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Personne n'arrêtera jamais les Swans

Michael Gira vient d'avoir 60 ans mais ce n'est pas ça qui va l'empêcher de déplacer les volcans à mains nues.

Les Swans ont joué il y a quelques jours au National de Montréal pour la sortie de leur nouvel album, To Be Kind. Je fais partie de cette nouvelle génération de fans des Swans qui a découvert le groupe depuis sa reformation en 2010, et leur concert m'a fait l'effet d'un coup de pied en pleine face : c'était violent, euphorique, écrasant, et plus impressionnant que tout ce que j'ai pu voir sur scène au cours des 10 dernières années. Pas que les Swans soient meilleurs que les autres groupes, non. Juste qu'ils sont radicalement différents. Malgré les acouphènes, j'ai pu rencontrer Michael Gira après le concert pour essayer de comprendre en quoi les Swans étaient si différents des autres, et ce qui le poussait, lui et sa clique, à molester son public à travers le monde, année après année, décennie après décennie. Noisey : Le concert auquel je viens d'assister était une expérience extrêmement physique. Tout au long de votre parcours, vous avez toujours favorisé les performances extrêmes, parfois au détriment des morceaux. C'était un parti-pris ?
Michael Gira : Pour être honnête, je n'ai toujours été guidé que par mon intuition. Ce n'est ni un choix esthétique, ni un choix réfléchi, je me suis contenté de travailler avec des personnes que j'appréciais et avec les sonorités qui me plaisaient, en essayant de pousser cette expérience vers l'extrême. Je pense que j'aime expérimenter, j'aime être submergé par l'extrême et par le bruit. C'est sans doute un reste de mon adolescence hippie dans les années 60, et des drogues qu'on prenait tous à l'époque.

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On vous a souvent rattaché à la scène punk et post-punk, mais il semble que vous n'y ayez jamais vraiment adhéré, que vous étiez plus dans le sillon de Throbbing Gristle.

Oui, je m'identifierai sûrement plus à eux qu’au reste. On utilise des instruments plus destinés au rock, mais c'est tout. J'aime beaucoup le travail et la musique de Genesis P-Orridge, c'est un ami – pas forcément proche – mais c'est aussi un héros moderne, dans sa façon d’aborder la vie. Il en fait une sorte d'expérience protéiforme, basée sur l’exploration personnelle et la découverte de soi, faisant fi des embûches et des difficultés. C'est une personne exceptionnelle. J'étais peut-être attiré par eux parce que je ressentais déjà tout ça dans leur musique, dès le début. Musicalement on ne leur ressemble pas du tout, mais je pense qu'on est animés par la même volonté.

À l’inverse, les groupes punk étaient, malgré leur discours, plutôt conformistes.
Oui, toute cette scène est très vite devenu extrêmement conformiste. Moi j'étais plus dans le punk des débuts – même si je ne sais pas si on peut vraiment parler de punk – Patti Smith, Television et des groupes anglais comme Wire. C'était peut-être plus du post-punk? J'ai traîné dans la scène punk de Los Angeles, mais elle s'est vite avérée être conformiste et surfaite. Pour moi, tout ce qui a suivi juste après le punk, tout ce punk à moitié hardcore ou les groupes qui s'en réclamaient, c'était une grosse blague.

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Sans vouloir aller trop loin dans l’analyse, j'ai lu que tu avais passé une bonne partie des années 60 à parcourir l'Europe, à dealer de la drogue et à traîner avec des hippies purs et durs, pour finir par passer l'anniversaire de tes 16 ans, en 1969, dans une prison israëlienne. Pendant ce temps, la plupart des kids de ta génération devaient être à Woodstock ou sur Sunset Boulevard à faire du yoga et prendre du LSD. Cette expérience a-t-elle forgé tes opinions sur la rébellion et les contre-cultures quand tu es retourné aux États-Unis, ou bien je vais trop loin ?
Je pense que tu vas un peu trop loin. Mais ça a vraiment forgé mon identité ces voyages et ce séjour en prison. Ça a modelé ma vision du monde et de l’existence, j'ai compris ce qu’était l'urgence, la nécessité de vivre selon ses aspirations, mais aussi le poids et la force du temps. Quand tu es enfermé dans une pièce, le temps se matérialise, et tu te rends alors pleinement compte de son importance.

Tu as traversé de nombreuses époques avec les Swans. Tu remarques des différences entre le public des années 80 et 90 et celui d'aujourd'hui ?
Oui. Je pense que c'est à cause d'Internet, les gens sont plus informés, ils savent qui nous sommes et savent plus ou moins à quoi s'attendre à notre sujet. Ils comprennent mieux ce quon fait, notamment sur scène. C'est plus facile aujourd'hui de toucher notre public, bien plus facile qu'auparavant, quand des centaines de personnes se pointaient sans vraiment comprendre notre démarche. Aujourd'hui, le public est plus impliqué et les réactions plus positives. Je ne parle pas d'applaudissement ou des gens qui viennent te dire que c'était super, mais on sent qu'ils particpent vraiment à l'expérience, au même titre que nous, et qu'ils sont vraiment contents d'être là.

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À l'inverse, dans les années 80 et 90, on ressentait beaucoup d'hostilité, les gens étaient souvent choqués. Ce n'était pas mon objectif, et une grande partie des gens qui venaient nous voir en concert ne le comprenaient pas. C'est cool de voir que les gens savent aujourd’hui à quoi s'attendre, et adhèrent à cette expérience en nous rejoignant dans ce cyclone sonore.

Vous vous êtes séparés à la fin des années 90. Tu souhaitais te consacrer à ton projet solo Angels of Light, mais cette séparation n'a t'elle pas aussi été une réaction de ras-le-bol face à, justement, toutes les fausses idées que les gens se faisaient sur les Swans, qui étaient considérés comme un groupe provocant, obscur et violent ?
[Rires] Il y a eu de nombreuses raisons à cette séparation. Déjà on était exténués, physiquement. Je ne crois pas avoir pris une seule pause en 15 ans, depuis les débuts du groupe. Jamais de break, jamais de vacances, je travaillais tout le temps, 24h/24. Les Swans, c'était toute ma vie, et je n'en ai jamais tiré énormément d’argent, donc je devais travailler plus que tout le monde dans ce putain de business pour vivre. Et après 15 ans à vivre comme ça, j'étais exténué mentalement, spirituellement, physiquement et psychiquement.

Mais oui, ce cliché dans lequel était enfermé le groupe a beaucoup joué également. J’avais l’impression d’être pris au piège, et c'est encore valable aujourd'hui. Même quand j'ai formé Angels of Light, j'avais ce poids sur les épaules. Les gens ont toujours ces préjugés aujourd'hui, surtout dans la presse anglaise, ils mettent toujours en avant la puissance, la noirceur et la violence de notre projet, et je trouve ça affreusement stéréotypé.

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Puisque tu parles de la presse, je suis curieux de savoir ce que tu penses du fait qu’elle cite souvent les Swans comme étant à l’origine de choses comme le grindcore ou…
Quoi ? Putain non ! [Rires]

Ça te dérange à ce point ?
[Rires] Si c'est moi qui ai créé tout ça, je demande ma mise de mort immédiate. Mais non, ce n'est pas moi. Je suppose que certaines personnes, ou les médias, interprètent certains aspects de la musique, les triturent et en font un truc complètement débile.

Tu penses que c'est parce que les gens se bornent à ne s'intéresser qu'à des éléments superficiels plutôt que d'avoir une vue d'ensemble ?
Oui, parce que le son des Swans a bien changé depuis nos débuts et il continue de changer. En permanence. Certains artistes sont sûrement influencés par des périodes précises de notre carrière, mais je n'ai jamais entendu personne qui se disait influencé par Swans faire quelque chose de décent, donc bon…

Qui pourrait être le contemporain de Swans aujourd'hui ?
Il y a certains groupes que j'admire, comme The Necks ou Carla Bozulich, mais qui pourraient être nos contemporains aujourd'hui…? Tu veux dire nos contemporains chez les vieux ? [Rires] Des groupes du 3ème âge ? [Rires] Je ne sais pas. On a toujours dit qu'on n'était à l'aise dans aucune catégorie. On ne s'est jamais sentis d’appartenance à aucune scène, à aucune communauté de musiciens.

Comment tu te sens en tant qu'artiste en 2014, par rapport au moment où tu as commencé ? C'est plus difficile, plus facile ? Tu trouves que les scènes indépendantes plus intéressantes aujourd’hui ou bien tu penses qu’elles étaient meilleures il y a vingt ans ? Ou bien que tout est juste différent ?
C’est toujours dur de faire une musique qui n'est pas destinée à être écoutée et appréciée par les masses. Il faut trouver un moyen de survivre, et je n'ai aucun conseil là dessus à donner aux groupes d'aujourd'hui. Il y a peu d'espoir, par définition [Rires]… ce que je pense de la scène indépendante actuelle ? Rien. Et je n'en ai jamais rien pensé [Rires]. J'aime la musique de certains groupes, que je respecte, et ça a toujours été comme ça.

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Mais depuis votre retour, vous avez été acclamés unanimement par la critique pour The Seer et encore plus avec To Be Kind. Vous avez été catégoriques dés le départ : pas d’anciens morceaux sur scène. Si vous l'aviez tout de même fait, ça aurait contraire à ce que représentaient les Swans ? Ça revient un peu à dire « si vous venez au concert pour entendre nos anciens morceaux, alors vous n'avez rien compris aux Swans ».
Comme je l'ai déjà dit, je pense que les gens viennent aujourd'hui nous voir pour vivre une expérience unique, pas pour assister à une répétition de quelque chose qui a déjà été fait par le passé.

C’était une façon de se détruire l’ancienne image du groupe, que tu as évoqué tout à l’heure ?
Non, enfin si, bien sûr. Mais je ne me sentais pas d'attaque à reprendre tout notre répertoire. Ça aurait été comme mettre un vêtement qui n'est plus à ta taille. Je suis quelqu'un de différent maintenant. On reprend quelques vieux morceaux en concert, on a fait une chanson de The Seer (« The Apostate ») qui, pour nous, est déjà une vieillerie, alors que l'album n'a qu'un an et quelques [Rires] On jour aussi quelques morceaux du nouvel album auxquels on n'est pas encore habitués. Je n'ai pas eu le temps de mettre un concept en place pour ces nouveaux titres. Mais notre tournée va durer 18 mois, on va donc pouvoir mettre en place de nouveaux procédés, et virer les anciens.

Au moment de la reformation des Swans, vous êtes passés par le crowdfunding, l'argent des seules ventes d'albums n’étant pas suffisant à financer un nouvel enregistrement. Ça a changé votre rapport au public ou à l'enregistrement ? Vous ne vous êtes pas dit « putain, ça a plutôt intérêt à être bon, parce que tous ceux qui ont aidé à payer, comptent dessus », ou pas ?
En toute modestie, je pense que Young God Records, Angels of Light ou les Swans sont un peu des précurseurs du financement communautaire. Dès les années 1999/2000, on faisait des CD à la main et on les diffusait sur internet à destination de notre public, pour récolter de l'argent pour notre album suivant. On a toujours eu des résultats très positifs. C'est ce que j'ai continué à faire, peut-être de manière plus sporadique. En ce qui concerne les Swans, c'est une nécessité, les albums sont très chers à enregistrer et à faire, et les ventes d'albums sont tellement en baisse qu'on a plus vraiment le choix aujourd'hui. Mais le public a grandi : maintenant on vend 1000 voire 2000 de ces trucs destinés aux fans, et ça nous fait assez d'argent pour payer presque tout l'album. Sinon ça ne change pas grand chose, c'est juste un travail assez physique et parfois épuisant.

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En ce qui concerne l'écriture des morceaux. Je pense que peu de gens réalisent que la plupart des morceaux des Swans -même les plus intenses comme « Oxygen » - sont d'abord des chansons acoustiques qui sont ensuite étoffées par le groupe.
Oui, et c'est la même chose pour « Oxygen ». Je joue de la guitare au pouce, ce qui donne un son assez grave, puis je rajoute par dessus un accord et un groove. La plupart des morceaux sont d'abord écrits pour l'acoustique, on les étoffe ensuite en live ou en studio.

J'ai lu dans une interview qu’à un moment de l’enregistrement, tu t'étais retrouvé seul dans une cabine du studio, que tu avais avalé quelque chose de travers et que tu t'étais étouffé à ne plus pouvoir respirer, à un tel point que tu pensais que tu allais mourir. Tu t'es jeté contre le sol dans l'espoir de le débloquer, et de ça est née une chanson. C'était la dernière version de « Oxygen » ?
Oui [Rires].

C'est exactement ce qu'on ressent en écoutant ce morceau.
C'était vraiment… Je ne dirais pas que ça a complétement changé ma vie, parce qu’une fois l'incident terminé ma vie a repris son cours habituel, mais l'espace d'un instant, j'ai vraiment pris conscience de ma condition d’être mortel. Et que si je ne faisais rien, j'étais condamné. Donc je me suis battu.

Après ça, tu es retourné voir le groupe en studio et tu leur as dit « bon les gars, on va changer un peu Oxygen ».
[Rires] Non, absolument pas. Ça a évolué naturellement.

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Une des choses que j'aime beaucoup sur cet album, c'est la volonté très stricte et catégorique qu’on sent derrière. Tu cherches de nouvelles idées, bonnes ou mauvaises, tu dois prendre des décisions difficiles pour enregistrer un album rapidement, le sortir et continuer à avancer. Ça doit te demander beaucoup de confiance dans ce que tu fais. Tu as des doutes parfois, quand tu sors des choses que tu ne trouves pas satisfaisantes, ou bien tu fais avec parce que tu ne sais pas travailler autrement ?
C'est marrant, ma femme me dit toujours que ce qu'elle apprécie chez ses groupes préférés, c'est qu'ils n'éprouvent aucun remords. C'est une qualité que j'aimerai avoir et que possèdent la plupart des personnes que j'admire. Mais le plus souvent, je ne supporte pas d'écouter ce que je viens de produire, parce qu'avant de l'enregistrer je l'ai déjà entendu une tonne de fois. Donc j'avance. Mais ça me plaît de travailler dur.

Ça fait des années que tu te donnes à ces expérimentations, avec intensité. T'en as pas marre aujourd'hui, à 60 ans, tu n'es pas fatigué ? Je suis resté devant toute la durée du concert, le lendemain, j'étaisexplosé, alors que je me suis contenté de rester debout dans le public.
Chaque os, chaque muscle, chaque tendon et chaque nerf mefait souffrir, en permanence. [Rires]

OK…
Je ne déconne pas ! [Rires] Sortir du lit c'est déjà vraiment difficile, mais c'est aussi à ce moment que je me souviens de notre concert à Montréal – ça a été l'un de nos meilleurs concerts – et je me sens habité par ce truc, par les dieux de la musique, et c'est pour ces moments là que je suis en vie. Donc ouais, ça en vaut la peine.

Tu n’entres pas dans des états d'esprit bizarres après avoir passé autant de temps sur les routes, en tournée ?

Si. Pour moi c'est aussi une quête spirituelle. Pas un truc new age, plutôt une forme de méditation. Tu arrives dans une certain endroit, tu te sens en osmose avec le reste de l'univers et je pense que quand la musique offre tout ce qu'elle a à offrir, cette connexion s'établit également.

Merci de continuer à le faire. Une dernière question, j'ai vu que Xiu Xiu t'avait crédité au chant dans sa reprise de « Under Pressure » de Bowie. C'est vrai ou c'est juste une connerie d'Internet ?
Ouais, bien sûr, on s'est bien marré avec Jamie [Xiu Xiu]. Parfois on me demande de faire des trucs vraiment bizarres, mais je m'en fous. Pour mes amis, je ferai tout. Refuser de le faire, c'est se conformer à tous les préjugés qu'on peut avoir sur les Swans. Mais ouais, c'est bien moi.

Toutes les photos sont de Ben Stas

Steven Viney est écrivain. Il vit à Montreal. Il est sur Twitter. Plus de gens déterminés Attila Csihar de Mayhem a toujours le feu sacré
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