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Stupids et fiers de l'être

On a rencontré The Stupids, les gamins du hardcore anglais qui rêvaient d’être américains à l’ère Thatcher.

Alors que leurs collègues de l’époque portaient crêtes, docs et perfs cloutés, crâne rasé, bombers et jeans bleachés, les Stupids eux, regardaient vers l’ouest, sapés comme les skaters de Dogtown. Du haut de leurs quinze ans, ils ont pris l’Angleterre par surprise, cartonné dans les charts, fait la couverture du NME, et enregistré pour John Peel alors qu’ils étaient encore au lycée. Récemment reformés et toujours en pleine forme, ils nous parlent de leurs teenage kicks, pinheads et érections australiennes. Noisey : Comment se lance t-on dans le hardcore américain lorsqu'on est un gamin qui grandit dans un port anglais ?
Tommy Stupid (batterie/chant) : Tout a commencé dans les pages du magazine Punk Lives. Wolfie Retard, notre futur bassiste, avait passé une petite annonce dans laquelle il disait chercher des fans de punk américain genre Ramones et Dead Kennedys à Ipswich, ma ville. En la lisant, j’ai eu l’impression d'halluciner : je n’étais pas le seul mec de ma ville branché par le punk US ! En 1983, c’était assez rare. Je lui ai écrit et on a commencé une correspondance alors qu’on habitait dans la même ville. On a fini par monter un groupe avec un pote à lui qui faisait office de chanteur et un ami à moi à la batterie. Marty nous a rejoints assez vite.
Marty Tuff (guitare) : On jammait dans la cave des parents de Tommy. Au début, on ne jouait pas du punk, plutôt du heavy metal et des trucs d’Hendrix.
Tommy : Au début, j’étais le seul guitariste mais je voulais qu’on soit deux, j’ai toujours été impressionné par les groupes avec deux guitaristes. J’ai donc demandé à Marty de nous rejoindre. Puis on a viré le batteur et j’ai dû le remplacer. On était très jeunes, on n’avait pas encore quinze ans.
Marty : On était assez disciplinés, on répétait au moins une fois par semaine. Vous enregistrez très vite votre premier EP.
Tommy : On a enregistré une démo avec un des guitaristes des Adicts comme producteur. Comme nous, les Adicts viennent d’Ipswich. En une journée, on a fait douze morceaux. Le mec trouvait qu’on jouait trop vite, il nous critiquait tout le temps. Finalement, il s’est cassé et on a fini la démo tout seuls le lendemain. Ensuite, on a rencontré les gens du label Children Of The Revolution et on a sorti notre premier EP, The Violent Nun avec des titres de notre première démo. On avait rien à voir avec les autres groupes punks de l’époque qui avaient généralement des textes très politiques, pour l’anarchie, contre la vivisection, ce genre de choses… C’est pas très courant un batteur/chanteur dans un groupe hardcore…
Tommy : À l’origine, c’est Wolfie qui se chargeait du chant. Mais au moment d’entrer en studio, il était très mal. Donc j'ai dû m’en charger. On se disait que c’était temporaire et qu’il fallait qu’on recrute un chanteur. On se le dit toujours (rires). Contrairement à vous, les autres groupes punks de l’époque ne brillaient pas par leur joie de vivre.
Marty : Alors que, nous, on parlait des filles, du skate et des elephant men !
Tommy : Le fait qu’on ait été différents a joué en notre faveur : notre démo a été bien accueillie partout. Très vite, on a eu l’opportunité de jouer en dehors d’Ipswich. On a pas eu beaucoup à batailler pour faire ce qui nous plaisait, c’était cool !
Tommy : C'est plus tard que je me suis reconnu dans les messages anarcho-politiques des groupes punks de l'époque. Mais au début des Stupids, j’avais quatorze ans et je vivais la vie d’un gamin de banlieue de la classe moyenne, ce dont parlait le hardcore américain.
Marty : Tom est né en Amérique, il en est parti tout petit…
Tommy : L’Amérique m’obsédait ! Tu t’identifiais aux punks américains dépeints par Penelope Spheeris dans son film Suburbia ?
Tommy : Oui et non. Je ne me sentais pas concerné par leurs histoires de drogue. Mes problèmes, c’était plutôt l’école, faire mes devoirs, ce genre de choses, ha ! ha ! C’était ça, ma vie ! Et vous avez eu une période straight edge aussi non ?
Tommy : À quinze ans, on est assez impressionnable, on suit les modes. Je m'étais pris une sévère biture et je me suis ensuite mis un « X » sur la main. Au bout d’un an et demi, j’ai arrêté. Je pense qu’être straight edge est hors de propos. Libre à toi de ne pas vouloir boire, pas la peine de le claironner partout ! Votre passion pour le skate vient du punk où vous skatiez avant de vous intéresser au hardcore ?
Tommy : J’ai commence à skater en 1977. Mon père m’avait rapporté une planche des États-Unis. Je trouvais cet autre aspect du punk américain vraiment bizarre et intéressant. En plus, ils avaient ces très grosses planches…
Marty : Alors que les skates anglais étaient horribles et impossibles à skater, les planches américaines étaient larges et stables. Vous lisiez Thrasher ?
Tommy : C’était pas toujours évident de se le procurer en 1984, mais j’ai correspondu très tôt avec des Américains. J’avais mis mon adresse sur l’EP et des gens m’écrivaient de partout. Les Américains me demandaient des fanzines anglais, je leur échangeais contre des Thrasher.
Marty : Et des Twinkies, ha ! ha ! Quel type de public aviez-vous au milieu des 80's ?
Tommy : Un public punk classique, on a donné notre premier concert avec Chaos UK et Onslaught. C’était l’époque où tout le monde était influencé par le thrash et le hardcore et se mettait à jouer de plus en plus vite. C’était un phénomène international. En ’83, les gens étaient un peu snobs et méprisaient le punk qui n’était pas anglais. La communauté hardcore a vraiment transformé tout ça et le punk est devenu une scène internationale.
Marty : Le magazine Maximum Rock’n’Roll a eu un rôle essentiel en cimentant tout.
Tommy : C’était la Bible punk. Quand on repense au volume limité d’informations qu’on avait à l’époque et le boulot qu’il fallait faire pour être informé : les gens s’écrivaient des lettres, s’échangeaient des cassettes. Maintenant, tout est instantané !

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Les Stupids en couverture du NME, en août 1987

Quels étaient vos rapports avec The Exploited ou Discharge, les deux poids lourds de l'époque ? Vous les écoutiez ?

Tommy

[

hilare

] : Oui, ces groupes me branchaient, surtout Discharge qui a eu une énorme influence sur moi. Je trouve leurs paroles un peu ineptes, des sortes de pamphlets scandés en boucle mais du point de vue musical, sonique, ils sont fantastiques. Leurs voix, aussi.

Vous alliez voir beaucoup de concerts ?

Tommy

: Ipswich était une ville active musicalement, beaucoup de groupes importants y jouaient comme les Damned.

Vos meilleurs souvenirs ?

Tommy

: J’étais un gros fan des Stranglers et de UK Subs, il s’agit donc très probablement de concerts de ces deux groupes. De Gang of Four, aussi.

Marty

: Moi, c’est Bauhaus.

Et le hip-hop dans tout ça ?

Tommy

: J'en ai écouté grâce à ma sœur qui était branché sur des trucs comme

Rapper’s Delight

mais je m’y suis surtout à la fin des années 80, quand les Stupids ont tourné aux Etats-Unis avec Ludichrist. Leur bassiste bossait dans un studio où enregistraient des artistes de Def Jam. C’est à ce moment que j’ai commencé à écouter à fond Run DMC, les Beastie Boys, Schoolly D…

On arrive à votre premier album, Peruvian Vacation.

Tommy

: Nous l’avons enregistré en quatre jours en 1985. Pour moi, c’est l’apothéose du groupe originel, un vrai travail collectif enregistré en live. Je suis très fier de ce disque, c’est un témoignage de ce que pouvaient faire des gamins anglais de quinze ans qui répétaient dans leur garage.

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Vous étiez toujours à l’école quand vous l’avez enregistré ?

Tommy

: Oui ! J’ai fait le dessin de couverture en cours avec mon pote Clive. Dans le même genre, j’ai dessiné le logo du groupe en cours de géo !

J'imagine qu'en temps que mineurs vous aviez des problèmes pour jouer.

Tommy

: Non, les pubs s’en foutaient et le reste du temps, on jouait dans des salles des fêtes. On n’a donc jamais eu de problème de ce côté-là.

Comment a été reçu Peruvian Vacation ?

Tommy

: Plutôt bien. On est monté assez haut dans les

charts

indés mais on avait quinze ans, ça nous laissait assez indifférents. Ce qui nous intéressait, c’était de savoir comment remettre ça le plus vite possible.

La pochette du EP Van Stupid, en 1987

Vous vous intéressiez aux comics non ? Quand on voit vos pochettes…

Tommy

: J’ai essayé ouais. J’achetais des Archie et des

Sgt. Rock

. J’adore les

comix

hippies comme les

Freak Brothers

ou les BD de Robert Crumb.

Zippy the Pinhead

a eu un impact énorme sur Wolfie. Le concept de

Retard Picnic

, notre deuxième album, est directement inspiré de Zippy. Wolfie était à fond dans le film

Freaks

et dans les Ramones, en particulier leur chanson

Pinhead

.

Marty

:

Retard Picnic

a été enregistré chez un gars qui avait un studio dans le grenier de ses parents. Il le louait pour trois fois rien. Les vieux du mec étaient très cools : une fois, pendant une session, le plafond s’est effondré, et ils n’ont rien dit !

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Vous avez enregistré plusieurs John Peel Sessions, classe.

Tommy

: John Peel s’est manifesté très tôt. Mais notre rencontre avec les gens du label Vinyl Solution a aussi été une étape essentielle. Ce label était tenu par deux Français établis à Londres. Ils nous ont présenté un attaché de presse et à ce moment, ça a vraiment explosé. On est devenu

le truc

dont il fallait parler.

Marty

: John Peel a fait plus pour nous que quiconque, ne serait-ce que grâce à l’exposition de son émission.

Tommy

: Il avait écrit un papier sur nous dans

The Observer

, un hebdomadaire chic qui paraîssait le dimanche. Mes parents ont vu l’article, ils n’en revenaient pas, ha ! ha ! Mais on n’a jamais rencontré John Peel en vrai. Dans la plupart des cas, je crois qu’il ne préférait ne pas rencontrer les groupes. On a enregistré quatre sessions pour lui. On allait dans un studio de la BBC où nous attendait un producteur et on avait une journée pour enregistrer quatre, cinq chansons. Les deux premières fois, on a été produits par Dale Griffin, l’ancien batteur de Mott the Hoople. Au début, il nous haïssait mais, finalement, il s'est habitué à nous ! [

hilares

]

Comment réagissaient vos parents à votre succès ?

Tommy

: Mes parents n’ont jamais interféré. Ils m’ont toujours soutenu même s’ils ne commentaient pas les événements. Ils me disaient : « oui, tu peux répéter là ; oui on pourra t’emmener en voiture ; oui, on te donnera de l’argent pour que tu puisses t’acheter des baguettes, etc. ».

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Marty

: Tommy a eu la chance d’avoir des parents adorables…

[

hilares

]

Et toi ?

Marty

: Mon père n’a jamais pris ça au sérieux. Il avait joué de la guitare plus jeune mais il a suivi les conseils de son prof et a arrêté

(de plus en plus hilares)

. Peut-être parce qu’il n’avait pas réussi, il disait qu’il n’y avait aucun avenir pour un musicien. En fait, c’est peut-être de sa faute si je m’y suis mis au début. Il avait gardé la guitare avec laquelle il essayait de faire du jazz dans les sixties. C’était une gratte magnifique que je n’avais pas le droit de toucher, elle était toujours enfermée dans le grenier. Quand mes parents ont divorcé, ma mère m’a acheté une guitare, dans un geste de rébellion contre mon père. J’avais seize ans et j’avais enfin ma guitare !

Comment se passaient vos concerts aux Etats-Unis ?

Tommy

: On a tourné une fois là-bas, en ’87. Sa mère n’a pas voulu qu’il y aille et on a dû prendre un autre guitariste

(morts de rire)

!

Marty

: Le jour de notre premier concert hors d’Ipswich, ma mère m’a dit qu’il n’était vraiment pas question que j’y aille. J’y suis quand même allé. Quand je suis rentré, ma chambre avait été vidée et elle avait mise mes affaires dans une valise ! Je ne pouvais vraiment pas aller aux Etats-Unis : je n’avais ni passeport, ni argent, c’était impossible !

Tommy

: Nous avons fait cette tournée américaine avec Ludichrist, un groupe de

metal crossover

. Là-bas, on a joué avec des groupes légendaires comme Flipper, SNFU et Die Kreuzen. À l’époque, un seul de nos disques était disponible en Amérique mais la réaction du public a été folle.

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Les Stupids en tournée, 1986.

Vous enregistrez ensuite l’album

Jesus Meets The Stupids.

Tommy

: Ce n’est vraiment pas mon disque préféré même s’il y a quelques chansons OK. Il a été enregistré à Redwood, un studio qui appartient à Michael Palin des Monty Python. On aurait pu le faire ppous moins cher, mais c’était l’époque où on polissait le son en studio, une sale manie des années 80…

Marty

: Et la pire chose qui puisse arriver au punk c’est quand on essaie de le

produire

.

Tommy

: Je préfère de loin les disques que nous avons enregistré dans des studios

cheap

!

Après ce disque, Marty, tu quittes le groupe ?

Tommy

: Il n’a pas quitté le groupe, il s’est fait virer !

Marty

: Les Stupids devaient donner un concert avec les Bad Brains dans l’ouest de Londres. Ce jour-là, j’avais organisé une fête pour ma petite amie et j’ai raté le train que j’aurais dû prendre pour rejoindre le groupe. À l’époque, on avait un chanteur qui s’appelait Ed qui jouait aussi de la guitare. Il a vu qu’il avait une chance et il l’a saisie. Comme je venais de commencer un boulot d’ingénieur du son, que cela m’excitait à fond, mon éjection des Stupids ne m’a finalement pas fait grand-chose.

Vous avez tourné et fait un disque avec les Hard-Ons, un groupe punk très connu en Australie qui possède lui aussi un chanteur-batteur.

Tommy

: On les a rencontrés via Vinyl Solution. Ils sortaient pas mal de groupes cools comme les Thugs d’Angers. L’idée c’était que les Hard-Ons viennent en Angleterre et qu’on aille tourner avec eux en Australie. On a donc fait le

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Highway To Hell Tour

fin 88, début 89. Comme ils sont très populaires en Australie, la tournée a duré pas moins de trois semaines !

Et malgré ça, vous splittez…

Tommy

: Ed, le nouveau guitariste voulait écrire des chansons mais, à cette époque, j’avais une vision assez bornée de la façon dont les choses devaient se passer. Ça l’a gonflé et il est parti. On s’est retrouvés sans guitariste et on a auditionné plein de guitaristes dont Gizz Butt qui a joué bien plus tard avec The Prodigy. À ce stade, j’ai commencé à enregistrer des démos et le truc a implosé. C’était fini.

Tommy, comment t’es-tu retrouvé à faire de la drum and bass sous le nom de Klute ?

Tommy

: C’est arrivé au terme d’un processus assez long. Il faut se souvenir qu’à la fin des années 80, de redoutables métalleux sévissaient, des as de la guitare comme Joe Satriani ou Vinnie Moore. Je suis passé du hardcore au metal et j’ai assisté à ça. J’étais en Amérique et je me suis mis au

classic rock

. Mais à LA, il y avait la radio KROQ, une station plutôt alternative qui jouait pas mal de musique indé. En ’89, il y a bien sûr ce changement massif de son en Angleterre avec les Happy Mondays, les Stone Roses, Altered States, cette sorte d’

indie dance music

que je me suis mis à écouter parce que j’avais le mal du pays. Et une fois que j’ai commencé à l’écouter, j’ai été happé comme dans une sorte de continuum.

Marty

: La première fois que j’ai écouté les trucs drum and bass de Tommy, je me suis dit, c’est toujours sa musique, je pouvais entendre les riffs dedans. C’est vraiment son style.

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Finalement, vous nous faites aussi le coup du comeback. Si l’on en croit votre site, c’est parce que Marty en avait « marre de faire le mannequin à poil », ha, ha…

Tommy

[

hilare

] : Marty a subi une crise de la quarantaine. Il a eu envie de rejouer. On s’est rebranchés. J’étais moi-même plutôt content de rejouer un peu de punk rock. Le label Boss Tuneage nous a contactés pour rééditer les albums. J’avais toujours les démos que j’avais faites à la fin du groupe. Ces morceaux ont servi de base à

The Kids Don’t Like It

, notre album de 2009, qui a donc été réalisé en partie à partir de morceaux écrits vingt ans plus tôt.

Quel avenir pour les Stupids ?

Tommy

: On aimerait bien retourner au Japon mais, pour ça, il faudrait qu’on enregistre un nouveau disque. Et il faut aussi que John, notre nouveau bassiste, accepte de continuer avec nous !

[

L’intéressé les regarde, hilare, lui aussi

]

Marty

: À l'heure actuelle, il nous parle toujours, c’est encourageant…

Olivier Richard sera, à l'heure où vous lirez ces lignes, en train de skater en Chine, loin, très loin de quoi que ce soit qui ressemble à Twitter.