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Music

Ne traitez jamais Mutoid Man de « supergroupe »

Ce n'est pas parce qu'ils sont menés par Stephen Brodsky de Cave In et Ben Koller de Converge qu'il faut confondre ces mecs avec Velvet Revolver ou Dead Weather.

Photo : Yvonne Jukes

Mené par Stephen Brodsky de Cave In et Ben Koller de Converge et All Pigs Must Die, Mutoid Man est techniquement un supergroupe. Mais Mutoid Man n'a absolument rien d'un supergroupe. Lors d'un récent concert-surprise au St. Vitus à Brooklyn, le trio a balancé une série de morceaux extraits de leur premier EP et de leur album, Bleeder, tout en envoyant chier la planète entière entre deux riffs ultra-techniques et en reprenant « She's a Lady » de Tom Jones. Malgré leur complexe mélange de hardcore et de math-rock, pas la moindre trace de rigidité, juste un festival de riffs surpuissants et des méga-tonnes de déconne.

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Une attitude qu'on ressent tout au long de Bleeder, sorti il y a quelques jours sur Sargent House et que vous pouvez écouter en inégralité juste en dessous. On a profité de la sortie de ce premier disque pour aller discuter avec Stephen Brodsky de ce nouveau projet, de Cave In et de l'importance de faire les choses en famille.

Noisey : Est-ce que tu as un projet principal, auquel tu te consacres en priorité ?
Stephen Brodsky : Par défaut, ce serait Cave In. Ça fait 20 ans que je suis dans le groupe. Mais aujourd'hui, on en arrive à un point où ça devient compliqué de se voir avec les autres membres du groupe, pour plusieurs raisons. Déjà, certains d'entre nous ont une famille et les obligations qui vont avec. On n'habite pas tous non plus dans le même coin. Ensuite, comme tout le monde, on a notre zone de confort, et on a parfois du mal à en sortir. D'autant plus qu'on n'a pas sorti d'album depuis 4 ans. On veut rester à l'écoute de notre créativité, mais on n'a pas envie de se sentir obligés de faire des concerts pour promouvoir un nouvel album ou un label. D'ailleurs, à l'heure où je te parle, Cave In n'a même plus de label. Bref, Cave In stagne pour l'instant et on ne sait pas quelle sera la prochaine étape, ni même s'il y aura une prochaine étape.

À l'inverse, Mutoid Man est un groupe récent, sans bagage. On est sur un label (et pas n'importe quel label, un des meilleurs du moment) qui est hyper enthousiaste. On est dans un tout autre scénario, c'est bien plus simple d'avancer avec Mutoid Man. Je ne sais pas si ça répond à ta question, mais au final, je crois qu'il n'y a aucun projet auquel je me consacre en priorité.

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Tout dépend de comment se présentent les choses, donc ?
Ouais, Mutoid Man est plus vivace, le groupe avance bien donc en ce moment, j'avance avec lui.

Tu as grandi avec Ben Koller, vous évoluez depuis longtemps dans la même scène. La scène de Boston dans les années 2000 était toute petite, et pourtant plein de groupes respectables en sont sortis. Vous avez rencontré Nick parce que vous habitiez tous à Brooklyn ?
Tiens, on en parlait récemment. La première fois que j'ai rencontré Nick c'était au Saint Vitus. J'y allais pour boire un verre ce soir-là, pas pour jouer. Je me rappelle l'avoir vu quitter la salle de concert, l'air hyper énervé. J'étais assis au bar, il s'est pointé à côté de moi et a hélé le barman : « Artie, j'ai besoin d'un shot ! ». Il était furieux et il s'est tourné vers moi en me disant : « Tu vois ce putain de groupe qui est en train de jouer là, c'est une vraie bande de connards. Leur putain de chanteur fait n'importe quoi avec mes retours, il nique tout mon matos. Les types jouent devant 30 personnes et ils se croient au Superbowl. » On en a un peu parlé. J'ai fini par me pointer dans la salle par curiosité et effectivement, les types sur scène avaient vraiment pété un câble. Du coup, ça m'est resté. Nick avait un look particulier, ça a été facile de le reconnaître quand je l'ai finalement recroisé, peu de temps après. Je jouais pour un projet solo au St Vitus. J'étais avec Ben, on voulait tester des morceaux sur lesquels on avait bossé ensemble en studio. On a donc joué ensemble. Et il s'est avéré que Nick était ingé-son pour cette soirée. On a joué certains morceaux qui allaient plus tard être repris par Mutoid Man. Nick était derrière la consoles, donc techniquement, c'était la première fois qu'on était tous réunis.

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Mutoid Man

Nick avait dû nous dire un truc genre « si vous avez besoin d'un bassiste, je suis là ». Il devait déjà avoir l'adresse mail de Ben et il m'a ajouté à la boucle pour nous envoyer des morceaux enregistrés par son groupe, Bröhammer. On était impressionnés, c'était hyper technique et le mec savait ce qu'il faisait. C'est comme ça que tout a commencé. Avec Ben, on déconne souvent en se disant qu'on est les deux vieux du groupe et que ça nous fait du bien d'avoir un petit jeune pour prendre les devants. En même temps, je pense que Nick a fait tout autant de concerts que nous, il bosse à plein temps pour des salles et il a vu défiler des tonnes de groupes.

Et tout un tas d'ego surdimensionnés.
Exactement. Finalement, sur ce point là on a une expérience quasi-équivalente. Mais je serai incapable de faire son boulot.

Il a été en tournée avec Cyndi Lauper en tant qu'ingé-on et il a pas mal d'histoires dingues à ce sujet.
Je pense qu'elle ne fait qu'une bouchée des ingénieurs, elle est hyper exigeante. Mais il a réussi à la convaincre et il est ressorti intact du monde de Cyndi Lauper. Et ça veut dire beaucoup.

C'est surtout à ce moment là que Mutoid s'est développé – puisque Ben ne vit plus à Brooklyn aujourd'hui.
Ouais, c'est ça. Quand j'ai emménagé à Brooklyn, il avait tout son matériel stocké dans un studio de répétition qu'il partageait avec d'autres gens. J'arrivais avec mon matériel, que j'avais laissé de côté pendant près d'un an. On a repris là où on s'était arrêté, des années auparavant, quand Ben avait rejoint Cave In. Après, quand j'étais à New York, on jammait où on pouvait. Avant de déménager, j'étais dans une relation longue distance qui impliquait que je vienne souvent à New York, j'en profitais pour traîner avec Ben quand il était dans le coin. J'ai fait ça entre 2007 et 2011. C'est seulement quand je me suis installé pour de bon à New York qu'on a commencé à écrire des morceaux ensemble, qui s'avèreraient être ceux de Mutoid Man.

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Récemment, je parlais des batteurs avec un ami. Je lui disais que, honnêtement, quand je vois Mutoid Man, Converge, All Pig Must Die ou Acid Tiger en concert, je pourrais ne regarder que Ben Koller. C'est un batteur extraordinaire. Tu te souviens de la première fois où tu l'as vu jouer ?
Je ne me rappelle plus exactement de la première fois où je l'ai vu jouer, ni de notre première rencontre d'ailleurs. Ce dont je me souviendrai toujours, c'est d'avoir mis Jane Doe [l'album de Converge] et d'avoir entendu pour la première fois « Concubine ». Il y a un passage à la caisse claire de 20 secondes dans ce morceau qui me fascine, c'est hyper rapide et ça vient comme une mitrailleuse sortie de nulle part. C'est à ce moment-là que Converge a pris une nouvelle importance pour moi. J'ai joué dans Converge pendant quelques années, et j'ai ressenti leur frustration vis-à-vis des batteurs avec lesquels ils avaient joué avant de tomber sur Ben. Je l'ai moi aussi ressentie, à un certain point. Quand il est arrivé, c'était la consécration, enfin quelqu'un réussissait à jouer comme ils l'avaient toujours espéré. Concernant la musique, tout collait parfaitement.

Ce qui est remarquable avec Mutoid Man, c'est que le groupe est assez technique, mais dans le bon sens du terme. Certains groupes veulent tellement faire dans la technique que ça devient juste un prétexte pour en mettre plein la vue. Vous avez fait particulièrement attention à ça ?
Dans Mutoid, ce qui nous importe c'est que le morceau soit bon. Il y a une différence entre un jeu technique, sans place pour la créativité et l'imagination et un jeu moins dense où tu laisses volontairement de la place à l'imagination de l'auditeur. C'est ce qu'ils font dans le reggae par exemple, et c'est quelque chose que j'apprécie énormément. Par exemple, tu me mets un Desmond Dekker, je peux écouter le disque, chanter dessus, faire mes propres harmonies, mes parties de percussions ou ajouter une ligne de guitare qui me passerait par la tête. La base sur laquelle repose le morceau est si simple que je peux me permettre de faire tout ça.

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Avec les premiers groupes de rock des années 60 et 70, tu peux entendre cette adaptation du blues. Le blues est une musique rudimentaire, c'est fait pour être écouté mais aussi pour permettre à celui qui l'écoute d'ajouter ses propres idées. Les Stones, The Who, Led Zeppelin ont pillé le Delta blues et l'ont amplifié. Mais l'espace de liberté est préservé. C'est aussi pour ça qu'on apprécie Sir Lord Baltimore, Captain Beyond, Grand Funk, c'est du rock bourré d'énergie mais il y a toujours un peu de place pour l'imagination, pour caser un petit truc, de ci de là. C'est génial, les morceaux ne sont pas trop techniques et ne nous enferment pas dans une structure figée, créée pour le morceau. Il y a un peu de place pour bidouiller.

Vous n'habitiez pas tous au même endroit quand l'album a été enregistré, comment vous vous êtes débrouillés ?
On a enregistré l'album cet hiver et il est sorti le 30 juin. On s'échangeait pas mal d'idées par vidéo quand Ben habitait sur la côte ouest. On a encore 40 ou 50 minutes de vidéos avec des idées de riff intéressantes, enregistrées chez moi le matin, en caleçon à demander ce que les mecs pensent de tel ou tel riff. On a conservé pas mal de trucs.

Je me doute que vous n'avez choisi et pris que les bonnes idées pour cet album. Ça s'est passé pareil pour le EP ?
Non ! Et c'était un énorme coup de chance que le premier EP ait été aussi bon, parce qu'on l'a enregistré sur une cassette 4 pistes dans un studio d’enregistrement gros comme un placard. Ben allait partir en tournée avec Converge et déménager sur la côte ouest juste après. On s'est dit qu'il fallait boucler les bases de ce disque avant son départ. On avait même pas encore de nom définitif pour le groupe, à ce moment là on avait opté pour Narcoleptic Beagle.

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C'est une blague entre vous ?
On avait enregistré toutes les démos, mais il fallait faire des trucs en plus pour les sortir sur iTunes. Donc on a bâclé le truc et enregistré sur un 4 pistes juste pour avoir un EP. C'est vraiment un miracle que ce soit finalement devenu notre première sortie. C'est grâce à Andrew Schneider, qui a fait le mixage, que le EP sonne aussi bien. Il faisait des expériences dingues comme passer les batteries dans 4 compresseurs différents et y ajouter des samples… c'était génial.

On savait très bien que si on avait l'occasion de sortir un vrai album avec Sargent House, on n’enregistrerait pas dans un studio de répétition, mais dans un endroit où le groupe au complet pourrait jouer, avec un vrai ingé-son. On voulait surtout bosser avec Kurt Ballou. On le connaît tous depuis pas mal d'années. C'était une évidence.

Mutoid Man

Vous bossez en famille.
Ouais, Kurt sait se faire entendre. C'est vraiment ce qu'on attend à ce stade, après tout ce qu'on a enregistré, on a besoin de quelqu'un pour nous dire « pourquoi tu fais ça comme ça ? Essaye plutôt de cette manière ». On voulait quelqu'un comme Kurt, ça nous paraissait être l'idéal pour Mutoid Man. En plus, on voulait enregistrer live, comme on l'avait fait sur le EP. Ça a forgé en partie le son de Mutoid Man. Il n'y a aucun edit, même si certains tempos traînent un peu parfois ou sont au contraire trop rapides, on a tout laissé en l'état. C'est comme ça qu'on joue. Et Kurt était cool avec ça.

C'est intéressant que vous ayez voulu enregistrer l'album en live.
J'oublie totalement à quel point enregistrer un album peut être une expérience dure et intense, jusqu'au moment où je me retrouve en studio. Avant cet album, j'enregistrais la plupart de mes morceaux tout seul, en étant mon propre ingénieur son. J'ai fait ça pendant des années. D'ailleurs, le dernier album de Cave In a aussi été enregistré en studio de répétition. Ça fait 5 ou 6 ans que j'entre en studio pour enregistrer des albums dans la veine de celui de Mutoid Man, et j'oublie souvent à quel point ça peut être intense. Il faut savoir conserver son énergie quand on enregistre un morceau live. Si l'un des mecs merde, il faut tout recommencer du début. Ça rend fou, tu empiètes sur les plates bandes autres membres, et eux empiètent sur les tiennes. Et puis, on prenait pas mal de champignons, d'excitants, de café et de boissons énergisantes pour y arriver. De l'Advil, de tout. Le cocktail Steve Brodsky, tu vois ! [Rires] Ça rend fou !

Vous venez de boucler une tournée avec Dilinger Escape Plan. Vous avez prévu de nouvelles dates ?
Ouais, on vient de confirmer une tournée américaine pour août, en tête d'affiche ! On est un jeune groupe, c'est le bon moment pour tester des salles dans tous les recoins du pays. On verra comment on sera reçus ! [Rires].

Cave In est également programmé à Atlanta pour le festival Wrecking Ball.
[Il chante] I came in like a wrecking ball ! [Rires] Miley sera là, aussi ? En guest star ? [Rires]

Ça a l'air assez dingue en fait. Je suppose que ça fait bien longtemps que In Cave a pas foutu les pieds à Atlanta pour jouer.
La dernière fois, c'était en 2009, avec Coalesce, pour la sortie d'un EP qu'on venait de finir, Planets of Olde. La première fois qu'on a joué à Atlanta c'était vraiment l'endroit où il fallait être pour la scène underground, hardcore et emo. C'était dans le milieu des années 90. On avait eu l'impression de jouer dans le salon de quelqu'un. Il y avait ce type, Gavin, qui organisait le concert, c'est lui qui avait la distro et qui avait tous les disques emo. Je parle bien sûr de l'emo d'avant, pas de celui avec l'eyeliner et les coupes de cheveux en pétard.

Cave In était en lien avec cette scène par le biais du groupe Inkwell. Tu te souviens d'eux ? Philip Dwyer était le chanteur d'Inkwell mais c'est aussi lui qui se chargeait de tout dessiner pour le groupe – je crois d'ailleurs qu'il est graphiste aujourd'hui, ou alors c'est déjà ce qu'il faisait en 95 ou 96. J'adorais ce groupe, et je me rappelle lui avoir écrit des lettres genre « mec, ton groupe défonce. Je peux t'envoyer une démo de mon groupe ? », je lui avais donc envoyé la démo et il s'était montré très enthousiaste. Puis on a continué à s'écrire des lettres. Quand Cave In a sortait des 45 tours au milieu des années 90, avant même qu'on ne soit lié à Hydra Head, on dessinait déjà nos propres pochettes et nos artworks. Pour notre deuxième 45 tours, on avait fait un split avec Early Grace. Le disque s'appelait Are We Still Fixable, et le design était emprunté à ce qu'on pouvait trouver sur Inkwell Records. On l'a fait exprès, on voulait vraiment faire quelque chose qui ressemble à Inkwell.