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Music

Stéphane Malfettes, fondateur de SuperTalk, revient sur 60 ans de fanatisme musical

De la KISS Army aux Deadheads, en passant par les Tramps, les Rusties et les Tokitas.

Stéphane Malfettes en T-shirt T-Rex et en visite à Dollywood, le parc d'attraction de la chanteuse country Dolly Parton. Double fanatisme. Photo- Maud Chalmin Directeur de l'auditorium du Louvre, programmateur, conseiller artistique, auteur (il a publié en 2000 Les Mots distordus (Ce que les musiques actuelles font de la littérature) aux éditions Volume et American Rock Trip aux éditions Zones Sensibles en 2012), Stéphane Malfettes s'est également transformé en orateur depuis deux ans. Il a cofondé la « maison de conférences » SuperTalk, qui a déjà proposé une dizaine de conférences interactives en mode stand-up à travers toute la France sur des sujets aussi divers que Le Wi-Fi de l'antiquité à nos jours, Tintin au pays de l'ordre, Quelle est la différence entre une femme ? et la désormais célèbre Peut-on frire de tout ? (le défi culiniare et esthétique des baraques à frites). Je lui ai posé quelques questions sur sa conférence à lui, Fans & Furious, où il revient sur des décennies d'adoration musicale, de Franz Listz à Metallica, et propose un postulat sans appel : « Tous les grands créateurs sont ou ont été fans de quelque chose ». La Beatlemania à l'œuvre. Noisey : SuperTalk a été fondée en réaction à tous ces livres spécialisés et académiques sur la musique ?
Stéphane Malfettes : C’est vrai qu’on peut éprouver un sentiment de lassitude face à l’abondance de littérature sur la musique publiée aujourd’hui… Mais je dois avouer que j’ai, moi aussi, contribué à l’encombrement des rayons des librairies avec le livre que j’ai écrit sur les musées consacrés au rock’n’roll aux Etats-Unis (American Rock Trip, éd. Zones Sensibles, 2012). L’idée de fonder une maison de conférences a d’ailleurs surgi après la sortie de ce bouquin. J’ai été contacté par des festivals et des lieux culturels pour raconter sous forme de conférence mon périple à travers les Etats-Unis. Pour éviter le syndrome prise-de-parole-approximative-avec-support-PowerPoint-qui-fonctionne-une-fois-sur-deux, je me suis associé avec un cador de la programmation multimédia. On a conçu une conférence avec un module assez dynamique d’images et de sons en-veux-tu-en-voilà qui permet de jouer avec le format de la conférence et de privilégier un mode stand-up. La formule a bien marché alors on l’a appliquée à d’autres sujets avec d’autres conférenciers pour aborder des sujets aussi cruciaux que l’esthétique des baraques à frites ou le génie créatif des films de série Z. Si on recrute plutôt des passionnés que des spécialistes purs et durs, c’est pour éviter les registres trop académiques. En quoi consiste la conférence Fans & Furious ? Tu l’as déjà présenté dans une maison d'arrêt, quelles ont été les réactions ?
« Fans & Furious » est une conférence qui explore les mécanismes de la fan attitude musicale par-delà tous les clichés en mettant en relation des exemples issus d’horizons culturels différents (pop music, opéra, art contemporain, cinéma…). La séance que j’ai présentée dans une maison d’arrêt à Rouen a été une sorte d’inoubliable fiasco. J’avais face à moi six détenus d’une vingtaine d’années qui regardaient leurs pompes. Ils étaient assis en rang d’oignons à un mètre de moi mais j’étais obligé de leur parler dans un micro pour rivaliser avec le volume sonore qui règne dans une prison : portes qui claquent, cris en tout genre, etc. Toutes mes velléités de faire participer mon auditoire se sont soldées par de grands moments de solitude. Sur le chemin vers la sortie, un gardien m’a expliqué que les gars n’avaient surtout pas intérêt à faire connaître leurs goûts et encore moins les trucs dont ils sont fans. Dans l’univers carcéral, dire qu’on est fan de Madonna peut vous pourrir méchamment la vie. Poster de l'incroyable film de Ken Russell de 1975 où vous pourrez voir cette non-moins incroyable scène. A quand remonte l’origine du terme « fan » ? Ce phénomène d’adoration est-il antérieur à l’avènement du rock’n’roll ?
Si le terme « fan » est un anglicisme assez récent, le terme « mania » remonte quant à lui au XIXe siècle. En 1844, le poète Heinrich Heine a inventé l’expression « Lisztomania » pour qualifier l’intense ferveur que suscitait le compositeur et pianiste virtuose, Franz Liszt. Un siècle plus tard, la formule connait une seconde vie avec le déferlement de la « presleymania » et autre « beatlemania ». Le rock’n’roll n’a donc pas inventé la fan attitude même s’il en fait le partenaire number one de l’édification de sa propre mythologie. Le phénomène a commencé dans le domaine de l’opéra avec notamment l’engouement collectif que provoquaient les castrats dès la fin du XVIème siècle. Beaucoup d’ex-présidents de fan clubs sont devenus célèbres, Morrissey (pour les New York Dolls en Angleterre), Lars Ulrich (celui de Motörhead aux Etats-Unis) ou Bruce Springsteen, membre revendiqué du fan-club d’Elvis… Tu as une théorie là-dessus je crois.
Ma théorie est d’une simplicité biblique : les plus grandes stars sont avant tout les plus grands fans. Autrement dit, ceux qui font l’histoire des musiques populaires sont avant tout des fans transis. Des exemples et des anecdotes, j’en ai à la pelle… Il suffit de considérer les noms de scène que se choisissent les musiciens pour rendre hommage à d’illustres prédécesseurs : Pink Floyd (noms des bluesmen américains Pink Anderson et Floyd Concil), The Ramones (Paul Ramon était le pseudo de Paul McCartney aux débuts des Beatles), ZZ Top (d’après le nom du bluesman Z.Z. Hill). A propos de ZZ Top… le guitariste Billy Gibbons raconte qu’à l’occasion d’un pèlerinage sur les ruines de la baraque où le bluesman Muddy Waters a grandi, il a ramassé un rondin qu’il a ensuite rapporté à Memphis pour y faire tailler une guitare. Je suis fasciné par la façon dont les héros du rock’n’roll souscrivent sans réserve à la dimension mythologique attachée à leur art et à ses objets. Les armées de fans prises en photo par James Mollison. Est-ce qu’il existe des hateclubs, qui cristallisent une aversion pour certains artistes ?
Sans prendre une tournure aussi organisée, les rivalités entre communautés de fans ont toujours existé, même à l’opéra où les passions peuvent se révéler très exclusives. Des fans de la cantatrice Renata Tebaldi ont ainsi perturbé des récitals de sa meilleure ennemie, Maria Callas, en allant jusqu’à lui jeter des bottes de radis à la place des traditionnelles fleurs qui jonchaient la scène au moment des ovations. Tu as rendu visite à beaucoup de présidents de fan clubs ? Y’a t-il des fan clubs d’’artistes inconnus ou inattendus qui t’ont surpris ?
Mon enquête n’a pas été menée sur le terrain des fan clubs. La seule rencontre que j’ai faite avec un président de fan club je la dois au hasard et c’était le président du fan club français d’Elvis Presley. La caractéristique première d’un fan club est d’être tout sauf surprenant. Je m’explique : le rôle d’un président de fan club et de ses membres consiste à accomplir l’idée qu’ils se font de ce que doit être un fan club. Ils font tous la même chose, à commencer par se donner un nom : KISS Army, les Deadheads du Grateful Dead, les Tramps de Bruce Springsteen, les Rusties de Neil Young, les Tokitas de Tokio Hotel, les Little Monsters de Lady Gaga, j’en passe et des meilleurs. De ce que tu as vu au cours de tes périples, jusqu’où est allé un fan pour son idole ?
Ce n’est certainement pas l’exemple le plus jusqu’au-boutiste ou le plus créatif mais c’est un de ceux qui m’amusent le plus. Un fan est allé jusqu’à remplacer son idole. C’est ce qui est arrivé àTim « Ripper » Owens, chanteur dans un tribute bands du groupe de heavy metal Judas Priest embauché par la formation originale de 1996 à 2003 pour combler le départ temporaire du leader Rob Halford. Un film a d’ailleurs été réalisé à partir de cette histoire, Rock Star de Stephen Herek en 2001. Ce n’est pas un chef d’œuvre du septième art mais je le recommande au moins pour les coupes de cheveux de Mark Wahlberg et Dominic West (le Jimmy McNulty de la série The Wire). Les 12 batteries de Lars Ulrich en miniature et en carton réalisées par l'artiste danoise Rose Eken. Quelles sont les principales différences entre un fan de Michael Jackson, de Iron Maiden ou de Johnny Hallyday ? Y’a t-il une typologie de fans ?
Les différences entre les fans ne sont pas forcément catégorisables en fonction de l’objet de leur adoration. Je préfère en tout cas construire des typologies plus transversales en m’intéressant à certains traits communs. Il y a, entre autres :

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- le fan psychopathe (Mark David Chapeman, assassin de John Lennon) ;

- le fan de base (celui qui scelle un pacte solennel avec son idole et qui est près à tout comme les 7 000 fans français de Johnny Hallyday qui ont été à Las Vegas dans des chartersaffrétés spécialement pour assister au concert que l’ « idole des jeunes » a donné le 24 novembre 1996 à l’Aladdin Hotel Casino) ;

- le fan célèbre (Barack Obama le 21 février 2012 à la Maison Blanche chantant « Sweet Home Chicago » avec BB King, Mick Jagger, Buddy Guy) ;

- le faux fan (sosies, groupies et autres sex slaves comme Pamela des Barres) ;

- Le fan créatif (Rose Eken, une artiste danoise qui matérialise sa passion pour le rock en reconstituant de façon obsessionnelle les instruments de quelques héros musicaux triés sur le volet. Réalisées en carton dans des formats miniatures, ses micro-sculptures fétichistes se comptent par centaines. Elle a ainsi fabriqué tous les instruments passés entre les mains des musiciens de Metallica : les 12 batteries de Lars Ulrich, les 58 basses de Robert Trujillo et les 162 guitares de James Hetfield et Kirk Hammett) ;

- Le fan encyclopédiste (celui qui construit une connaissance empirique à partir de sa passion, qui dessine des « Early Beach Boys Hit Song Topics », des « Beatles graphics », des « Black Sabbath Family Tree » et autres « Heavy Metal Maps ») ;

- Le fan restrictif et/ou élitiste (une logique de distinction conduit certains fans à se passionner pour des trucs totalement inconnus et hyper-pointus). Les Mini KISS Et les tribute bands dans dans tout ça ? Certains ont clairement tendance à ternir l’image des artistes originaux !
La grande affaire des tribute bands, c’est la copie conforme : ils s’ingénient à performer leur enthousiasme pour les monstres sacrés du rock en rejouant leur répertoire sur scène. Ce phénomène des « groupes en hommage à » aurait été inventé en Australie, à l’origine pour pallier à la frustration d’être tenus à l’écart des tournées mondiales des rock stars anglaises et américaines. C’est désormais un genre à part entière qui donne lieu à une théâtralisation au second degré du rock et de ses archétypes. En marge des formations qui se livrent une guerre du faux pour paraître plus vraies que nature, il y a celles qui amplifient délibérément le simulacre et l’illusion carnavalesque de leur entreprise. Parmi ces dernières, figurent en bonne place les all-girl tribute bands, ces groupes exclusivement féminins qui prennent un malin plaisir à faire tomber en quenouille les héros du rock le plus viril : AC/DC (AC/DShe, Helle’s Belles, Whole Lotta Rosie), Led Zeppelin (Lez Zeppelin, Zepparella), Iron Maiden (Iron Maidens), Black Sabbath (Misstress Of Reality), Metallica (Misstallica), Ramones (Ramonas), KISS (KISSexy)… Adeptes des chocs d’altérités postmodernes, les « bootleg tribute bands » provoquent quant à eux des carambolages incongrus entre des entités musicales aussi éloignées que les Beatles et Metallica (Beatallica), ABBA et les Ramones (Gabba), Depeche Mode et Michel Delpech (Delpech Mode). Une dernière catégorie que l’on pourrait baptiser « freak show tribute band » mérite d’être signalée même si elle ne compte à ma connaissance qu’un seul représentant : Mini KISS (groupe de nains fans de KISS). La chambre de Britney Spears reconstituée au Kentwood Museum en Louisiane. Le lien entre fans et musées dédiés à un artiste est-il évident ?
Oui bien sûr, les musées dédiés à un artiste sont avant tout destinés aux fans. Il faut vraiment être fan de Britney Spears pour s’aventurer dans un bled de Louisiane du nom de Kentwood pour visiter le musée consacré à la chanteuse de « Baby One More Time ». Ou alors il faut se lancer le défi un peu stupide de visiter tous les musées de ce genre répertoriés sur le territoire américain. J’en ai visité plus d’une cinquantaine pour écrire mon livre American Rock Trip. SuperTalk a de nouvelles dates en prévision ?
SuperTalk prépare de nouvelles conférences pour la saison prochaine avec notamment Jacqueline Caux sur les bad girls de la musique arabe ou Olivier Maillart sur Tom Cruise (« Est-il l’avenir de l’homme ? »). Notre catalogue compte une dizaine de conférences qui tournent régulièrement : ma conférence « Fans & Furious » sera notamment donné au Lieu Unique à Nantes la saison prochaine. Je viens également de participer à une émission de télé en Suisse (pour la RTS) consacrée aux fans et je me dis que ce sujet mériterait un beau documentaire en rupture avec tous les stéréotypes que brassent à l’envie les chaînes de la TNT. Rod Glacial est fan d'Yves Simon et de Turnstile. Il est sur Twitter - @FluoGlacial