n’a jamais été aussi forte que maintenant, c’est clair. C’est le règne du jeunisme.

La peur ? Tu veux dire l’absolue terreur de vieillir ! Ces gens sont terrifiés par le fait de vieillir. Je ne sais pas, la plupart des artistes que j’adore ont eu besoin de vivre des expériences pour créer, pour enrichir leur œuvre. Jodorowsky par exemple. La musique est ma passion principale, mais je m’intéresse à beaucoup d’autres choses, j’adore voyager. J’adore Paris, j’adore Londres, j’adore Tokyo et j’adore Los Angeles, qui vit d’ailleurs une véritable renaissance en ce moment, au niveau culturel comme spirituel. Plein d’institutions spirituelles se sont implantées à côté de chez moi. C’est nouveau, et c’est un signe que la ville est en train de vivre un nouveau départ. À Los Angeles, les gens sont proches de la mer, proches du désert, l’endroit est propice à la spiritualité. New York, elle, est devenue une ville tellement chère que les artistes ne peuvent plus y vivre. Ils déménagent donc à Los Angeles, d’où ce nouvel essor. J’ai emménagé à New York en 1984. Puis la ville a énormément changé, des années 80 au 90, puis encore plus des années 90 à maintenant. J’ai toujours voulu vivre là-bas, principalement pour l’art. Mais l’art a été expulsé de New York, par la gentrification, par la hausse des loyers. Mais sinon, je suis un nomade, je n’ai pas d’attaches spécifiques, j’aime bouger.

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Les autres membres du groupe sont-ils aussi curieux et ouverts que toi ?

[

Rires

] Oui oui, ils sont très curieux, mais disons que nous n’avons pas les mêmes centres d’intérêt. Et leur principal centre d’intérêt en tournée, c’est… les femmes. Dans ce domaine, ils sont avides de découvertes, c’est sûr. [

Rires

] Aucun de nous n’a la même vie. Je suis marié avec une femme incroyable. Quand on tourne, j’aime faire le tour des galeries d’art, et plus généralement des endroits où je peux croiser des gens créatifs, pour me ressourcer. C’est pour ça que j’aime Paris. Dans cette ville, je suis toujours envahie par cette impression de culture progressiste, avec de nouvelles idées partout. Et en plus, marcher parmi tous ces monuments me donne le sentiment de baigner dans l’atmosphère de l’époque de… Rimbaud, par exemple. En ce moment, je lis justement le livre d’une Française, Alexandra David-Néel, une exploratrice du 19e siècle, spécialiste du Tibet… J’ai hâte de revenir en France. On va sûrement jouer à Paris cet été.

J’allais te demander…

En Europe, on joue principalement en festival, ce sont les jalons de la tournée. Mais à côté, on essaye de caler quelques dates. Je crois qu’on ne participe à aucun festival français, j’espère donc pouvoir jouer à Paris.

Ian Astbury est toujours à gauche, Billy Duffy toujours à droite et la photo est toujours de Tim Cadiente.

Allez-vous jouer beaucoup de morceaux du nouvel album ? Car la fâcheuse tendance qu’ont les groupes avec une discographie conséquente, c’est de n’interpréter qu’un ou deux morceaux du nouvel album, et toujours le même best of composé de classiques de leur âge d’or…

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On a prévu d’en jouer quatre ou cinq. Après, on doit toujours essayer d’équilibrer la setlist… On va jouer de tout, de Death Cult [

le groupe proto-The Cult dans lequel on retrouvait déjà Astbury et Duffy

] au dernier album en passant par

Love

,

Electric

,

Sonic Temple

… Un morceau de

Ceremony

aussi, « Wonderland ».

Je suis un gros fan de l’album Beyond Good and Evil, grand oublié de vos setlists en général…

Je sais… Pourtant j’adore jouer « The War » ou « Ashes and Ghosts », mais les autres membres du groupe, non… Je crois qu’on n’a jamais joué « American Gothic » live…

C’est dingue, je n’ai jamais compris pourquoi. Autour de moi, de nombreux fans considèrent ce morceau comme l’un de vos meilleurs… Je t’assure !

Bon, je vais te le chanter alors… [

il chante le couplet

] [

Rires

] Je vais en parler à Billy lors de la prochaine répète. Tu sais, déjà, contenter tous les membres d’un groupe avec une setlist, c’est l’enfer. Alors le public… Quand tu viens à un concert de The Cult, tu t’attends à ce que soient joués certains classiques, et on doit prendre ça en compte. Un disque correspond à un moment de ta vie, puis tu changes. En ce moment, évidemment l’album dans lequel je me retrouve le plus, c’est

Hidden City

, c’est celui que j’ai envie de jouer. Même si pour tout te dire, ma tête est déjà ailleurs, je travaille sur de nouveaux morceaux, de nouveaux projets.

En 2004, tu avais annoncé la création d’un nouveau groupe, Warriors Of The Mystic Plains, mais rien n’a vu le jour puisque vous avez relancé The Cult. Qu’as-tu fait des morceaux composés à cette époque ?

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Tu me parles de Warriors Of The Mystic Plains ? [

Rires

] Wahou, j’adore… Où as-tu été trouver ça ?! Tu sais, j’ai vingt noms pour autant de projets différents. C’est marrant que tu me parles de Warriors Of The Mystic Plains, car c’est justement devenu le nom d’un de mes autres projets, plus en rapport avec la mode. Je confectionne des vêtements, des sacs, j’adore ça. Tu sais, faire de la musique te prend tout ton temps. Sortir un album, tourner ensuite, ça représente un an et demi de ta vie. Et le temps est précieux. Je fais de la musique, je réalise des films, je crée des vêtements.

Quand j’ai eu l’idée des capsules pour The Cult [

en 2010, le groupe ne voulait plus sortir d’album, mais uniquement des singles appelés « capsules » sous divers formats : CD, vinyle, clef USB, avec à chaque fois deux nouveaux titres, des morceaux live, des courts-métrages expérimentaux

], le concept était de sortir deux nouveaux morceaux tous les quatre mois. J’aimais cette idée, je trouvais qu’elle était bonne. Maintenant, certains groupes sortent une nouvelle compo toutes les semaines… Putain, mais comment font-ils ? Là, avec ce projet, Warriors Of The Mystic Plains, je veux « encapsuler » à la fois film, musique et mode au sein d’une même sortie. Les trois sont chacun une partie d’une même histoire, mais qui évolue en permanence. Quand je vois Karl Lagerfeld, il a cette capacité à être impliqué dans tant de projets à la fois… Et pourquoi pas ? Il n’y pas de règles… La culture rock traditionnelle veut que tu portes un t-shirt noir, pour « intégrer l’armée » et tu ne dois surtout pas sortir du rang.

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Oui, c’est tout à fait ça…

C’est une armée. Et je n’ai pas envie de m’engager. Warriors Of The Mystic Plains est un projet qui n’existe que dans le monde virtuel, la musique sera digitale, et il n’y aura pas de tournée. On verra bien ce que ça donne. De toute façon, les gens commencent à se plaindre, à trouver que les places de concert sont trop chères. Je suis d’accord. Elles sont trop chères, bien trop chères. Mais il est difficile de baisser les prix maintenant, tout est devenu trop coûteux. Là, dans quelques jours, on joue à New York. Et juste parce que c’est la fashion-week, les chambres d’hôtel sont à 500 dollars la nuit. 500 dollars ! C’est dingue !

Quand on tourne, nous sommes dix-huit personnes. Et on doit payer les trajets en avions, les coûts de production, etc. La plupart des groupes rock tournent sans emporter d’amplis maintenant. Dans le hip-hop, il n’y a pas tous ces problèmes logistiques. Et ne parlons même pas des DJ ! Ils emportent leur flash drive, et le tour est joué. Il n’y a plus qu’à brancher. Souvent, ils ne se fatiguent même pas à la brancher. [

Rires

] Ils se contentent de lever les bras et de sauter sur place. C’est comme ça.

Tu parlais des « capsules » tout à l’heure. Effectivement, après Born Into This, tu avais déclaré ne plus vouloir sortir d’album, que ce format était mort. Pourquoi as-tu changé d’avis ?

Parce qu’on bosse avec un label, et que les labels réclament des albums. Et ce pour plein de raisons. Pour le pressage et la distribution d’abord, car il est moins coûteux de presser et distribuer un album que cinq EP. Pour la promo aussi, plus facile à organiser après une seule sortie. Puis pour les coûts d’enregistrement, etc. Et on ne veut pas s’autoproduire, c’est trop de boulot, du 24h sur 24h pour un groupe comme The Cult. C’est un taf dingue, tu n’as plus de vie. Quand on a décidé de continuer, tous les labels avec lesquels nous avons été en contact nous ont sorti la même rengaine : «

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On veut un album, on veut un album, on veut un album.

» Et même les fans : ils ne réclamaient pas de capsules, mais un nouvel album. On a dû s’y plier. Bon, tu vois, je suis content que David Bowie ait sorti un nouvel album, mais il n’y a que sept morceaux dessus. Un disque de sept morceaux ça me semble bien. Je reste convaincu que sortir plus souvent des disques avec moins de titres reste la bonne formule. Il est plus facile de se concentrer sur la composition de sept chansons que de douze. Ou alors des albums comme

Low

, ou

Heroes

, avec une bonne moitié de morceaux instrumentaux…

On m’a dit que vous ne vouliez pas accorder d’interview à la presse rock et hard rock. C’est vrai ? Ça vient de vous ou de votre management ? Dans ces cas-là, on ne sait jamais trop…

Non, c’est vrai, et ça vient de nous… Mais tout dépend de quel magazine vient la demande aussi… J’ai beaucoup été interviewé par la presse rock et hard rock. Tu connais le milieu… La plupart de ces journalistes se sont engagés dans l’armée, celle dont on parlait tout à l’heure. Ils veulent que tu restes le même, que ton groupe ne change pas. Je me suis retrouvé à me prendre la tête avec certains d’entre eux. Une rétrospective de ma carrière ? C’est nul, ce n’est pas intéressant, ça ne m’intéresse pas. Ces gens ne veulent qu’une chose : que Metallica enregistre encore et encore le même disque. Certains se foutent donc de ton nouvel album. On leur a demandé de t’interviewer, mais ta musique ne les intéresse pas, ou plus. À quoi bon ? À quoi sert cet échange ? Et autre chose : le metal est une musique que j’apprécie, mais The Cult a trop longtemps été associé à ce genre, justement à cause de notre présence dans ces magazines. Pourtant, nous n’avons jamais été un groupe metal. Tu connais Sunn O))) ?

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Bien sûr.

J’adore Stephen et Greg. Leur album avec Scott Walker est fabuleux, « Brando » est l’une de mes pièces de musique préférées de ces dernières années, et le nouveau Sunn O))),

Kannon

, est fabuleux. Eux aussi se trouvent souvent catégorisés metal. Sont-ils un groupe metal ? Je ne pense pas. Un groupe expérimental, avant-gardiste, ça c’est certain. C’est de l’art. En tant qu’artistes, ils sont aussi importants que Francis Bacon ou David Bowie. Après, on joue aussi dans de nombreux festivals metal, et j’apprécie. Je me souviens de l’un d’entre eux dans lequel on partageait la même scène qu’Iggy Pop, et la tête d’affiche était Iron Maiden, et j’ai trouvé que c’était un bon mélange. Tu sais, mon groupe s’appelle The Cult. The Cult ! Et par les temps qui courent, je te garantis que ça n’ouvre aucune porte. On a du mal à jouer dans certaines salles rien qu’à cause de ça. Tu vois, il nous a fallu attendre 2014 pour être à l’affiche de Coachella. Justement à cause du genre de musique auquel on nous associe. Pourtant, nous avons des morceaux post-punk, hard rock, blues, punk, psyché… Et même, sur

Hidden City

, prends le morceau « Sound and Fury ». C’est du rock pour toi ? Il est principalement basé sur le piano et la voix…

Pour en revenir à la presse, il y a quelques années, j’ai fait une interview avec

Mojo

. Le résultat ? Un article révisionniste sur le groupe. Inutile. De la connerie. Une perte de temps. Je n’ai pas envie qu’on me demande : «

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Comment c’était de tourner avec Guns N’ Roses, combien de bières buviez-vous backstage ?

», etc. Qui ça intéresse ? Je respecte nos fans qui aiment le hard rock, le metal, mais j’ai toujours considéré The Cult comme un groupe pour les outsiders, pour tous ces gens qui n’aiment pas porter d’uniforme. Tout le monde est le bienvenu à nos concerts, pas besoin de porter d’uniforme. Si tu es fan de rap et que tu veux vivre une expérience différente, tu es le bienvenu. Les temps ont bien changé. Quand j’ai vu Jay Z au Madison Square Garden, tous ses musiciens étaient habillés en noir, comme ceux d’un groupe rock ou metal, et les amplis étaient des Marshall. La dernière fois que j’ai vu Travis Scott, il était accompagné d’un guitariste avec une Les Paul blanche. On retrouve les codes culturels du rock partout, même dans le rap. Les rappeurs portent des blousons en cuir noir. OK, des blousons en cuir Yves Saint Laurent, parce que la mode a aussi récupéré le style rock depuis bien longtemps. Mais peu importe, car le blouson en cuir garde cette « mystique rock ». Les codes des tribus musicales tels qu’on les connaissait au 20e siècle sont en train de changer, ils ont déjà changé.

Tu as toujours défendu cette idée du mélange des cultures musicales, notamment avec le festival Gathering Of The Tribes que tu as monté avec Bill Graham en 1990…

L’idée initiale de ce festival était de faire jouer N.W.A. et Guns N’ Roses sur la même scène

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.

Au final, on a eu Ice-T, Queen Latifah, Iggy Pop, Soundgarden, The Cramps, Indigo Girls, Steve Jones, The Mission. Une affiche très variée. À l’époque, le hip-hop était encore une musique marginalisée… Le prix des billets était de dix dollars. Dix dollars ! Et de Greenpeace à Rock The Vote, toutes les associations caritatives étaient présentes sur le site. Bill et moi étions des visionnaires sur ce coup. Certaines personnes y ont vite vu un moyen de se faire du fric. Et l’année suivante est apparu le Lollapalooza. Maintenant, ils se font 20 millions par jour et il n’y a plus aucune idéologie derrière.

La grosse majorité des festivals ne soutient aucune idéologie, si ce n’est celle de l’argent. Il n’existe que très peu de festivals à visée socio-politique ou environnementale. Après, en tant que groupe, on peut difficilement ne pas participer à ces évènements commerciaux. On essaye de faire attention, de ne pas jouer n’importe où non plus. Mais je dois souvent me battre pour faire valoir mes opinions, me battre contre mon management, contre les autres membres du groupe. C’est compliqué. Il est difficile d’être un artiste avec une certaine éthique au 21e siècle. Je ne suis pas du tout obsédé par le succès, mon style de vie n’est pas excessif, mais j’ai besoin d’argent pour mener à bien mes différents projets.

Tu penses que la plupart des artistes actuels ne sont pas assez engagés, qu’ils n’ont pas d’éthique ?

Le problème, c’est surtout leur incapacité à présenter les choses de façon à ce qu’elles aient de l’impact. Aujourd’hui, c’est difficile. Regarde sur quoi se focalisent les médias. On a cette chanson sur le nouvel album, « G O A T », pour « Greatest Of All Time ». Elle raconte une baston dans la rue. Un mec se tient debout dans un bus et crie «

je suis le meilleur de tous les temps

». Quelqu’un se lève et lui dit : «

non, ce n’est pas vrai

». Et ça se termine à coups de poing. Regarde, le clash entre Kanye West et Wiz Khalifa de ces derniers jours, c’est un peu ça. Tous les médias ne parlaient que de ce putain de clash par compte Twitter interposés ! Mais merde, au même moment, au Nigéria, Boko Haram massacrait tout un village en quatre heures. Et les médias n’en avaient que pour Kanye West ! J’adore Kanye, je suis un gros fan, j’aimerais bosser avec lui, mais putain…

Heureusement, certains artistes sont engagés. Chris Goss, par exemple, est impliqué dans un programme en Australie pour extraire le plastique, le mercure et d’autres saloperies de l’océan. C’est ce dont je parle sur l’album, dans « Hinterland ». Quant à « Deeply Ordered Chaos », c’est notre hommage aux victimes des attentats de Paris de l’an dernier. Raconter combien je suis génial ne m’intéresse pas. Je ne suis pas « le meilleur, le plus génial ». Je suis juste un mec normal, un citoyen, comme tout le monde. Je fais mes courses au supermarché, je sors mes poubelles moi-même, je trie mes déchets, j’ai les mêmes problèmes existentiels que tout le monde, les mêmes limites physiques et mentales. Et j’adore les gens, j’adore la vie, j’adore l’art.

Olivier Drago aime tellement l'art, lui aussi, qu'il est rédacteur en chef de

New Noise

, un magazine auquel vous devriez, en toute logique, être abonnés.